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CONGREGATIO PRO CLERICIS

Prêtres vers l’an 2000 – 1 Fátima

 

Actes de la première rencontre internationale des prêtres

Fátima 17-21 juin 1996

Présentation

Chers amis prêtres,

après avoir vécu ensemble les journées inoubliables de la première rencontre internationale des prêtres à Fatima, pour répondre aussi aux requêtes exprimées dans de très nombreuses lettres qui rappelaient avec émotion cet événement, nous avons pensé recueillir dans ce volume, accompagné d’une vidéocassette, ce qui a été alors exposé et qui contribuera certainement à une adhésion toujours plus fervente à notre identité, et donc au renforcement de nos liens de communion.

Nous sommes certains que la rencontre de Fatima, qui s’est révélée être un moment providentiel de communion sacerdotale affective et effective, nous aidera à vivre cette sainteté personnelle spécifique de notre état, qui est l’unique ressource réaliste face à l’urgence de la nouvelle évangélisation. La cause des vocations elle aussi est liée à tout cela : les vocations sont un don de Dieu à implorer dans la prière infatigable, et dans le sacrifice de la communauté chrétienne tout entière. Elles fleurissent autour des prêtres qui savent témoigner avec joie de leur identité et qui vivent avec générosité leur ministère.

Nous avons entrepris un chemin sous le patronage de la Bienheureuse Marie Toujours Vierge, et, toujours sous sa protection, nous voudrions nous retrouver à Yamoussoukro (1997), à Guadalupe (1998), à Jérusalem (1999) et à Rome (2000).

D’un rendez-vous à l’autre, nous en sommes certains, nous ne manquerons pas de nous soutenir, dans la prière les uns pour les autres et dans la fraternité authentique, confiant à Marie le don très précieux du sacerdoce dont nous sommes revêtus. Nous lui confions notre faiblesse mais surtout notre amour pour le Christ présent au Saint-Sacrement, centre de toute notre vie.

Dans ce bon souvenir de Fatima, nous vous disons « au revoir » !

Congrégation pour le Clergé

Du Vatican, le 1er novembre 1996

Jubilé sacerdotal du Saint-Père

X Dario Castrillón Hoyos

Pro-préfet

X Crescenzio Sepe

Secrétaire

 

 

 

Message du Saint-Père

Très chers prêtres !

1. C’est avec une grande joie que je m’adresse à vous qui prenez part à Fatima à la première rencontre internationale des prêtres que promeut la Congrégation pour le Clergé, en préparation du Jubilé de l’an 2000.

La proposition d’organiser un pèlerinage de l’Ordo sacerdotalis vers la Porte Sainte de l’an 2000 est née pour offrir aux prêtres l’occasion de célébrer le Jubilé purifiés de leurs incohérences et infidélités, fortifiés contre l’esprit du monde et rendus plus conformes au Bon Pasteur qui donne sa vie pour son troupeau. Parti de Fatima, ce pèlerinage fera étape en 1997 à Yamoussoukro, en 1998 à Guadalupe et en 1999 à Jérusalem, pour rejoindre Rome en l’an 2000.

L’initiative ne manquera pas de contribuer à favoriser une communion toujours plus convaincue, fervente et effective entre les prêtres, en développant des effets positifs sur la nouvelle évangélisation et sur l’augmentation des vocations sacerdotales et religieuses.

2. L’itinéraire jubilaire prévu passera par quelques remarquables sanctuaires mariaux. Cela répond à un choix spirituel précis : celui d’aider le prêtre à redécouvrir, en s’arrêtant en des lieux particulièrement évocateurs de la présence de la Vierge Sainte, le rôle de Marie dans sa vie, rôle qui lui est assigné par le Christ lui-même, Souverain et Eternel prêtre.

Vous savez par expérience quel grand trésor constitue Notre-Dame pour le prêtre ! Son influence maternelle s’étend sur la vie spirituelle tout entière et sur son ministère : après avoir coopéré au sacerdoce du Christ, Marie se tient au côté de chaque prêtre et en soutient la mission.

3. Le prêtre en effet a particulièrement besoin de l’aide de Marie pour pouvoir vivre sa consécration à Dieu, et la Vierge représente le premier modèle de ceux qui consacrent totalement au Christ leur cœur et leurs forces.

Pour le prêtre, le don du cœur s’exprime, de façon significative, dans le célibat. Comment oublier que la virginité de Marie a précédé l’état de virginité du Christ ? Le séjour en des lieux mariaux portera le prêtre à regarder vers la Vierge pour implorer son aide sur le chemin de la consécration totale au Christ et à son Règne.

Chers frères, à Fatima, terre bénie par Marie Très Sainte, vous revivez l’expérience des Apôtres au Cénacle (Ac 1, 13) : cette expérience de prière assidue et concorde en union spirituelle avec la mère de Jésus illumine le présent et le futur de votre vie sacerdotale. Demandez à Marie de soutenir en vous avant tout la persévérance dans la prière, indispensable à votre vie et à votre mission.

4. L’activité apostolique du prêtre exige elle aussi une relation filiale de dévotion et de confiance envers la Mère céleste. Dans l’épisode évangélique de la « Visitation », Marie communique à sa cousine Elisabeth la richesse spirituelle qui lui a été donnée d’en haut : Elisabeth est comblée de joie par l’Esprit saint au moment précis ou la Vierge entre dans sa maison et la salue. La dévotion de Marie favorisera aussi chez le prêtre l’ouverture du cœur à l’action de l’Esprit, pour qu’à travers son ministère, la vie du Christ puisse continuer à se répandre dans le monde.

Chers prêtres, au cours de votre pèlerinage, qui est aussi un temps d’exercices spirituels, demandez à Marie une vie intérieure débordante, une charité riche de miséricorde et la fidélité à votre vocation, pour vous consacrer aux tâches pastorales avec un dynamisme apostolique renouvelé. Celle qui s’est entièrement donnée à l’œuvre de son Fils n’aiderait peut-être pas le prêtre à dépenser le meilleur de lui-même, avec zèle et ferveur, pour Dieu et ses frères ? Celle qui a un cœur de Mère miséricordieuse ne communiquerait peut-être pas au prêtre sa bonté et sa pitié pour les misères humaines ? Celle qui a rempli intégralement sa mission ne soutiendrait pas le prêtre contre la tentation du découragement, en nourrissant son espérance au milieu des vicissitudes de l’existence quotidienne ?

5. Pendant que le Rédempteur accomplissait son sacrifice, Marie veillait en silence près de la Croix. « Jésus alors, voyant sa mère et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils ». Puis il dit au disciple : « Voici ta mère ! ». Et à partir de ce moment le disciple la pris dans sa demeure » (Jn 19, 25-27)

Très chers prêtres, en répondant aux paroles du Christ mourant sur le Golgotha, vous aussi, réunis pour ce rassemblement spirituel de Fatima, vous êtes invités à « prendre Marie en votre demeure », c’est-à-dire à lui faire place en votre cœur, en votre vie, en votre ministère. En l’accueillant avec l’amour même de Jean, vous pourrez réaliser complètement l’idéal du sacerdoce qui consiste à ressembler toujours plus à l’unique grand prêtre, né de la Vierge Marie.

De même que le disciple aimé, à l’école de Marie, sut fixer le regard de la foi sur le côté transpercé du Crucifié, y découvrant le cœur divin d’où s’écoulait le salut sur le monde, qu’ainsi chacun de vous, en cette halte de prière mariale, renouvelle sa propre consécration au cœur du Christ et au cœur immaculé de Marie.

La Liturgie de ces jours vous aidera à approfondir ce profond mystère de foi, spécialement dans la célébration de l’eucharistie, et à faire l’expérience d’une authentique solidarité sacerdotale, enrichie des témoignages des frères dans l’épiscopat et dans le presbytérat. La grâce d’une telle expérience spirituelle pourra se prolonger ensuite dans l’adoration eucharistique et dans la célébration du sacrement de pénitence, dans laquelle vous serez à la fois ministres et pénitents. Quelle joie pour vous de vous réconcilier et de réconcilier, sous le regard de la Mère de la Miséricorde, et de renouveler ainsi votre mission de ministres de la Réconciliation !

Que les pieuses pratiques de l’heure sainte, du Chemin de Croix et du saint rosaire, vécues dans l’unité et la communion fraternelle, constituent pour vous autant de sources d’eau vive.

