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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX ARTISTES DE L'UNION CATHOLIQUE DU THÉÂTRE DE PARIS*

Mardi 19 septembre 1950

Votre visite, chers fils et chères filles de l'Union catholique du Théâtre, Nous cause une joie profonde : celle, en vous bénissant, de vous donner le témoignage de Notre estime et de Notre affection envers une institution, qui s'est assigné pour fin la sanctification de ses membres et l'exercice d'un apostolat de très haute importance et de puissante efficacité.

Plus bruyant et plus voyant que le bien, le mal s'affiche partout. Jamais on ne déplorera autant qu'il conviendrait l'étendue des ravages qu'il cause dans les âmes et dans la société ; jamais non plus, on ne flétrira avec trop de rigueur le scandale qui en procure la diffusion dans tous les pays, dans tous les milieux, à tous les âges, même au plus tendre, envers lequel le poète païen réclamait la plus respectueuse délicatesse (Iuven. Sat. 14, 47). Il serait fâcheux pourtant que la juste dénonciation du spectacle pervertisseur ou dangereux fît méconnaître l'existence et la belle histoire du spectacle élevant et bienfaisant. De plus, l'énergie dépensée à réagir directement contre le mal serait toujours d'une médiocre efficacité, si on ne lui opposait l'influence prépondérante du bien. Celle-ci ne doit pas être seulement l'objet d'un souhait plus ou moins platonique, mais la conquête d'une conviction de l'intelligence et d'une résolution de la volonté, que ne sauraient intimider ni les difficultés ni les contradictions. Or, cette victoire peut être remportée, et avec votre concours — Dieu en soit loué ! — elle le sera !

Quels sont, en effet, les facteurs du succès ? L'existence d'un théâtre honnête et même bienfaisant : elle est possible ; la faveur du public : il est aisé de l'obtenir; la puissance psychologique des interprètes : vous saurez la prouver par l'union étroite de votre foi et de votre talent.

L'expérience du passé est le fondement de l'espérance pour l'avenir. Sans remonter à l'antiquité classique où les tragédies d'Eschyle, d'Euripide, celles surtout de Sophocle, portent le cachet d'un esprit religieux, transparent à travers les superstitions du paganisme ; dans l'ère chrétienne, le théâtre est né, il a évolué à l'ombre de la cathédrale. Tout d'abord, il y est un simple et naïf, mais lumineux, émouvant et souvent sublime commentaire de la liturgie, avec les « oratorios » composés de textes sacrés à la façon de mosaïques ; puis il en est le complément plus large, illustrant la liturgie d'exemples tirés de la vie de Jésus, de Marie, des saints, de faits historiques ou légendaires, plus ou moins rigoureusement contrôlés sans doute, mais dont la poésie confirme la doctrine et la morale religieuse par des traits édifiants représentés sur le vif. Petit à petit, alors que le théâtre aura encore élargi son cadre et mis sur la scène des fables profanes; alors même qu'il s'abaissera malheureusement jusqu'à l'abus de la satire mordante et grivoise, le théâtre d'inspiration religieuse ne disparaîtra pourtant pas tout à fait, et, en plein grand siècle classique, c'est avec Polyeucte, Esther, Athalie, que l'art dramatique français atteint son apogée. - Dans le même temps, et déjà dès la fin du XVIe siècle, les drames de Lope de Vega et surtout de Calderon de la Barca, soulevant d'enthousiasme toute l'Espagne, témoignent du haut degré de la culture religieuse et de la vie spirituelle du peuple espagnol.

L'époque contemporaine, loin d'amener, comme on le pronostiquait trop facilement, la complète disparition du théâtre proprement chrétien, a fait au contraire resplendir son triomphe. Un fait évident et frappant est la faveur, dont jouit actuellement ce renouveau de la scène. Quel préjugé tenace il faut avoir pour donner au théâtre immoral, irréligieux ou vulgaire l'excuse d'obéir aux exigences du public ! C'est calomnier le public, son bon goût, son bon jugement, ses bonnes mœurs. Depuis longtemps, ne vient-il pas de toutes les parties du monde, périodiquement, à Oberammergau, dans un coin perdu de la Bavière, uniquement pour s'émouvoir saintement et applaudir de tout son cœur à la représentation du drame sacré  ? Au cours de ce demi-siècle écoulé, quelle attraction ont exercée sur les auditoires, les plus divers par la culture et par l'esprit, les « mystères », les « jeux », qui font revivre les faits évangéliques, ou qui en transportent l'application dans la vie moderne ? Le parvis Notre-Dame n'a-t-il pas fourni un cadre merveilleux à la reprise des vieux « miracles » du moyen-âge ? Et ne voit-on pas encore surgir de nouveaux dramaturges encouragés par la faveur du public à promouvoir le renouveau du théâtre religieux ?

