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BÉATIFICATION DU P. JACQUES-DÉSIRÉ LAVAL, C.S.S.
ET DU P. FRANCISCO COLL, O.P.

HOMÉLIE DU PAPE JEAN-PAUL II

IIIe dimanche de Pâques
Dimanche 29 avril 1979

 

Chers Frères et Sœurs,

1. Alleluia! Alleluia! En ce troisième dimanche de Pâques, notre joie pascale s’exprime en écho la joie débordante des Apôtres qui, dès le premier jour, ont reconnu le Christ ressuscité. Le soir de Pâques, « le Christ se tint au milieu d’eux ». « Il leur montra ses mains et ses pieds ». Il les invita à le toucher de leurs mains. Et il mangea sous leurs yeux. Saisis de stupeur et lents a croire, les Apôtres le reconnurent enfin : « Ils furent remplis de joie à la vue du Seigneur »; et désormais personne ne put leur ravir leur joie, ni faire taire leur témoignage. Quelques instante plus tôt, le cœur des disciples d’Emmaüs était aussi tout brûlant au-dedans d’eux pendant que Jésus leur parlait en chemin et leur expliquait les Ecritures; et ils l’avaient reconnu eux aussi à la fraction du pain.

L’allégresse de ces témoins, c’est la nôtre, chers Frères et Sœurs, nous qui partageons leur foi au Christ ressuscité. Glorifié auprès du Père, il ne cesse d’attirer les hommes à Lui, de leur communiquer sa vie, l’Esprit de sainteté, tout en leur préparant une place dans la maison du Père Précisément, ceste joie trouve aujourd’hui une éclatante confirmation, puisque nous célébrons deux admirables Serviteurs de Dieu qui, au siècle dernier, ont brillé sur notre terre de la sainteté du Christ et que l’Eglise est en mesure, désormais, de déclarer bienheureux, de les proposer au culte particulier et à l’imitation des fidèles: le Père Laval et le Père Coll, qu’il nous faut maintenant contempler.

2. Il est évidemment impossible de relever ici tous les faits saillants de la vie du Père Jacques-Désiré Laval, ni toutes les vertus chrétiennes qu’il a pratiquées à un degré héroïque. Retenons du moins ce qui caractérise ce missionnaire, au regard de la mission actuelle de l’Eglise.

C’est d’abord son souci d’évangéliser les pauvres, les plus pauvres, et, en l’occurrence, ses « chers Noirs » de l’Ile Maurice, comme il les appelait. Français, il avait commencé par exercer la médecine dans une petite cité de son diocèse natal d’Evreux, mais peu à peu, l’appel à un amour sans partage du Seigneur, qu’il avait un certain temps refoulé, lui fit abandonner son métier et la vie mondaine : « Devenu prêtre, je pourrai faire plus de bien », expliquait-il à son frère. Vocation tardive au Séminaire Saint-Sulpice de Paris, il y fut aussitôt préposé au service des pauvres; puis, comme curé de la petite paroisse normande de Pinterville, il partageait tout son avoir avec les indigente. Mais en apprenant la misère des Noirs d’Afrique et l’urgence de les amener au Christ, il obtint de partir à l’Ile Maurice, avec le Vicaire Apostolique, Mgr Collier. Durant vingt-trois ans, jusqu’à sa morte, il consacra tout son temps, usa toutes ses forces, donna tout son cœur à l’évangélisation des autochtones: sans jamais se lasser il sut les écouter, les catéchiser, leur faire découvrir leur vocation chrétienne. Souvent aussi il intervint pour améliorer leur condition sanitaire et sociale.

L’acharnement qu’il y mit ne cesse de nous étonner, surtout dans les conditions décourageantes de sa mission Mais, dans son apostolat, il alla toujours à l’essentiel.

Le fait est que notre missionnaire a laissé derrière lui d’innombrables convertis, à la foi et à la piété solides. Il n’était point porté vers les cérémonies tapageuses, séduisantes pour ces âmes simples mais sans lendemain, ni vers les envolées oratoires. Son souci éducatif était très inséré dans la vie, il ne craignait pas de revenir sans cesse sur les points essentiels de la doctrine et de la pratique chrétiennes, et il n’admettait au baptême ou à la première communion que des gens préparés par petits groupes et éprouvés. Il prit grand soin de mettre à la disposition des fidèles des petites chapelles disséminées dans l’île. Une autre initiative remarquable qui rejoint le souci de nombreux pasteurs aujourd’hui: il s’adjoignit des collaborateurs, hommes et femmes, comme chefs de prière, catéchistes, visiteuses et conseillères des malades, responsables de petites communautés chrétiennes, autrement dit des pauvres, évangélisateurs de pauvres.

