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DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II
À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE
L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIEN

CES

Lundi, 29 octobre 1990

 

Monsieur le Président,
Excellences,

1. C’est avec une joie toute particulière que j’accueille aujourd’hui l’Académie pontificale des Sciences, réunie en session plénière pour étudier le thème: «La science dans le contexte de la culture humaine». J’ai le plaisir d’accueillir douze nouveaux membres au sein de cette Académie, si chère aux Souverains Pontifes et que mon prédécesseur Pie XI appelait le «Sénat scientifique du Saint-Siège». En vous souhaitant personnellement la bienvenue, je vous félicite très cordialement et vous remercie déjà de la collaboration précieuse que vous apportez à l’Académie et de votre contribution à son rayonnement.

Comme vous le savez, Pie XI a véritablement refondé l’Académie pontificale des Sciences en 1936, en lui donnant une impulsion remarquable; et les Papes suivants ont constamment voulu l’encourager. Mon propre sentiment rejoint leurs convictions profondes sur le rôle décisif que la culture et la science sont appelées à jouer à notre époque, et sur la fécondité d’un dialogue confiant entre l’Eglise et la science. Dès lors, c’est mon vif désir que l’Académie continue à se développer selon sa nature propre et selon les exigences de la culture actuelle, où se manifestent avec vivacité les aspirations de l’humanité à la fraternité et à un exercice plus sérieux de la solidarité.

Le thème de votre présente session, «La science dans le contexte de la culture humaine», confirme votre intention d’allier la rigueur scientifique avec la recherche interdisciplinaire, en vue d’accroître encore les services rendus par l’Académie. Cette orientation répond aux attentes du Concile Vatican II qui a prêté une attention toute spéciale à la science, à la recherche et à toutes les dimensions de la culture. Rappelons-nous que ce Concile a adopté un point de vue éclairant sur la culture, comme en témoigne la Constitution pastorale Gaudium et Spes [1]. Cette perspective se révèle très utile pour l’analyse de votre thème. En effet, les dimensions anthropologiques de la culture, mises en évidence par le Concile, intéressent directement vos recherches.

2. La culture se réfère à la croissance de l’être humain, par le développement de ses talents et de ses capacités intellectuelles, morales, spirituelles. Qui ne voit alors la contribution éminente des sciences au progrès de la culture intellectuelle? Non seulement les savants, mais l’ensemble de nos contemporains sont formés à la lumière des merveilleux progrès de la science. Celle-ci a profondément modelé les intelligences et les mentalités de nos contemporains.

Certes, à côté des sciences mathématiques, physiques et naturelles et de leurs applications techniques, il faut reconnaître l’apport considérable des sciences humaines, ainsi que celui des sciences morales et religieuses. L’ensemble de ces disciplines forme progressivement le patrimoine culturel commun.

Le progrès de la science, il faut le reconnaître avec une profonde admiration, ne survient que par un engagement austère et une longue application, fruit d’une ascèse et d’une honnêteté qui font l’honneur du savant véritable. Chaque chercheur se concentre méthodiquement sur la portion du réel qu’il explore selon sa spécialisation. Dans vos disciplines distinctes et vos recherches précises, vos études de spécialistes reconnus contribuent grandement à enrichir la culture moderne par la minutie des analyses comme par les tentatives de synthèse. En parcourant la liste des membres de l’Académie, je note avec plaisir que presque toutes les disciplines scientifiques y sont représentées avec honneur. Pour la première fois se joignent à vous des spécialistes de l’épistémologie. Souhaitons que leur contribution vienne renforcer encore les études épistémologiques que vos Statuts proposent comme l’une des finalités de l’Académie [2].

3. Effectivement, la recherche épistémologique s’impose de plus en plus comme une exigence indissociable de la culture scientifique. Des questions fondamentales sont posées sur le comment et sur le pourquoi de la connaissance scientifique. Alors que les disciplines se spécialisent de plus en plus, elles s’interrogent en même temps sur la signification des connaissances qui s’accumulent, sur les liens du savoir scientifique avec la capacité quasi illimitée de l’intelligence humaine. Dans un premier temps, la culture scientifique s’accroît d’abord par l’addition de multiples études éparses. Peu à peu se constitue une mosaïque du savoir dans un champ déterminé. Cette mosaïque demande à être interprétée et analysée, de manière à répondre aux nouvelles exigences de légitimation rationnelle que pose toute discipline constituée. N’est-ce pas là un signe de maturité pour une science, lorsqu’elle s’interroge sur elle-même et sur ses rapports avec l’ordre plus général de la connaissance?