Ni la possibilité d'un théâtre sain et — dans le sens le plus élevé du terme — édifiant, ni la faveur du public ne manque. On dira peut-être, et Nous n'y contredisons point, que l'art des acteurs est pour beaucoup dans ce succès. C'est justement là que Nous voulions en venir et Nous faisions de la puissance psychologique des interprètes la troisième condition de l'apostolat théâtral. Ce qui assure, en effet, au théâtre sa forte influence, c'est la communication directe, personnelle, entre l'interprète et le spectateur ; elle agit par l'oreille et par les yeux, sur l'intelligence et sur le cœur. Les nuances et les intonations de la voix, d'une délicatesse et d'une variété illimitées ; le geste, le mouvement, l'attitude de toute la personne, le regard surtout et les plus imperceptibles frémissements des traits, font passer l'émotion d'une âme à une âme. Et c'est où le théâtre diffère essentiellement du cinéma ; celui-ci a ses ressources, elles sont grandes, très grandes ; elles sont autres. Sur la scène l'acteur est là, et tandis que son âme se communique ainsi à toute la salle ou, plus vraiment, à chacun de ceux qui la composent, il peut, lui aussi, lire dans la leur les sentiments qu'il a fait naître ou vibrer ; il en est ému à son tour et, par un effet d'action et de réaction, la communication réciproque se fait de plus en plus intime et puissante.

Tout ceci, qui est très beau, suppose évidemment que l'interprète « vit » le personnage qu'il représente. Oh ! il y a des degrés. Au plus bas, le simple procédé qui, parce qu'il consiste à feindre par des artifices de métier des sentiments que l'on n'éprouve pas au cœur, a tant fait décrier une profession de soi-même très honorable. Pas de sincérité ! - On est monté un peu plus haut déjà, lorsque l'on s'efforce de mettre réellement en soi les sentiments qu'on cherche à traduire dans son jeu ; mais c'est bien peu de progrès encore, si l'on y tend par des moyens factices, par une sorte d'excitation nerveuse, qui n'a rien à voir avec le cœur et l'esprit. Et, pour cela aussi, il y a des procédés comme celui de certains orateurs, qui réussissent à s'installer pour un temps dans une ambiance répondant aux dispositions psychologiques, dans lesquelles ils ont besoin de se trouver.

On suit ainsi le vieux conseil d'Horace : « Si vis me flere, do lendum est — primum ipsi tibi » (De Arte poet. 102-103) : « Si vous voulez que je pleure, commencez par ressentir vous-même de la douleur ». Mais, au fond, il est une seule manière de joindre dignement la sincérité et l'efficacité : vivre de telle sorte que les beaux et purs sentiments, auxquels applaudit le public, jaillissent comme spontanément du cœur de celui, dont la voix et le geste les expriment sur la scène. Or c'est bien là, chers fils et chères filles de l'Union catholique du Théâtre, votre idéal. C'est à quoi vous tendez, et par la sanctification de votre vie personnelle intérieure, et par votre zèle apostolique. Nous savons l'édification que vous donnez aux fidèles, témoins à Saint-Roch de votre piété à la messe dominicale ; Nous savons votre assiduité à recevoir les sacrements, à promouvoir votre vie spirituelle par les saints exercices de la retraite ; Nous savons la ferveur de l'esprit de foi, qui vous a fait concevoir et réaliser, au prix de sacrifices, le désir de venir, en cette Année Sainte, gagner votre jubilé et Nous apporter le témoignage de votre amour filial. Aussi est-ce d'un cœur très paternel que Nous vous donnons, à vous tous ici présents, à vos familles, à vos camarades empêchés de se joindre à vous, à tous ceux qui dans la profession dramatique et par elle s'efforcent de hausser les âmes et de les porter à Dieu, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XII,
Douzième année de Pontificat, 2 mars 1950 - 1er mars 1951, pp. 213-216
Typographie Polyglotte Vaticane



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