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RENCONTRE DU PAPE BENOÎT XVI
AVEC LE CLERGÉ DE ROME

LECTIO DIVINA

Salle Paul VI
Jeudi 23 février 2012

[Vidéo]

   

Chers frères,

C’est pour moi une grande joie de rencontrer chaque année, au début du carême, mon clergé, le clergé de Rome, et c’est pour moi un plaisir de voir aujourd’hui que nous sommes nombreux. Je pensais que dans cette grande salle, nous aurions constitué un groupe un peu perdu, mais je vois que nous sommes une grande armée de Dieu et que nous pouvons entrer avec force dans notre temps, dans les batailles nécessaires pour promouvoir, pour mener de l’avant le Royaume de Dieu. Nous sommes entrés hier par la porte du carême, renouvellement annuel de notre baptême; nous répétons presque notre catéchuménat, en allant de nouveau dans les profondeurs de notre être de baptisés, en reprenant, en retournant à notre être de baptisés et ainsi incorporés dans le Christ. De cette manière, nous pouvons aussi chercher à guider nos communautés à nouveau dans cette communion intime avec la mort et la résurrection du Christ, nous configurer toujours plus au Christ, devenir toujours plus réellement chrétiens.

Le passage de la Lettre de saint Paul aux Ephésiens que nous avons écouté (4, 1-16) est l’un des grands textes ecclésiaux du Nouveau Testament. Il commence par la présentation de soi de l’auteur: «Moi le prisonnier dans le Seigneur» (v. 1). Le mot grec desmios signifie «enchaîné»: Paul, comme un criminel, porte des chaînes, est enchaîné pour le Christ et ainsi commence-t-il en communion avec la passion du Christ. C’est le premier élément de la présentation de soi: il parle enchaîné, il parle dans la communion de la passion du Christ et ainsi, il est en communion aussi avec la résurrection du Christ, avec sa nouvelle vie. Nous devons toujours, lorsque nous parlons, parler en communion avec sa passion et accepter aussi nos passions, nos souffrances et épreuves, dans ce sens: ce sont véritablement des preuves de la présence du Christ, qu’Il est avec nous et que que nous allons, en communion avec sa passion, vers la nouveauté de la vie, vers la résurrection. «Enchaîné», par conséquent, est d’abord une parole de la théologie de la croix, de la communion nécessaire de tout évangélisateur, de tout pasteur avec le Pasteur suprême, qui nous a rachetés «en se donnant», en souffrant pour nous. L’amour est souffrance, c’est se donner, c’est se perdre, et c’est précisément de cette manière qu’il est fécond. Mais ainsi, dans l’élément extérieur des chaînes, de la liberté qui n’est plus, apparaît et transparaît aussi un autre aspect: la vraie chaîne qui lie Paul au Christ c’est la chaîne de l’amour. «Enchaîné par amour»: un amour qui donne la liberté, un amour qui le rend capable de rendre présent le Message du Christ et le Christ lui-même. Et cela devrait être, pour nous tous aussi, la dernière chaîne qui nous libère, reliés à la chaîne de l’amour au Christ. Ainsi trouvons-nous la liberté et la vraie route de la vie, et nous pouvons, avec l’amour du Christ, conduire à cet amour, qui est la joie, la liberté, également des hommes qui nous sont confiés.

Et il dit ensuite: «J’exhorte» (Ep 4, 1): sa tâche est celle d’exhorter, mais ce n’est pas une admonestation moraliste. Il exhorte depuis la communion avec le Christ; c’est le Christ lui-même, en fin de compte, qui exhorte, qui invite avec l’amour d’un père et d’une mère. Il faut «mener une vie digne de l'appel que vous avez reçu» (v. 1); c’est-à-dire que, premier élément, nous avons reçu un appel. Je ne suis pas anonyme et sans aucun sens dans le monde: il y a un appel, il y a une voix qui m’a appelé, une voix que je suis. Et ma vie devrait consister à entrer toujours plus en profondeur sur le chemin de l’appel, suivre cette voix et trouver ainsi la véritable route et guider les autres sur cette route.

