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CONFÉRENCE DE S.Exc. Mgr ZENON GROCHOLEWSKI
À L'OCCASION DU III CENTENAIRE
DU PETIT SÉMINAIRE DE SPLIT

Le théologien au service de l'Université, de l'Eglise et de la société

 

C'est pour moi une véritable joie de vous exprimer mon remerciement le plus sincère pour l'opportunité qui m'est offerte, en tant que Préfet de la Congrégation pour l'Education catholique, de me trouver parmi vous et de vous apporter une parole de félicitation, de vœux et d'encouragement de la part de la Congrégation elle-même, à l'occasion du troisième centenaire du petit séminaire de Split.

J'ai tout d'abord plaisir à souligner que la Faculté de théologie, récemment érigée (9-VII-1999 [1]) et insérée dans la prestigieuse Université de Split, peut véritablement être considérée comme un fruit mûr d'amour pour la théologie, semé en graines dans ce séminaire il y a trois cents ans.

Ma Conférence d'aujourd'hui entend s'inscrire dans le cadre des célébrations pour le troisième centenaire du séminaire de Split, en soulignant en particulier le couronnement d'un long chemin commencé en 1700, et parvenu aujourd'hui à un niveau prestigieux  avec la Faculté de théologie.

La réflexion que je souhaiterais soumettre, et qui s'adresse en particulier à ceux qui enseignent et qui étudient les sciences sacrées, entend traiter brièvement de diverses thématiques inhérentes à la théologie et à la tâche du théologien.

I. La théologie dans le contexte de l'aréopage universitaire

1. L'«universitas scientiarum» et le rôle de la théologie

L'histoire de l'Université nous fait comprendre le rôle qu'y a joué la Faculté de théologie.

Le terme universitas pourrait également être compris originellement comme versus unum ou versus unitatem.

Appliqué à l'Université, il exprimait l'union d'enseignants et d'étudiants visant à une communion d'esprit et de partage du savoir humain.

L'universitas, en tant qu'organisme  vivant de personnes, tendait à donner une unité au savoir humain, dans la mesure où elle constituait une grande scène ou plateforme pour l'échange mutuel et l'enrichissement réciproque entre les diverses sciences et disciplines.

C'est dans ce contexte que s'est inséré le rôle de la Faculté de théologie, qui au début était présente dans chaque Université. Sa mission spécifique était de faire converger les efforts du savoir et de la recherche vers la vérité la plus profonde et la plus complète, et d'offrir, à la lumière de celle-ci, le sens ultime à propos de l'homme, de la vie et du monde.

Elle accomplissait cette tâche en ayant conscience d'être précédée, illuminée et guidée par Celui qui est «le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14, 6).

Sous cet aspect, et à la lumière de cette mission particulière au sein de l'Université, la Faculté de théologie fut appelée à juste titre «l'âme de l'Université».

Aujourd'hui, l'imposant développement du savoir et l'énorme ramification  des domaines de recherche comportent le danger croissant de perdre de vue l'effort de promouvoir le caracatère interdisciplinaire des sciences, l'enrichissement entre elles et le sens même du savoir et de la recherche.

Parfois, on peut avoir l'impression que la recherche est devenue une fin en elle-même, oubliant son objet originel et authentique, c'est-à-dire la vérité dans son objectivité, dans sa connexion avec toute la réalité.

De l'histoire du rôle et de la présence de la théologie dans l'Université naît également aujourd'hui l'une de ses tâches particulières au sein de l'universitas scientiarum. La théologie, ayant comme objet spécifique la recherche de la Vérité révélée et se référant aux valeurs transcendantes, aide à ne pas perdre de vue cette réalité et à ne pas s'enfermer dans des perspectives purement immanentes.

Pour accomplir cette mission, la théologie a besoin de la médiation philosophique, en particulier métaphysique. A ce propos, il faut considérer attentivement les orientations proposées par la Lettre encyclique Fides et ratio de Jean-Paul II (2).

