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JEAN-PAUL II 

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 27 octobre 1999

L'amour préférentiel pour les pauvres

   

Lecture: Mt 25, 31.34-36

1. Le Concile Vatican II souligne une dimension spécifique de la charité qui nous conduit, sur l'exemple du Christ, à aller en particulier à la rencontre des plus pauvres: "Comme le Christ... a été envoyé par le Père "pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir les coeurs meurtris" (Lc 4, 18), "chercher et sauver ce qui était perdu" (Lc 19, 10): de même l'Eglise enveloppe de son amour tous ceux que la faiblesse humaine afflige, bien plus, dans les pauvres et les souffrants elle reconnaît l'image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s'efforce de soulager leur misère, et en eux c'est le Christ qu'elle veut servir" (Lumen gentium, n. 8).

Nous voulons aujourd'hui approfondir l'enseignement de l'Ecriture Sainte sur les motivations de l'amour préférentiel pour les pauvres.

2. Il faut tout d'abord observer que, de l'Ancien au Nouveau Testament, il y a un progrès dans l'évaluation du pauvre et de sa situation. Dans l'Ancien Testament apparaît souvent la conviction humaine commune selon laquelle la richesse est meilleure que la pauvreté et représente la juste récompense réservée à l'homme droit et qui craint Dieu: "Heureux l'homme qui craint Yahvé, et se plaît fort à ses préceptes... Opulence et bien-être en sa maison" (Ps 112, 3). La pauvreté est considérée comme une punition pour qui refuse l'instruction de la sagesse (cf. Pr 13, 18).

Mais, d'un autre point de vue, le pauvre devient l'objet d'une attention particulière en tant que victime d'une injustice perverse. Les invectives des prophètes contre l'exploitation des pauvres sont célèbres. Le prophète Amos (cf. 2, 6-15) place l'oppression du pauvre parmi les chefs d'imputation contre Israël: "Parce qu'ils vendent le juste à prix d'argent et le pauvre pour une paire de sandale; parce qu'ils écrasent la tête des faibles sur la poussière de la terre et qu'ils font dévier la route des humbles" (ibid., vv. 6-7). Le lien de la pauvreté avec l'injustice est également souligné dans Isaïe: "Malheur à ceux qui décrètent des décrets d'iniquité, qui écrivent des rescrits d'oppression pour priver les faibles de justice et frustrer de leur droit les humbles de mon peuple, pour faire des veuves leur butin et dépouiller les orphelins" (Is 10, 1-2).

Cette relation explique également pourquoi abondent les lois en défense des pauvres et de ceux qui sont socialement plus faibles: "Vous ne maltraiterez pas une veuve ni un orphelin. Si tu le maltraites et qu'il crie vers moi, j'écouterai son cri" (Ex 22, 21-22; cf. Pr 22, 22-23; Si 4, 1-10). Défendre le pauvre, c'est honorer Dieu, père des pauvres. C'est pourquoi la générosité à leur égard est justifiée et recommandée (cf. Dt 15, 1-11; 24, 10-15; Pr 14, 21; 17, 5). 

Dans l'approfondissement progressif du thème de la pauvreté, on peut voir que celle-ci assume peu à peu une valeur religieuse. Dieu parle de "ses" pauvres (cf. Is 49, 13) qui finissent par être identifiés avec le "reste d'Israël", peuple humble et pauvre, selon une expression du prophète Sophonie (cf. 3, 12). On dit également du futur Messie qu'il prendra à coeur les pauvres et les opprimés, comme le dit Isaïe dans le célèbre texte concernant le surgeon qui naîtra de la souche de Jessé: "Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays" (Is 11, 4).

3. C'est pourquoi dans le Nouveau Testament, on annonce aux pauvres l'heureux message de la libération, comme Jésus lui-même le souligne, en appliquant à sa personne la prophétie du Livre d'Isaïe: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur" (Lc 4, 18; cf. Is 61, 1-2).