6. Chers et vénérés frères, sentez-moi spirituellement présent au milieu de vous, en ces journées de pèlerinage à Fatima. Vous savez bien combien je suis lié à ce sanctuaire. J’y retourne souvent dans une pensée priante, comblée de gratitude intérieure. Je vous embrasse tous affectueusement et je vous souhaite un chemin spirituel saint et heureux avec Marie, porte sainte du Temple, vers le Christ notre gloire et notre espérance.

En témoignage de ma proximité spirituelle, j’offre à chacun de vous un chapelet : puisse ce signe marial, qui relie votre sacerdoce à la foi de vos mères et de tant de personnes qui prient pour vous, vous accompagner dans les étapes du grand pèlerinage, jusqu’à l’année sainte, comme gage de communion et de sanctification.

C’est avec de tels sentiments, de tout cœur, que j’envoie volontiers à tous la Bénédiction Apostolique, en l’étendant aux organisateurs du pèlerinage et à tous ceux qui se trouvent réunis avec vous pour cette significative rencontre spirituelle.

Du Vatican, le 14 juin, Solennité du Sacré-Cœur de Jésus, en l’année 1996, dix-huitième de notre Pontificat.

Joannes Paulus II

 

Message au Saint-Père

 

Très Saint Père,

 

Nous tous ici présents, la Congrégation pour le Clergé et les prêtres réunis à Fatima pour la première rencontre internationale de préparation au grand jubilé du troisième millénaire, ayant écouté le message que nous a adressé votre Sainteté, nous vous remercions de cœur de votre si paternelle sollicitude ; et nous renouvelons nos sentiments et notre désir de parvenir à une profonde communion avec votre personne vénérée de successeur de Pierre, et avec le Siège Apostolique.

En ces jours, nous voulons renouveler la pleine adhésion à notre identité, aux engagement propres de notre état, redécouvrir la splendeur du don de notre vocation et – sous la conduite de votre Sainteté – nous fortifier en vue de l’entreprise de nouvelle évangélisation à laquelle nous voulons dépenser toutes nos énergies.

Afin de réaliser tout cela et de vivre pleinement la fraternité sacerdotale, nous voulons nous mettre sous la protection efficace de la Vierge Marie, mère de chacun d’entre nous.

Très Saint Père, nous prierons le Christ Prêtre à votre intention, en cette année qui marque l’anniversaire de votre ordination. Merci pour votre sacerdoce, merci pour votre vie pleinement sacerdotale ! Confirmez-nous toujours dans la foi et bénissez-nous encore !

 

Fatima, le 17 juin 1996

 

 

Message de Sœur Lucie

En réponse à la demande de la Sacrée Congrégation « pro Clericis » que m’a remise notre Mère Prieure, à la demande de leurs excellences les évêques de Leiria-Fatima et de Coimbra, je désire dire que je m’unis très volontiers dans la prière. Je demande pour tous les prêtres présents à Fatima et pour tous ceux qui n’ont pas pu venir une spéciale grâce de Dieu, afin que prenant conscience de ce que nous sommes le Corps mystique du Christ, nous soyons tous unis en Lui, petites hosties consacrées sur l’autel, offertes par Lui au Père pour la Rédemption du monde.

Soyez prêtres avec le Christ Prêtre, afin que votre vie lui rende un témoignage authentique.

En demandant la protection maternelle de Notre-Dame, en union de prières,

Coimbra, le 14 juin 1996

Sœur Marie-Lucie

 

Inauguration par le Cardinal Préfet

Cardinal José T. Sanchez

MINISTÈRES ORDONNÉS DANS LE PLAN DIVIN DE SALUT

Je remercie Dieu de pouvoir m’adresser ainsi à mes frères prêtres, mes compagnons de travail dans la vigne du Seigneur, à vous qui êtes du nombre de ceux à qui le Christ a dit : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). Nous entendons tous cet appel : « Venez et voyez ». « Venez » pour désigner l’attirance, la vocation divine, et « voyez » pour désigner la réponse humaine, l’acceptation.

Ce qui me donne une vraie joie d’être parmi vous ne dérive pas des façons conventionnelles à la mode d’exprimer la fraternité solidaire avec ses frères prêtres, ou de dire les mots qu’il faut quand il le faut. C’est plutôt la ferme conviction de notre identité de prêtres. En effet, à travers l’ordination sacramentelle conférée par l’imposition des mains et les prières consécratoires de l’évêque, « un lien ontologique spécifique unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur. » (Pdv 11). Cette participation spécifique au sacerdoce du Christ, dans lequel nous devenons dans l’Eglise et pour l’Eglise une image réelle, vivante et pleine de foi du Christ Tête et Pasteur, et qui nous rend capables d’agir « In persona Christi Capitis », est le plus grand don de vérité et d’amour que Dieu puisse faire à un homme.

CELA FAIT PARTIE D’UN PLAN DIVIN, D’UNE ECONOMIE DU SALUT.

Dans ses efforts pour présenter aux hommes de cette génération la nature de l’Eglise et sa mission de dispenser la grâce de la Rédemption, Lumen gentium fait retour à l’infinie bonté de Dieu qui a décrété pour l’homme déchu la rédemption dans le Christ. « Le Père éternel », dit la constitution, par un dessein mystérieux et totalement gratuit de sa sagesse et de sa bonté, créa l’univers entier, et décida d’élever les hommes à la participation de sa vie divine ; et quand ils furent tombés en Adam, il ne les abandonna pas, mais en tout temps il leur octroya les moyens du salut en considération du Christ Rédempteur... » (LG 2). Oui, en raison de son infinie bonté Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance et l’a appelé à partager, par la connaissance et l’amour, sa propre vie en Dieu. C’est en ayant cela à l’esprit que le Catéchisme de l’Eglise catholique affirme : « L’Eglise, en interprétant de manière authentique le symbolisme du langage biblique à la lumière du Nouveau Testament et de la Tradition, enseigne que nos premiers parents Adam et Eve ont été constitués dans un état « de sainteté et de justice originelle » (Cc. Trente : DS 1511). Cette grâce de la sainteté originelle était une « participation à la vie divine » (CEC 375 citant LG 2).

L’homme ne pouvait jouir de son amitié avec Dieu que dans une libre soumission envers Lui. C’était ce qui était proposé à Adam et Eve dans l’interdiction de « manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». L’homme, tenté par le diable, perdit la confiance envers son créateur et, en abusant de sa liberté, désobéit au commandement de Dieu. « C’est en cela », nous dit le Catéchisme, « qu’a consisté le premier péché de l’homme. Tout péché, par la suite, sera une désobéissance à Dieu et un manque de confiance en sa bonté. » (CEC 397) Quand saint Paul affirme que « par la désobéissance d’un seul la multitude a été constituée pécheresse », il établit cette universelle contamination de la faute pour tous les hommes en un contraste exultant face à l’universalité du salut dans le Christ. Il ajoute en effet : «  Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé : ainsi, de même que le péché a régné dans la mort, de même la grâce régnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus-Christ notre Seigneur ». La liturgie du Samedi Saint fait écho à cette affirmation exultante de saint Paul, dans le chant pascal de l’ « Exsultet »... « Oh bienheureuse faute qui nous a valu un tel sauveur ! »

En décrivant plus avant le plan divin de salut, Lumen gentium déclare : « Pour accomplir la volonté du Père le Christ inaugura le Règne des cieux sur la terre et nous révéla son mystère ; par son obéissance, il nous obtint la rédemption » (LG 2). En effet, notre Seigneur ne s’est jamais lassé de répéter qu’il était venu pour faire la volonté de son Père. « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 6, 38). Cette annonce atteint son sommet du haut du « Consummatum est » de la croix : tout a été accompli ! Le Christ avait dit une fois avec grande simplicité : « C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre. Personne ne me l’enlève ; mais je la donne de moi-même. J’ai pouvoir de la donner et j’ai pouvoir de la reprendre ; TEL EST LE COMMANDEMENT QUE J’AI REÇU DE MON PERE » (Jn 10, 17-18).

Le Christ lui-même, en se référant avec tant d’attention et de précision au plan englobant sa vie, sa mort et sa résurrection dans une finalité définie, le salut de tous les hommes de toutes les nations, l’expliqua ainsi à ses apôtres après sa résurrection (non sans leur avoir ouvert l’esprit à la compréhension des Ecritures) : « Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. » Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures, et il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins. » (Lc 24, 44-49)

Grâce à ce plan instaurant le nouveau peuple de Dieu, la dispensation de la grâce de la rédemption sera assurée jusqu’à la fin des temps. Les étapes qu’emprunta le Seigneur indiquaient clairement quels étaient le plan et sa finalité :

1) la formation de disciples qui le suivent, qui soient formés selon une nouvelle façon de vivre ; le choix des douze comme un groupe à part qui abandonnerait tout et formerait une communauté avec Jésus.

