LE CONTRE-TEMOIGNAGE ET LE SCANDALE
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LE CONTRE-TEMOIGNAGE ET LE SCANDALE

Dans la Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente n. 33, l'Eglise est invitée " à prendre en charge, avec une conscience plus vive, le péché de ses enfants, dans le souvenir de toutes les circonstances dans lesquelles, au cours de son histoire, ils se sont éloignés de l'esprit du Christ et de son Evangile, présentant au monde, non point le témoignage d'une vie inspirée par les valeurs de la foi, mais le spectacle de façons de penser et d'agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignage et de scandale".

Déjà en 1975, l'Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI, recueillant les fruits de la IIIÁ Assemblée générale du Synode des Evêques, consacrée à l'évangélisation, avait attiré l'attention sur l'importance centrale du témoignage. Ses paroles ont trouvé un large écho, elles ont été reprises par le Magistère actuel. Elles conservent toute leur pertinence dans la perspective de la nouvelle évangélisation: "L'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ... ou s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins ... . C'est donc par sa conduite, par sa vie, que l'Eglise évangélisera tout d'abord le monde, c'est-à-dire par son témoignage vécu de fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et détachement, de liberté face aux pouvoirs de ce monde, en un mot, de sainteté" U0(n.41). On relèvera que le sujet du témoignage, au delà des chrétiens pris singulièrement, est l'Eglise.

Dans la préparation du Grand Jubilé, le thème du témoignage doit tout particulièrement faire l'objet de notre examen de conscience et de méditation. Les quelques réflexions qui suivent portent sur ce qui en est l'envers: le contre-témoignage et le scandale.

Le scandale de la Croix

Dans le langage de l'Ecriture le scandale signifie un piège, tout ce qui fait tomber et, de là, ce qui met la foi à l'épreuve. Mais nous devons remarquer que, selon celui de qui il provient et selon les capacités et les dispositions de qui est scandalisé, la signification du scandale diffère du tout au tout. Pour le croyant le scandale de la Croix est adorable. Ce scandale-là n'est pas un contre-témoignage. Il est au contraire source du plus grand témoignage.

Après que Jésus, dans la synagogue de Capharnaüm, ait annoncé le mystère de l'Eucharistie, une crise profonde se produit parmi les disciples. "Cette parole est rude! Qui peut continuer à l'écouter?" Et à partir de là beaucoup le quittent définitivement. Jésus pose la question aux Douze: eux aussi veulent-ils partir? On connaît la réponse de Pierre: "Seigneur à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle". Ce sont là les paroles de la foi.

Devant le désarroi provoqué par ses paroles, Jésus n'a rien fait pour atténuer: "C'est donc pour vous une cause de scandale?". Il promet qu'ils comprendront plus tard et il précise que cette compréhension est un don de l'Esprit, U0qu'elle s'identifie au don de la foi: "Mais il en est parmi vous qui ne croient pas" (cf. Jn 6, 60-69).

Ainsi la profondeur, la hauteur, du message de Jésus scandalise, en ce sens qu'il est ou occasion de chute pour qui ne croit pas ou épreuve surmontée pour celui qui croit. Le thème du scandale, dans le Nouveau Testament, est donc lié au thème de la foi, comme libre accueil du mystère du Christ. Devant l'Evangile on ne peut être indifférent, tiède, ou se dérober: le Seigneur nous interpelle personnellement et nous demande de nous déclarer pour lui (cf. Mt, 10, 32-33).

Aux envoyés de Jean en prison, déconcerté de ce qu'il entend dire de la manière dont se déroule le ministère de Jésus, celui-ci répond en évoquant les signes messianiques qui l'accompagnent. Et il ajoute: "heureux celui qui ne viendra pas à être scandalisé par moi" ou: qui ne tombera pas à cause de moi (cf. Mt. 11,6).

La première épître de Pierre, 1,7-8, se référant à un passage d'Isaïe (8, 14), affirme de son côté. "A vous donc les croyants, l'honneur; mais pour les incrédules, la pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de l'angle, et aussi une pierre d'achoppement, un roc de scandale". Et la raison en est donnée: "ils s'y heurtent parce qu'ils refusent de croire à la parole" (...).

A ce scandale, à cette épreuve de la foi, Jésus préparera ses disciples, en leur annonçant la haine du monde, les persécutions mais aussi les con- solations de l'Esprit (cf. Jn. 6, 14-16): "Je vous ai dit cela afin que vous ne soyez pas scandalisés (ou: que vous ne succombiez pas à l'épreuve") (Jn. 16,1).

C'est le même paradoxe dont nous parle saint Paul dans la 1 Lettre aux Corinthiens, 1, 18-31. Le monde pécheur n'a pas su reconnaître la Sagesse de Dieu, qui sauvera ceux qui croient par la folie de la prédication du Messie crucifié, folie et scandale. Le plan divin du salut révèle les profondeurs du mystère de l'agapè divine et nous renvoie à la conscience de nos limites, car le refus de s'ouvrir au mystère a pour motif l'autosuffisance coupable: "Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes".

Comprendre cela, à la lumière de la foi, c'est accueillir ce que nous pouvons appeler le scandale béni des voies de Dieu, c'est accueillir le mystère de la Croix, source du salut. L'exigence posée par là est l'exigence de la pureté de la foi, d'une adhésion à l'infini transcendance de la sagesse salvifique de Dieu.

