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DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II
À S.E. M. WILSON FLORESTAL
NOUVEL AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DE HAÏTI
PRÈS LE SAINT-SIÈGE*

 

1. Je suis heureux de recevoir Votre Excellence au moment où Elle inaugure ses fonctions d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République d’Haïti auprès du Saint-Siège. Ce moment correspond à une phase importante dans l’histoire de votre pays. Un nouveau départ vient d’être pris, de nouvelles institutions se mettent en place, de grandes responsabilités incombent à ceux qui ont mission de gérer le présent et de préparer l’avenir dans un climat de paix; le peuple continue d’aspirer à une société renouvelée.

En vous souhaitant à vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, un fructueux accomplissement de votre mission auprès du Saint-Siège, où vous trouverez toujours compréhension et appui, je forme des vœux ardents pour votre nation et ses dirigeants, auxquels vont mes salutations cordiales.

Je pense souvent à cette rencontre, brève mais intense, que j’ai pu avoir en mars 1983 avec vos compatriotes à Port-au-Prince: j’y trouvai une population sympathique, fervente dans sa prière, manifestement avide d’un changement social. En me plaçant sur le plan moral du bien commun du peuple, je ne pouvais qu’encourager cette aspiration, déjà exprimée par les évêques. Le changement politique est apparu à vos compatriotes comme une condition préalable. Il reste maintenant à réaliser dans les structures, dans la vie quotidienne, dans les consciences, le renouveau souhaité. C’est une tâche merveilleuse et difficile que de bâtir une société démocratique, en s’appuyant sur une large participation.

2. A vrai dire, votre pays n’est pas démuni pour l’affronter, et l’entreprise est déjà amorcée. Le sens des droits de l’homme, celui de la justice, celui de la liberté demeuraient vifs comme la volonté de participation. Beaucoup désiraient y prendre leurs responsabilités, même s’ils avaient peu l’occasion de s’y former. Par ailleurs, toute une œuvre d’alphabétisation, où l’Eglise a assumé largement sa part, a été mise en route. Assurer l’instruction et l’éducation au plus grand nombre dans un pays semble en effet indispensable à la préparation d’un avenir meilleur: c’est là que s’acquièrent l’ouverture d’esprit aux réalités du monde et aux cultures, les bases d’une formation professionnelle, le sens critique qui favorise la liberté, le sens civique qui fait prendre conscience des droits et des devoirs de chacun, des solidarités.

3. Aujourd’hui, c’est toute la structure d’une nouvelle société qu’il s’agit de préparer, avec les instruments politiques adéquats, pour assurer le bien commun de façon stable et juste, selon les fonctions qui reviennent à l’Etat, au Gouvernement, aux Corps intermédiaires, sous la garantie d’une Constitution sage et équitable. Le choix des systèmes, des moyens et des forces politiques appartient aux citoyens et à leurs représentants désignés. L’Eglise, en Haïti comme ailleurs, respectera ce choix qui n’est pas de sa compétence.

Mais il lui est permis – et il est de son devoir – de rappeler les valeurs morales qui doivent inspirer la conduite des affaires, afin que le peuple y trouve son bien et un réel progrès, selon le dessein de Dieu sur la société. A ce niveau, le Saint-Siège a vivement apprécié que les évêques de la Conférence épiscopale haïtienne aient publié, en juin dernier, une “Charte fondamentale pour le passage à une société démocratique selon la doctrine et l’expérience de l’Eglise”. En dehors de tout esprit de parti, les principes et les précieuses réflexions qui y figurent pourront aider les catholiques – qui constituent la majorité des citoyens – et aussi les autres hommes de bonne volonté à se préparer à des décisions et à des engagements responsables, dans l’intérêt de tous.

4. Qui ne souhaiterait en effet voir affermis chez ceux qui sont appelés à exercer une charge, comme chez les autres citoyens, le sens du bien commun de tous, le souci particulier des pauvres et des catégories défavorisées, la compétence, l’honnêteté, l’affranchissement de toute corruption, le courage, la vérité, la volonté de justice sociale, le respect des personnes, de leurs biens, de leur réputation, de leur vie, bref l’esprit de service désintéressé à la recherche des meilleures conditions de vie pour tous?

Il n’est pas si facile d’équilibrer la nécessaire autorité de l’Etat, la garantie de la sécurité, avec le respect des libertés fondamentales et des initiatives des Corps intermédiaires selon une subsidiarité bien comprise. C’est bien pourtant ce à quoi aspire votre noble nation, loin des totalitarisme, loin des régimes qui imposent une idéologie aux dépens des droits de l’homme, loin aussi de l’anarchie, de la lutte des intérêts particuliers ou des privilèges de la richesse gérée dans l’égoïsme et l’insouciance à l’égard des pauvres.

Puisse enfin le climat de collaboration pacifique s’affermir! Les citoyens et les partis qui aiment leur patrie comprennent certainement la nécessité de tourner la page sur les erreurs du passé, de se réconcilier, et de s’unir sincèrement pour sauver la nation et promouvoir son avenir démocratique sans rechercher une hégémonie personnelle et sans céder aux tentations de violence et de luttes intestines.

5. L’Eglise apporte surtout sa contribution à la formation des consciences, afin que les laïcs chrétiens exercent au mieux leurs responsabilités civiques et sociales. Elle est également disponible pour prêter son concours, dans la mesure de ses moyens et sans prétention de suppléance, aux œuvres qui présentent un caractère d’urgence et une importance particulière: poursuivre l’alphabétisation, collaborer à la formation des responsables compétents dans les différents domaines, garantir et promouvoir la vie familiale, assurer les soins nécessaires.

6. Enfin le Saint-Siège, qui participe d’une façon spécifique à la vie internationale, souhaite que la République d’Haïti bénéficie, dans le concert des nations, de la bienveillance et de l’entraide des autres partenaires de la communauté mondiale et des organisations internationales, dans des conditions compatibles avec sa dignité, son indépendance, sa liberté.

L’entreprise humaine que je viens d’évoquer, Monsieur l’Ambassadeur, ne pourra sans doute pas trouver sa pleine réalisation dans l’immédiat. Il importe d’assurer les bases d’un avenir solide, avec toutes les garanties inspirées par la prudence et par l’équité, sans que pour autant des intérêts sectaires ou des groupes de pression ne profitent du délai pour détourner du but. Le Saint-Siège est sûr que le peuple haïtien, qui a déjà montré sa maturité dans un bouleversement difficile, saura faire face à son destin, et il lui apporte tous ses encouragements.

Pour ma part, je prie l’Esprit de sagesse et d’amour de favoriser la réussite de ce grand projet, et d’inspirer tous ceux qui y coopèrent. Et j’invoque sur tout le cher peuple haïtien et ses Gouvernants, et d’abord sur vous-même, la Bénédiction de Dieu.


*AAS 79 (1987), p. 274-277.

Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. IX, 2 pp. 751-754.

L'Attività della Santa Sede 1986 pp. 710-712.

L’Osservatore Romano 30.9.1986 p.6.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.46 p.8.

 

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