Quel est donc le secret de son zèle missionnaire ? Nous le trouvons dans sa sainteté: dans le don de toute sa personne à Jésus-Christ, inséparable de sa tendresse pour les hommes, surtout pour les plus humbles, qu’il veut faire accéder au salut du Christ. Tout le temps qu’il ne consacrait pas à l’apostolat direct, il le passait à prier, surtout devant le Saint-Sacrement, et il joignait continuellement à sa prière mortifications et pénitences qui ont très vivement frappé ses confrères, malgré sa discrétion et son humilité. Lui-même confie souvent le regret de sa tiédeur spirituelle – disons plutôt le sentiment de sa sécheresse : n’est-ce pas précisément qu’il accorde le plus grand prix au fervent amour de Dieu et de Marie, auquel il veut initier ses fidèles ? C’est là aussi le secret de sa patience apostolique : « C’est sur le bon Dieu tout seul et sur la protection de la Sainte Vierge que nous nous appuyons ». Quelle magnifique confession! Sa spiritualité missionnaire s’était d’ailleurs inscrite, dès le début, dans le cadre d’un jeune Institut religieux et marial, et il eut toujours à cœur d’en suivre les exigences spirituelles, malgré sa solitude et son éloignement géographique : la Société du Saint-Cœur de Marie, dont il fut l’un des tout premiers membres aux côtés du célèbre Père Libermann, et qui sera bientôt fondue avec la Congrégation du Saint-Esprit. L’Apôtre, aujourd’hui comme hier, doit d’abord entretenir en lui la vigueur spirituelle: il témoigne de ce qu’il puise continuellement à la Source.

Voilà un modèle pour les évangélisateurs d’aujourd’hui. Qu’il inspire les missionnaires, et, j’ose dire, tous les prêtres, qui ont d’abord la sublime mission d’annoncer Jésus-Christ et de former à la vie chrétienne !

Qu’il soit, à un litre particulier, la joie et le stimulant de tous les religieux spiritains, qui n’ont cessé d’implanter l’Eglise, notamment en terre africaine, et y œuvrent avec tant de générosité !

Que l’exemple de Père Laval encourage tous ceux qui, sur le continent africain et ailleurs, s’efforcent de bâtir un monde fraternel, exempt de préjugés raciaux ! Que le Bienheureux Laval soit aussi la fierté, l’idéal et le protecteur de la communauté chrétienne de l’Ile Maurice, si dynamique aujourd’hui, et de tous les Mauriciens !

A ces souhaits, je suis heureux d’ajouter un salut très cordial à la délégation du Gouvernement de l’Ile Maurice, comme aussi à celle du Gouvernement français qui sont venues participer à ceste cérémonie.

En espagnol :

3. Un second motif de joie pour l’Église est la béatification d’une autre figure que l’Église veut aujourd’hui exalter et proposer à l’imitation du Peuple de Dieu : le P. Francisco Coll. C’est une nouvelle gloire de la famille dominicaine et, non moins, du diocèse de Vich. Il fut un religieux et, en même temps, un apôtre modèle — pendant la plus grande partie de sa vie — dans le clergé de Vich.

C’est une de ces personnalités qui, dans la seconde moitié du XIXe siècle, ont enrichi l’Église de nouvelles fondations religieuses. C’est un fils de la terre espagnole, de Catalogne, d’où sont sorties tant d’âmes généreuses qui ont laissé à l’Église un héritage fécond.

Dans notre cas, cet héritage se concrétise en un travail magnifique et inlassable de prédication de l’Évangile dont le point culminant est la fondation de l’Institut aujourd’hui appelé des « Religieuses dominicaines de l’Anunciata », présentes ici en grand nombre pour célébrer leur Père fondateur, avec tant de membres des diverses œuvres auxquelles cette congrégation a donné vie.

Nous ne pouvons pas présenter ici un portrait complet du nouveau Bienheureux, admirable reflet — comme vous avez pu l’observer par la lecture de sa biographie — des héroïques vertus humaines, chrétiennes, religieuses, qui le rendent digne d’être loué et imité dans notre pèlerinage terrestre. Limitons-nous brièvement à un aspect particulièrement saillant de cette figure ecclésiale.

Ce qui impressionne le plus dans la vie du nouveau Bienheureux, c’est sa soif d’évangélisation. En un moment historique très difficile, où les convulsions sociales et les lois persécutant l’Église le firent abandonner son couvent et vivre en permanence au dehors, le P. Coll, en se mettant au-dessus des considérations humaines, sociologiques ou politiques, se consacre entièrement à une surprenante tâche de prédication. Aussi bien dans son ministère paroissial, spécialement à Artes et à Moya, que par la suite dans sa tâche de missionnaire apostolique, le P. Coll apparaît comme un vrai catéchiste, un évangélisateur, dans la meilleure tradition dominicaine.

Dans ses innombrables courses apostoliques à travers toute la Catalogne, dans ses mémorables missions populaires et autres formes de prédication, le P. Coll — beaucoup l’appelaient « Mosen Coll » — transmet la foi, sème l’espérance, prêche l’amour, la paix, la réconciliation entre ceux que divisent les passions, la guerre, la haine. Véritable homme de Dieu, il vit en plénitude son identité sacerdotale et religieuse, devenue source d’inspiration dans tout son travail. À ceux qui ne comprennent pas toujours les motifs de certaines de ses attitudes, il répond avec conviction : « Parce que je suis religieux. » C’est cette profonde conscience de lui-même qui oriente son travail incessant.