L'accueil du mystère du salut par la foi suppose de notre part des dispositions du coeur, et en conséquence que nous nous engagions sur le chemin de la conversion. On se rappelera ici la page si belle de l'Evangile: "A l'instant même, (Jésus) exulta sous l'action de l'Esprit-Saint et dit: "Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, c'est ainsi que tu as disposé dans ta bienveillance. Tout m'a été remis par mon Père, et nul ne connaît qui est le Fils, si ce n'est le Père, ni qui est le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler" (Lc, 10, 21-22).

Si ton oeil te scandalise

Il y a une profonde correspondance entre les anawim dont nous parlent les lignes précédentes et l'accueil du mystère, qui est scandale pour celui qui est enfermé dans sa suffisance. Les disciples font ainsi remarquer à Jésus, à la suite de son enseignement sur le pur et l'impur: "Sais-tu qu'en entendant cette parole, les Pharisiens ont été scandalisés?" (Mt. 15, 12). Ici l'accent est déplacé: le scandale n'est plus, si l'on peut dire, du côté des profondeurs du dessein de Dieu, il est dans l'aveuglement du coeur. Il existe des scandales qui viennent de nous ou dont nous sommes plus ou moins directement responsables et qu'il est de notre devoir d'ôter de notre route. La parole de Jésus est catégorique: "Si ton oeil droit te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi: car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite te scandalise, coupe-la et jette-la loin de toi..." (Mt. 5, 29-30, cf. aussi 18, 8-9).

La vigilance et le courage des renoncements appartiennent aussi au chemin de la conversion. Ici le scandale est l'obstacle qu'il faut totalement écarter. En cela nous savons pouvoir compter sur l'aide de Dieu, à qui nous le demandons tous les jours: "Ne nous soumets pas à la tentation".

Le scandale des petits

C'est après avoir invité les disciples à se faire petits comme des enfants et à accueillir les enfants, que Jésus parle, avec une grande sévérité du scandale donné à autrui: " Mais quiconque scandalise un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu'on lui attache au cou une grosse meule et qu'on le précipite dans l'abîme de la mer. Malheureux le monde qui cause tant de scandales! Certes il est nécessaire qu'il y en ait, mais malheureux l'homme par qui le scandale arrive!" (Mt. 18, 6-7). Nécessité ne veut évidemment pas dire fatalité. Elle signifie l'inévitabilité du scandale étant donné le cours d'un monde marqué par le péché. Mais ceci ne doit pas conduire à la passivité et à la résignation. L'animation évangélique de la vie sociale est un devoir des chrétiens. Il leur appartient donc d'élever la voix et de s'engager en faveur des "petits" sans défense et de prendre des initiatives en vue de corriger des moeurs dont la dégradation offense la dignité de l'être humain créé à l'image de Dieu.

La loi de la charité

L'enfance évoque dépendance et faiblesse. Sur ce dernier point, saint Paul énonce le principe qui doit toujours nous guider: "Mais c'est un devoir pour nous les forts, de porter l'infirmité des faibles et de ne pas rechercher ce qui nous plaît. Que chacun de nous cherche à plaire à son prochain en vue du bien pour édifier. Le Christ, en effet, n'a pas recherché ce qui lui plaisait mais, comme il est écrit, les insultes des insulteurs sont tombées sur moi" (Rm, 15, 1-3).

Ce qui n'est pas scandale pour l'un peut l'être pour l'autre. Saint Paul dicte à ce propos la ligne de conduite aux chrétiens de Rome. Certains d'entre eux se croient encore tenus en conscience par les prescriptions légales qu'ils observaient dans le judaïsme, d'autres ont compris qu'ils en étaient libérés, et ils étaient portés à mépriser les premiers: "Cessons donc de nous juger les uns les autres. Jugez plutôt qu'il ne faut pas être pour un frère cause de chute ou de scandale ... . Tout est pur, certes, mais il est mal de manger quelque chose lorsqu'on est ainsi cause de chute" (14, 13. 20). La règle est de rechercher la paix et l'édification mutuelle.

L'apôtre avait rencontré une situation analogue à Corinthe, mais il s'agissait sans doute de chrétiens issus du paganisme, dont la conscience était troublée quand ils consommaient de la viande ayant été préalablement sacrifiée aux idoles. A ceux qui ont compris que l'idole est néant, Paul écrit: "Mais prenez garde que cette liberté même, qui est la vôtre, ne devienne une occasion de chute pour les faibles ... . Et, grâce à ta connaissance, le faible périt, ce frère pour lequel le Christ est mort! En péchant ainsi contre vos frères et en blessant leur conscience qui est faible, c'est contre le Christ que vous péchez. Voilà pourquoi, si un aliment doit faire tomber mon frère, je renoncerai à tout jamais à manger de la viande plutôt que de faire tomber mon frère" (1 Co, 8, 9. 11-13).

La faiblesse, ce peut être celle d'une con- science peu éclairée, comme dans les cas envisagés directement par Paul. Ce peut être encore la présence de préjugés tenaces, de malentendus ou la difficulté à comprendre certains signes.

Ainsi le scandale recouvre un vaste champ de situations diverses et contrastées. Le plus haut témoignage, celui du martyre, est parfaite communion au scandale de la Croix. A l'opposé, le scandale du péché, incitation ou exemple mauvais, conduit de soi le prochain à la chute. Il est tentation coupable. Il y a, enfin, des comportements qui, sans être répréhensibles en eux-mêmes, offensent la charité parce que le prochain n'est pas apte à les comprendre. Alors, l'amour fraternel qui est la règle suprême, demande sacrifices et renoncements. Pour un examen de conscience qui embrasse le passé, le présent, et les projets du futur, il est bon de se souvenir de ce triple paramètre.

Georges Cottier

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