Je suis «appelé par un appel». Je dirais que nous recevons le premier grand appel à être avec le Christ lors du baptême; le deuxième grand appel est celui à être des pasteurs à son service, et nous devons être toujours davantage à l’écoute de cet appel, de manière à pouvoir appeler ou mieux à aider aussi d’autres afin qu’ils entendent la voix du Seigneur qui appelle. La grande souffrance de l’Eglise d’aujourd’hui en Europe et en Occident, c’est le manque de vocations sacerdotales, mais le Seigneur appelle toujours, c’est l’écoute qui manque. Nous avons entendu sa voix et nous devons être attentifs à la voix du Seigneur pour les autres également, aider à ce que l’appel soit entendu, et ainsi soit accepté, que s’ouvre une route de la vocation à être pasteurs avec le Christ. Saint Paul revient sur ce mot «appel» à la fin de ce premier paragraphe, et il parle d’une vocation, d’un appel qui est à l’espérance — l’appel lui-même est une espérance — et il démontre ainsi les dimensions de l’appel; il n’est pas seulement individuel, l’appel est déjà un phénomène dialogique, un phénomène dans le «nous»; dans le «moi et toi» et dans le «nous». «Appel à l’espérance». Nous voyons ainsi les dimensions de l’appel; elles sont trois. Appel, enfin, selon ce texte, vers Dieu. Dieu est la fin; à la fin, nous arrivons simplement en Dieu et tout le chemin est un chemin vers Dieu. Mais ce chemin vers Dieu n’est jamais isolé, un chemin uniquement dans le «moi», c’est un chemin vers l’avenir, vers le renouveau du monde, et un chemin dans le «nous» des appelés qui en appelle d’autres, leur fait entendre cet appel. C’est pourquoi l’appel est toujours aussi une vocation ecclésiale. Etre fidèles à l’appel du Seigneur implique de découvrir ce «nous» dans lequel et pour lequel nous sommes appelés, ainsi qu’aller ensemble et réaliser les vertus nécessaires. L’«appel» implique le caractère ecclésial, il implique donc la dimension verticale et horizontale, qui sont inséparables, il implique le caractère ecclésial au sens de nous laisser aider pour le «nous» et de construire ce «nous» de l’Eglise. En ce sens, saint Paul illustre l’appel avec cette finalité: un Dieu unique, seul, mais avec cette direction vers l’avenir; l’espérance est dans le «nous» de ceux qui ont l’espérance, qui aiment à l’intérieur de l’espérance, avec certaines vertus qui sont précisément les éléments du fait de marcher ensemble.

