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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU IVe CONGRÈS ORGANISÉ
PAR LA SOCIÉTÉ ITALIENNE DE CHIMIOTHÉRAPIE*

Samedi 6 octobre 1956

 

Au cours du mois d'août, Nous avons eu le plaisir d'accueillir le groupe des cancérologues, qui participaient aux réunions des commissions de l'« Unio Internationalis contra Cancrum », ainsi qu'à un symposium sur le pouvoir cancérigène de certaines substances ajoutées aux aliments. Aujourd'hui Nous sommes heureux de Nous trouver encore au milieu d'un groupe de spécialistes illustres assemblés pour le IVe Congrès National de Chimiothérapie, et de vous dire, Messieurs, l'intérêt très vif que Nous portons à vos recherches.

Depuis une dizaine d'années, les savants engagés dans la lutte contre le cancer ont concentré leurs efforts sur l'étude de produits chimiques susceptibles d'arrêter la prolifération des cellules cancéreuses, et déjà des centaines de substances nouvelles ont été expérimentées en laboratoire. La plupart d'entre elles n'ont point dépassé ce stade, parce qu'elles manifestaient un degré de toxicité trop élevé pour l'organisme humain. D'autres, par contre, ont été essayées en clinique et quelques-unes ont donné des résultats suffisamment encourageants pour stimuler le zèle des chercheurs et les inciter à poursuivre leurs efforts avec une ténacité accrue.

Si l'on peut parler de chimiothérapie du cancer par analogie avec celle des maladies infectieuses, on se trouve ici devant un état de choses profondément différent. Tandis que les bactéries se distinguent nettement des cellules du corps humain, et peuvent être combattues sans menace directe pour l'organisme, il n'existe qu'une différence encore difficile à préciser entre les cellules qui sont douées d'activité normale, et celles qui se développent de façon anarchique pour constituer une tumeur maligne. Ces derniers temps, on a repris l'opinion que certaines formes de cancer, même chez l'homme, pouvaient être provoquées par un virus ; cette hypothèse fournit sans doute une base de recherche, mais sans laisser entrevoir de rapides conquêtes thérapeutiques, car, dans le domaine de la lutte contre les virus, la chimiothérapie en est à peine à ses débuts. Aussi s'efforce-t-on de tabler sur le fait que la cellule cancéreuse, par sa propension à une subdivision rapide et désordonnée, est plus sensible que la cellule normale à certains agents capables d'entraver les processus de sa multiplication. À cause de leur mode d'action, les produits cytostatiques sont indiqués surtout dans les cancers généralisés, auxquels d'autres traitements ne peuvent s'appliquer ; ils se montrent efficaces sur les tissus, qui comportent une abondante prolifération cellulaire, comme les systèmes sanguin et lymphatique, et sur certaines glandes. Mais ils s'avèrent beaucoup moins utiles dans le cas des cancers épithéliaux ordinaires, où le rythme de multiplication des cellules est beaucoup plus lent.

Le chef de file des poisons antimitotiques, et l'un des premiers cytostatiques utilisés dans la cure des leucémies chroniques, fut la colchicine, mais ses effets toxiques en limitèrent les applications cliniques. On en possède heureusement des dérivés beaucoup moins dangereux, la désacétylméthylcolchicine, employée dans la cure des leucémies myéloïdes chroniques, et la N-désacétyl-thyocolchicine, expérimentée récemment, qui présente l'avantage d'agir en certains cas, où les autres moyens de la chimiothérapie restent inopérants. Parmi les substances qui paralysent la reproduction cellulaire, il faut citer les antivitamines, comme les composés antifoliques, et les substances antagonistes des aminoacides, des purines et des pyrimidines.

L'utilisation de la radioactivité contre le cancer a trouvé une aide précieuse dans les isotopes radioactifs de l'iode, du phosphore et du cobalt, qui permettent d'atteindre la tumeur à l'intérieur de l'organisme avec un dosage exact. Certains antimitotiques agissent à la façon des rayons X et s'appellent pour cela « radiomimétiques ». À ce groupe appartiennent les moutardes azotées, forme modifiée d'un gaz de combat fameux et capables de dépolymériser même « in vitro » l'acide désoxyribonucléique, le facteur chimique le plus important de la division cellulaire. Depuis les premiers essais accomplis en 1946, elles ont conquis une place importante dans le traitement du lymphogranulome ; leur toxicité est heureusement combattue par la cortisone qui, en même temps, renforce leur action sur le système lymphatique. Aujourd'hui, pour éviter les effets de ces médicaments sur les cellules saines et les diriger plus sûrement vers celles qu'il faut détruire, on tente de lier la molécule d'azoyprite à une molécule-support qui possède un certain tropisme à l'égard des cellules cancéreuses et soit importante pour leur métabolisme. Pour pallier les phénomènes de résistance si gênants en chimiothérapie, on tâche de modifier les structures moléculaires pour obtenir des substances diverses d'effet analogue, mais qui ne provoquent pas de résistance croisée.

La triéthylenmélamine (TEM), qui était connue déjà dans l'industrie textile, fut appliquée en 1951 à la thérapeutique du cancer, et montre une efficacité particulière dans les leucémies lymphatiques chroniques et dans les myéloses chroniques. Le myleran exerce une action semblable dans la leucémie myéloïde chronique et remplace utilement la radiothérapie, quand celle-ci est impossible ou contre-indiquée.