Permettez-moi de vous redire que vos recherches spécialisées, qui se prolongent dans la réflexion épistémologique sur la signification de la science, sont hautement estimées par l’Eglise. Vos études témoignent de l’effort de la raison humaine pour mieux explorer le réel et découvrir la vérité en toutes ses dimensions. C’est un service nécessaire et urgent. Contre les courants antiscientifiques et irrationnels qui menacent la culture actuelle, les savants eux-mêmes ont à illustrer la validité de la recherche scientifique et sa légitimation éthique et sociale. Défendre la raison est l’exigence prioritaire de toute culture. Les savants ne trouveront pas de meilleure alliée que l’Eglise dans ce combat.

Pour l’Eglise, en effet, rien n’est plus fondamental que de connaître la vérité et de la proclamer. L’avenir de la culture en dépend. C’est ce que je rappelais récemment aux Universités catholiques dans la Constitution apostolique Ex Corde Ecclesiae (1990): «Notre époque a un urgent besoin de cette forme de service désintéressé qui consiste à proclamer le sens de la vérité, valeur fondamentale sans laquelle périssent la liberté, la justice et la dignité de l’homme»[3]. Telle est la mission première de l’Eglise, car elle est la servante de Celui qui s’est proclamé la Voie, la Vérité et la Vie. L’Eglise se fait constamment l’avocate de l’homme, capable d’accueillir toute la vérité. Aussi encourage-t-elle la recherche qui explore tous les ordres de vérités, convaincue que tous convergent pour la gloire de l’unique Créateur, Lui-même Vérité suprême et lumière de tous les hommes, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui et de demain.

4. Ceci nous amène à un autre aspect de la culture considéré par Vatican II: la culture est perçue par nos contemporains comme une réalité sociale et historique. Le monde scientifique dans son ensemble prend vivement conscience qu’il doit se situer critiquement au cœur de l’évolution des cultures à notre époque; car, désormais, nos contemporains interpellent à haute voix les représentants de la science sur leurs responsabilités face aux exigences de la paix, du développement de tous les peuples, de la conservation de la vie humaine et de la nature. Cette conscience nouvelle du grand public en ce qui concerne la responsabilité des savants, constitue un trait caractéristique de la culture moderne. Il y a là une claire indication pour l’Académie pontificale des Sciences.

Je constate avec satisfaction que vous avez déjà nettement orienté vos travaux en ce sens. Sans négliger en rien vos disciplines particulières, vous avez organisé ces derniers temps plusieurs projets qui soulignent les rapports réciproques de la science et de la culture actuelle. Vous avez scruté méthodiquement des problèmes scientifiques et éthiques complexes tels que le développement, la paix, les conséquences de la guerre nucléaire, l’environnement, l’alimentation, la bioéthique, la qualité de la vie, la santé, le sens de la mort, les rapports entre la science et le monde moderne, la responsabilité de la science. Vous avez courageusement entrepris des études sur les expériences scientifiques du passé, et plus particulièrement sur le cas de Galilée, problème que j’ai demandé d’examiner sous tous ses rapports et sans aucune réserve. Toutes ces recherches supposent une compréhension très large des problématiques étudiées, où les aspects empiriques, historiques et épistémologiques rejoignent très souvent une dimension philosophique et théologique. En cela, vous répondez à l’un des objectifs formulés par vos Statuts[4], lorsqu’ils demandent que soient étudiés les problèmes scientifiques et techniques liés au développement humain, et que soient approfondies, grâce à votre contribution propre, les questions morales, sociales et spirituelles.

Comme je vous y encourageais lors de la célébration de votre cinquantième anniversaire, vous avez su élargir le champ de vos recherches, en y associant d’autres organismes du Saint-Siège, tels les dicastères, les universités et les institutions culturelles. Je vous encourage à poursuivre cette collaboration féconde.

5. De tout cœur, j’encourage donc l’Académie pontificale des Sciences à développer son activité dans les deux directions déjà tracées, c’est-à-dire la poursuite d’études spécialisées de qualité et l’ouverture interdisciplinaire des recherches. Ces deux voies devraient porter l’Académie vers un réexamen constant de son action propre, en tenant compte des profondes mutations qui marquent le monde actuel. En particulier, j’attire de nouveau votre attention sur les problèmes urgents que représentent le développement intégral de l’homme et la solidarité fraternelle entre les peuples.

