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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX MEMBRES DU SECRÉTARIAT POUR
L’UNION DES CHRÉTIENS

Vendredi 28 avril 1967

 

Monsieur le Cardinal Président,
Messieurs les Cardinaux et Vénérables Frères,
membres de notre Secrétariat pour l’union des chrétiens,

vous, consulteurs, qui lui apportez l’aide de votre compétence, et vous, membres du bureau qui, sous la direction de Monseigneur le Secrétaire, donnez au Secrétariat son efficience pratique, Nous vous saluons tous avec l’affection et la cordialité que méritent vos dignes personnes, et avec l’admiration et la reconnaissance qui sont dues à votre travail sage et laborieux. Nous connaissons bien votre action, et Nous sommes un observateur attentif de son ampleur, de sa complexité, de sa difficulté, comme aussi de sa fécondité positive et prometteuse. Les paroles que Nous venons d’entendre de votre vénérable et infatigable Président suffisent à faire comprendre quelle multiforme et énorme entreprise est celle a laquelle le Secrétariat consacre ses études et ses efforts. Nous sommes donc particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui. Pour la première fois depuis sa constitution, votre Secrétariat se présente à Nous avec tous ses membres et dans la forme officielle caractéristique de cette audience, qui Nous réjouit profondément.

Elle éveille dans Notre esprit une multitude de pensées que Nous ne pouvons malheureusement développer ici comme Nous le voudrions, et sur l’origine de ce nouvel organe d’action de la Curie romaine, dû à la perspicacité et à la charité de Notre inoubliable et vénéré Prédécesseur Jean XXIII; et sur la brève, mais intense et féconde histoire de ce Secrétariat; sur l’importance de son action au Concile Œcuménique; sur la participation, en qualité d’observateurs, des représentants des Eglises et Communautés chrétiennes, qui ne sont pas encore en parfaite communion avec l’Eglise catholique et ce Siège Apostolique; sur les rencontres, sur les contacts déjà pris, en si peu de temps, avec tant d’illustres personnages marquants de l’œcuménisme dans le monde chrétien; sur l’institution de comités mixtes d’étude et de discussions, et sur bien d’autres sujets encore.

Mieux que personne, vous discernez les multiples aspects que revêt votre activité, et vous connaissez la multitude des problèmes qu’elle soulève, qu’elle affronte et qu’elle doit résoudre. Chacun de ces aspects fournirait à lui seul le thème d’amples et utiles réflexions. Nous Nous bornerons simplement à évoquer les études dont l’œcuménisme catholique est devenu la source, confirmant, s’il en était besoin, l’importance et l’urgence de la question; et parmi tant de publications, Nous Nous contenterons de rappeler, celles de votre vénéré Président, l’éminentissime Cardinal Bea, qui, tout en montrant la complexité de la matière, en tracent un cadre sûr et sage, et font honneur à la lucidité d’esprit et à la grandeur d’âme de son éminent Auteur.

Nous Nous proposons de passer en revue avec vous, chers Fils, quelques-uns des points qui Nous semblent les plus significatifs parmi ceux que la question de l’œcuménisme soulève aujourd’hui dans le monde catholique. Vous ne les ignorez certes pas, mais il ne sera pas inutile de les rappeler ici en votre présence.

Premièrement: la question œcuménique a été posée par Rome dans toute sa gravité, son ampleur, ses innombrables implications doctrinales et pratiques. Elle n’a pas été considérée d’un regard occasionnel et passager; elle est devenue objet d’intérêt permanent, d’étude systématique, de charité incessante; et elle demeure telle, suivant une ligne qui appartient désormais au programme de Notre ministère apostolique. Le Concile Nous en fait obligation, et Nous trace la voie: les documents conciliaires, qui traitent expressément ou incidemment la question de la recomposition de l’unité de l’unique Eglise par tous ceux qui portent le nom de chrétiens, sont si autorisés et si explicites, ont une telle force d’orientation et d’obligation, qu’ils offrent à l’œcuménisme catholique une base doctrinale et pastorale qu’il n’avait jusqu’alors jamais eue.

Nous devons admettre qu’il s’agit là d’un fait, dans lequel l’Esprit-Saint, qui guide et anime l’Eglise, a la part principale et déterminante. Nous y serons docile et fidèle. Et Nous sommes heureux, à ce propos, de correspondre au vœu qui Nous a été manifesté, et de vous annoncer que sera publiée dans quelques jours la première partie du «Directoire œcuménique».

Deuxièmement. Un esprit œcuménique s’est créé et se développe. C’est aussi un mérite du Concile; mérite également de l’initiative, désormais répandu e et connue partout, de célébrer la «Semaine de prières» en vue de la recomposition de l’unité des chrétiens dans l’unique Eglise du Christ; mérite de la laborieuse activité du Secrétariat; mérite enfin des innombrables manifestations que les Evêques, secondés par le clergé, les fidèles, les hommes d’étude et l’opinion publique, ont organisées, dans une noble émulation avec les frères séparés, pour promouvoir - par le moyen de la parole, des écrits, des réunions - la cause de l’œcuménisme.