On n'a pas manqué d'explorer aussi les ressources des antibiotiques avec l'espoir de découvrir parmi eux des antagonistes efficaces du cancer. L'azasérine, isolée à partir d'une souche appelée « Streptomyces fragilis », et douée d'une activité anti-tumorale certaine, a donné des résultats dans les expériences « in vivo », mais son utilisation clinique ne permet pas encore d'affirmer qu'elle puisse obtenir dans les hémopathies malignes plus qu'une rémission temporaire. Vous vous proposiez de tenir à la fin de ce Congrès un symposium sur les actinomycines. Dérivée de « Streptomyces chrysomallus », l'actinomycine C semble être l'unique médicament cytostatique, qui ne provoque aucune lésion importante de la molle osseuse et des glandes séminales, et donne des résultats dans la cure du lympho-granulome.

Il faudrait encore mentionner la médication hormonale, en particulier l'emploi des hormones œstrogènes et androgènes, ainsi que de l'hormone adrénocorticotrope et de la cortisone, dont Nous avons parlé plus haut. On a tenté aussi de préparer une médication anti-hormonale, susceptible de freiner de manière élective les structures diencéphalo-hypophysaires, qui stimuleraient le développement des tumeurs, ou d'endommager certaines régions des surrénales, de manière à obtenir une sorte de surrénalectomie chimique, limitée toutefois aux zones voulues. Parmi les orientations récentes de la recherche, signalons qu'on a soutenu à nouveau l'opinion, selon laquelle la cellule cancéreuse utiliserait comme source d'énergie un processus de fermentation glycolytique ; de là la possibilité d'intervenir sur elle, en tâchant de rétablir le processus normal d'oxydation. Toutes ces acquisitions vont de pair avec un progrès constant des techniques de laboratoire, devenues plus précises, et plus semblables aux techniques bactériologiques, qui ont permis les conquêtes de la chimiothérapie antibactérienne.

Cette revue des armes principales, dont dispose la chimiothérapie moderne pour lutter contre le cancer, permet de mieux apprécier les efforts inlassables de tous ceux qui s'acharnent à le combattre. Elle met aussi en évidence l'insuffisance de chacun de ces moyens, dont aucun n'est en mesure d'obtenir un succès décisif. On ne peut encore voir en effet dans les traitements chimiothérapiques, que des palliatifs qui atténuent la douleur, déterminent une amélioration des tumeurs, mais sont incapables de l'enrayer totalement. Seules à l'heure actuelle, la chirurgie et la radiothérapie conservent, quand elles sont appliqués à temps, une possibilité de guérison. Mais la science semble bien décidée à aller de l'avant. L'étroite convergence des efforts et la collaboration internationale s'imposent avec plus d'urgence pour éviter des pertes de temps et d'énergie, qui entraîneraient nécessairement la perte de nombreuses vies humaines. Même si jusqu'à présent la chimiothérapie n'a pas conquis les dernières positions, Nous osons croire que c'est dans son secteur que livrera la bataille décisive, et qu'un jour il sera possible de détruire les cellules cancéreuses au moyen de médicaments possédant à leur égard une action spécifique. Ainsi s'allongerait le palmarès déjà brillant qui porte mention entre autres de la plupart des maladies infectieuses.

Rarement apparut avec autant d'évidence le caractère grandiose de l'effort scientifique, qui mobilise partout les ressources intellectuelles et morales, non seulement d'individus, mais de groupes, d'institutions, de sociétés, pour arracher aux structures complexes des mécanismes biologiques quelque chose de leur secret. Malgré ses limites, l'esprit humain doit se réjouir de trouver un stimulant de premier ordre dans les exigences impérieuses d'un travail de collaboration et dans les qualités requise nue affronter pareille tâche; esprit de sacrifice, méthode, pondération, constance. Quelle force intime ne puise-t-il pas dans la Conscience de ses responsabilités et dans la conviction que la vie de tant d'hommes dépend de son œuvre? Soyez persuadés aussi qu'en combattant une des formes les plus redoutables du mal physique, vous contribuez à réparer, autant qu'il est en votre pouvoir, quelques-unes des conséquences du désordre, que le péché de l'homme a introduit dans le monde. Les infirmités corporelles et celles, plus graves, de l'esprit et de la volonté doivent sans cesse rappeler à l'humanité endolorie la cause véritable de ses malheurs, mais lui indiquer en même temps le chemin de la rédemption. Pour bien comprendre l'un et l'autre, il faut avoir le courage de réfléchir et surtout de dépasser les solutions imparfaites du repli sur soi, de l'égoïsme, de la révolte, pour accéder à l'intelligence profonde de la bonté de Dieu et de sa miséricorde rédemptrice. Aux cœurs humbles, le Seigneur ne refuse jamais sa grâce; il ne manquera pas de vous aider et de vous soutenir dans votre labeur; il vous donnera enfin la victoire, si vous savez la demander avec confiance, sans négliger aucun des moyens humains qui la préparent.

Nous suivons avec beaucoup d'espoir les progrès de vos recherches et implorons aussi le Seigneur pour qu'Il veuille les mener sans détour vers le but. En gage des faveurs célestes que Nous appelons sur vous-mêmes, sur vos familles et sur tous ceux qui vous sont chers, Nous vous accordons de tout cœur Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVIII,
 Dix-huitième année de Pontificat, 2 mars 1956 - 1er mars 1957, pp. 523-527
 Typographie Polyglotte Vaticane

 



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