2. Un enrichissement réciproque

Ces brefs rappels historiques peuvent être utiles pour souligner le rôle de votre Faculté au sein du savoir collectif de l'Université.

Elle est appelée à remplir une double mission, qui est d'enrichir les autres savoirs, ou les autres sciences, et d'être enrichie par les autres savoirs et sciences. Cela, bien évidemment, dans le respect de l'autonomie propre à chaque discipline.

Permettez-moi de présenter quelques indications à propos de ces deux types d'enrichissement à la lumière de la législation  sur  les  universités  et  les  facultés ecclésiastiques de l'Eglise et, en particulier, de la Constitution apostolique de Jean-Paul II Sapientia christiana (3).

a) En ce qui concerne l'enrichissement que la Faculté de théologie peut apporter aux diverses disciplines, nous trouvons déjà une claire référence dans la première affirmation du document mentionné: «La sagesse chrétienne, que l'Eglise enseigne par mandat divin, est un encouragement constant pour les fidèles afin qu'ils s'efforcent de rassembler les événements et les activités humaines en une unique synthèse vitale avec les valeurs religieuses, sous la direction desquelles toutes les choses sont coordonnées entre elles pour la gloire de Dieu et pour le développement intégral de l'homme, un développement  qui comprend les biens du corps et ceux de l'esprit».

Dans cette perspective, la théologie s'insère dans le chœur multiple des disciplines humaines et élève, pour ainsi dire, sa voix pour aider à placer chaque effort de recherche dans le contexte du sens à donner au monde, à l'homme, à la vie et à l'histoire, ainsi que pour l'orienter vers le bien authentique de la personne humaine et de la société.

Et elle le fait à la lumière de la vérité transcendante de la foi sur laquelle elle se penche.

En effet, l'une des tâches particulières confiée à la théologie par rapport à toutes les autres disciplines est la «recherche  de la signification»; en effet, elle les aide «à examiner de quelle façon les découvertes respectives influeront sur les personnes et sur la société [...] en fournissant également une perspective et une orientation qui ne sont pas contenues dans leurs méthodologies» (4).

De cette façon, la Faculté de théologie offre sa contribution spécifique également à la vie publique, dans la mesure où son travail et son engagement pour la vérité au sein de l'Université n'est pas seulement au service de l'Eglise, mais s'effectue également au bénifice de l'Etat et de la société tout entière.

Toutefois, la théologie comme science de la foi, possède sa propre finalité et sa propre méthode.

C'est pourquoi, en promouvant le dialogue avec les autres disciplines pour les enrichir, elle doit toujours conserver sa propre identité.

L'histoire semble nous enseigner que les diverses disciplines n'ont pas toujours pu recevoir une aide de la théologie, lorsque celle-ci perdait de vue son objectif et sa méthode.

En effet, cette perte affaiblit sa capacité d'être un stimulant pour les autres disciplines, afin que celles-ci, sans réserve, se consacrent à la cause de la vérité et au sens à donner à la vie humaine et à la société.

b) En référence à l'enrichissement de la théologie de la part des autres sciences, il faut rappeler ce que souligne la Constitution apostolique Sapientia christiana dans son introduction: «Les nouvelles sciences et les nouvelles trouvailles posent de nouveaux problèmes, qui interpellent les disciplines sacrées et les invitent à répondre. Il est donc nécessaire que les chercheurs des sciences sacrées, alors qu'ils accomplissent leur devoir fondamental de parvenir, à travers la recherche théologique, à une connaissance plus profonde de la vérité révélée, restent en relation avec les chercheurs des autres disciplines, qu'ils soient croyants ou non croyants, et qu'ils cherchent à bien comprendre  et  évaluer  leurs  affirmations,  et  à  les  juger  à  la  lumière de la vérité révélée» (Introduction, IIII, cpv. 3).

