Index   Back Top Print

[ FR ]

DISCOURS DU PAPE PIE XII
POUR L'INAUGURATION DE LA SEMAINE D'ÉTUDES ASTRONOMIQUES ORGANISÉE PAR L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES*

Lundi 20 mai 1957

 

À l'égal des autres sciences physiques dont l'époque présente admire le prodigieux développement, l'astronomie traverse maintenant une période de recherches et de découvertes des plus fécondes. Aussi Nous agrée-t-Il particulièrement d'accueillir aujourd'hui, avec le groupe choisi d'astronomes qui participent à la conférence réunie à l'Observatoire du Vatican, les membres de Notre Académie Pontificale des Sciences. Au milieu de cette assemblée de savants insignes et d'infatigables investigateurs des merveilles de la création, Nous éprouvons l'ardent désir de redire l'hymne que le Seigneur met sur les lèvres de tous ceux qui reçoivent de lui avec reconnaissance le don de la vie, de l'intelligence et de l'amour : « Caeli enarrant gloriam Dei et opus manuum eius annuntiat firmamentum » (Ps 18, 2).

Pour connaître mieux encore ce ciel étoilé qui vous parle, par son immensité et son ordonnance, de la puissance et de la sagesse de son Auteur, la conférence convoquée sous Nos auspices se propose d'aborder en un débat libre et familier les questions les plus actuelles, qui préoccupent les spécialistes, et même tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à la connaissance de l'univers physique. Lorsque le Congrès de l'Union Astronomique Internationale se réunit à Rome en 1952, Nous en profitâmes pour féliciter ses membres des conquêtes merveilleuses, que leur science avait accomplies au cours des dernières années. Nous avons alors retracé les étapes marquantes, qui avaient permis de se former une idée plus précise du système galactique et de la position que le soleil y occupe ; puis d'établir la nature véritable des nébuleuses spirales, en reconnaissant en elles d'autres galaxies analogues à la nôtre et peuplées de milliards d'étoiles. Au delà des mondes connus, on pouvait dès lors en soupçonner d'autres, qui se révèleraient bientôt au regard pénétrant d'un télescope géant. À ce moment d'ailleurs on publiait la découverte faite par Baade, selon laquelle l'échelle communément admise des dimensions de l'univers devait être doublée, ou même multipliée par un facteur plus grand encore.

C'est à ce même astronome que l'on doit aussi la première mention du thème central de vos présents colloques, l'existence de deux types de populations stellaires. L'article de Baade, paru en 1944, signalait d'abord que des photographies prises sur des plaques sensibles au rouge avec le télescope de 2,50 m. du Mont Wilson avaient pour la première fois résolu en étoiles distinctes les deux compagnons de la nébuleuse d'Andromède et la région centrale de cette même nébuleuse. Heureux coup de hasard ? Non point, mais plutôt le fruit d'une recherche longue et ardue. De puissants télescopes permettaient déjà de résoudre en étoiles individuelles les parties extérieures de la nébuleuse, mais le noyau central restait complètement amorphe, même sur les photographies prises avec les meilleurs instruments. Finalement l'habileté et la patience eurent raison de la difficulté; pour divers motifs, on pouvait supposer que le noyau de la nébuleuse contenait réellement des étoiles distinctes, mais trop faibles pour apparaître comme telles sur les clichés. On pouvait aussi présumer que les plus brillantes d'entre elles seraient les géantes rouges. Baade pensa qu'en utilisant des plaques sensibles au rouge, on réussirait à les fixer. Poussant à la limite des possibilités les moyens dont on disposait alors, il prolongea le temps de pose jusqu'à neuf heures, et réussit à photographier un bon nombre d'étoiles dans le noyau de la nébuleuse d'Andromède et dans ses deux compagnons.

Il démontra ensuite que les astres nouvellement découverts étaient moins lumineux et plus froids que les géantes bleues qui peuplaient les bras de la spirale, et arriva à la conclusion que les populations stellaires des galaxies se divisent en deux groupes : l'un représenté par les géantes bleues et les étoiles des amas galactiques (Type I), l'autre par les étoiles du noyau, les amas globulaires et les Céphéides variables à courte période (Type II). Les deux types diffèrent non seulement en éclat et en couleur, mais en âge, situation, composition chimique, mode et quantité de la production d'énergie.

Dans le même article, Baade note que, dès 1926, Oort avait découvert dans notre galaxie deux catégories d'étoiles aux caractères différents : les unes douées d'un mouvement rapide par rapport au soleil, les autres se déplaçant plus lentement. Ces deux catégories, qui se distinguaient aussi par la fréquence de leurs types spectraux et par la concentration galactique, correspondent respectivement au Type II et au Type I de Baade. Ainsi les découvertes de Baade et de Oort se complétaient mutuellement et ouvraient la voie à toute une série de théories et de recherches, dont vous traiterez dans cette conférence.