La première est: «en toute humilité» (Ep 4, 2). Je voudrais m’arrêter un peu plus sur celle-ci, parce que c’est une vertu qui dans le catalogue des vertus préchrétiennes n’apparaît pas; c’est une vertu nouvelle, la vertu de la sequela Christi. Pensons à la Lettre aux Philippiens, au chapitre deux: le Christ, étant l’égal de Dieu, s’est humilié, en acceptant la forme de serviteur et en obéissant jusqu’à la croix (cf. Ph 2, 6-8). C’est le chemin de l’humilité du Fils que nous devons imiter. Suivre le Christ veut dire entrer dans ce chemin de l’humilité. Le texte grec dit tapeinophrosyne (cf. Ep 4, 2): ne pas penser en grand de soi-même, avoir la juste mesure. Humilité. Le contraire de l’humilité est l’orgueil, comme la racine de tous les péchés. L’orgueil qui est arrogance, qui veut avant tout le pouvoir, l’apparence, apparaître aux yeux des autres, être quelqu’un ou quelque chose, n’a pas l’intention de plaire à Dieu, mais de plaire à soi-même, d’être acceptés par les autres et — disons — vénérés par les autres. Le «moi» au centre du monde: il s’agit de mon moi orgueilleux, qui sait tout. Etre chrétien veut dire dépasser cette tentation originelle, qui est aussi le cœur du péché originel, d’être comme Dieu, mais sans Dieu; être chrétien, c’est être vrai, sincère, réaliste. L’humilité est avant tout vérité, vivre dans la vérité, apprendre la vérité, apprendre que ma petitesse est justement la grandeur, parce qu’ainsi, je suis important pour le grand tissu de l’histoire de Dieu avec l’humanité. C’est précisément en reconnaissant que je suis une pensée de Dieu, de la construction de son monde, et que je suis irremplaçable, c’est précisément ainsi, dans ma petitesse, et seulement de cette manière que je suis grand. C’est le début de l’être chrétien: vivre la vérité. Et c’est seulement en vivant la vérité, le réalisme de ma vocation pour les autres, avec les autres, dans le corps du Christ, que je vis bien. Vivre contre la vérité est toujours mal vivre. Vivons la vérité! Apprenons ce réalisme: ne pas vouloir apparaître, mais vouloir plaire à Dieu et faire ce que Dieu a pensé de moi et pour moi, et ainsi accepter aussi l’autre. Le fait d’accepter l’autre, qui est peut-être plus grand que moi, suppose précisément le réalisme et l’amour de la vérité; il suppose de m’accepter moi-même comme «pensée de Dieu», comme je suis, dans mes limites et, de cette manière, dans ma grandeur. M’accepter moi-même et accepter l’autre va de pair; ce n’est qu’en m’acceptant moi-même dans le grand tissu divin que je peux accepter aussi les autres, qui forment avec moi la grande symphonie de l’Eglise et de la création. Je pense que les petites humiliations, que jour après jour nous devons vivre, sont salutaires, parce qu’elles aident chacun à reconnaître sa vérité et à être ainsi libérés de cette vaine gloire qui est contre la vérité et ne peut pas me rendre heureux et bon. Accepter et apprendre cela, et ainsi apprendre et accepter ma position dans l’Eglise, mon petit service comme grand aux yeux de Dieu. Et c’est précisément cette humilité, ce réalisme, qui rend libres. Si je suis arrogant, si je suis orgueilleux, je voudrais toujours plaire et si je n’y parviens pas je suis malheureux, et je dois toujours chercher ce plaisir. Lorsque en revanche, je suis humble j’ai la liberté aussi d’être en opposition avec une opinion dominante, avec les pensées des autres, parce que l’humilité me donne la capacité, la liberté de la vérité. Et ainsi, dirais-je, prions le Seigneur pour qu’il nous aide, qu’il nous aide à être réellement des constructeurs de la communauté de l’Eglise; qu’elle croisse, que nous-mêmes croissions dans la grande vision de Dieu, du «nous», et soyons membres du Corps du Christ, appartenant ainsi, en unité, au Fils de Dieu.

La deuxième vertu — mais nous serons plus brefs — est la «douceur», dit la traduction italienne (Ep 4, 2), en grec praus, c’est-à-dire «doux, paisible»; et il s’agit là aussi d’une vertu christologique comme l’humilité, qui est suivre le Christ sur ce chemin de l’humilité. Ainsi, praus, être doux, être paisible, signifie suivre le Christ qui dit: Venez à moi, car je suis doux de cœur (cf. Mt 11, 29). Cela ne veut pas dire faiblesse. Le Christ peut aussi être dur, si nécessaire, mais toujours avec un cœur bon, la bonté, la mansuétude restent toujours visibles. Dans l’Ecriture Sainte, le terme «les doux» est parfois tout simplement le nom donné aux croyants, au petit troupeau des pauvres qui, dans toutes les épreuves, restent humbles et fermes dans la communion du Seigneur: chercher cette douceur, qui est le contraire de la violence. La troisième béatitude. L’Evangile de saint Matthieu dit: heureux les doux, car ils posséderont la terre (cf. Mt 5, 5). Ce n’est pas les violents qui possèdent la terre, à la fin ce sont les doux qui restent: ce sont eux qui ont la grande promesse, et ainsi nous devons être vraiment sûrs de la promesse de Dieu, de la douceur qui est plus forte que la violence. Dans ce terme de douceur se cache l’opposition avec la violence: les chrétiens sont les non violents, sont les opposants à la violence.