La même Constitution souligne en outre que: «La Vérité révélée doit être considérée également en liaison avec les acquisitions scientifiques de l'époque en évolution, pour comprendre clairement  “comment la foi et la raison se rencontrent dans l'unique vérité”, et son exposition doit être telle que, sans changement de la vérité, elle soit adaptée à la nature et au caractère de chaque culture, en tenant particulièrement compte de la philosophie et de la sagesse des peuples [...]» (art. 68 § 1).

Donc, grâce à l'influence et à l'apport des autres disciplines, «les théologiens sont également incités à rechercher la méthode la plus adaptée pour communiquer la doctrine aux hommes de leur époque, dans la variété des cultures» (Introduction, III, cpv. 4). En effet, «le dépôt même de la foi, c'est-à-dire les vérités qui sont contenues dans notre doctrine  vénérable,  est  une  chose;  la façon  dont  elles  sont  formulées,  en conservant toutefois le même sens et la même signification, en est une autre» (ibid.).

Cette réflexion sur la mission de la théologie à l'intérieur de l'Université nous conduit à considérer de plus près la tâche du théologien dans son travail académique et scientifique.

II. Le théologien serviteur de la Parole de Dieu

1. Le service à la vérité

Une contribution précieuse à la compréhension de ce rôle provient, sans aucun doute, du document publié en 1990 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, intitulé:  Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien (5).

Il est indispensable que celui qui se consacre aux sciences sacrées lise ce document avec attention.
A partir de son riche contenu, qui offre des directives précieuses en la matière, je voudrais aujourd'hui souligner deux aspects concernant le travail du théologien:  a) il est une réponse à l'invitation de la vérité révélée, ainsi que b) un service d'amour.

En ce qui concerne le premier aspect, le document affirme que "le travail du théologien répond [...] au dynamisme contenu dans la foi elle-même:  de par sa nature la Vérité désire être communiquée, car l'homme a été créé pour percevoir la vérité, et il désire au plus profond de lui-même la connaître pour se retrouver en elle et pour y trouver son salut (cf. 1 Tm 2, 4). C'est pourquoi le Seigneur a envoyé ses apôtres afin qu'ils fassent des "disciples" de toutes les nations et afin qu'ils y enseignent (cf. Mt 28, 19sq). La théologie, qui recherche la "raison de la foi" [...] constitue une partie intégrante de l'obéissance à ce commandement [...] La théologie offre donc sa contribution afin que la foi devienne communicable." (n. 7).

En se référant au deuxième aspect, l'Instruction souligne:  "La théologie, qui obéit à l'impulsion de la vérité qui tend à se communiquer, naît également de l'amour et de son dynamisme:  dans l'acte de foi, l'homme connaît la bonté de Dieu et commence à l'aimer, mais l'amour désire toujours mieux connaître celui qui l'aime" (ibid.).

"De cette double origine de la théologie, inscrite dans la vie intérieure du Peuple de Dieu et dans sa vocation missionnaire, résulte la façon dont elle doit être élaborée pour satisfaire aux exigences de sa nature. L'objet de la théologie étant la Vérité, le Dieu vivant et son dessein de salut révélé en Jésus-Christ, le théologien est appelé à intensifier sa vie de foi et à toujours unir  la  recherche  scientifique  et  la prière.

Il sera ainsi plus ouvert au "sens surnaturel de la foi" dont il dépend et qui lui apparaîtra comme une règle sûre pour guider sa réflexion et évaluer la correction de ses conclusions" (nn. 7-8).

2. "Remets-toi à la Parole"

Dans  cette  perspective,  lorsque  je pense à la tâche de ceux qui sont engagés dans les études de théologie, me revient à l'esprit ce que disait saint Paul aux anciens d'Ephèse, au moment de prendre congé d'eux.

L'Apôtre affirme:  "Et à présent je vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce, qui a le pouvoir de bâtir l'édifice et de procurer l'héritage parmi tous les sanctifiés" (Ac 20, 32). Il confie les anciens à la Parole de Dieu, dans la conviction que ceux-ci, avant d'être porteurs de la Parole, doivent être portés par la Parole de Dieu.