Un simple regard sur le programme, que vous vous êtes fixé, dévoile, même à qui n'est pas spécialiste en la matière, la complexité des questions qui s'offrent à vous et des lignes d'approche que nécessite une investigation complète du sujet. Vous commencez par l'étude des galaxies extérieures et procédez ensuite à la discussion détaillée du système de la Voie Lactée. Tel est en effet le processus logique pour aborder la question des populations stellaires et ce fut la marche suivie en réalité par les progrès de la science, car il a été extrêmement difficile de déterminer les détails de notre Galaxie du fait que la terre elle-même y est incluse. Les premiers éléments de solution de votre problème furent donc trouvés dans les galaxies extérieures, bien que tout récemment on ait appris beaucoup au sujet de notre propre Galaxie. Ainsi les astronomes hollandais ont réussi à localiser les bras de la spirale, grâce à l'observation des ondes radioélectriques émises par l'hydrogène qui s'y trouve. Puisque les étoiles de notre système sont beaucoup moins lointaines que celles des galaxies extérieures, l'astronome aborde plus aisément leur étude et s'applique à déterminer leur éclat, leurs spectres, leurs mouvements et leur distribution dans l'espace.

Une grande part de ces connaissances ne put être acquise qu'à l'aide des moyens les plus puissants, dont on disposait. Ainsi par exemple, l'étude des amas globulaires, si féconde en renseignements sur les populations de Type II, a profité des services du réflecteur de 5 m. du Mont Palomar. Néanmoins on accomplit aussi d'excellente besogne avec des instruments plus modestes, notamment pour l'étude des étoiles variables à laquelle l'Observatoire du Vatican, Nous sommes heureux de le souligner, apporte une utile contribution. Sur les Céphéides, qui constituent une source précieuse d'information pour le problème des populations stellaires, on attend encore une estimation plus précise de leur nombre dans les diverses parties de la Galaxie, ainsi que de leur spectre, de leurs mouvements et du mécanisme de leurs variations. Quant aux étoiles éclair, ces astres étonnants, que l'on voit soudain croître pour briller intensément pendant un temps plus ou moins bref, puis revenir à leur éclat primitif, sans doute en découvrira-t-on de nouvelles et parviendra-t-on à mieux expliquer leur comportement et leur distribution.

Vous accorderez une attention particulière aux problèmes, qui concernent l'évolution des étoiles, la production d'énergie à leur intérieur, la formation des atomes et les transformations qu'ils subissent. La collaboration du spécialiste en physique nucléaire et de l'expert en statistiques s'impose ici pour compléter ce que l'on sait déjà sur les modifications subies par les noyaux atomiques soumis à des températures élevées, sur les cycles qui se succèdent dans le développement d'une étoile individuelle et les différences de comportement qui caractérisent sur ce point les divers types d'étoiles. Vous vous efforcerez de préciser le rôle de la composition chimique dans la genèse des différents types et les changements qu'elle subit ensuite, de même que les effets exercés par le milieu interstellaire, poussière ou gaz, sur les astres qui le traversent, les échanges de matière entre le milieu et l'étoile, et les conséquences qui s'ensuivent pour l'un et pour l'autre.

L'écart d'âge, que vous assignez aux divers types, recèle aussi une signification du plus haut intérêt. Tandis que les étoiles de population II comptent environ 5.000 millions d'années, c'est-à-dire à peu près l'âge de l'univers lui-même, la population I semble vieille tout au plus de quelques dizaines de millions d'années. Il est naturel que les supergéantes bleues, qui émettent constamment une quantité considérable d'énergie sous forme de chaleur et de lumière, payent cette prodigalité par l'épuisement relativement rapide de leurs réserves, tandis que les étoiles anciennes, comme le soleil, ménagent davantage leurs ressources, encore que la quantité d'énergie émise continuellement par le soleil paraisse énorme. Vous réussirez peut-être à découvrir des étoiles plus jeunes encore que celles que l'on connaît, ou même — qui sait ? — à en observer la genèse.

La formation et l'évolution des étoiles les plus anciennes de la population II, requerra une bonne part de votre attention malgré l'intérêt bien compréhensible que s'attirent leurs compagnes plus jeunes à cause de leurs transformations spectaculaires. Le soleil mérite bien qu'on ne le néglige pas, car, outre l'influence directe qu'il exerce sur la terre et ses habitants, il consent aussi plus facilement, en raison de son voisinage, à révéler les secrets de son comportement ; son étude ne cessera donc jamais de constituer un secteur essentiel de l'astronomie.

Nul ne pensera cependant à négliger pour cela les galaxies extérieures, dont Nous avons souligné plus haut l'importance pour les recherches astronomiques. Les Nuages de Magellan en particulier ont l'avantage d'être les deux systèmes stellaires les plus proches de notre Galaxie et de fournir des renseignements qu'on demanderait en vain aux systèmes plus distants. Aussi avez-vous invité à votre conférence le représentant d'un grand Observatoire de l'hémisphère Sud, qui leur a consacré une part notable de ses efforts.

