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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX DÉLÉGUÉS DU XIV
e CONGRÈS
DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE
*

Castel Gandolfo - Vendredi 17 septembre 1954

 

Parmi les nombreux Congrès qui se tiennent à Rome à la fin de cet été, plusieurs sont organisés par des associations de médecins pour étudier des questions intéressant directement la pratique actuelle de cette noble profession. Mais, élargissant le cadre ordinaire de vos préoccupations, vous avez voulu, Messieurs, dans votre XIVe Congrès International d'Histoire de la Médecine, inscrire au programme quelques thèmes de portée plus générale, dignes de retenir l'attention de quiconque s'intéresse aux problèmes culturels. Aussi sommes-Nous très heureux de vous recevoir en cette occasion pour vous féliciter et souhaiter à ces rencontres le plus grand fruit.

Le rythme étonnamment rapide, qui entraîne depuis plus de cent ans l'évolution des sciences, n'a pas manqué de provoquer les plus heureuses conséquences dans le domaine de l'art de guérir. En même temps que s'approfondissait au siècle dernier la connaissance du corps humain, de sa structure et de ses fonctions, l'avènement de la microbiologie lançait la médecine dans la voie d'un progrès tellement radical que l'on a peine à comprendre les idées et les pratiques des médecins qui vécurent à une époque moins fortunée. Et pourtant, les conceptions actuelles en anatomie, physiologie et pathologie, la précision des méthodes modernes de recherche ne constituent que l'aboutissement de longs tâtonnements et la continuation d'une route particulièrement difficile. Compléter le tableau magnifique de l'histoire de la médecine, en éclairer les points obscurs, préciser tel ou tel trait des figures d'avant-plan ou des disciples plus modestes qui appliquent et vérifient les intuitions des maîtres, redresser aussi les interprétations inexactes qui défigurent la réalité, telle est, Messieurs, la tâche que vous vous proposez.

Mais vous n'oubliez pas que les leçons du passé doivent servir aux hommes du temps présent, les instruire, leur éviter de répéter certaines erreurs ou de s'engager sur des chemins sans issue. En médecine, comme dans les autres branches du savoir, il n'est pas rare que des principes bien établis viennent peu à peu à s'obscurcir, victimes parfois d'une routine qui en fausse la portée jusqu'à les dénaturer et les condamner à disparaître. Arrive un jour cependant où la vérité ressuscite. En relisant les anciens, l'on s'aperçoit que déjà ils avaient ouvert la voie et formulé des règles sages. Aux fervents de l'histoire de la médecine, il appartient de rechercher les trésors oubliés et de les remettre en valeur. C'est pourquoi Nous souhaitons que les thèmes de relation traités dans vos sessions, la médecine comme moyen d'union entre les peuples, sa contribution au progrès de la civilisation, l'école de Salerne et le monde médical pré universitaire, projettent sur certains aspects du passé un éclairage nouveau, susceptible d'intéresser et d'instruire les contemporains.

La médecine, science et art, occupe, dans les civilisations, une place vraiment particulière. Son importance pour l'individu comme pour la société, les qualités requises chez celui qui l'exerce, le caractère sacré de la vie humaine dont elle dispose, déterminèrent dès l'antiquité l'intervention du législateur, sou cieux d'en contrôler l'exercice. Deux millénaires avant le Christ, le code fameux d'Hammourabi promulgue les peines et les récompenses qui sanctionnent l'échec ou la réussite des interventions médicales. Il était nécessaire cependant qu'une activité aussi complexe et délicate trouvât, pour l'orienter, les enseignements d'un maître conscient de ses exigences techniques, autant que de ses responsabilités morales. Le génie grec, si fécond dans tous les domaines de la culture, allait là aussi donner sa mesure. Les écrits d'Hippocrate contiennent sans aucun doute une des plus nobles expressions de la conscience professionnelle, qui impose en particulier le respect de la vie et le dévoûment au malade, et tient compte aussi des facteurs personnels, maîtrise de soi, dignité, discrétion. Celui qui sut mettre en évidence ces normes morales, et les présenter dans l'ensemble d'une doctrine suffisamment complète et harmonieuse, fit à la civilisation l'hommage d'une œuvre plus grandiose que celle des conquérants d'empires.

Nous ne pouvons oublier que, fidèle à cet idéal, la médecine fut et reste destinée à tenir un rôle capital, lorsque se déchainent les terribles fléaux, guerres et épidémies, qui menacent jusqu'à l'existence des peuples. Dans les angoisses et l'urgence de ces conjonctures, elle se découvre alors des ressources insoupçonnées, tant par l'invention et la mise au point de thérapeutiques nouvelles, que par le dévoûment héroïque des médecins à leur mission de salut.

L'histoire de l'école de Salerne illustre à merveille le rôle international de la médecine et son apport civilisateur. Lorsque les invasions barbares submergèrent l'Empire romain, l'Église réussit à conserver dans ses monastères l'essentiel de la culture gréco-latine et, en particulier, les écrits des principaux auteurs médicaux. Mais en outre, fidèles à la pratique de la charité chrétienne, les moines s'appliquèrent aussi à secourir malades et infirmes et gardèrent vivantes les traditions d'où sortit au XIe siècle cette école médicale, qui fut la plus célèbre du Moyen-âge avant la fondation des Universités ; Salerne rayonnera bientôt après sur toute l'Europe et enverra partout les disciples qu'elle aura formés.

Aujourd'hui, grâce à la multiplicité des moyens de diffusion de la pensée, la science médicale dispose au maximum des avantages de la collaboration internationale. De nombreuses associations groupent les diverses spécialités et instaurent par dessus les frontières une féconde émulation. La médecine continue ainsi à promouvoir efficacement le progrès de la civilisation et remporte chaque année, pour ainsi dire, l'une ou l'autre victoire importante. Quel puissant stimulant pour étudier avec passion l'histoire d'un art si intimement mêlé à la croissance intellectuelle et morale des peuples, partageant toutes leurs vicissitudes, reflétant toutes les péripéties de leurs progrès et de leurs décadences !

En affrontant le problème de la maladie, le médecin, qu'il le veuille ou non, doit prendre position devant celui de la destinée humaine. S'il ne reconnaît rien au delà des phénomènes biochimiques, n'avoue-t-il pas implicitement l'échec de tous ses efforts ? Or c'est là une attitude contre laquelle s'élève non seulement le sens intime de tout individu, mais cette longue marche séculaire, cette progression courageuse et tenace que détaille l'histoire de la médecine. L'homme de cœur, qui engage toutes ses énergies dans la lutte contre la maladie, ne peut ignorer le message de qui s'est dit le Maître de la vie et de la mort et qui a prouvé cette affirmation par de nombreux prodiges, en particulier par celui de sa propre résurrection. Il ne peut ignorer surtout que le Christ promet à tous les hommes dociles à sa parole, de les faire participer un jour à son triomphe définitif.

Nous souhaitons, Messieurs, que cette vérité si consolante vous soutienne dans votre labeur quotidien, austère et exigeant, dont le monde éprouve sans cesse les immenses bienfaits. Que la Divine Providence en assure le succès et vous accorde de réaliser vos meilleurs désirs. De tout cœur, Nous vous en donnons pour gage Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVI,
Seizième année de pontificat, 2 mars 1954 - 1er mars 1955, pp. 147-150
 Typographie Polyglotte Vaticane

 



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