Cela précisément parce que, comme nous venons de l'entendre, la Parole "est une force de Dieu pour le salut de tout homme" (Rm 1, 16).

Il est intéressant de se demander ce que peut signifier pour le théologien l'expression "Remets-toi à la Parole de Dieu"? Cela signifie que le théologien lui-même doit constamment se nourrir de la Parole (cf. Mt 4, 4), doit être une "bonne terre" où la Parole est accueillie et porte des fruits abondants (cf. Mt 13, 3-23; Mc 4, 3-20; Lc 8, 5-15).

Cela signifie se laisser saisir, conduire et transformer par la Parole. Cela signifie avoir confiance en elle, plus qu'en soi-même.

Si le théologien, en faisant de la théologie, ne se met pas sans cesse à l'écoute de la Parole, il ne l'aime pas, il ne lui est pas fidèle et obéissant, il court le risque, avec sa réflexion théologique, d'affaiblir et d'appauvrir l'effet de la puissance salvifique de la Parole elle-même.

Etre confié à la Parole de Dieu constitue pour le théologien un véritable engagement de responsabilité ecclésiale.

Face aux étudiants, dans ses publications, il doit être le premier croyant dans la Parole.
Cela en ayant pleinement conscience que le message qu'il étudie, qu'il approfondit scientifiquement et qu'il présente de façon académique est celui du Christ et non le sien.

Il n'est pas le patron de cette Parole, mais le serviteur. Comme Paul, il est appelé à dire:  "Et nous l'avons, nous, la pensée du Christ" (1 Co 2, 16).

Dans le même temps, il est débiteur de cette Parole à l'égard du Peuple de Dieu et du monde.

3. Le théologien face au Magistère

Cependant, le théologien est le serviteur de la Parole telle qu'elle lui est présentée - par la volonté expresse du Christ - par le Magistère de l'Eglise.

Le Concile Vatican II souligne ce fait dans la Constitution dogmatique Dei verbum, lorsqu'il affirme:  "La charge d'interpréter de façon authentique la Parole de Dieu, écrite ou transmise, a été confiée au seul magistère vivant de l'Eglise dont l'autorité s'exerce au nom de Jésus-Christ" (n. 10).

Ensuite, le même document conciliaire précise que le Magistère doit être considéré à la fois comme une autorité et comme un service:  en réalité il "n'est pas au dessus de la Parole de Dieu, mais il la sert, n'enseignant que ce qui fut transmis, puisque par mandat de Dieu, avec l'assistance de l'Esprit Saint, il écoute cette Parole avec amour, la garde saintement et l'expose aussi avec fidélité, et puise en cet unique dépôt de la foi tout ce qu'il propose à croire comme étant révélé par Dieu" (ibid.).

On comprend ainsi comment écoute, amour, fidélité à la Parole, impliquent également écoute, amour, fidélité au Magistère. Cela n'est pas un élément extérieur ou simplement accessoire au travail théologique, mais bien un élément intérieur et qui lui est connaturel, un présupposé sine qua non de la théologie catholique. Dans cette perspective, on comprend qu'ignorer ce fait engendre un vulnus à la méthode théologique elle-même. En d'autres termes, l'absence de référence au Magistère de l'Eglise dénature le concept de théologie catholique comme science.

L'article 26 2 de la Constitution apostolique Sapientia christiana, rappelle que "ceux qui enseignent des matières concernant la foi ou les moeurs seront conscients qu'une telle charge doit être accomplie en pleine communion avec le Magistère authentique de l'Eglise et, principalement, du Pontife romain".

4. Le théologien et sa vie chrétienne

Tout ce que nous avons dit nous fait donc comprendre que le théologien ne peut pas rester indifférent face au message divin qui, de par sa nature, interpelle l'homme dans son être profond, dans toute sa vie, et donc également le théologien lui-même. La théologie est étudiée, comprise, enseignée, vécue uniquement lorsque le chercheur - et par ces paroles j'entends faire référence aussi bien à l'enseignant qu'à l'étudiant - possède un rapport intime, personnel avec le Maître divin; un rapport qui se réalise seulement si la vie du théologien est animée et vivifiée par une prière intense, par un contact personnel constant avec Jésus-Christ.