Les galaxies elliptiques, qui contiennent surtout des étoiles de population II, ressemblent un peu aux amas globulaires, mais s'en distinguent certainement par les dimensions et l'origine. Les amas globulaires eux-mêmes, quand on les soumet à un examen approfondi, révèlent entre eux certaines discordances. Ainsi le diagramme de Hertzsprung-Russell de l'un ne correspond pas exactement à celui d'un autre. Peut-être même en conclura-t-on que les types de populations stellaires ne sont pas limités à deux. Il vous appartient d'en débattre et de vous communiquer mutuellement sur ce point, comme sur tous ceux que Nous avons évoqués, les informations que vous avez recueillies et les conclusions, auxquelles vous conduit votre expérience personnelle.

Chercher inlassablement des faits précis, élaborer des théories pour les expliquer, vérifier la théorie par de nouvelles observations, la corriger au besoin, la remplacer par une autre plus parfaite, qui tienne compte davantage des données acquises, tel est le labeur incessant de l'astronome, labeur qui, même aux yeux des profanes, apparaît titanesque. Quel que soit le stade atteint par son enquête, l'astronome ne peut se passer d'une image d'ensemble de l'univers, dont il scrute les plus minutieux détails. Même si de lourdes inconnues rendent caduques certaines de ses constructions, il ne se défend pas de l'impression si exaltante qu'il domine le cosmos par la pensée et lui arrachera tôt ou tard de nouveaux secrets.

Mais alors même qu'il tiendra en main les clefs qui lui ouvriront les portes closes, sa tâche sera encore loin d'être terminée. Non seulement parce que l'évolution des mondes stellaires renouvelle sans répit l'objet de son intérêt, mais parce que la vérité qui mettra le terme à son élan occupe en réalité un plan supérieur à celui de la recherche scientifique. La connaissance de l'univers physique, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, grise l'intelligence humaine par ses énigmes déconcertantes et attirantes à la fois, mais elle ne dissipe pas son véritable tourment. Comme tous les autres savants, comme l'ingénieur aux prises avec les applications modernes de l'électronique ou de l'énergie nucléaire, mais aussi comme le plus humble des travailleurs intellectuels ou manuels, l'astronome cherche une vérité qui dépasse de loin celle du calcul mathématique, des lois générales de la physique, ou de quantités matérielles à mesurer, à déplacer, à dominer. L'immensité du cosmos, sa splendeur, son organisation, que seraient-elles sans l'intelligence, qui s'y découvre en le contemplant et qui y voit comme un reflet d'elle-même ? Ce que l'homme lit dans les étoiles, n'est-ce pas le symbole de sa propre grandeur, mais un symbole qui l'invite à monter plus haut, à chercher ailleurs le sens de son existence ? La pensée scientifique contemporaine s'habitue à ne reculer devant aucun problème, et c'est légitime aussi longtemps qu'elle reste dans son ordre propre. Mais, comme l'univers moral transcende le monde physique, toute acquisition de la science se situe sur un plan inférieur aux fins absolues de la destinée personnelle de l'homme et aux relations qui l'unissent à Dieu. La vérité scientifique devient un leurre à partir de l'instant, où elle croit suffire à tout expliquer, sans se rattacher aux autres vérités et surtout à la vérité subsistante, qui est un Être Vivant et librement Créateur. L'effort du savant, si désintéressé et courageux soit-il, perd sa raison dernière, s'il renonce à voir, au delà des fins purement intellectuelles, celles que lui propose sa conscience, le choix décisif entre le bien et le mal, l'orientation profonde de sa vie à la conquête des valeurs spirituelles, de la justice et de la charité, de cette charité surtout qui n'est point simple philantropie ou sentiment de la solidarité humaine, mais qui procède d'une source divine, de la Révélation de Jésus-Christ.

Heureux qui peut lire dans les étoiles le message qu'elles renferment, un message d'une autorité à la mesure de qui l'a écrit, digne de récompenser le chercheur de sa ténacité et de son habileté, mais l'invitant aussi à reconnaître Celui, qui donne la vérité et la vie et établit sa demeure dans le cœur de ceux qui l'adorent et qui l'aiment. En formant des vœux sincères pour que ces échanges de vues répondent à votre attente et vous procurent les vives satisfactions d'un labeur plus fructueux, Nous prions l'Auteur de tout bien de vous accorder son aide et sa protection, en gage desquelles Nous vous donnons de tout cœur Notre Bénédiction Apostolique.


*Discours et messages-radio de S. S. Pie XII, XIX,
Dix-neuvième année de Pontificat, 2 mars 1957 - 1er mars 1958, pp. 215-221
Typographie Polyglotte Vaticane

 



Copyright © Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vaticana