2) l’initiation et la formation particulière de ces douze comme chefs de l’Eglise qu’Il était en train de fonder ;

3) la dignité spéciale et le pouvoir confiés à Pierre, à qui Il donnait les clefs du Royaume.

4) le privilège particulier confié aux douze de célébrer la Pâques pendant laquelle il instaurerait le Sacrement de son corps et de son sang en nourriture et boisson de vie éternelle ; il anticipait le sacrifice de la croix et leur donnait le privilège et le commandement de « faire en mémoire de lui » ce qu’il avait réalisé avec le pain et le vin.

5) l’instruction laissée aux apôtres après sa résurrection d’attendre la promesse du Père, la venue de l’Esprit saint qui les « revêtirait de puissance » et « leur enseignerait la vérité tout entière ».

La spectaculaire descente du Saint-Esprit sur les Apôtres le dimanche de Pentecôte sera la dernière promesse à être accomplie, elle enverra l’Eglise dans sa mission d’aller, de toutes les nations de faire « des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19-20). Conscients d’avoir reçu cet ordre, ce commandement de proclamer une vie nouvelle selon les enseignements et les préceptes, et que leur salut éternel ou leur condamnation en dépendait, comme les paroles du Seigneur l’avaient clairement signifié – « celui qui croira sera sauvé et celui qui ne croira pas sera condamné » – ils comprirent bien leur solennelle obligation d’être totalement fidèle à ce plan de salut que le Seigneur a confié à son Eglise née le dimanche de Pentecôte ; ils furent certains de cette présence du Seigneur jusqu’à la fin des temps.

Dans son premier message au peuple après l’événement de Pentecôte, saint Pierre fait preuve d’une parfaite compréhension du plan divin. « Hommes d’Israël », dit-il, « écoutez ces paroles. Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous... cet homme qui avait été livré selon le DESSEIN BIEN ARRETE ET LA PRESCIENCE DE DIEU, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité ... nous en sommes tous témoins. » A la question « que devons-nous faire ? », Pierre répondit : « Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. » C’est bien là que se concrétise le témoignage de la vie de l’Eglise naissante : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. » (Ac 2, 42)

De la même manière, saint Paul remercie Dieu pour cette grâce d’avoir compris le nouveau mystère caché du plan de Dieu concernant notre rédemption dans le Christ. « Il nous a fait connaître », exulte-t-il, « le MYSTERE de sa volonté, ce DESSEIN bienveillant qu’il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres. » (Eph. 1, 9-10). En se référant aux apôtres, à lui-même, à ses successeurs et collaborateurs jusqu’à la fin des temps, en tant que MINISTRES dans cette nouvelle assemblée convoquée des croyants, ce nouveau peuple de Dieu, l’EGLISE, qui est une NOUVELLE CREATION tandis que L’ORDRE ANTIQUE S’EN EST ALLE, et que maintenant TOUTE CHOSE EST NOUVELLE, saint Paul focalise l’attention sur le Christ qui est la cause de toutes ces NOUVEAUTES : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle : l’être ancien a disparu, un être nouveau est là. Et le tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation... Nous sommes donc en ambassade pour le Christ, c’est comme si Dieu exhortait par nous. » (2 Cor 5, 17-20). En se référant au ministère comme à un don gratuit de Dieu en vue d’un but spécifique, c'est-à-dire l’illumination des hommes quant au mystérieux dessein de notre salut, il dit : « De cet Evangile, je suis devenu ministre par le don de la grâce que Dieu m’a confiée en y déployant sa puissance : à moi ... a été confiée cette grâce-là, d’annoncer aux païens l’insondable richesse du Christ et de mettre en pleine lumière la dispensation du Mystère : il a été tenu caché depuis les siècles en Dieu... pour que les Principautés et les Puissances célestes aient maintenant connaissance, par le moyen de l’Eglise, de la sagesse infinie en ressources déployée par Dieu en ce dessein éternel qu’il a conçu dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Eph, 3, 7-11)

En rappelant ce qu’avait signifié pour le Christ de devenir le prêtre de notre rédemption, saint Pierre remémora aux premiers chrétiens : « Sachez que ce n’est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères, mais par un sang précieux, comme d’un agneau sans reproche et sans tache, le Christ, discerné avant la fondation du monde et manifesté dans les derniers temps à cause de vous. Par lui vous croyez en Dieu qui l’a fait ressusciter d’entre les morts et lui a donné la gloire » (1 Pt 1, 18-21). Parce que le Christ s’est humilié lui-même obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix, Dieu l’a exalté (Phil 2, 8-9), il lui a donné pleine autorité au plus haut des cieux et sur la terre et dans l’Eglise, le Corps du Christ dont il est la tête.

NOTRE PARTICIPATION AU SACERDOCE DU CHRIST, TETE DE L’EGLISE

C’est par un choix spécial et totalement libre de la part de Dieu que nous avons répondu à l’appel et qu’après une formation et une préparation selon les normes de l’Eglise nous avons été ordonnés prêtres, participants de ce sacerdoce du Christ. Seule cette identification au Christ nous rend conscients de ce que notre vie est un mystère totalement inséré dans le mystère du Christ et de l’Eglise, d’une façon nouvelle et spécifique qui nous engage totalement dans l’activité pastorale, et de qui dérivera notre récompense. Nous percevons réellement, ou nous devrions percevoir, que nous sommes « envoyés par le Père de la même manière qu’il a envoyé son Fils » (Jn 20, 21), et nous sentir ses ambassadeurs de sorte que « qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette, et qui me rejette rejette Celui qui m’a envoyé » (Lc 10, 16).

Le fait d’avoir une participation indélébile au sacerdoce du Christ nous rappelle aussi qu’à travers notre vie nous sommes totalement engagés dans la dimension publique de médiation et d’autorité concernant l’enseignement (prophétie), la sanctification (sacerdoce) et le pastorat (royauté) de tout le peuple de Dieu. (Directoire pour le ministère et la vie des prêtres n. 6). Ceci nous met complètement dans la classe sacerdotale de l’Eglise, laquelle nous appelle pour une fidélité qui corresponde à ses besoins. Dans le dessein divin de salut, il y a dans le sacerdoce quelque chose qui s’applique également de façon permanente aux prêtres du passé comme à ceux d’aujourd’hui. Nous partageons tous ce sacerdoce immuable du Christ qui est le même hier, aujourd’hui et pour toujours. En outre, il y a aussi quelque chose de participé face aux changements d’attitudes, de cultures et de mentalités de chaque époque et lieu de l’histoire : cette diversité demande au prêtre d’employer diverses voies pour proposer et proclamer l’Evangile de rédemption à ces réalités, et pour convaincre tous les hommes, là où ils se trouvent, de prendre les moyens appropriés pour devenir disciples du Christ dans l’unité de foi et de vie chrétienne.

SIMPLICITE ET COMPLEXITE DU MINISTERE PRESBYTERAL

Dans ce plan divin sur lequel nous avons réfléchi, nous voyons que chaque chose est révélée et enseignée par le Verbe éternel, qui s’est fait homme au moment opportun. La doctrine à enseigner, la pratique à suivre dans l’administration des sacrements et spécialement de la Sainte Messe et de la Sainte Eucharistie pour la sanctification des hommes, le pastorat de l’unique Eglise sous la primauté du successeur de Pierre, tout ceci est d’origine divine, ce ne sont pas des institutions sujettes au changement ; au contraire elles réclament une acceptation et une fidélité sans conditions de la part de chacun d’entre nous. Cette adhésion et cette fidélité au Magistère sont la garantie que notre ministère sera agréable à Dieu et qu’il portera du fruit : « Je vous ai choisis pour que vous sortiez et portiez du fruit ». En restant unis au Magistère comme les branches à la vigne, notre ministère sera efficace. Notre ministère « vécu dans la communion hiérarchique » nous dit le Directoire, nous « habilite à annoncer avec autorité la foi catholique et à témoigner officiellement de la foi de l’Église » (n. 45). Nous ne devrions pas abandonner ce devoir et privilège d’enseigner officiellement, d’être catéchistes et témoins de la foi, à d’autres personnes qui n’ont jamais été choisies ni envoyées pour cela.