Etudier la théologie sans se mettre à l'écoute de Jésus et se laisser transformer par Lui, ne peut donner que des résultats stériles et peu significatifs.

La théologie, en tant que science de la Parole salvifique de Dieu, requiert deux attitudes fondamentales et inséparables, qui doivent caractériser le théologien:  il doit l'étudier en tant que scientifique et en tant que contemplatif. Etre un scientifique de la Parole de Dieu comporte précisément le fait d'en être un contemplatif. L'approfondissement scientifique de la Parole à travers l'acuité de son intelligence et dans la rigoureuse observance de la méthode théologique présuppose qu'il possède une expérience personnelle de cette Parole salvifique. Le témoignage de saint Jean peut aussi être valable pour lui, lorsqu'il écrit dans sa première Epître:  "Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie [...] nous vous l'annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous" (1 Jn 1, 1-3).

On comprend ainsi pourquoi dans l'histoire  de  la  théologie  les  grands penseurs qui ont influencé de façon décisive le progrès de la recherche théologique aient précisément été les théologiens saints. Il suffit de penser, par exemple aux Pères grecs et latins de l'Eglise, à saint Anselme, à saint Albert le Grand, à saint Thomas, à saint Bonaventure, à saint Roberto Bellarmino, à saint Alphonse.

III. La théologie dans l'Eglise et au service de l'Eglise

1. Le théologien dans l'Eglise

Le théologien est au service de la Parole de Dieu, telle qu'elle est transmise dans la tradition et garantie par le Magistère. Parole, Tradition et Magistère constituent des éléments constitutifs de la nature même de l'Eglise. Voilà pourquoi on ne peut pas penser à une recherche de la vérité révélée en dehors de l'Eglise. De par sa nature, la théologie est enracinée dans la foi, telle qu'elle est professée par l'Eglise. L'Eglise, loin de rendre la recherche théologique stérile, en est une source toujours féconde. La théologie est bien sûr attentive aux problèmes de son temps, aux nouvelles méthodes proposées par les sciences, aux diverses découvertes, mais au titre d'intellectus fidei, elle ne cese de recevoir la foi de l'Eglise, laquelle est justement appelée Mère et Maîtresse.

Le Pape Jean-Paul II, en s'adressant le 18 novembre 1980 à un groupe de théologiens allemands réunis à Altötting, soulignait que "la théologie est une science possédant toutes les possibilités de la connaissance humaine, elle est libre dans l'application de ses méthodes et de ses analyses, cependant elle doit être attentive à son rapport avec la foi de l'Eglise. Ce n'est pas à nous-mêmes que nous devons la foi; elle est "fondée sur les apôtres et sur les prophètes et Jésus-Christ lui-même est la pierre d'angle" (cf. Ep 2, 20). La théologie doit présupposer la foi. Elle peut l'éclairér, la promouvoir, mais elle ne peut pas la produire" (7).

La théologie est donc appelée à enquêter et à approfondir la donnée révélée qui est conservée par l'Eglise, en coopérant ainsi au développement homogène de sa compréhension selon les exigences  de  la  foi  (cf.  Dei  verbum, n. 8) et à la lumière des signes des temps (cf. Gaudium et spes, n. 4).

L'histoire nous révèle comment la foi et la vie de l'Eglise ont eu une influence particulière sur la promotion de la recherche théologique. Il suffit de pen-ser, par exemple, aux premières écoles monastiques ou aux écoles cathédrales qui, en recueillant l'héritage de la pen-sée des Pères, transmirent la richesse de la foi chrétienne et instruisirent des générations de théologiens, qui, à leur tour, ont formé le Peuple de Dieu dans la foi. Il ne s'agit pas d'illustrer ici la façon dont la théologie s'est développée au sein de la foi et de la vie de l'Eglise. J'ai simplement voulu citer ces exemples pour souligner comment la foi était étudiée, approfondie et transmise par l'Eglise et dans l'Eglise.