La conviction que l’unité est voulue par le Christ, qu’elle constitue une question importante et urgente, non seulement pour le christianisme, mais aussi pour le destin spirituel du monde; la conviction qu’il ne s’agit plus de s’attarder dans des discussions sur les causes historiques qui sont à l’origine des divisions actuelles, mais qu’il faut nouer des rapports amicaux et loyaux entre l’Eglise catholique et toute autre communauté chrétienne poursuivant sincèrement des fins œcuméniques; qu’une union fondamentale entre tous les chrétiens baptisés existe déjà dans la foi au Christ et l’invocation de la Très Sainte Trinité: cette conviction, disons-Nous, si riche déjà de tant de facteurs favorables à l’œcuménisme, est désormais présente et agissante dans tout cœur chrétien en éveil, et cela Nous semble une grande conquête.

La charité anime tout ce processus spirituel et tend à s’exprimer dans les formes extérieures. Te respect, la loyauté, l’estime, la confiance donnent un style chrétien aux relations amicales et concrètes qui s’instaurent, dans des domaines déterminés, entre catholiques et chrétiens d’autres confessions. Elles préparent, s’il plaît à Dieu, des ententes qui peuvent apparaître encore délicates et difficiles, mais qu’on entrevoit déjà comme pleines de vérité et de joie dans l’esprit du Seigneur.

Troisièmement. Il faut attribuer au souffle mystérieux de l’Esprit Saint la série des rencontres auxquelles Nous avons fait allusion. Rencontres significatives et émouvantes que, non seulement Nous-même mais encore des membres de votre Secrétariat ont eu l’honneur et la chance d’avoir avec des personnalités insignes et représentatives d’Eglises, de Communautés et de courants culturels proches de nous par la commune référence au nom du Christ, mais encore séparés de nous d’une manière ou d’une autre. Ne devons Nous pas inscrire dans les fastes de notre Eglise comme événements heureux, pleins de promesses et de mystère, des rencontres comme celle, inoubliable, que Nous eûmes à Jérusalem avec le grand Patriarche Athénagoras, et qui inaugura une amitié empreinte, de Notre part, de vénération, d’admiration, de cordialité?

Serait-ce une illusion, ou au contraire une espérance fondée sur des réalités révélatrices, si Nous pensons qu’il existe déjà entre la vénérable Eglise orthodoxe et notre Eglise catholique, une sorte de communion naissante, prélude de celle que Nous vaudra le jour béni et lumineux de notre réconciliation totale et profonde?

C’est une joie et une espérance analogues que Nous devons exprimer pour la visite, empreinte de tant de courtoisie et de piété, que Nous a rendue l’Archevêque anglican de Canterbury, le très vénéré Docteur Michel Ramsey. Il Nous a semblé, à ce moment-là, que le cadran de l’histoire venait de marquer une heure nouvelle et merveilleuse, une heure vraiment du Christ.

Et les autres visites? Il y en eut tant, et combien dignes de Notre souvenir reconnaissant, et de notre espérance chrétienne! Celles des Observateurs au Concile; celles des métropolites des Eglises orthodoxes - à commencer par le Métropolite russe Nicodème -; celles des représentants qualifiés des Eglises et Communautés issues de la Réforme protestante - comme l’évêque méthodiste Corson -; celles du Pasteur Marc Boegner, membre illustre de l’Académie Française, des frères si fervents de Taizé, du savant professeur Oscar Cullmann; celle, si riche de sens, de Karl Barth; celle, enfin, attendue pour les jours prochains, du Catholicos arménien de Cilicie, et d’autres, tant d’autres encore! Ces visites, conversations et promesses sont gravées dans Notre mémoire comme des signes éclatants, comme le prélude mystérieux de l’apparition prochaine parmi nous du Christ, annonçant sa paix ineffable et manifestant sa présence indéfectible là où c’est vraiment en son nom que nous sommes réunis. Ce ne sont pas là, comme certains l’ont insinué, des signes de vieillissement du christianisme, mais bien au contraire des marques de sa jeunesse toujours renaissante.

Et ces rapprochements ne reposent pas sur un irénisme équivoque, qui tendrait à éliminer les difficultés doctrinales et canoniques. Non. Ils sont bien plutôt le fruit d’un effort mutuel et spontané d’entente réciproque, tendant à la découverte des vérités de la foi et des exigences concrètes de la charité ecclésiale, seules bases d’une authentique et parfaite unité. La symphonie du dialogue commence ainsi à se répandre sous des formes variées et en des groupes divers, et semble préluder à l’harmonie finale de l’Eglise, qui était à ses débuts, Nous n’avons garde de l’oublier, «cor unum et anima una» (Act. 4, 32).