De plus, nous ne devrions pas seulement nourrir cette fidélité ecclésiale au Magistère en nous-mêmes ; nous devrions la développer dans nos communautés, nous rappelant que la présence du Saint-Esprit dans l’Eglise a été promise précisément afin de la préserver de l’erreur dans sa tâche d’enseignement. Il serait présomptueux, incohérent avec notre identité de participants du sacerdoce du Christ et d’envoyés par l’Eglise, d’enseigner ou de pratiquer dans notre tâche de prêtre quoi que ce soit de contraire à l’enseignement et à la pratique de l’Eglise. Le Directoire, en citant Pastores dabo vobis, nous rappelle que notre tâche en effet, « n’est pas d’enseigner notre propre sagesse, mais la parole de Dieu, et d’inviter tous les hommes avec insistance à la conversion et à la sainteté » (n. 45). Presbyterorum Ordinis nous rappelle que « le Peuple de Dieu est rassemblé d’abord par la Parole du Dieu vivant qu’il convient d’attendre tout spécialement de la bouche des prêtres » (PO 4).

La COMPLEXITE dérive de ce que nous vivons dans un monde qui ne veut pas toujours accepter les vérités qui ne peuvent pas être démontrées. On tend à rejeter absolument les vérités d’origine et de caractère surnaturels. La revendication d’une liberté sans limites mène au rejet de l’enseignement de la vérité, quand celle-ci encadre ou dirige la liberté. Le plus terrible est que cet esprit de rébellion contre la vérité et l’autorité ne se limite pas au monde profane : il a pénétré les cercles et les communautés chrétiennes. Le Saint Père y fait référence quand il dit en Veritatis splendor : « En effet, une nouvelle situation est apparue dans la communauté chrétienne elle-même, qui a connu la diffusion de nombreux doutes et de nombreuses objections, d’ordre humain et psychologique, social et culturel, religieux et même proprement théologique au sujet des enseignements moraux de l’Eglise. Il ne s’agit plus d’oppositions limitées et occasionnelles, mais d’une mise en discussion globale et systématique du patrimoine moral, fondée sur des conceptions anthropologiques et éthiques déterminées. » (n. 4)

Notre Seigneur avait déjà mis en garde les Apôtres envers les faux prophètes qui se présenteraient au cours de l’histoire de l’Eglise, sous la couverture d’une liberté à la mode, avec des exigences de changements qui en arriveraient à porter sur la vérité fondée divinement et la pratique de l’Eglise, avec des adaptations aux modes variées et des conclusions douteuses, essayant de soumettre la vérité divine à l’approbation publique. Face à cette tentative d’appliquer les règles démocratiques, qui sont valables entre égaux, au plan divin du tout-puissant Dieu d’amour qui propose sa filiation divine à l’homme déchu, nous devons fermement et sereinement proclamer l’Evangile de notre rédemption, en pleine communion avec l’Eglise : c’est à elle seule que Dieu a promis une assistance sans faille et le triomphe ultime de la vérité et de la sainteté.

LES FORMES ACTUELLES DE PERSECUTION ET DE PAUVRETE : nous pouvons être persécutés, pas nécessairement en étant traînés devant les puissants et les tyrans – bien que cela arrive encore maintenant - mais aussi par la persécution du ridicule quand nous demeurons loyaux envers la vérité, la tradition et l’Eglise. « Même parmi les notables, un bon nombre crurent en lui, mais à cause des pharisiens ils ne se déclaraient pas, de peur d’être exclus de la synagogue, car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. » (Jn 12, 42-43) Cette parole de Dieu nous suggère que beaucoup de ceux qui semblent être des loups, après tout ne le sont peut-être pas. Mais les mots de saint Paul ont définitivement un autre message pour nous, les ministres du Seigneur : « Maintenant est-ce la faveur des hommes ou celle de Dieu que je veux gagner ? Est-ce que je cherche à plaire à des hommes ? Si je voulais encore plaire à des hommes, je ne serais plus le serviteur du Christ. » (Gal 1, 10)

En tant que ministres du Seigneur, envoyés prêcher l’Evangile et réveiller la foi et la sainteté chez les hommes appelés à la vie éternelle, nous devons modeler notre ministère sur celui de Notre Seigneur. L’une des preuves que le Christ était bien le Messie résidait dans le fait de prêcher la bonne nouvelle aux pauvres. Et de fait la première béatitude appartient aux pauvres en esprit (Mt 5, 3), et le Christ s’associa avec eux la plupart du temps. Mais il n’excluait pas les riches ni ceux constitués en autorité. En parlant clairement du sujet et de l’objet de son apostolat quand il était critiqué pour avoir mangé et s’être mêlé aux riches et aux pécheurs, le Seigneur dit : « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie ‘c’est la miséricorde que je désire et non le sacrifice’. En effet je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs. » (Mt 9, 12-13). En tant que ministres de la vérité et de la sainteté, notre cible ce sont les incroyants, ou les faibles dans la foi, et les pécheurs. Si les pauvres, économiquement parlant, sont dans des nécessités auxquelles nous pouvons et sommes supposés répondre, alors ils sont l’objet de notre option préférentielle. Si les riches sont ignorants de la vérité et sont dans le péché, alors ils doivent, eux aussi, être l’objet de notre ministère. Si nous donnons la préférence à la pauvreté économique, c’est parce qu’ils sont aussi parfois victimes d’oppression et d’injustice. Dans cette situation ils ont besoin de notre compassion et de notre aide pour être libérés de l’oppression et de l’injustice. Et pourtant, la pauvreté surnaturelle qui devrait être l’objet de notre ministère peut se trouver davantage parmi les économiquement bien-portants que parmi les pauvres. La pauvreté économique, d’autre part, peut être un bien-être spirituel mais aussi le fruit d’intrigues humaines et un esclavage envers les conséquences du péché.

CONCLUSION : si nous essayons tous les jours d’être fidèles à notre mission de prêtres, nous pouvons nous servir des paroles de Jésus lui-même et dire : « Père, je t’ai glorifié sur la terre en menant à bonne fin l’œuvre que tu m’as donné de faire ... donner aux hommes la vie éternelle » (Jn 17, 4). Ceci nous donnerait suffisamment d’inspiration pour être des signes de la charité surnaturelle, dans l’obéissance, dans un chaste célibat et dans le respect de la discipline au sein de la communion de l’Eglise. Un prêtre authentique met l’homme debout, il engendre en lui la vie divine et le fait grandir vers sa plénitude dans le Christ ; il est en réalité une source incomparable de vrai progrès pour le monde entier. Le Saint-Père dans Pastores dabo vobis nous invite par ces mots : «  La nouvelle évangélisation a besoin de nouveaux évangélisateurs, et ceux-ci sont les prêtres qui s’engagent à vivre leur sacerdoce comme un chemin spécifique de sainteté » (n. 82). Vraiment, les œuvres de Dieu ne sont accomplies que par des hommes de Dieu !

 

Mot d’introduction


S.E. Mgr Crescenzio SEPE

Secrétaire de la Congrégation pour le Clergé

Messieurs les cardinaux,

Excellences,

Très chers prêtres,

 

Après le chant du « Veni Creator » et l’introduction de son Eminence le Cardinal Sanchez, préfet de la Congrégation pour le Clergé, je désire, moi aussi, vous adresser le plus cordial salut et un vif remerciement pour votre présence ici à Fatima, afin de participer à cette première rencontre internationale de prêtres.

C’est la première fois que se réunissent des prêtres du monde entier pour vivre la communion sacerdotale en vue de leur propre sanctification et pour se préparer au grand jubilé de l’an 2000 renforcés dans la foi, revigorés dans l’espérance et animés par la charité du Christ.

Ces trois journées de spiritualité se veulent une occasion de vivifier le don qui nous a été fait, en nous mettant tous à l’écoute humble et adorante de l’Esprit, qui certainement ne manquera pas de faire sentir sa voix et d’envoyer ses dons, pour nous rendre pure transparence du Christ Bon Pasteur, nous faisant assumer les sentiments et les attitudes de celui-ci.

Nous sommes venus des parties les plus éloignées de l’Eglise pour vivre son mystère de communion et nous préparer à la mission de la nouvelle évangélisation, à laquelle le Saint-Père nous invite continuellement.

Nous avons là une grave responsabilité, nous les prêtres du troisième millénaire, parce qu’il est grand le don que nous avons reçu, la vocation de notre ministère est sublime, les défis que nous avons à affronter dans les circonstances actuelles où nous vivons sont difficiles et dangereux.

Ici à Fatima, en ce Cénacle de prière et de sainteté, nous voulons nous abreuver aux sources de la grâce pour renforcer nos résolutions.

Ici nous rencontrons Marie qui, Mère des prêtres, nous formera par son cœur maternel à l’école du Christ, Souverain et Eternel prêtre.