Dans ce contexte, l'amour du théologien pour l'Eglise devient évident. A ce propos, je voudrais rappeler ce que le Pape Jean-Paul II disait, le 2 décembre 1994, aux membres de la Commission théologique internationale:  "En effet, l'amour filial de l'Eglise est au coeur de la vocation du théologien:  il rend libre, mais il est aussi la mesure intime des recherches les plus ardues" (8).

Dans cette perspective se dessine mieux la responsabilité du munus docendi de l'Evêque à propos de la production théologique. On peut parfois avoir l'impression qu'il est réduit à la simple tâche d'authentifier, du point de vue de l'orthodoxie de la foi de l'Eglise, cette production. En revanche, le munus docendi comporte de par sa nature l'annonce autorisée de la vérité à croire, ainsi que la promotion et la réalisation des conditions ecclésiales nécessaires afin que la foi soit scientifiquement promue et illustrée. Tout cela exige que l'Evêque soit et se sente activement concerné par la vie de la Faculté de théologie.

2. Le dévouement à la formation et à la recherche.

C'est à l'intérieur du rapport théologie-foi de l'Eglise que doit être conçu le service que la théologie doit rendre. Elle est tout d'abord appelée à former de façon académique et scientifique dans la foi de l'Eglise les futurs prêtres, les religieux, le religieuses et les laïcs qualifiés pour les diverses tâches apostoliques auxquelles ils seront appelés. A ce propos, la Constitution apostolique Sapientia christiana remarque:  "Les facultés ecclésiastiques - qui visent au bien commun de l'Eglise et qui constituent donc quelque chose de précieux pour toute la communauté ecclésiale - doivent avoir conscience de leur importance pour l'Eglise et de la participation à son ministère" (Introduction, IV, cpv. 1). Les paroles du Pape Paul VI sont également significatives:  "La fonction du théologien s'exerce en vue de l'édification de la communauté ecclésiale, afin que le Peuple de Dieu croisse dans l'expérience de la foi" (9).

La formation philosophique et théologique des prêtres, des religieux, des religieuses et des laïcs est devenue plus urgente que jamais aujourd'hui, dans une Eglise en transformation, toujours plus attentive aux nécessités qui apparaissent en son sein et aux appels du monde. Dans ces circonstances, la solidité théologique constitue également un présupposé indispensable pour interpréter les signes des temps et pour répondre aux nouvelles situations socio-culturelles. Il devient ensuite superflu de dire que la foi des prêtres, des religieux et des laïcs exige un haut niveau de préparation théologique (10).

En même temps que l'objectif de formation académique, il faut souligner la promotion de la recherche scientifique. Un devoir important pour chaque professeur est de se consacrer à une recherche sérieuse et assidue dans le domaine de sa discipline. Il s'agit d'un engagement qu'exige la nature même d'enseignant universitaire; un engagement qu'il assume et que les autorités académiques doivent constamment encourager et soutenir. La vitalité de la faculté doit s'exprimer non seulement à travers la recherche personnelle, mais également collective, c'est-à-dire à travers diverses initiatives communes auxquelles participent tous les enseignants ou tous les groupes d'enseignants. Il est certain qu'une faculté qui perdrait de vue l'engagement à une sérieuse recherche scientifique se vouerait elle-même à sa disparition. En cette occasion, il faut souhaiter qu'entre la jeune faculté de théologie de Split et l'ancienne faculté renommée de Zagreb s'instaure une collaboration scientifique organique. L'Eglise croate, aujourd'hui particulièrement vivante et active, a besoin de votre contribution spécifique. Il faut rendre raison de notre foi (1 P 3) face au monde, à la culture, d'une façon scientifique sérieuse.

