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PÈLERINAGE APOSTOLIQUE EN AFRIQUE
(2-12 MAI 1980)

DISCOURS DE JEAN-PAUL II
AUX RELIGIEUSES D'AFRIQUE

Kinshasa (Zaïre)
Samedi, 3 mai 1980

 

Chères Sœurs,

Rendons grâce à Dieu notre Père, par son Fils Jésus, notre Seigneur dans l’Esprit qui habite en nos cœurs, pour le grand bonheur de cette rencontre et pour les fruits qui en résulteront dans vos communautés respectives et dans la vie de l’Église qui est en Afrique!

1. En ces instants privilégiés, oubliez vos particularités légitimes pour sentir profondément votre appartenance unique au même Dieu et Père, rappelée de manière frappante par l’Apôtre Paul dans sa lettre aux Éphésiens: “Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous”[1]. Laissez-moi vous encourager à célébrer intimement et avec ferveur l’anniversaire de votre naissance à la vie divine par la grâce du baptême, comme l’événement le plus important de votre existence, et le plus significatif de votre vocation chrétienne à la fraternité.

Venues à la vie religieuse de milieux sociaux, de pays et même de continents très différents, vous vivez en communautés pour attester - à l’encontre des nationalismes, des préjugés, parfois des haines -, la possibilité et la réalité de cette fraternité universelle, à laquelle tous les peuples aspirent confusément. Vous êtes sœurs également, parce que vous avez toutes entendu le même appel évangélique: “Si tu veux être parfaite, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi”[2].

Cet appel unique dans sa source divine est une autre exigence - que vous soyez vouées à la contemplation ou adonnées aux tâches directes de l’évangélisation - à vous montrer extrêmement fraternelles entre vous comme entre Congrégations, et à vous entraider toujours mieux sur trois plans qui me paraissent essentiels: la juste vision et le courageux accomplissement de votre consécration, l’empressement à participer à la mission de l’Église, la poursuite d’une solide formation spirituelle et d’une judicieuse ouverture aux réalités de votre époque et de vos milieux de vie.

2. En peu de mots, le Concile Vatican II situe la vie consacrée comme “un don divin que l’Église a reçu du Seigneur et -tue, par grâce, elle conserve fidèlement”[3]. Sans ignorer les ombres de l’histoire bimillénaire du peuple de Dieu, on peut affirmer que la femme - pour sa part - a magnifiquement répondu aux appels du Christ à la plénitude évangélique du don de sol.

Il y a semble-t-il, dans la féminité du corps et du cœur, une singulière disposition à faire de sa vie une oblation royale au Christ comme au seul Époux. Précisément, cette féminité - souvent considérée par une certaine opinion publique comme follement sacrifiée dans la vie religieuse - est en fait retrouvée et dilatée à un plan supérieur: celui du Royaume de Dieu.

Par exemple, la fécondité physique, qui tient tant de place dans la tradition africaine, ainsi que l’attachement à la famille, sont des valeurs qui peuvent être vécues par la religieuse africaine au sein d’une communauté beaucoup plus large et sans cesse renouvelée, et au bénéfice d’une fécondité spirituelle absolument étonnante. C’est bien dans cette perspective que la chasteté religieuse, très fidèlement observée, prend tout son relief d’amour préférentiel du Seigneur et de disponibilité totale aux autres.

De même de nombreuses Africaines entrées en religion cherchent à donner au vœu de pauvreté un visage nouveau, et plus adapté aux milieux dont elles sont issues. Elles tiennent à vivre du fruit de leur travail et à partager sans cesse ce fruit avec d’autres. Tout en demeurant rigoureusement fidèles à l’authentique conception de l’obéissance religieuse - qui est toujours le sacrifice de la volonté propre - bien des Sœurs s’efforcent de la vivre en dialogue confiant avec leurs responsables en qui elles voient une présence du Christ. Ce nouvel aspect est en consonance avec la dignité et la promotion de la femme en notre temps.

