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RENCONTRE DU PAPE PAUL VI
AVEC SA SAINTETÉ VASKEN Ier,
CATHOLICOS DE TOUS LES ARMÉNIENS,
DANS LA CHAPELLE SIXTINE

Samedi 9 mai 1970

 

Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble: ces paroles du psalmiste viennent irrésistiblement sur nos lèvres en ce jour où le Seigneur Nous donne de vous recevoir en notre maison, vous, notre frère bien-aimé, le vénéré Catholicos du Saint-Siège d’Etchmiadzine qui avez voulu venir de la grande Arménie pour porter à la sainte Eglise Romaine le salut fraternel de l’Eglise Arménienne, dont notre prédécesseur Grégoire XIII admirait la constance à professer la foi chrétienne (Bulla Romana Ecclesia die 13 mensis octobris 1584). Loué et infiniment remercié soit Dieu le Père de Notre Seigneur Jésus Christ (Cfr. Rom. 15, 6), dont l’Esprit nous rassemble aujourd’hui pour une commune prière d’adoration, d’action de grâce et de supplication.
Il y a exactement trois ans, Nous étions aussi dans cette même chapelle pour y prier avec votre frère et notre frère le Catholicos de Cilicie Khoren 1er, et Nous évoquions les grands saints qui ont apporté à votre noble peuple la lumière de l’Evangile et ceux qui, au cours d’une histoire où les épreuves furent particulièrement abondantes, l’ont aidé à se maintenir et à se regrouper dans cette foi chrétienne qui a si remarquablement imprégné votre culture, et qui est la source du courage inlassable dont la nation arménienne a dû donner d’innombrables preuves.

Comment ne pas évoquer ce matin en cette rencontre historique la prédilection de Nos prédécesseurs les Souverains Pontifes pour la noble nation arménienne, et singulièrement l’affection hautement manifestée par le pape Benoît XV? Nous aimons rappeler aussi la décision prise par Grégoire XIII et mise à exécution par Léon XIII, créant à Rome le Collège arménien qui nous est si cher. Vous savez aussi qu’il Nous est agréable de compter parmi nos proches collaborateurs notre vénérable frère le cardinal Grégoire Pierre Agagianian, d’origine arménienne, qui préside l’un des organismes les plus importants du Saint-Siège, la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Et Nous ne saurions oublier tous les Arméniens catholiques répandus à travers le monde, et leur persévérante fidélité.
Les relations furent autrefois fréquentes, notamment à l’époque du XIIème au XIVème siècle, entre les Sièges de Rome et d’Etchmiadzine, qui confessent ensemble le mystère du Verbe de Dieu devenant l’un de nous pour nous sauver et nous permettre de devenir en Lui fils de Dieu, membres et frères les uns les autres. C’est, par exemple, après avoir reçu les envoyés du Catholicos Michel, que le Pape Pie IX favorisa la fondation d’une imprimerie arménienne à Rome. Mais surtout ces contacts, échanges de lettres et de messagers donnaient souvent l’occasion de constater un accord profond dans la foi.
Si les malheurs des temps, les différences de culture, les difficultés de traduire des termes laborieusement élaborés et progressivement précisés dans d’autres langues nous ont conduits à quelque divergence dans l’expression du mystère central de notre foi, il faut reprendre l’examen de ces difficultés doctrinales, prendre conscience de ce qui les a provoquées, et les surmonter fraternellement.

En 1951, le Pape Pie XII, dans son encyclique Sempiternus Rex, aimait citer un de vos grands théologiens qui fut aussi un grand poète, le Catholicos Nersès IV, qui écrivait, au XIIème siècle, à l’empereur Manuel Commène: «Nous n’introduisons nullement dans l’union du Christ, comme le font les hérétiques, la confusion, le changement ou l’altération; nous affirmons une seule nature pour signifier l’hypostase que vous aussi admettez dans le Christ; ce qui est juste et nous l’admettons et cela a tout à fait le même sens de notre formule, une seule nature . . . Et nous ne refusons pas de dire “deux natures” pourvu que ce ne soit pas par division comme Nestorius, mais bien pour montrer l’absence de confusion contre Eutychès et Apollinaire» (A.A.S. 43 (1951), pp. 636-637). Le temps n’est-il pas venu d’éclaircir définitivement ces malentendus hérités du passé dans un dialogue dont votre Eglise a arrêté le principe avec les autres Eglises réunies à Addis Abéba en 1965? Déjà les théologiens, dans des études approfondies et dans des rencontres fructueuses, ont débroussaillé le chemin qui mène à un accord sur ces questions. Nous sommes prêt à nous engager sur cette voie et à répondre positivement à cette décision. Bien plus, Nous le désirons, comme Nous désirons ardemment ne rien négliger de tout ce qui pourrait hâter le jour où nous pourrons sceller dans une concélébration la pleine unité retrouvée entre nos Eglises. Les relations fréquentes que nous évoquions il y a un instant s’étaient estompées au point de disparaître et de faire place, hélas, à des heurts qui furent parfois violents. Cette époque est finie et notre Unique Seigneur le Christ Jésus nous amène l’un vers l’autre en nous sollicitant sans cesse à plus de vigilance et à une fidélité renouvelée. N’est-il pas significatif que nous ayons renoué nos relations à l’occasion du Concile du Vatican qui a exprimé intensément dans l’Eglise catholique cet effort de renouveau, et auquel Votre Sainteté a bien voulu se faire représenter par des observateurs délégués? Depuis Nous avons pu Nous-même rendre visite aux patriarches de Jérusalem et d’Istanbul que nous sommes heureux de voir à vos côtés aujourd’hui. Par deux fois nos envoyés se sont rendus à Etchmiadzine. En une autre occasion, répondant volontiers à votre gracieuse invitation, le patriarche Ignace Pierre Batanian, représentant toute la communauté arménienne catholique, s’est lui-même rendu auprès de vous.

Nous pensons cependant que c’est la première fois dans l’histoire qu’un évêque de Rome a l’honneur et la joie de pouvoir offrir l’hospitalité dans sa maison au Catholicos d’Etchmiadzine. Un tel événement doit marquer une nouvelle étape d’accord et de collaboration pour faire régner entre nous et avec tous, la vraie fraternité dans la charité. C’est là le témoignage que l’Esprit aujourd’hui nous demande de donner. C’est là la contribution que nous devons apporter à l’établissement de la paix entre tous les hommes et toutes les nations. En des termes d’une rare élévation spirituelle, Votre Sainteté a évoqué les conditions du monde actuel, et la mission impartie par le Seigneur à son Eglise, d’apprendre aux hommes à se reconnaître tous en Lui comme des frères, et à cheminer ensemble avec un cœur pacifique, jusqu’à constituer l’unique peuple de Dieu en marche vers la cité céleste (Cfr. Lumen gentium, 13). Demandons ensemble à Dieu, qui met en nos cœurs ce désir et tette espérance, qui a commencé parmi nous tette œuvre magnifique, de la mener à son terme.

                         



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