IV. La théologie au service de l'évangélisation

1. La nature missionnaire de la théologie

La théologie dans l'Eglise et au service de l'Eglise est de par sa nature "missionnaire", c'est-à-dire appelée à apporter sa contribution spécifique à l'évangélisation. C'est pourquoi l'Eglise a toujours conçu les facultés de théologie comme étant étroitement liées à sa mission évangélisatrice (11).

Certes, cette mission évangélisatrice de la théologie nécessite la préparation de guides qualifiés au service de l'Eglise. Le Saint-Père a traité ce thème dans le discours adressé aux Evêques croates dans cette ville, le 4 octobre 1998:  "En cette période de grands changements et de grandes transformations, la Croatie a besoin d'hommes et de femmes à la foi vivante, qui sachent témoigner de l'amour de Dieu pour l'homme et se montrer disponibles à placer leurs énergies au service de l'Evangile. Votre nation a besoin d'apôtres, qui se rendent parmi les peuples pour apporter la Bonne Nouvelle" (12).

Mais il faut également remarquer que la théologie est appelée à contribuer à l'évangélisation à travers son apport académique et scientifique, pour répondre aux défis culturels et sociaux de notre temps. En effet, notre société est parcourue par un sécularisme envahissant et entièrement nouveau qui influence insidieusement les diverses couches de la société, ainsi que par une mentalité principalement technologique qui fait abstraction de la nature transcendente de l'homme et de son aspiration au vrai, au bien et au beau. En outre, le développement scientifique pose des problèmes complexes et difficiles. L'évangélisation doit donc faire face à des défis qui demandent des réponses académiques et scientifiques précises.

2. L'évangélisation des cultures

Une attention particulière, comme l'a souligné le Concile Vatican II (13), devra être accordée à la promotion du dialogue entre Evangile et culture. A ce propos, dans la Constitution apostolique Sapientia christiana on peut lire:  "En effet, la mission de l'évangélisation, qui est propre à l'Eglise, exige [...] que soient également imprégnés de la vertu de l'Evangile lui-même les façons de penser, les critères de jugement, les normes d'action; en un mot, il est nécessaire que toute la culture de l'homme soit pénétrée par l'Evangile [....] En effet, le milieu culturel dans lequel l'homme vit, exerce une influence importante sur sa façon de penser, et en conséquence sur sa façon d'agir; c'est pourquoi le détachement entre foi et culture constitue un grave empêchement à l'évangélisation, alors qu'au contraire la culture formée par l'esprit chrétien est un instrument valable pour la diffusion de l'Evangile. En outre, l'Evangile du Christ, qui s'adresse à toutes les personnes de chaque âge et origine, n'est pas lié d'une façon exclusive à une culture particulière, mais est capable d'imprégner toutes les cultures, en les illuminant par la lumière de la révélation divine, et de purifier et renouveler dans le Christ les coutumes des hommes" (Introduction, I, cpv. 2-4).

La Croatie, dans sa fervente tradition catholique, dont elle a également fait preuve lors des persécutions, a toujours ressenti l'élan d'apporter l'Evangile dans le monde de la culture. Diverses figures pourraient être citées. Je me limite à rappeler Ivan Merz, pionnier de l'Action catholique en Croatie, qui eut pour principal souci de donner une formation catholique à l'intelligentsia, en apportant un soin particulier aux universitaires et aux intellectuels (14).

Conclusion

Qu'il me soit permis de terminer ma brève réflexion en faisant référence à l'illustre sceau de la célèbre Université de Tubingen, en Allemagne, qu'elle utilise depuis sa constitution en 1477. Il représente Jésus-Christ qui se trouve sur deux livres:  l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans la main gauche Il porte le globe et de la main droite il effectue le geste d'enseigner. La devise qui l'entoure est la suivante:  Ego sum via, veritas et vita (Jn 14, 6). Vers Lui, le véritable Maître - tel est le sens de ce symbole - doivent se tourner tous ceux qui travaillent dans l'Université. Il revient en particulier à la Faculté de théologie - dont le travail trouve son fondement dans la vérité révélée (les deux livres présents sur le sceau) de faire en sorte que toutes les sciences puissent se tourner vers le Christ, qui donne un sens à la vie et l'illumine.