Ici nous voulons former une seule famille sacerdotale pour nous enrichir des expériences réciproques de grâce, de sainteté, mais aussi d’action pastorale.

Nous participerons à un seul pain qui est le Christ, nous confesserons nos péchés et nous absoudrons ceux de nos confrères, nous nous mettrons en adoration devant le Christ Seigneur ; nous marcherons ensemble au long des diverses stations du chemin de croix, nous réciterons en chœur le chapelet, cette douce chaîne qui nous unit au Christ, à Marie et a l’Eglise, nous prierons ensemble pour nos communautés dans la liturgie des heures, nous vivrons une profonde fraternité et amitié sacerdotales. Nous nous unirons au Saint-Père et à nos évêques spécialement dans l’eucharistie, en les rappelant dans le Canon de la Sainte Messe.

Nous faisons un pèlerinage à la recherche de Dieu et de nous-mêmes, pour l’approfondissement de notre vocation, pour un plus profond engagement à vivre la charité pastorale dans ses implications les plus diverses.

Sur ce chemin, nous serons accompagnés, ou mieux nous serons précédés par Marie qui ne manquera pas de nous assister, de nous encourager et de nous aider à correspondre aux attentes de son divin Fils.

Nous sommes intimement unis à Marie parce que, comme nous l’a dit le Saint-Père dans la catéchèse du 30 juin 1993, il existe une « relation essentielle entre la Mère de Jésus et le sacerdoce des ministres du Fils ». La consécration totale de Marie à la personne et à l'œuvre du Christ est un exemple pour tout prêtre qui, comme elle, est appelé à collaborer à l'œuvre de la Rédemption. De cette façon, la Vierge est modèle et image vivante, point de référence authentique et fidèle de la participation du prêtre à la vie et au mystère du Christ. Comme Marie au pied de la Croix, les prêtres de tous les temps et de tous les lieux renouvellent le sacrifice du Rédempteur en accueillant son message, en comprenant son mystère, en revivant sa mémoire, en partageant ses sentiments.

C’est dans cette relation que la spiritualité mariale de tout prêtre s’enracine.

Ici à Fatima, Marie nous a accueillis en sa maison : « Voici ton fils ». Accueillons Marie en notre maison, en notre cœur : « Voici ta mère ». Mettons dans les mains de la mère nos joies et nos difficultés, nos succès et nos fatigues, nos résolutions et nos faiblesses, et Elle, Reine des Apôtres, nous aidera à être des ministres humbles, obéissants et chastes pour témoigner de la charité à travers la donation totale au Christ et à l’Eglise.

 

Conférences

« Le ministère des prêtres dans les circonstances actuelles »

Cardinal John O’Connor

Archevêque de New York

 

Dans son homélie de canonisation des martyrs d’Ouganda, Charles Lwanga et ses compagnons, le pape Paul VI parla du «  crime si infâme qui conduisit ces jeunes à la mort » et déclara qu’il était « significatif de l’époque ». L’époque dont il s’agit, c’était la fin du dix-neuvième siècle, il y a plus de cent ans. Quel était ce « crime si infâme » ?

Le « crime si infâme » consistait dans les avances homosexuelles adressées par le chef du Baganda, Mwanga, aux pages dont Charles Lwanga faisait partie. Charles non seulement s’y refusa, mais protégea les autres pages et les instruisit dans la foi catholique quand ils furent emprisonnés pour avoir refusé les avances de Mwanga. Charles fut brûlé le 3 juin 1886. Les 21 autres pages, tous convertis, comme Charles lui-même, furent martyrisés à leur tour.

Parlant encore de ce crime, le Pape Paul VI déclarait :

« Il nous montre par des motifs suffisamment manifestes qu’un nouveau peuple a besoin d’une fondation morale, de voir s’affirmer de nouvelles coutumes spirituelles à transmettre à la postérité ; ce crime exprime presque symboliquement et promeut le passage d’un mode de vie simple et brut, – où ne manquaient pas des valeurs humaines remarquables mais qui était souillé et affaibli et comme esclave de lui-même – vers une vie plus civilisée dans laquelle prévalent de plus hautes expressions de l’esprit humain et de meilleures conditions de vie sociale ». (AAS 56 [1964], 906)

Je cite ce passage du Pape Paul VI parce qu’on m’a demandé de réfléchir avec vous sur le presbytérat dans les circonstances actuelles. Maintenant la pratique que le Pape Paul VI désignait comme un « crime infâme » du dix-neuvième siècle est bien plus diffuse de nos jours, c’est le moins qu’on puisse dire ; et quand il parle d’un « nouveau peuple » qui a besoin de nouvelles traditions spirituelles, il nous faudrait suggérer que nous autres les membres d’un « vieux peuple », nous ayons gravement abandonné, dans beaucoup de sociétés, les vertus morales fondamentales et les traditions spirituelles. Il apparaît difficilement que nous avons progressé d’un mode de vie « esclave de sa propre faiblesse et corruption » à « une vie plus civilisée dans laquelle prévalent de plus hautes expressions de l’esprit et de meilleures conditions sociales. »

Quel prêtre ne côtoie pas la culture actuelle de pluralisme moral, de féminisme radical, d’acceptation ouverte des perversions ? Est-il vrai que le climat moral aujourd’hui soit radicalement différent de celui que nous décrit le premier chapitre de la lettre de saint Paul aux chrétiens de Rome ? En effet, quand nous regardons l’Eglise universelle et pas seulement notre Eglise locale propre, où que nous puissions nous trouver, les questions fondamentales faites sur le prêtre – j’entends ces questions vraiment radicales, qui atteignent le noyau de son sacerdoce – ces demandes diffèrent-elles de celles des temps apostoliques ?

Une autre façon de poser cette question peut être éclairante. Le premier défi du prêtre est-il de répondre aux circonstances d’un jour donné, ou de répondre aux questions intrinsèques que pose le sacerdoce en lui-même ? S’il n’y a qu’un grand prêtre, Jésus-Christ, au sacerdoce de qui nous participons, notre besoin primordial ne serait-il pas de nous façonner nous-mêmes sur lui en chaque genre de circonstance, à tout âge ? On peut imaginer que si le Christ était condamné à mort dans le monde d’aujourd’hui, il serait exécuté dans une chambre à gaz, ou devant un peloton d’exécution, ou dans une chaise électrique ou par pendaison. La façon de souffrir et de mourir changerait-elle substantiellement la réalité de la rédemption qu’il a remportée ?

J’ai toujours été fasciné de ce que le Saint-Père ait emprunté au prophète Jérémie le titre de son exhortation sur le presbytérat, Je vous donnerai des pasteurs. Pourquoi suis-je fasciné ? Parce que j’ai dû demander pourquoi en écrivant un document explicitement dédié à la formation et à l’aide à la compréhension du prêtre en 1993, quand l’exhortation a été écrite, le Saint-Père était revenu au prophète Jérémie, un prophète d’il y a quelque 2500 ans.

Vous vous rappellerez que le monde de Jérémie était en tumulte. L’idolâtrie se portait bien, comme aussi la corruption, la licence sexuelle, et toute la gamme des injustices. Quelle était la réponse de Dieu, tombée des lèvres de Jérémie ? « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur qui vous guideront avec science et intelligence ». – Pastores dabo vobis [Jér. 3, 15]

Jérémie lui-même, au début, fut appelé par Dieu à être prophète dans son jeune âge, vers 12-13 ans (à peu près l’âge auquel, de nos jours encore, un jeune garçon perçoit pour cette émouvante première fois une possible vocation). Jérémie étudia ensuite plusieurs années (appelez cela un séminaire) avant de s’engager dans son métier de prophète. Il a été un raté, au moins un instant, spécialement dans sa prédication.

Pourtant il continua dans la difficulté, même si son appel à la réforme avait échoué. Nous le trouvons soulignant la duplicité du peuple, son indifférence envers les liturgies du temple, son mépris de la justice. Il le déclare « dominé par tout le mal qu’on ait jamais imaginé » et l’avertit de ce que Yahweh va détruire le temple. En conséquence immédiate, les prêtres et les autres prophètes demandent qu’il soit mis à mort. En réalité il fut fait prisonnier, jeté dans une citerne et finalement expulsé hors de son pays, en Egypte. Pendant ce temps, il tombait dans une dépression profonde, croyant que Yahwé l’avait trahi. Il rejeta sa naissance, sa vocation de prophète et sa conviction que Yahweh l’aurait délivré de ses ennemis. Nous lisons donc dans le chapitre 20 :

« Tu m’as séduit, Yahvé, et je me suis laissé séduire ; ...