Son travail est absorbant, mais il a une base solide : la prière fréquente, qui est le moteur de son activité apostolique. Sur ce point, le nouveau Bienheureux parle avec éloquence : il est lui-même un homme de prière, il veut conduire les fidèles vers cette voie (il suffit de voir ce qu’il dit dans ses deux publications : la Hermosa rosa et la Escala del cielo) ; c’est le chemin que, dans la règle, il indique à ses filles en termes vibrants et que je fais également miens tant ils sont actuels : « La vie des Sœurs doit être une vie de prière… C’est pourquoi, chères Sœurs, je vous le demande encore et toujours : ne cessez pas de prier. »

Le nouveau Bienheureux recommande diverses formes de prière pour soutenir l’activité apostolique. Mais il en est une qu’il préfère et qu’il m’est spécialement agréable de rappeler et de souligner : la prière où l’on contemple les mystères du Rosaire, cette « échelle pour monter au ciel », prière mentale et prière vocale, qui « sont les deux ailes que le Rosaire de Marie offre aux âmes chrétiennes ». Cette forme de prière, le Pape la pratique lui aussi assidûment et il vous invite à vous y unir tous, surtout dans le prochain mois de mai, consacré à la Vierge.

Je termine ces réflexions en espagnol en saluant les autorités qui sont venues pour ces célébrations en l’honneur du P. Coll ; en invitant tout le monde à imiter ses exemples de vie, mais spécialement les fils de saint Dominique, le clergé, et particulièrement vous les Soeurs dominicaines de l’Anunciata qui êtes venues d’Espagne, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique où s’exerce généreusement votre activité religieuse.

En italien :

4. Le souhait que je formule ce matin est que la double béatification d’aujourd’hui affermisse et promeuve l’activité catéchétique de toute l’Église. On sait que la catéchèse était précisément le thème de la IVe Assemblée générale du Synode des évêques qui s’est tenue à Rome à l’automne 1977. Les Pères du Synode, dont je faisais aussi partie, ont affronté et étudié ce thème d’une importance primordiale pour la vie et l’activité de l’Église de tous les temps. Ils ont signalé l’urgence de donner résolument la priorité à la catéchèse sur les autres initiatives, moins essentielles même si elles sont plus apparentes, parce qu’en elle se réalise l’aspect absolument original de la mission de l’Église. Une mission, ont-ils rappelé, qui concerne tous les membres du Peuple de Dieu, dans leurs différentes fonctions, et les appelle à rechercher continuellement les méthodes et les moyens voulus pour transmettre plus efficacement le message.

Les Pères du Synode pensaient surtout aux jeunes, étant bien conscients de leur importance croissante dans le monde d’aujourd’hui. Malgré leurs incertitudes, leurs relâchements, leurs excès et leurs frustrations, les jeunes représentent la grande force dont dépend le sort de l’humanité future. La question qui assaillait les Pères du Synode était précisément celle-ci : comment amener cette multitude de jeunes à faire une expérience vivante de Jésus-Christ, et cela non seulement le temps d’un éblouissement fugitif, mais par une connaissance chaque jours plus complète et plus lumineuse de sa personne et de son message ? Comment faire naître en eux la passion du Royaume qu’il est venu inaugurer et dans lequel seulement l’être humain peut se réaliser lui-même d’une façon pleinement satisfaisante ?

La réponse à cette question est la tâche la plus pressante de l’Église d’aujourd’hui. Il dépendra de la volonté et de la générosité de tous qu’aux nouvelles générations puisse être offert un témoignage de la « parole de salut » (Ac 13, 26) capable de conquérir les intelligences et les cœurs des jeunes et de mobiliser leurs volontés vers les choix concrets souvent difficiles, que requiert la logique de l amour de Dieu et du prochain. Il dépendra surtout de la sincérité et de l’intensité avec lesquelles les familles et les communautés sauront vivre leur adhésion au Christ que les jeunes soient effectivement atteints par les enseignements qu’ils reçoivent chez eux, à l’école ou à l’église.

Prions donc les nouveaux bienheureux pour qu’ils soient proches de nous par leur intercession, pour qu’ils nous guident vers une expérience personnelle et profonde du Christ ressuscité, de telle sorte que nos cœurs « brûlent en nous », comme ceux des deux disciples sur le chemin d’Emmaüs, « tandis que le Seigneur leur parlait en chemin et leur ouvrait les Écritures » (cf. Lc 24, 32). Seul en effet celui qui peut dire : « Je le connais ! — et saint Jean nous en avertit : celui qui ne vit pas selon les commandements du Christ ne peut pas dire cela (cf. deuxième lecture) —, seul celui qui est arrivé à avoir une connaissance « existentielle » de lui et de son Évangile peut offrir aux autres une catéchèse crédible, incisive, entraînante.

La vie des nouveaux Bienheureux en est une preuve éloquente. Que leur exemple ne nous soit pas proposé en vain !

 

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