Et saint Paul poursuit: «avec magnanimité» (Ep 4, 2): Dieu est magnanime. Malgré nos faiblesses et nos péchés, il recommence toujours à nouveau avec nous. Il me pardonne, même s’il sait que demain je tomberai à nouveau dans le péché; il distribue ses dons, même s’il sait que nous sommes souvent des administrateurs qui ne sont pas à la hauteur. Dieu est magnanime, il a un grand cœur, il nous confie sa bonté. Et cette magnanimité, cette générosité fait précisément partie à nouveau de la sequela du Christ.

Enfin, «supportez-vous les uns les autres avec charité» (Ep 4, 2); il me semble que c’est précisément de l’humilité que provient cette capacité d’accepter l’autre. L’altérité de l’autre est toujours un poids. Pourquoi l’autre est-il différent? Mais précisément cette diversité, cette altérité est nécessaire à la beauté de la symphonie de Dieu. Et nous devons devenir capables, précisément avec l’humilité dans laquelle je reconnais mes limites, mon altérité dans la confrontation avec l’autre, le poids que je suis pour l’autre, non seulement de supporter l’autre, mais, avec amour, de trouver précisément dans l’altérité également la richesse de son être et des idées et de l’imagination de Dieu.

Tout cela sert donc comme vertu ecclésiale à la construction du Corps du Christ, qui est l’Esprit du Christ, pour qu’il devienne à nouveau un exemple, à nouveau un corps et qu’il grandisse. Paul le dit ensuite de manière concrète, en affirmant que toute cette variété des dons, des tempéraments, du fait d’être homme, sert à l’unité (cf. Ep 4, 11-13). Toutes ces vertus sont également des vertus de l’unité. Par exemple, il est pour moi très significatif que la première Lettre après le Nouveau Testament, la Première Lettre de Clément, soit adressée à une communauté, celle des Corinthiens, qui est divisée et qui souffre de la division (cf. pg 1, 201-328). Dans cette Lettre, le mot «humilité» est précisément un mot clef: ils sont divisés parce que l’humilité manque, l’absence d’humilité détruit l’unité. L’humilité est une vertu fondamentale de l’unité et ce n’est qu’ainsi que grandit l’unité du Corps du Christ, que nous devenons réellement unis et que nous recevons la richesse et la beauté de l’unité. C’est pourquoi il est logique que la liste de ces vertus, qui sont des vertus ecclésiales, christologiques, les vertus de l’unité, aille vers l’unité explicite: «un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême; un seul Dieu et Père de tous» (Ep 4, 5). Une seule foi et un seul baptême, comme réalité concrète de l’Eglise qui se trouve sous l’unique Seigneur.

Baptême et foi sont inséparables. Le baptême est le sacrement de la foi et la foi possède un double aspect. C’est un acte profondément personnel: je connais le Christ, je rencontre le Christ et je lui accorde ma confiance. Pensons à la femme qui touche son vêtement dans l’espoir d’être sauvée (cf. Mt 9, 20-21); elle se confie totalement à Lui et le Seigneur lui dit: Tu es sauvée, parce que tu as cru (cf. Mt 9, 22). Aux lépreux aussi, au seul qui revient, il dit: Ta foi t’a sauvé (cf. Lc 17, 19). La foi est donc, surtout au début, une rencontre personnelle, le fait de toucher le vêtement du Christ, le fait d’être touché par le Christ, d’être en contact avec le Christ, de se remettre au Seigneur, d’avoir et de trouver l’amour du Christ et, dans l’amour du Christ, la clef également de la vérité, de l’universalité. Mais précisément pour cela, parce qu’elle est la clef de l’universalité de l’unique Seigneur, cette foi n’est pas seulement un acte personnel de confiance, mais un acte qui possède un contenu. La fides qua exige la fides quae, le contenu de la foi, et le baptême expriment ce contenu: la formule trinitaire est l’élément substantiel du credo des chrétiens. Il est, en lui-même, un «oui» au Christ, et ainsi au Dieu trinitaire, avec cette réalité, avec ce contenu qui m’unit à ce Seigneur, à ce Dieu, qui a ce Visage: il vit comme Fils du Père dans l’unité de l’Esprit Saint et dans la communion du Corps du Christ. Cela me semble donc très important: la foi a un contenu, mais ce n’est pas suffisant, ce n’est pas un élément d’unification si ce contenu de l’unique foi n’est pas présent et n’est pas vécu et confessé.