Tout donne à croire que l’humanité arrive à un tournant historique. Grâce à la science et à la technique modernes, la communication instantanée entre toutes les parties du monde a permis à la communauté des peuples de mieux se connaître et a éveillé partout un immense désir de liberté et de dignité. Les hommes et les femmes de science auront un rôle de premier plan à jouer dans l’effort commun qui s’impose à nos générations, pour rendre la terre plus habitable, plus fertile et plus fraternelle. La tâche à réaliser peut sembler utopique et engendrer un certain fatalisme. Nous devons réagir vigoureusement contre cette erreur et cette tentation. L’heure est venue, au contraire, de susciter une alliance entre toutes les personnes et tous les groupes de bonne volonté.

Nous devons conjuguer les forces vives de la science et de la religion pour préparer nos contemporains à relever le grand défi du développement intégral, ce qui suppose des compétences et des qualités à la fois intellectuelles et techniques, morales et spirituelles. Votre contribution, hommes et femmes de science, est indispensable et urgente. Je vous invite à explorer cette problématique avec tout votre talent et toute votre énergie. L’Académie pontificale des Sciences pourra, ainsi, j’en suis sûr, donner un témoignage exemplaire face à toute la communauté scientifique.

6. Ce qui est en cause finalement, c’est la signification profonde de votre vocation propre de savants dans la société actuelle. A quoi sert votre science? Comment contribue-t-elle au progrès humain, à la culture entendue au sens le plus haut? En posant cette question, je n’oublie pas la valeur indispensable de la recherche fondamentale. Devant la science moderne qui suscite tant d’admiration, mais qui éveille aussi tant de peurs, l’Eglise s’interroge avec vous et invite les meilleurs esprits à répondre aux questions qui engagent l’avenir de la culture et de l’homme lui-même. Je vous confie à vous aussi ce que je disais récemment aux Universités catholiques: «Ce qui est en jeu, c’est la signification de la recherche scientifique et de la technologie, de la vie en société, de la culture, mais plus profondément encore ce qui est en jeu, c’est la signification même de l’homme»[5].

Ainsi donc, Mesdames et Messieurs, le thème que vous traitez cette année, «La science dans le contexte de la culture humaine», m’apparaît très judicieux et prometteur. Ce n’est pas seulement un choix de circonstance, mais bien un programme qui devra continuer à être exploré méthodiquement. D’ailleurs, vous vous proposez de l’approfondir ultérieurement en collaboration avec le Conseil pontifical pour la Culture, et je vous y encourage vivement.

7. Dès le début de mon pontificat, je déclarais que le dialogue de l’Eglise avec la culture constitue un enjeu décisif pour l’avenir de l’humanité. Plus d’une fois, j’ai redit cette conviction et j’ai fait appel à toutes les institutions de l’Eglise pour que leur action auprès des cultures devienne toujours plus éclairée, vigoureuse et féconde.

Je sais que l’Académie pontificale des Sciences procède à une constante réévaluation de sa mission, dans le respect de sa nature constitutive et de sa spécificité. Vos efforts et vos travaux en ce sens trouveront tout mon appui. Voyez en quoi vos programmes, vos méthodes et vos objectifs pourraient être révisés afin que l’Académie réponde toujours mieux aux besoins et aux aspirations de la culture d’aujourd’hui, ainsi qu’aux vœux réitérés du Saint-Siège. Que cette révision se réalise en lien avec la rénovation analogue qui devra être poursuivie également par toutes les Académies pontificales, dans un esprit à la fois de rigueur scientifique et de collaboration interdisciplinaire.
Après cinquante ans d’éminents services rendus à la communauté scientifique et au Saint-Siège, l’Académie pontificale des Sciences peut regarder l’avenir avec la détermination renouvelée de répondre aux défis culturels d’une époque nouvelle.

C’est le vœu que je formule pour l’Académie et pour chacune de vos personnes, en vous redisant ma vive gratitude et en invoquant sur vous la bénédiction du Dieu Tout-puissant, qui est Vérité et Amour.


[1] Gaudium et Spes, 53.

[2] Cf. art. 2.

[3] Ex corde  Ecclesiae, 4.

[4] Art. 3.

[5] Ex corde  Ecclesiae, 7.

 

 

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