Quatrièmement. Ce n’est pas que ce cheminement œcuménique soit sans difficultés. Nul plus que vous n’en est conscient. On ne résorbe pas en quelques années une incompréhension et une opposition qui ont duré pendant des siècles. La patience est une vertu œcuménique. La maturation psychologique n’est pas moins lente ni moins difficile que la discussion théologique.

La seule éventualité de devoir abandonner de vieilles positions, durcies pas d’amers souvenirs, mêlés à des questions de prestige et à de subtiles polémiques, éveille des réactions qui tendent à se présenter comme des affirmations de principes, sur lesquelles il paraît impossible de transiger. La vision résignée d’un christianisme déchiré en lui-même en vient à faire redouter l’hypothèse d’une réconciliation qui lui restituerait sa physionomie primitive, communautaire et hiérarchique, et le présenterait au monde sans les apparences, auxquelles nous nous sommes habitués, d’incompréhensibles exclusivismes particuliers et d’inadmissibles pluralismes substantiels. Chacun reprend conscience de soi, résiste, se révolte: l’œcuménisme s’arrête.

Il s’arrête devant des problèmes particuliers, comme peut l’être, par exemple, celui du prosélytisme. Présenté pourtant sous son vrai jour et conduit selon des critères pratiques qui ne soient pas ceux d’une vaine émulation, mais qui soient raisonnables et toujours fraternels, l’effort missionnaire - à distinguer toujours d’un prosélytisme de mauvais aloi - ne devrait effrayer personne, mais apparaître plutôt comme l’exercice pacifique, légitime et juste d’une incontestable liberté religieuse.

De même, l’œcuménisme s’arrête devant la discipline canonique des mariages mixtes, et devant tant d’autres problèmes, qui sont certainement fort compliqués et délicats, et auxquels, pour Notre part, Nous chercherons à donner l’attention la plus bienveillante.

Un certain œcuménisme, par contre, voudrait, sur d’autres points, précipiter sa course, en dépassant les limites marquées par la réalité théologique et par la règle établie: comme, parfois, dans la «communia in sacris». Ces intempérances, elles aussi, peuvent porter préjudice au cheminement franc et loyal du véritable œcuménisme.

Et que dirons-Nous de la difficulté à laquelle sont toujours si sensibles nos Frères séparés: celle qui provient de la fonction que le Christ Nous a assignée dans l’Eglise de Dieu et que Notre tradition a sanctionnée avec tant d’autorité? Le Pape, Nous le savons bien, est sans doute l’obstacle le plus grave sur la route de l’œcuménisme. Que dirons-Nous? Devrons-Nous en appeler, une fois de plus, aux titres qui justifient Notre mission? Devrons-Nous, une fois encore, tenter de la présenter dans ses termes exacts, telle réellement qu’elle veut être: principe indispensable de vérité, de charité, d’unité? Mission pastorale de direction, de service et de fraternité, qui ne conteste la liberté et l’honneur à aucune personne ayant une position légitime dans l’Eglise de Dieu, mais bien plutôt protège les droits de tous et ne réclame d’autre obéissance que celle qui est requise des enfants d’une même famille? Il ne Nous est pas facile de faire Notre apologie. C’est vous qui, avec des paroles empreintes de sincérité et de mansuétude, saurez la faire quand l’occasion et la possibilité s’en présenteront. Quant à Nous, en toute sérénité, Nous préférons maintenant Nous taire et prier.

Et à cette prière, vénérés Fils et Frères de Notre Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, Nous vous invitons à vous associer. L’année commémorative du martyre des Saints Apôtres Pierre et Paul, l’année de la foi, comme Nous avons voulu l’appeler, Nous en offre l’occasion propice. Et avec vous Nous invitons tous ceux qui travaillent à faire avancer l’œcuménisme.

S’il y a une cause où notre efficacité humaine s’avère impuissante à atteindre quelque bon résultat et se révèle essentiellement dépendante de l'action mystérieuse et puissante du Saint-Esprit, c’est bien celle-là, celle de l’œcuménisme. Cette conscience de notre faiblesse, de la disproportion de nos forces avec le résultat à obtenir, nous rend humbles jusqu’à la tentation de croire que nos projets sont pleins d’ingénuité, que nos entreprises sont vaines, que ce sont là des rêves de gens ignorant les lois de l’histoire et la psychologie des hommes. Mais la confiance, ou pour mieux dire l’assurance que l’aide divine ne nous manquera pas, que le Père est pour nous un Père, que le Christ est avec nous, que l’Esprit-Saint est encore fécond en prodiges, nous réconforte, nous libère, et nous stimule intérieurement à poursuivre la route entreprise. Oui, qu’il en soit ainsi! Et, avec ce souhait, recevez Notre Bénédiction Apostolique.

                                             



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