Il faut adopter l'attitude intérieure du pauvre pour pouvoir participer au "royaume des cieux" (cf. Mt 5, 3; Lc 6, 20). Dans la parabole du grand dîner, les pauvres sont invités au banquet avec les estropiés, les aveugles, les boîteux, en somme avec les catégories sociales qui souffrent le plus et qui sont marginalisées (cf. Lc 14, 21). Saint Jacques dira que Dieu "n'a-t-il pas choisi les pauvres selon le monde comme riches dans la foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment?" (Jc 2, 5).

4. La pauvreté "évangélique" implique toujours un grand amour envers les plus pauvres de ce monde. En cette troisième année de préparation au grand Jubilé, il faut redécouvrir Dieu comme Père providenitel qui se penche sur les souffrances humaines pour soulager ceux qui en sont affligés. Notre charité doit également se traduire en partage et en promotion humaine, comprise comme croissance intégrale de chaque personne.

La radicalité évangélique a poussé de nombreux disciples de Jésus, au cours de l'histoire, à rechercher la pauvreté au point de vendre leurs propres biens et de les donner en aumône. La pauvreté devient une vertu qui, outre ici soulager le destin du pauvre, se transforme en chemin spirituel grâce auquel on peut se procurer la véritable richesse, c'est-à-dire un trésor inépuisable dans les cieux (cf. Lc 12, 32-34). La pauvreté matérielle n'est jamais une fin en soi, mais un moyen pour suivre le Christ, qui, comme le rappelle Paul aux Corinthiens, "pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté" (2 Co 8, 9).

5. Je ne peux pas manquer de faire remarquer ici, encore une fois, que les pauvres constituent le défi d'aujourd'hui, en particulier pour les peuples développés de notre planète, où des millions de personnes vivent dans des conditions inhumaines et meurent littéralement de faim. Annoncer Dieu le Père à ces frères n'est pas possible sans l'engagement à collaborer au nom du Christ à la construction d'une société plus juste.

Depuis toujours, et de façon particulière avec son magistère social, de Rerum novarum à Centesimus annus, l'Eglise s'est prodiguée pour affronter le thème des plus pauvres. Le grand Jubilé de l'An 2000 doit être vécu comme une occasion supplémentaire de profonde conversion des coeurs, pour que l'esprit suscite dans cette direction de nouveaux témoins. Les chrétiens, avec tous les hommes de bonne volonté, devront contribuer, à travers des programmes économiques et politiques adéquats, à ces changements structurels si nécessaires, afin que l'humanité soit débarassée du fléau de la pauvreté (cf. CA, n. 57).

                                                                      * * *

Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 27 octobre 1999 se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Lycée Anne-Marie Javouhey, de Chamblanc; pèlerinage du diocèse de Soissons, guidé par l'Evêque Mgr Marcel Herriot; groupe de Riceys dans l'Aube.

De Belgique: Groupe de pèlerins.

Chers frères et sœurs,

L'amour préférentiel de l'Eglise pour les pauvres est une tradition constante dans l'Eglise. Déjà, les prophètes de l'Ancien Testament dénonçaient l'oppression et l'injustice qui frappaient les plus démunis et les plus faibles; une série de normes visaient à leur défense, car défendre le pauvre, c'est honorer Dieu, père des pauvres. Cet amour préférentiel s'inspire de l'attitude même du Christ, envoyé par le Père pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4, 18), s'identifiant aux plus petits d'entre ses frères. A l'approche du grand Ju- bilé, il importe que nous redécouvrions Dieu comme un Père aimant. Notre charité doit se traduire par le partage et par la promotion de l'homme; la pauvreté reste un défi pour le monde, principalement pour les pays développés. Dans ce domaine, les chrétiens et les hommes de bonne volonté doivent collaborer à la mise en place de programmes politiques et économiques appropriés. Annoncer l'Evangile aux pauvres suppose que, au nom du Christ, nous travaillions à une société plus juste. Le grand Jubilé doit être l'occasion d'une conversion des cœurs pour que l'Esprit suscite de nouveaux témoins de la charité.

J'accueille avec joie les pèlerins d'expression française, notamment Monseigneur Herriot, Evêque de Soissons, et ses diocésains. Que leur pèlerinage sur les pas de Pierre et Paul ravive leur foi au Christ! A tous, j'accorde ma Bénédiction apostolique!

   



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