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DISCOURS DU PAPE PIE XII
À LA COLONIE POLONAISE DE ROME*

Mardi 15 novembre 1944

Vous connaissez assez Notre cœur paternel, chers fils et chères filles de Pologne, pour deviner sans peine l'émotion qui Nous étreint en vous accueillant ce matin auprès de Nous. Vous le savez bien : vos douleurs, vos angoisses, sont aussi vraiment Nôtres.

Elles sont si grandes ces douleurs et ces angoisses ! Depuis des années, toujours croissantes, arrivées, ces derniers mois, ces dernières semaines, à un degré rarement atteint dans l'histoire des nations et des peuples, elles concentrent sur votre patrie les regards de tout l'univers. Ils se fixent avec une particulière attention sur Varsovie, sur la cité vaillante, au nom si riche de noble histoire, au nom si tragique de tourments inouïs ! Quiconque a conservé dans son âme le moindre sentiment de justice et d'humanité, demeure stupéfait, atterré, rien qu'à entendre ou à dire ce qu'on en raconte ; et c'est à peine si ce qu'on en raconte laisse entrevoir l'effroyable réalité.

Varsovie ! la ville auréolée du charme d'une civilisation exquise dont les étrangers mêmes éprouvaient la séduction. Varsovie transformée pour ses propres fils en une prison de feu dont les combattants n'étaient pas seuls à sentir la brûlante étreinte, où les mères et les petits enfants ont enduré d'indicibles tortures physiques et morales, séparés, isolés du reste du monde !

Prison de feu ? Non ! disons plutôt : creuset où s'épure et s'affine l'or du meilleur aloi. Si profonde que soit la compassion qu'inspire l'excès des souffrances, plus profonde encore est l'admiration qui courbe bien bas les fronts devant le courage des lutteurs et des victimes. Les uns et les autres ont fait voir au monde à quelles hauteurs pouvait s'élever l'héroïsme, engendré et soutenu par les plus nobles sentiments de l'honneur humain, par les plus fermes convictions de la foi chrétienne.

Il y a à peine quelques semaines, dans la grande Salle des Bénédictions, mus soudain par l'élan spontané de leur amour filial et de leur vénération religieuse, vos officiers briguèrent, comme une faveur — qui leur fut de bien grand cœur accordée — le privilège de porter sur leurs épaules le trône où siégeait le Vicaire du Christ Roi des nations, Prince de la paix.

Geste émouvant, témoignage sensible des plus intimes dispositions du cœur, non de quelques hommes, mais de tout un peuple. Nous pouvons bien ajouter : geste éloquemment symbolique des réalités invisibles.

L'humanité tout entière, dont le Christ est le Chef, la véritable prospérité des nations, dont il est le Roi, la stabilité de la paix, dont il est l'auteur et le Prince, reposent, comme sur le plus solide appui, sur la justice et le respect des droits, surtout des plus faibles. Quand, passé l'ouragan vertigineux de folie, de haine, de cruauté, le monde commencera à se ressaisir, que, spectateur épouvanté de l'étendue de son désastre, il commencera à reprendre son équilibre, il reconnaîtra, il devra reconnaître la part de la Pologne dans l'œuvre de son salut.

Et voilà pourquoi, à nos larmes de compassion, à nos transports d'admiration, se mêle l'hymne de Notre inébranlable espérance. Les épaules qui, portant fièrement et amoureusement la croix à la suite du Christ, soutiennent le trône du Rédempteur, peuvent bien être meurtries, elles ne peuvent ployer sous le poids de l'adversité. Les braves entre les braves peuvent bien succomber : « visi sunt oculis insipientiurn mori » (Sg 3, 2) : mais, en vérité, tous ceux qui meurent dans la grâce et dans la paix du Seigneur, sont, de tous, les plus glorieux vainqueurs.

Victimes agréées de Dieu en holocauste propitiatoire, ces héros que vous pleurez, et que Nous pleurons avec vous ici-bas, il Nous semble les voir, là-haut, dans la gloire, unir leur prière à l'intercession de tous vos saints : l'évêque Stanislas, Jean de Kenty, Hyacinthe, André Bobola l'incomparable martyr, Josaphat l'apôtre de l'union.

Mais, en ce jour si voisin de celui de sa fête, comment ne pas évoquer avec une ferveur toute particulière le souvenir de l'autre Stanislas, l'angélique Kostka, fidèle au pacte émouvant scellé entre lui et sa bien-aimée patrie ?

Pour ne citer que quelques traits parmi tant d'autres : vers lui Sigismond III se tourne dans l'angoisse de ses luttes contre les infidèles ; il obtient que le chef de Stanislas lui soit apporté de Rome et, au moment même où la précieuse relique franchit la frontière de Pologne, la première victoire de Chocim répond à la confiance du roi. À la citadelle étroitement assiégée de Przemysl aucun espoir humain ne reste : le nom de Stanislas est donné comme mot d'ordre et c'est au cri de « Bienheureux Stanislas Kostka », que les défenseurs brisent l'étau qui les enserrait. Plus tard, Lublin, Léopol ressentent les merveilleux effets de la confiance en Stanislas. C'est à Lublin devant son image, que Jean Casimir, roi de Pologne, fait sa veillée d'armes et la victoire de Beresteczko est la réponse à sa prière. Le valeureux Sobieski vénéra le jeune bienheureux comme patron de son armée et lui attribua la seconde victoire de Chocim.

Par ces prodiges, le ciel avait visiblement sanctionné le pacte. Aussi dérogeant expressément à la règle selon laquelle le Saint-Siège ne confère qu'aux saints un patronage officiel et liturgique, Clément X (par le bref « Ex iniuncto » du 10 janvier 1674) proclame solennellement le bienheureux Stanislas patron principal de la Pologne (cf. Bullar. Rom. t. XVIII pp. 463-465).

Au milieu des cruelles vicissitudes par lesquelles passe votre patrie bien-aimée, ces preuves de la singulière et puissante protection du jeune saint soutiennent vos âmes vaillantes. Et Nous comprenons comment, si dures et si longues que soient les épreuves que la Providence permet dans ses mystérieux desseins, votre cœur ne peut accepter que le découragement l'envahisse. Votre espérance brille toujours, fécondée qu'elle est par tant de prières, tant de larmes, tant de sang généreux. Et le fier hymne de Wybicki peut continuer de chanter aussi fier qu'autrefois : « Non, la Pologne n'est pas finie ! » : Jeszcze Polska nie zginęła !

Du haut du ciel, votre Reine, la Vierge de Czestochowa veille sur son royaume. À sa prière, Dieu essuiera toutes les larmes de vos yeux (cf. Ap 7, 17). Il vous comblera pour prix de vos douleurs des plus abondantes grâces, en gage desquelles, Nous vous donnons à vous, à tous ceux qui vous sont chers, à tous vos compatriotes qu'ici vous représentez, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, VI,
Cinquième année de pontificat, 2 mars 1944 - 1er mars 1945, pp. 199-202
Typographie Polyglotte Vaticane



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