Je suis prétexte continuel à la moquerie, la fable de tout le monde...

La parole de Yahvé

a été pour moi source d’opprobre et de moquerie tout le jour.

Maudit soit le jour où je suis né ! ...

Maudit soit l’homme qui annonça à mon père cette nouvelle : « Un fils, un garçon t’est né ! » ...

Pourquoi donc suis-je sorti du sein ? Pour voir tourment et peine et finir mes jours dans la honte ? [Cf. Jer. 20, 7-18]

Le motif pour lequel le Saint-Père a eu recours à Jérémie pour son titre n’est-il pas évident ? Combien de prêtres connaissez-vous, ou d’évêques, qui ne pourraient pas se reconnaître de temps en temps dans les lamentations de Jérémie, dans les circonstances d’aujourd’hui ? Combien ne reconnaîtraient pas la même confusion, le chaos culturel, l’idolâtrie, la licence, l’injustice des jours de Jérémie dans le milieu dans lequel tout prêtre, aujourd’hui en 1996, doit vivre, se déplacer, avoir son existence ? Combien, à un moment ou à un autre, ne pourraient pas faire écho au sentiment d’abandon complet de Jérémie, ou de solitude existentielle ? Combien de prêtres ou d’évêques se sont posé la question de savoir si c’était bien Dieu qui les avait appelés à devenir prêtre, ou si leur vocation n’était pas une illusion ? Combien n’ont jamais souffert de cette frustration de Jérémie, celle de prêcher à des sourds ? Combien ne se sont jamais posé la question de leur identité, ou n’ont jamais eu l’impression de n’être qu’un fonctionnaire, sans aucune importance pour le monde et leur propre peuple ? Une seule de ces réalités est-elle vraiment circonscrite à un jour déterminé ou à des circonstances passées ?

Il y a près de 60 ans, le grand cardinal Emmanuel Suhard, Archevêque de Paris, publiait la lettre pastorale « Le prêtre dans la cité ». Parlant du monde « en transformation » de son temps, il avertit qu’il pouvait devenir « la Cité de Dieu ou la Cité de Satan ». Et cela, notait-il, n’était pas un nouveau dilemme. J’ose citer longuement ici le cardinal Suhard, parce que je crois que sa thèse est très proche de ce que je suggère : les circonstances de chaque jour peuvent changer rapidement, mais le prêtre comme prêtre doit demeurer fondamentalement le même.

Voici ce qu’écrivait le cardinal Suhard :

... Le Christ ne nous est donné que dans et par l’Eglise qui le continue. ... La tâche spécifique de l’Eglise c’est d’opérer une pénétration, en surface et en profondeur, qui ne laisse aucun domaine soustrait au baptême de sa grâce.

Mais ce labeur de consécration totale suppose que l’Eglise, dans cet effort, garde sans cesse le sens de Dieu ; qu’elle ne se naturalise pas en cherchant à surnaturaliser les valeurs profanes. Il faut à tout prix qu’elle reste ce qu’elle est : transcendante et messagère du mystère. Tâche complexe, à la fois difficile et exaltante. Il faut, négativement, expurger l’athéisme, et, positivement, satisfaire les besoins incoercibles de sacré qui se font jour, un peu partout, dans une humanité que torture l’absence de Dieu.

Et c’est ici qu’apparaît le prêtre. C’est là qu’il intervient, donné d’en haut par Dieu, appelé d’en bas par l’angoisse des hommes, désigné dans l’Eglise pour être en elle, à tous moments, avec l’Esprit Saint, la source de sa permanence et de sa vie. (p. 2)

... Et voilà pourquoi le prêtre, dans la cité, sera toujours, par quelque côté, l’adversaire. On ne lui pardonnera jamais d’évoquer et de perpétuer, de génération en génération, Celui qu’on croyait avoir supprimé pour toujours. Comme le Christ, le prêtre est la pierre angulaire, l’angle vif du Royaume d’en haut. (p. 35)

... L’un des premiers services qu’il rend au monde, c’est de lui dire la vérité ... Il doit rester dans la grande ligne prophétique. Sa voix doit ressusciter les accents terribles ou déchirants des grands « Inspirés » d’autrefois.

... Comme le Christ, le prêtre apporte à l’humanité un bienfait sans égal : celui de l’inquiéter. Il doit être le « ministre de l’inquiétude » ; le dispensateur d’une soif et d’une faim nouvelles. Comme Dieu, « il appelle la faim sur la terre ». ... L’inquiétude qu’il doit semer, c’est cette crainte de Dieu, ce tourment de l’infini, qui a fait pousser aux mystiques et aux penseurs de tous les temps des cris d’appel si bouleversants. (Lahure – Paris 1949, pp. 32-33)

En pensant aux circonstances actuelles, et au besoin de nous préparer intellectuellement et affectivement à les rencontrer, j’ai la modeste opinion que le meilleur moyen de répondre aux besoins des hommes et de prendre soin des âmes, en n’importe quelles circonstances, c’est d’être des prêtres comme le Christ. Après 50 ans de prêtrise pour moi-même, après avoir vu autant de changements de par le monde, je me trouve confronté à ce même défi de base – être radicalement comme le Christ en tant que prêtre. Déjà dans la lettre aux Hébreux nous lisons, non pas que le Christ change en vue de rencontrer les temps, mais qu’il demeure dynamiquement le même à toute époque : « Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui et pour l’éternité » [Heb 13, 8]. Je crois que je dois sans crainte m’accrocher à ce Christ, qu’il me donnera le courage de faire face quelque soit ce qu’apporte le jour – n’importe quel jour – aussi longtemps que je n’abandonnerai pas.

Peut-être le plus grand des Apôtres, dans toute l’histoire évangélique de l’Eglise, était-il saint Paul, qui était en même temps le plus grand optimiste. St Paul disait mépriser les coups, mépriser les naufrages, la lapidation, la prison : « Rien ne me séparera de l’amour de Dieu ». La lettre qu’il écrivit au peuple d’Ephèse quand il était en prison dans les chaînes était peut-être la plus optimiste de toutes. Une portion de cette lettre, le sixième chapitre, pourrait avoir été écrite très spécifiquement pour le prêtre d’aujourd’hui, pour chacun de nous ici aujourd’hui. Voici ce qu’il dit :

... Rendez-vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l’armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manœuvres du diable. ... Afin qu’au jour mauvais, vous puissiez résister et après avoir tout mis en œuvre, rester fermes.

... Priez en tout temps, dans l’Esprit ; restez vigilants et ne vous lassez jamais. [Eph. 6, 10-11 ; 13 ; 18]

Ne vous lassez jamais

Dans le discours d’adieu du bel Evangile selon saint Jean, Jésus rappela à ses disciples les plus proches : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; c’est moi qui vous ai choisis. Je vous ai choisis pour un but. Je vous ai choisi pour que vous sortiez et que vous rameniez du fruit, mais pas n’importe quel fruit, un fruit qui demeure » [Jn 15, 9-17]. Nous ne pouvons pas nous lasser, bien que les circonstances du jour puissent changer. Notre fruit doit supporter tout changement.

St. Jean Chrysostome nous dit :

Soyons pleins de confiance... Le Christ nous a équipés d’armes plus splendides que l’or, plus résistantes que l’acier, des armes plus enflammées que toute flamme et plus légères que la plus douce brise. ... Ce sont des armes d’un genre totalement nouveau, parce qu’elles ont été forgées en vue d’un combat dont on n’avait jamais entendu parler auparavant. Moi qui ne suis qu’un homme, je me retrouve appelé à rendre des coups aux démons ; moi qui suis revêtu de chair, je me retrouve à combattre des puissances incorporelles. Dieu a également dessiné pour moi une armure, non pas de métal mais de justice ; il a conçu pour moi un bouclier non pas de bronze mais de foi. J’ai en main une épée acérée, la parole de l’Esprit. ... Votre victoire doit être celle d’un homme qui reste satisfait » [Catéchèse baptismale 3, 11-12]. En d’autres mots, d’un homme qui ne se lasse jamais.

St Ignace d’Antioche dit la même chose du fond de son cœur, en route pour être déchiré par les dents des lions :

On reconnaît un arbre à ses fruits, et de même celui qui professe appartenir au Christ doit être reconnu par ce qu’il fait. C’est pourquoi ce dont on a besoin ce n’est pas seulement de professer maintenant, mais de persévérer jusqu’à la fin dans la puissance de la foi. [Souligné] [Eph. 14, IIe siècle].