C’est pourquoi, l’«Année de la foi», l’Année du catéchisme — pour être très concret — sont indissolublement liées. Nous renouvellerons le Concile uniquement en renouvelant le contenu — condensé ensuite de nouveau — du Catéchisme de l’Eglise catholique. Et un grand problème de l’Eglise actuelle est le manque de connaissance de la foi, est l’«analphabétisme religieux», comme l’ont dit les cardinaux vendredi dernier à propos de cette réalité. «Analphabétisme religieux»; et avec cet analphabétisme nous ne pouvons pas croître, l’unité ne peut pas croître. C’est pourquoi nous devons nous-mêmes nous approprier de nouveau de ce contenu, comme richesse de l’unité et non comme un ensemble de dogmes et de commandements, mais comme une réalité unique qui se révèle dans sa profondeur et sa beauté. Nous devons faire tout le possible pour un renouveau catéchistique, pour que la foi soit connue et, ainsi, que Dieu soi connu, que le Christ soit connu, que la vérité soit connue et que grandisse l’unité dans la vérité.

Ensuite toutes ces unités finissent dans: «un seul Dieu et Père de tous». Tout ce qui n’est pas humilité, tout ce qui n’est pas foi commune, détruit l’unité, détruit l’espérance et rend la Face de Dieu invisible. Dieu est Un et Unique. Le monothéisme était le grand privilège d’Israël, qui a connu l’unique Dieu, et qui reste un élément constitutif de la foi chrétienne. Le Dieu trinitaire — nous le savons — n’est pas trois divinités, mais un unique Dieu; et nous voyons mieux ce que signifie l’unité: l’unité, c’est l’unité de l’amour. C’est ainsi: précisément parce qu’il est le cercle de l’amour, Dieu est Un et Unique.

Pour Paul, comme nous l’avons vu, l’unité de Dieu s’identifie avec notre espérance. Pourquoi? De quelle manière? Parce que l’unité de Dieu est espérance, parce que celle-ci nous garantit que, à la fin, il n’y a pas différents pouvoirs, à la fin il n’y a pas de dualisme entre pouvoirs différents et opposés, à la fin il ne reste pas la tête du dragon qui pourrait s’élever contre Dieu, il ne reste pas la salissure du mal et du péché. A la fin, il ne reste que la lumière! Dieu est unique et il est l’unique Dieu: il n’y a pas d’autre pouvoir contre Lui! Nous savons qu’aujourd’hui, avec les maux toujours plus grands que nous affrontons dans le monde, beaucoup doutent de la Toute-puissance de Dieu. Plus encore, divers théologiens — même valables — disent que Dieu ne serait pas tout-puissant, car la toute-puissance ne serait pas compatible avec ce que nous voyons dans le monde. Et ainsi, ils veulent créer une nouvelle apologie, excuser Dieu et «disculper» Dieu de ces maux. Mais cela n’est pas la manière juste, car si Dieu n’est pas tout-puissant, si d’autres pouvoirs forts existent et demeurent, il n’est pas vraiment Dieu et il n’est pas l’espérance, car à la fin resterait le polythéisme, à la fin resterait la lutte, le pouvoir du mal. Dieu est tout-puissant, l’unique Dieu. Certes, dans l’histoire on a donné une limite à sa toute-puissance, en reconnaissant notre liberté. Mais à la fin tout revient et il ne reste pas d’autre pouvoir; telle est l’espérance: que la lumière gagne, que l’amour gagne! A la fin la force du mal ne reste pas, Dieu seul reste! Et ainsi nous sommes sur le chemin de l’espérance, en marchant vers l’unité de l’unique Dieu, qui s’est révélé à travers l’Esprit Saint, dans l’Unique Seigneur, le Christ.