En vous parlant ainsi, chères Sœurs, je voudrais vous aider à bien saisir ou à ressaisir l’essentiel de votre état religieux: la consécration totale et sans retour de votre moi profond et de vos capacités féminines au Christ et à son Royaume. Nous sommes là au cœur même du mystère de votre vie, difficile à comprendre en dehors de la foi. Mystère qui surpasse tout le reste: l’acquisition de compétences et de diplômes, la répartition des fonctions et des responsabilités, les soucis d’intendance ou d’implantation, les problèmes de structures et d’observances.

En un mot, votre consécration, radicalement vécue, est bien l’essentiel de votre état religieux, le roc permanent, qui permet aux Congrégations et à leurs sujets de faire face aux adaptations exigées par les circonstances sans courir le risque d’affadir ou de trahir le charisme dont le Christ a doté son Église.

3. Solidement enracinées dans les exigences prioritaires de votre don total, authentifié par l’Église, votre vie ne peut que se consumer au service de ceste Église pour laquelle le Christ s’est livré[4].

La mission de l’Église est d’abord prophétique. Elle annonce le Christ à toutes les nations[5] et leur transmet son message de salut. Voilà qui met d’abord en jeu votre style de vie personnelle et communautaire[5]. Est-il véritablement lumineux[7], prophétique?

Le monde actuel attend partout, peut-être confusément, des vies consacrées qui disent, en actes plus qu’en paroles, le Christ et l’Évangile. L’Épiphanie du Seigneur que vous aimez célébrer en Afrique, dépend de vous! L’Église prophétique compte également sur vous, ici comme dans les autres continents, pour participer avec empressement à son immense labeur catéchétique. On attend partout des Sœurs catéchètes et des Sœurs vouées à la formation de laïcs catéchètes.

Les religieuses qui - pour des raisons d’épanouissement personnel - délaissent trop facilement cette tâche ecclésiale prioritaire, sont-elles toujours sûres d’être fidèles à leur consécration? Je sais que les efforts et les résultats de l’enseignement catéchétique en Afrique sont remarquables. Mais il faut les poursuivre et les étendre. Les chrétiens de tous les âges et de tous les milieux ont besoin d’être accompagnés pour faire face aux mutations socioculturelles de notre temps. Je vous demande, mes Sœurs, d’apporter davantage encore à la mission prophétique de l’Église.

L’évangélisation, de soi-même et des autres, aboutit au culte divin. L’Église a aussi une vocation sacerdotale à laquelle vous êtes intimement associées. A la suite de saint Benoît ou de saint Bernard, de sainte Claire d’Assise ou de sainte Thérèse d’Avila, les moniales cloîtrées assument à plein temps, au nom de l’Église, ce service de la louange divine et de l’intercession.

Cette forme de vie est aussi un apostolat de très grande valeur ecclésiale et rédemptrice, que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a magnifiquement illustré au cours de sa brève existence au Carmel de Lisieux. N’oublions pas que le Pape Pie XI l’a proclamée “Patronne des missions”.

J’exprime donc mes plus vifs encouragements aux contemplatives qui sont sur la terre d’Afrique et je demande à Dieu que leurs monastères se remplissent de vocations sérieusement motivées.

Comment oublierais-je les Sœurs malades, infirmes et âgées? A longueur de jour et souvent de nuit, lorsque le sommeil est difficile, elles présentent au Seigneur l’oblation silencieuse de leurs prières quasi ininterrompues de leurs souffrances physiques ou morales, de leur “fiat” à la volonté divine. Elles aussi sont le peuple sacerdotal que le Christ s’est acquis par le sang de sa croix. Avec lui, elles sauvent le monde.

Quant aux religieuses exerçant un apostolat direct dans les villes et les villages, l’Église, en la personne des évêques et des prêtres, attend beaucoup de leurs talents et de leur zèle pour l’animation des assemblées chrétiennes. L’initiation au sens profond de la liturgie, à la célébration des sacrements, spécialement de l’Eucharistie, comme la formation des enfants et des adultes à la prière personnelle, à l’offrande généreuse de leur vie quotidienne, en union avec celle du Christ[8], constitue un domaine extrêmement important où vous êtes capables d’exceller, du fait de vos qualités pédagogiques, de votre sens inné du mystère de Dieu, et de votre propre générosité à prier. La ferveur du peuple de Dieu, célébrant son Seigneur, dépend beaucoup de vous.