La persévérance – ce don du Saint-Esprit, ce don merveilleux du Saint-Esprit, ce don qui est peut-être le plus fragile de tous. Ce don qui fait qu’il nous est possible de ne jamais nous lasser. Mais ce don doit être utilisé. Nous devons stimuler la grâce qui nous accompagne, la grâce de la persévérance. A mon sens, le plus grand ennemi du sacerdoce dans les circonstances actuelles, c’est le découragement. Le découragement, c’est bien autre chose que de perdre courage ; le découragement, c’est d’être virtuellement désengagé vis-à-vis de tout courage, de toute perception, de tout amour de notre sacerdoce. Tel est à mon sens le plus grand ennemi que nous ayons à affronter dans les circonstances d’aujourd’hui ou de n’importe quel jour.

Quelques-uns parmi nous savent quelque chose de cette maladie terrible qu’on appelle l’autisme, cette maladie dans laquelle un enfant adorable, normal, ou un adolescent, peuvent soudain, sans prévenir, se retirer complètement. Dans un très beau livre décrivant leur enfant autiste, un livre appelé de façon si poignante « Fais-moi entendre ta voix », un couple décrit sa jeune enfant, parfaitement normale, parfaitement belle, qui peu après un an oublie soudain les mots qu’elle avait appris et s’absente complètement. Leur description, selon leurs propres mots extraordinaires, est que leur enfant est devenue « une personne sans soi-même ». Un prêtre qu’agrippe ce démon de midi du découragement peut devenir « une personne sans soi-même ».

Nous ne devons jamais, jamais verser dans le découragement ; jamais le laisser prendre prise. Nous ne devons jamais nous lasser.

Léon Tolstoï, le grand écrivain russe, était coutumier de telles périodes de découragement, proches du désespoir. Il essayait toujours de s’agripper désespérément à sa foi. Il exhortait les autres :

Si l’idée te vient que tout ce que tu as pensé sur Dieu est une erreur et qu’il n’y a pas de Dieu, ne te laisse pas impressionner. Cela arrive à beaucoup de monde. Mais surtout ne pense pas que la source de ton manque de foi est l’inexistence de Dieu. Si tu ne crois plus dans le Dieu auquel tu croyais auparavant, cela vient de ce qu’il y avait quelque chose d’erroné dans ta foi, et tu dois t’efforcer de mieux saisir ce que tu appelles Dieu. Quand un sauvage cesse de croire dans son dieu de bois, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de Dieu, mais seulement que le vrai Dieu n’est pas en bois. [Cité dans Ce que le monde peut croire d’Hans Küng]

Pense aux Apôtres. Un seul d’entre eux s’est lassé, par désespoir ; il se pendit. Les onze autres étaient faibles, ils s’enfuirent, ils trahirent le Christ, ils nièrent l’avoir connu, mais ils revinrent. Ils revinrent pour souffrir, et dans tous les cas sauf un, pour mourir avec le Christ.

Le théologien Hans Urs von Balthasar présente une très belle méditation dans sa réflexion sur le chapitre XVI sur l’Evangile de saint Marc, qu’on lit à la veillée de Pâques. Il décrit cette histoire qui vous est si familière, celle des femmes – Marie Madeleine, l’autre Marie, Salomé – qui vinrent avec leurs aromates pour achever l’embaumement du corps mort de Jésus. Et en chemin, elles se demandent qui va rouler la lourde pierre. En arrivant elles découvrent que la pierre a déjà été roulée. La pierre entre elles et le cœur de leur amour a déjà été roulée.

Et l’ange les salua si calmement, dit Balthasar : « N’ayez crainte. Vous cherchez le Christ qui était crucifié. Il n’est pas là. Il est ressuscité. Voyez, c’est là l’endroit où ils l’avaient déposé ». Von Balthasar dit que c’est exactement comme quand vous rendez visite à quelqu’un chez lui, et qu’en arrivant on vous dit : « Il n’est pas là ». Ne paniquez pas. En ce moment il n’est tout simplement pas à la maison. L’ange dit alors : « Allez dire à Pierre et aux autres que vous le trouverez en Galilée » – dans cette Galilée où tout avait commencé, avec les apôtres, avec les femmes qui suivaient Jésus.

Notre Galilée fut le jour de notre ordination quand nous devinrent d’autres Christ, grâce au pouvoir du Christ. Nous ne devons jamais désespérer, quelles que soient les circonstances du moment. Balthasar dit dans sa réflexion, en essence : « Ne te décourage pas de ne pas trouver Jésus là où il n’est pas, et où il n’a rien à faire. Ne te désespère pas de ne pas trouver Jésus dans cette activité excessivement frénétique, dans ce gâchis frivole de ton temps de prêtre. Ne te décourage pas si tu ne trouves pas Jésus dans des occasions inutiles de péché et de tentation. Il est ressuscité ! Il est vivant ! Il veut que tu marches avec Lui. Tu le trouveras en Galilée. Tu le trouveras dans ton sacerdoce. Tu le trouveras qui n’arrête pas de t’attendre. »

Dans le bel Evangile d’Emmaüs en saint Luc, on nous parle des disciples qui étaient si abattus, si découragés. Ils avaient eu de tels espoirs, et puis tout s’était écroulé. Où s’en étaient allés tous leurs rêves ? Il avait été crucifié. En d’autres mots, les circonstances du jour avaient changé dramatiquement. Et Il les rejoint comme un étranger. Ils ne Le reconnaissent pas. Quand ils atteignent la petite cité d’Emmaüs, « il fit mine de poursuivre son chemin ». Il attendait qu’on l’invite. Viens dans nos vies. Viens dans nos cœurs. Viens partager un repas avec nous. Viens pour rester à l’auberge ici avec nous. Jésus entra et s’assit avec eux pour dîner. Et quand le reconnurent-ils ? « Ils le reconnurent à la fraction du pain ». C’était le Jésus eucharistique. Alors seulement, à la fraction du pain, ils se rappelèrent « notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous quand nous marchions avec Lui sur la route ? » Il y était toujours.

Dans le profond de nos découragements et de nos abattements, se rappelèrent-ils, il était toujours là. Ils ne s’en souvenaient pas jusqu’à ce qu’ils le reconnaissent dans la fraction du pain. Il est toujours, toujours avec nous dans notre sacerdoce, dans le sacrifice eucharistique. Si jamais nous pensons l’avoir perdu, nous le trouverons dans la fraction du pain, dans le sacrifice eucharistique que nous appelons la Messe, la Messe qui ne change jamais dans son essence, quelles que soient les circonstances du moment.

 

La nécessité de la formation permanente des prêtres

Cardinal John O’Connor

Archevêque de New York

Vous conviendrez peut-être que l’expression « formation permanente des prêtres » a pris largement le sens, de façon assez légitime, d’une sorte de programme d’études. Chacun de nous est sans doute familier de nombre de tels programmes de formation permanente, dans les séminaires et les centres universitaires, dans les diocèses et les Congrégations religieuses. Beaucoup d’entre eux se focalisent sur des disciplines ecclésiastiques comme la théologie et l’Ecriture Sainte, d’autres sur des sciences du comportement, le développement personnel, la pratique pastorale et d’autres choses y ayant trait. Sauf peut-être quelques exceptions, ils constituent un don substantiel pour le sacerdoce et l’Eglise, et méritent certainement d’être soutenus, encouragés et suivis.

Dans notre contexte de quasi-retraite, cependant, sans préjudice pour les formes de programmes citées, je voudrais parler de ce qui m’apparaît être une approche toujours plus importante et « radicale » de la formation permanente des prêtres. J’espère que vous serez patients à mon égard, surtout si vous vous attendiez à ce que je parle de la formation permanente telle qu’on l’entend communément. Je commence par quelques versets du Ps. 139 :

C’est toi qui as créé mes reins,

qui m’as tissé dans le sein de ma mère.

Je reconnais devant toi le prodige,

l’être étonnant que je suis :

étonnantes sont tes œuvres,

toute mon âme le sait.

Mes os n’étaient pas cachés pour toi

quand j’étais façonné dans le secret,

modelé aux entrailles de la terre.

J’étais encore inachevé, tu me voyais ;

sur ton livre, tous mes jours étaient inscrits,

recensés avant qu’un seul ne soit !

Ces versets du psaume, me semble-t-il, vont au cœur de toute formation, initiale et permanente. C’est le Seigneur qui nous forme, qui nous réforme, qui nous transforme, chaque jour de notre vie. Et je suggère que de la même manière que nous avons été formés en notre humanité par le Seigneur dans le sein de notre mère, de même nous sommes formés en notre sacerdoce par le Seigneur dans l’eucharistie. Si tel est le cas, alors la formation permanente la plus radicale possible pour nous autres prêtres est celle dans laquelle nous permettons au Christ eucharistique de nous former, réformer et transformer dans et à travers le Sacrifice de la Messe, chaque jour de notre vie. En effet, comme nous le rappelait le Saint-Père dans sa lettre du Jeudi Saint 1980 :

« L’eucharistie est la principale et centrale raison d’être du sacrement de l’Ordre ».

