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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU XIIe CONGRÈS DE L'UNION INTERNATIONALE DES VILLES ET POUVOIRS LOCAUX*

Sala Regia - Vendredi 30 septembre 1955

 

En décidant de tenir à Rome votre XIIe Congrès de l'Union Internationale des Villes et Pouvoirs locaux, vous lui donniez, Messieurs, le cadre qui convient le mieux à une manifestation de ce genre. Quelle cité pouvait, en effet, vous offrir un décor plus prestigieux, non seulement, par ses sites et ses monuments, mais surtout par les souvenirs historiques, qui y sont attachés, et les conquêtes intellectuelles et spirituelles, dont ils ont été les témoins ? Vous n'avez pas eu de peine, Nous en sommes convaincu, à trouver ici l'inspiration, qui a animé vos travaux et qui vous a mis sur la voie des solutions que vous cherchez.

Il est impossible de prononcer le mot de « commune » sans évoquer cette période du Moyen-âge, qui vit s'élaborer cette forme d'organisation sociale et politique, destinée à jouer un rôle si important dans l'histoire de l'Europe. Les groupements d'artisans et de marchands, suscités par le renouveau économique de l'époque, étaient obligés de créer de toutes pièces un réseau d'institutions garantissant leur sécurité, individuelle et collective, et le libre exercice de leur profession. Dès que ces bases furent assurées, se développa une vie culturelle intense, dont sont restés témoins des édifices admirables par leur puissance, leur richesse et leur beauté. Signes de force et de fierté, ils attestent aussi l'attachement profond de ces hommes à leur cité, et leur sens des responsabilités.

Aujourd'hui l'évolution de la société et de ses institutions a transformé profondément le caractère des villes. Elles sont insérées dans un État plus ou moins centralisé. Elles ont perdu une large part de leur initiative et de leur indépendance pour faire droit aux exigences de relations sociales, qui s'étendent sur de larges fractions de continents et débordent même au delà. Si les perspectives d'ensemble se sont modifiées, la commune reste quand même, après la famille, le lieu des échanges souvent les plus fréquents et les plus indispensables. Elle établit d'ordinaire entre ses habitants une façon analogue de parler, de penser et se sentir; elle leur propose les mêmes problèmes à résoudre et sollicite directement leur esprit d'entr'aide et de collaboration.

Bien que les populations actuelles utilisent largement les moyens de transport, devenus nombreux et commodes, et s'écartent plus aisément de leur domicile, elles n'en restent pas moins attachées à ce milieu, où s'entretiennent des contacts plus familiers et plus constants. C'est là que l'idée de patrie trouve, pour le grand nombre, sa racine la plus profonde, car on y expérimente plus vivement les bienfaits d'une bonne organisation de la société, ses conditions indispensables, et parfois les erreurs dommageables et les fautes à éviter. Aussi la commune a-t-elle rempli et remplit-elle encore dans l'éducation civique des citoyens une fonction de premier plan.

On comprend combien grave est la responsabilité des magistrats communaux, qui ne peuvent être de simples exécutants des décisions prises par l'État. Qu'il Nous soit permis dans cette assemblée d'exalter en particulier le rôle du premier d'entre eux, maire, bourgmestre ou Sindaco. Bien qu'il exerce aussi les fonctions de délégué de l'autorité centrale, il apparaît, surtout comme le représentant de la commune. Il en est, le plus souvent, issu ; il en possède l'esprit; il en connaît les besoins, les aspirations, les difficultés. Au delà des tâches administratives, il reste un homme capable de s'intéresser personnellement à d'autres hommes, de mettre à leur disposition, dans les limites fixées par le bien commun, son autorité et les pouvoirs dont il est investi. On aime trouver en lui un homme généreux, loyal, aux idées larges, sachant comprendre ceux dont il ne partage point les vues politiques, sensible aux problèmes humains comme aux exigences des prescriptions légales, attentif à défendre intelligemment l'autonomie du fief qu'il régit.

Qu'il existe d'autre part une légitime sujétion des communes à l'égard de la nation, personne ne le contestera ; c'est la contrepartie d'une assistance désormais nécessaire pour que la commune puisse rester, dans l'État moderne, à la hauteur de ses tâches multiples et garantir à ses ressortissants tous les services quels ils ont droit. Mais une autonomie assez large est un stimulant efficace des énergies, profitable à l'État lui-même, à condition que les autorités locales s'acquittent avec compétence de leur office et se gardent de tout particularisme étroit. Puisque les finances tiennent une place prépondérante parmi les facteurs qui conditionnent cette autonomie, vous avez voulu en ce Congrès les étudier attentivement, et vous avez recueilli à cette fin les rapports de vingt-quatre pays. Les renseignements, abondants, que vous avez ainsi rassemblés, et les échanges auxquels ils ont donné lieu, vous permettront, Nous aimons à le croire, d'éclaircir cette question assurément difficile. Et tout spécialement Nous exprimons le vœu que les gouvernements tiennent compte des nécessités très particulières des Villes Capitales., en considération des charges délicates et difficiles qui leur sont confiées.

Les autres thèmes de votre Congrès : « Les communes et la culture », « Les communes et l'éducation des adultes » envisagent un domaine, où des initiatives du plus haut intérêt restent possibles. Comme elles peuvent revêtir les formes les plus variées et exigent d'être adaptées au caractère de chaque région, elles reviennent normalement aux pouvoirs locaux qui, en cas de besoin, s'appuieront sur l'aide de l'État.