Enfin la mission de l’Église est royale. C’est d’abord l’évêque qui doit veiller à la croissance et à l’unité de la foi, ainsi qu’à la fraternité de l’amour, dans son diocèse. C’est lui qui ordonne et stimule les activités apostoliques. Mais dans le peuple de Dieu, convié tout entier à investir ses forces et ses talents spécifiques dans les divers secteurs pastoraux de la vie des diocèses et des paroisses, les religieuses ont bien leur place[9].

Je laisse aux évêques africains le soin de discerner avec sagesse les signes des temps dans leurs propres diocèses et de voir concrètement, avec les diverses Congrégations, comment les religieuses peuvent aujourd’hui s’intégrer plus efficacement dans les activités pastorales de l’Église diocésaine.

Permettez moi cependant de souligner ici que vos dons féminins vous prédisposent à exercer auprès des jeunes filles et des femmes africaines le rôle très précieux de “conseillères”, d’une manière analogue au service accompli par les “mères de village”.

4. Chères Sœurs, je ne veux pas achever cet entretien paternel sans vous encourager vivement à demeurer toujours en quête d’approfondissement spirituel et de formation humaine, afin d’être toujours “plus femme” et “plus religieuse”.

Donnez-vous la main entre maisons religieuses, entre Congrégations, pour organiser des temps et des lieux de silence et de méditation, pour bénéficier de sessions de spiritualité, de théologie, de pastorale.

Encouragez-vous les unes les autres à y participer. Entraidez vous pour assumer les dépenses occasionnées par ces retraites et sessions. Votre témoignage d’amour fraternel doit être manifeste. Avec vos responsables diocésains, prenez soin de faire toujours appel à des guides sûrs et compétents.

Jésus lui-même a utilisé le proverbe “on juge l’arbre à ses fruits”! Avec calme et bon sens, voyez toujours où vous conduisent ces retraites et sessions. A plus d’intimité avec le Seigneur? A plus de courage et de transparence évangélique? A plus d’amour fraternel? A plus de pauvreté personnelle et communautaire? A plus de partage de ce que vous êtes et de ce que vous avez avec les plus déshérités? A plus de zèle pour la mission de l’Église? Alors les moyens choisis étaient sûrs et ont été utilisés avec sérieux. S’il n’en était pas ainsi, il importe de les changer avant qu’il soit trop tard.

5. Parce que vous êtes religieuses aujourd’hui, il est indispensable, même si vous êtes contemplatives, de veiller à votre formation humaine, de connaître suffisamment la vie et les problèmes des gens d’aujourd’hui surtout si vous avez mission de leur annoncer l’Évangile. Jeunes et adultes sont sensibles à l’étoffe humaine de ceux qui ont “tout perdu et tout gagné” pour suivre le Christ! A ce plan de l’obligation de vous former et de vous informer, voyez loyalement où vous en êtes: la règle d’or est la subordination constante de vos acquisitions humaines à la mission privilégiée que le Christ vous a confiée en son Église, pour le salut de vos frères humains.

Chères Sœurs, je sais que vous priez beaucoup pour moi, et je vous en remercie du fond du cœur. En retour, je tiens à vous assurer que les religieuses du monde entier ont une très grande place dans ma vie et ma prière de chaque jour. Vous êtes, toutes, mon souci et ma joie, mon appui et mon espérance! Que le Seigneur vous affermisse dans votre consécration et votre mission, pour sa gloire et pour le plus grand bien de vos diocèses africains et de toute l’Église!


 [1] Eph. 4, 5-6.

 [2] Cfr. Matth. 19, 21.

 [3] Lumen Gentium, 43.

 [4] Cfr. Eph. 5, 25.

 [5] Cfr. Matth. 28, 19-20.

 [6] Cfr. Pauli VI Evangelii Nuntiandi, 14.

 [7] Cfr. Matth. 5, 16.

 [8] Cfr. 1 Petr. 2, 4-10.

 [9] Cfr. Pauli VI Evangelii Nuntiandi,69.

 

 

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