Puis, de cette grande vision, saint Paul rentre un peu dans les détails et dit du Christ: «Montant dans les hauteurs il a emmené des captifs, il a donné des dons aux hommes» (Ep 4, 8). L’apôtre cite le Psaume 68, qui décrit de façon poétique la montée de Dieu avec l’Arche de l’Alliance vers les hauteurs, vers le sommet du mont Sion, vers le temple: Dieu comme vainqueur qui a dépassé les autres, qui sont prisonniers et, tel un vrai vainqueur, distribue des dons. Le judaïsme a vu en cela plutôt une image de Moïse, qui monte vers le mont Sinaï pour recevoir au sommet la volonté de Dieu, les commandements, qui ne sont pas considérés comme un poids, mais comme le don de connaître le Visage de Dieu, la volonté de Dieu. Paul, à la fin, voit ici une image de l’ascension du Christ qui s’élève après être descendu; il s’élève et attire l’humanité vers Dieu, il laisse la place à la chair et au sang en Dieu lui-même; il nous attire vers la hauteur de sa nature de Fils et nous libère de la prison du péché, il nous rend libres car vainqueur. Etant vainqueur, Il distribue les dons. Et ainsi, nous sommes arrivés de la montée de Dieu à l’Eglise. Les dons sont la charis en tant que telle, la grâce: être dans la grâce, dans l’amour de Dieu. Et puis il y a les charismes qui concrétisent la charis dans chaque fonction et mission: apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et maîtres pour édifier ainsi le Corps du Christ (cf. Ep 4, 11).

Je ne voudrais pas entrer à présent dans une exégèse détaillée. On discute beaucoup aujourd’hui sur ce que veut dire être apôtres, prophètes... Dans tous les cas, nous pouvons dire que l’Eglise est construite sur le fondement de la foi apostolique, qui demeure toujours présente: les Apôtres, dans la succession apostolique, sont présents dans les pasteurs, que nous sommes, par la grâce de Dieu et en dépit de toute notre pauvreté. Et nous sommes reconnaissants à Dieu qui a voulu nous appeler pour demeurer dans la succession apostolique et continuer d’édifier le Corps du Christ. Ici apparaît un élément qui me semble important: les ministères — ce que l’on appelle les ministères — sont appelés «dons du Christ», ce sont des charismes; c’est-à-dire qu’il n’y a pas cette opposition: d’une part le ministère, comme une chose juridique, et d’autre part, les charismes, comme don prophétique, vivant, spirituel, comme présence de l’Esprit et sa nouveauté. Non! Les ministères sont précisément un don du Ressuscité et sont des charismes, ce sont des articulations de sa grâce; on ne peut pas être prêtre sans être charismatique. Etre prêtre est un charisme. Nous devons — me semble-t-il — toujours garder cela à l’esprit: être appelés au sacerdoce, être appelés par un don du Seigneur, par un charisme du Seigneur. Et ainsi, inspirés par son Esprit, nous devons chercher à vivre notre charisme. Je pense que ce n’est qu’ainsi que l’on peut comprendre que l’Eglise en Occident a lié de façon indissoluble le sacerdoce et le célibat: être dans une existence eschatologique vers l’ultime destination de notre espérance, vers Dieu. Précisément parce que le sacerdoce est un charisme et qu’il doit être également lié à un charisme: s’il n’était pas cela et s’il n’était qu’une chose juridique, il serait absurde d’imposer un charisme qui est un véritable charisme; mais si le sacerdoce même est un charisme, il est normal qu’il coexiste avec le charisme, avec l’état charismatique de la vie eschatologique.

Prions le Seigneur afin qu’il nous qu’il nous aide à comprendre toujours plus cela, à vivre toujours plus dans le charisme de l’Esprit Saint et à vivre ainsi également ce signe eschatologique de la fidélité à l’Unique Seigneur, qui est nécessaire précisément pour notre temps, avec la fragmentation du mariage et de la famille, qui ne peuvent se composer que dans la lumière de cette fidélité à l’unique appel du Seigneur.