Mais la première manifestation de votre Congrès fut la célébration solennelle au Capitole de la « Journée Européenne des Communes.». Vous avez voulu à bon droit insérer dans votre programme l'étude de cette question qui prend à l'heure présente une importance de plus en plus notable. D'éminentes, personnalités ont exposé avec autorité le point de vue européen, esquissant le rôle que les communes avaient à jouer dans l'élaboration d'une Europe plus unie économiquement, socialement et politiquement.

Un mouvement irrésistible pousse aujourd'hui les nations à unir afin de mieux assurer leur sécurité ou leur développement économique; aucune ne peut prétendre rester dans l'isolement sans encourir pour elle-même des risques sérieux ou sans nuire à la communauté qui attend son appui.

On pourrait croire que les communes n'ont aucune raison d'intervenir dans ces problèmes qui débordent apparemment leur compétence. Ce serait une erreur ; le corps social ressemble en cela aux organismes vivants : sa santé dépend du fonctionnement normal des cellules qui le composent ; certaines d'entre elles viennent-elles à défaillir, c'est tout le corps qui en souffre ou, du moins, il en résulte une menace permanente pour l'avenir. Vous avez raison de souligner combien l'intégrité de cette unité de base conditionne la solidité de l'édifice européen.

Mais outre le point de vue institutionnel, qui constitue pour ainsi dire le squelette de l'être social, il faut aussi considérer son esprit, c'est-à-dire l'ensemble des dispositions d'âme absolument requises pour rendre possibles, une collaboration efficace et une bonne entente durable : l'estime d'autrui, le désir de mieux le connaître, de l'aider, de consentir pour lui certains sacrifices, parce qu'on a compris qu'il n'existe jamais d'opposition réelle entre les intérêts véritables, surtout moraux et spirituels, des personnes et des sociétés humaines.

Déjà certaines communes de pays différents, même à travers l'Atlantique, ont songé à nouer entre elles des relations d'amitié, à promouvoir des échanges culturels, à s'entr'aider en cas de besoin. De pareils contacts, tout en stimulant la fierté légitime que chacun entretient à l'égard de ses traditions locales, contribuent à dissiper bien des préjugés, à atténuer des susceptibilités, à accroître l'admiration et la sympathie qu'on porte aux autres. Si l'on souhaite créer un esprit européen, c'est donc sur les relations entre communes d'un pays à l'autre qu'il faudrait compter tout d'abord, plus que sur celles de groupe trop restreints ou d'organes gouvernementaux. Aussi croyons-Nous que les échanges directs entre communes apporteront à l'idée européenne le terrain de culture idéal, riche de traditions séculaires, bien antérieures à la constitution des États modernes.

Rien n'empêche d'ailleurs ces relations de déborder le cadre européen. Les sentiments d'affection sincère ne connaissent pas de frontière politique ni de distinction de race ou de culture. La charité chrétienne a toujours ignoré et continue à ignorer ces barrières, car elle perçoit directement en tout homme et en tout groupe humain la présence d'une même dignité et d'une responsabilité identique devant le Dieu Créateur et les autre, membres de la société. L'humanité prend aussi plus nettement conscience d'une destinée commune, à laquelle les efforts ne sont sont nullement disproportionnés. Ils y acheminent d'ores et déjà et acquièrent par là une haute signification, dont vous avez le droit d'être fiers.

À l'encontre des communes du Moyen-âge qui s'affrontaient souvent en rivalités sanglantes, engendrées par un désir immodéré de domination et un particularisme excessif, celles d'aujourd'hui orientent leurs énergies mieux disciplinées vers une émulation très utile à leur développement et à leur prospérité. Nous souhaitons surtout, Messieurs, que dans l'accomplissement de votre tâche d'administrateurs, vous sachiez conserver et enrichir le patrimoine culturel, artistique et religieux, qui vous est confié. Nous pensons, en particulier, aux émouvantes manifestations de foi, qu'une tradition séculaire a implantées dans beaucoup de cités : pèlerinages célèbres, qui conservent la mémoire d'un saint aux vertus héroïques ou d'un signe spécial de la bienveillance divine et de ses faveurs spirituelles ou corporelles, temples élevés par la piété ardente des fidèles, démonstrations publiques qui expriment l'âme profonde d'un peuple.

En unissant vos efforts pour garder à vos cités une juste autonomie et le libre exercice des fonctions qui leur sont propres, vous contribuerez beaucoup, Messieurs, au renforcement de l'esprit public, au maintien des valeurs permanentes de la civilisation, sans lesquelles l'État se transforme infailliblement en un mécanisme d'oppression. Que vos communes ne se contentent pas de conserver les souvenirs glorieux de leur passé, mais qu'elles y puisent l'aliment d'une activité plus intense et plus féconde.

En implorant la protection céleste sur vous-mêmes, sur vos familles et tous ceux qui vous sont chers, sur vos cités, bien volontiers Nous vous en accordons comme gage Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVII,
 Dix-septième année de Pontificat, 2 mars 1955 - 1er mars 1956, pp. 257-261
 Typographie Polyglotte Vaticane

AAS 47 (1955), p.716-720.

L’Osservatore Romano 1.10.1955, p.1.

L’Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n .41 p.1, 6.

 



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