Tel est le souhait le plus fervent qu'en cette occasion solennelle j'adresse à cette Faculté de théologie, en mon nom personnel et au nom de la Congrégation pour l'Education catholique.


NOTES

1) Cf. Seminarium 39 (1999) 749; Annuaire pontifical 2000, p. 1972.

2) Du 14 septembre 1998, in AAS 91 (1999) 5-88.

3) Du 29 avril 1979, in ASS 71 (1979) 469-499. Version italienne in Enchiridion Vaticanum, vol. 6, nn. 1330-1454.

4) Ioannes Paulus II, Cons. apost. Ex corde Ecclesiae de universitatibus catholici,  15  augusti  1990,  n.  19,  in AAS 82  (1990)  1475-1509.  Version  italienne in Enchiridion Vaticanum, vol. 12, nn. 414-492.

5) Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum veritatis de ecclesiali theologi vocatione, 24 mai 1990, in AAS 82 (1990) 1550-1570. Version italienne in Enchiridion Vaticanum, vol. 12, nn. 244-305.

6) Cf. à ce propos également Conc. Vat. II, Cons. dogm. Lumen gentium de Ecclesia, n. 25, in AAS 57 (1965) 29-31. Version italienne in Enchiridion Vaticaum, vol. 1, nn. 284-456.

7) "Die Theologie ist eine Wissenschaft mit allen Möglichkeiten menschlicher Erkenntnis. Sie ist in der Anwendung ihrer Methoden und Analysen frei. Gleichwohl muß die Theologie darauf achten, in welchem Verhältnis sie zum Glauben  der  Kirche  steht.  Nicht  uns selbst verdanken wir den Glauben, er ist vielmehr "auf das Fundament der Apostel und Propheten gebaut, der Schlußtein ist Christus Jesus selbst" (Ep 2, 20). Auch die Theologie muß den Gauben voraussetzen. Sie kann ihn erhellen und fördern, aber sie kann nicht produzieren" (in AAS 73 [1981] 100-105, n. 3).

8) "En effet, l'amour filial de l'Eglise est au coeur de la vocation du théologien:  il rend libre, mais il est aussi la mesure intime des recherches les plus ardues" (cf. AAS 87 [1995] 790-793, n. 2). Le texte poursuit:  "Certes, le chemin du théologien a quelque chose de paradoxal. La racine de son savoir est l'infaillible lumière de la foi; sa réflexion est sujette aux limitations et aux fragilités propres aux choses humaines. Sa fierté est dans le service de la Lumière divine, sa modestie est dans la conscience des limites de la pensée humaine" (ibid., n. 4).

9) "La fonction du théologien s'exerce en vue de l'édification de la communion ecclésiale, afin que le Peuple de Dieu croisse dans l'expérience de la foi" (Lettre au Recteur de l'Université catholique de Louvain, in Insegnamenti di Paolo VI, XIII, 1975, p. 917.

10) Cf. Congrégation pour l'Education catholique, Formazione teologica dei futuri sacerdoti, 22 février 1976, Typographie polyglotte vaticane 1976, Introduction, nn. 4-6; idem in Enchiridion Vaticanum, vol. 5, nn. 1766-1911:  1769-1771.

11) Cf. Cons. apos. Sapientia christiana, Introduction, III, ainsi que art. 1 et 3 3.

12) Cf. ORLF n. 41 du 16 octobre 1998.

13) Cf. Cons. past. Gaudium et spes de  Ecclesia  in  mundo  huius  temporis, n. 62, in AAS (58) 1966, 1025-1120. Version italienne in Enchiridion Vaticanum, vol. 1, nn. 1319-1644.

14) Cf. F. Veraja, Ivan Merz. Pioniere dell'Azione Cattolica in Croazia (1895-1928), Librairie éditrice vaticane, 1998, p. 669.

                                               

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