Un dernier point. Saint Paul parle de la croissance de l’homme parfait, qui atteint la mesure de la plénitude du Christ: nous ne serons plus des enfants à la merci des vagues, emportés à tout vent de la doctrine (cf. Ep 4, 13-14). «Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête» (Ep 4, 15). On ne peut pas vivre dans une enfance spirituelle, dans une enfance de foi: malheureusement, dans notre monde, nous constatons cette enfance. De nombreuses personnes, au delà de la première catéchèse, n’ont pas continué; peut-être ce noyau est-il resté, peut-être a-t-il été détruit. Et, d’ailleurs, ils sont sur les vagues du monde et rien d’autre; ils ne peuvent pas, en tant qu’adultes, avec une compétence et une conviction profonde, exposer et rendre présente la philosophie de la foi — pour ainsi dire — la grande sagesse, la rationalité de la foi, qui ouvre les yeux également des autres, qui ouvre les yeux précisément sur ce qu’il y a de bon et de vrai dans le monde. Le fait d’être adulte fait défaut dans la foi, et il reste l’enfance dans la foi.

Bien sûr, au cours de ces dernières décennies, nous avons vécu également un autre usage de la parole «foi adulte». On parle de «foi adulte», c’est-à-dire émancipée par le Magistère de l’Eglise. Tant que je suis sous la protection de la mère, je suis un enfant, je dois m’émanciper; une fois émancipé du Magistère, je suis finalement adulte. Mais le résultat n’est pas une foi adulte, le résultat est la dépendance des vagues du monde, des opinions du monde, de la dictature des moyens de communication, de l’opinion que tous pensent et veulent. Cela n’est pas la vraie émancipation, l’émancipation de la communion du Corps du Christ! Au contraire, cela signifie tomber sous la dictature des vagues, du vent du monde. La véritable émancipation signifie précisément se libérer de cette dictature, dans la liberté des fils de Dieu qui croient ensemble dans le Corps du Christ, avec le Christ Ressuscité, et voient ainsi la réalité, et sont capables de répondre aux défis de notre temps.

Il me semble que nous devons beaucoup prier le Seigneur, afin qu’il nous aide à être émancipés dans ce sens, libres dans ce sens, avec une foi réellement adulte qui voit, fait voir et peut aider également les autres à atteindre la véritable perfection, le véritable âge adulte, en communion avec le Christ.

Dans ce contexte, il y a la belle expression de l’aletheuein en te agape, être vrais dans la charité, vivre la vérité, être vérité dans la charité: les deux concepts vont ensemble. Aujourd’hui, le concept de vérité est un peu l’objet de soupçons car on allie la vérité avec la violence. Malheureusement, dans l’histoire, il y a eu également des épisodes où l’on cherchait à défendre la vérité au moyen de la violence. Mais les deux sont contraires. La vérité ne s’impose pas par d’autres moyens, mais par elle seule! La vérité ne peut arriver qu’à travers elle-même, la propre lumière. Mais nous avons besoin de la vérité; sans vérité, nous ne connaissons pas les véritables valeurs, et alors comment pourrions-nous ordonner le kosmos des valeurs? Sans vérité, nous sommes aveugles dans le monde, nous n’avons pas de voie. Le grand don du Christ est précisément que nous voyons le Visage de Dieu, et même de façon énigmatique, très insuffisante, nous connaissons le fond, l’essentiel de la vérité dans le Christ, dans son Corps. Et en connaissant cette vérité, nous grandissons aussi dans la charité qui est la légitimation de la vérité et qui nous montre qu’elle est la vérité. Je dirais précisément que la charité est le fruit de la vérité — l’arbre se reconnaît à ses fruits — et s’il n’y a pas de charité, la vérité n’est pas non plus véritablement appropriée, vécue; et là où est la vérité, naît la charité. Grâce à Dieu, nous le voyons à tous les siècles: en dépit des faits négatifs, le fruit de la charité a toujours été présent dans le christianisme et il l’est aujourd’hui! Nous le voyons dans les martyrs, nous le voyons dans les nombreux religieuses, religieux et prêtres qui servent humblement les pauvres, les malades, qui sont la présence de la charité du Christ. Et ainsi, ils sont le grand signe qui est ici la vérité.

Prions le Seigneur afin qu’il nous aide à apporter le fruit de la charité et être ainsi témoins de sa vérité. Merci.



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