Dans Pastores dabo vobis le même Pontife dit « Or les prêtres, en qualité de ministres des choses sacrées, sont surtout les ministres du Sacrifice de la Messe : leur rôle est absolument indispensable, parce que, sans prêtre, il ne peut y avoir d’offrande eucharistique. » [n. 48] Saint Jérôme, lui aussi, voyait dans la consécration du corps du Christ la principale source de la dignité des prêtres, et pour Saint Jean Chrysostome, dans le Sacrifice de la Messe le prêtre atteint le sommet de ses relations avec Dieu. Et le cardinal Emmanuel Suhard décrit assez lyriquement dans Le prêtre dans la cité les effets du sacrifice eucharistique sur le prêtre :

« ... Par son pouvoir sur le Corps sacramentel du Christ, le prêtre devient, par extension, l’artisan privilégié de la consécration du monde. Dans l’espace restreint où, tenant l’Hostie dans ses mains, il laisse, par ses lèvres, le Souverain Prêtre prononcer les paroles consécratoires, le plus pauvre, le plus humble prêtre embrasse l’univers et continue sa rédemption. » (l.c. p. 70)

Il est remarquable, et cela témoigne de notre tradition, que près de 1700 ans avant le cardinal Suhard, St Cyprien évêque de Carthage et martyr de la foi disait à peu près la même chose.

« Si Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu, est le grand prêtre de Dieu le Père, et qu’il était le premier à s’offrir lui-même en sacrifice au Père, tandis qu’il nous commandait d’offrir le même sacrifice en mémoire de lui, alors le prêtre agit réellement au nom du Christ qui reproduit dans sa propre vie ce que le Christ fit pour lui. Il offre à Dieu le Père un sacrifice entier et parfait dans l’Eglise s’il offre son propre sacrifice par la même voie qu’il sait que le Christ a offert le sien. »

Il me semble que le Second Concile du Vatican a vu dans cette sorte d’intimité entre le prêtre et le Christ dans le Sacrifice eucharistique le projet d’une formation radicale et permanente pour le prêtre. En nous rappelant que « tout prêtre à sa façon est revêtu de la personne du Christ » et agit comme le Bon Pasteur, le Concile observe que la charité pastorale de cet office « découle surtout du sacrifice eucharistique, qui est dès lors le centre et la racine de toute la vie du prêtre, de sorte que son âme sacerdotale doit chercher à reproduire en elle-même ce qui se réalise sur l’autel du sacrifice ». (Presbyterorum ordinis 14)

L’âme sacerdotale doit chercher à s’appliquer à elle-même ce qui se réalise sur l’autel du sacrifice. Quelle recherche plus profonde pourrait-il y avoir ? Quel plus grand pouvoir formateur pourrait être exercé sur le prêtre que le pouvoir du crucifié ? S’il faut en croire la maxime de Balthasar (une paraphrase du Pape Léon le Grand), « Devenir chrétien signifie venir à la croix », alors sûrement pour être formé et reformé dans son sacerdoce, le prêtre doit se plonger lui-même sans réserve dans le Christ crucifié re-présenté dans le Sacrifice Eucharistique. Le Christ modèle et moule et re-forme le prêtre au feu de l’eucharistie.

Pour permettre au Christ eucharistique de nous re-former, il me semble cependant que nous devons d’abord nous vider nous-mêmes comme le christ s’est anéanti lui-même, en prenant sur nous la condition de serviteur, comme il le fit. Ce n’était pas par hasard que notre Seigneur lava les pieds de ses Apôtres, en leur disant de faire de même les uns aux autres, avant de leur donner son corps à manger et son sang à boire. En effet, quand on parle de formation permanente des prêtres, le Saint-Père affirme : « Les prêtres ne sont pas là pour se servir eux-mêmes, mais pour le peuple de Dieu. » (Pastores dabo vobis n. 78)

Ce n’est pas pur ornement poétique d’affirmer alors que pour être formés dans le Christ eucharistique nous devons nous vider nous-mêmes. En nous rappelant les paroles de Notre Seigneur dans Jean [15, 5] : « Sans moi vous ne pouvez rien faire », le Cardinal Ratzinger nous déclare dans son propre exposé sur le sacerdoce :

« Ce « rien » que les disciples partagent avec Jésus exprime à la fois le pouvoir et l’impuissance du ministère apostolique. Par eux-mêmes, par les seules forces de leur intelligence, de leur connaissance et de leur volonté, ils ne peuvent en rien accomplir leur devoir d’Apôtres. De quel droit diraient-ils : « Je te remets tes péchés » ? De quel droit diraient-ils : « Ceci est mon corps » ? De quel droit imposeraient-ils les mains en disant « Reçois le Saint-Esprit » ? Dans leur action apostolique, rien n’est le résultat de leur propre capacité. Mais cette « absence » de bien propre crée une communion avec Jésus... [Cardinal Joseph Ratzinger, Appelés à la communion, Comprendre l’Eglise aujourd’hui, Fayard 1993 p. 99]

Saint Norbert le marqua le plus nettement possible quand il fut ordonné prêtre : « Oh prêtre ! Tu n’es pas toi-même, parce que tu es Dieu. Tu n’es pas toi-même, parce que tu es serviteur et ministre du Christ... tu n’es pas de toi-même, parce que tu n’es rien. Qu’es-tu donc ? Rien et tout. Oh prêtre ! » [in Saint of the day, Léonard Foley, OFM (St. Anthony Messenger Press : Cincinnati) 1974, pp. 131-132]. En d’autres mots, c’est le Christ eucharistique qui doit nous remplir, nous former, nous modeler sur lui-même, mais seulement après que nous nous sommes vidés nous-mêmes de tout le reste. « Maintenant ce n’est plus moi qui vis », dit saint Paul, « mais le Christ qui vit en moi ». Mais si nous nous sommes vidés nous-mêmes, le Christ ne rentre pas seulement en nous par sa présence eucharistique. Bien au-delà, Il nous recueille en Lui-même. Il nous divinise. Il ne nous forme pas seulement ; il nous transforme.

Il y a bien des années, comme enseignant, j’emmenais tous les ans une classe de jeunes hommes visiter une aciérie. Ils y voyaient d’énormes monceaux de bouts de métaux, sales, tordus, cassés, déformés, empilés sur le sol de l’aciérie. A un moment donné, l’énorme godet d’une grue géante s’y abattait, avalait une tonne ou plus de ces morceaux et les vidait dans une fournaise au foyer ouvert, chauffée à blanc. En un rien de temps, les morceaux de métal se trouvaient fondus, puis reversés sur le sol dans des moules façonnés à cette intention. La vue d’une colonne liquide d’acier fondu et incandescent, se déversant comme une chute d’eau, était indescriptible. Mais ce qui ne manquait jamais de me fasciner était que personne ne pouvait dire où le feu commençait et où commençait l’acier liquide, tant les deux semblaient ne faire qu’un.

Il me semble que c’est ce qu’opère le Christ eucharistique envers nous et pour nous ses prêtres. Il nous « fond » si bien en Lui-même qu’il est difficile de discerner où il « finit » et où nous commençons. Cela ne me semble pas tellement éloigné de l’insistance du Saint-Père comme quoi le but de la formation spirituelle, de par sa vraie nature, est de devenir « le « cœur » qui unifie et vivifie son « être » et son « agir » de prêtre » (Pastores dabo vobis n. 45). La formation permanente, nous dit le Saint-Père, « vise à ce que le prêtre soit un croyant et le devienne toujours davantage, qu’il se voie toujours tel qu’il est en vérité avec les yeux du Christ ». (Pastores dabo vobis n. 73)

Par-dessus tout, la formation, nous dit le Pontife, doit être enracinée dans « la conscience du lien ontologique spécifique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur. » [n. 11] A mon sens, ce concept de nature ontologique du presbytérat est essentiel. Nous ne nous contentons pas de revêtir des ornements ; nous ne recevons pas seulement un poste. Rien de cela ne fait de nous des prêtres. Nous devenons prêtres à l’ordination. Il y a un « changement ontologique » dans notre nature spirituelle. C’est un profond mystère. Est-ce une analogie trop audacieuse de comparer ce changement au Christ Fils de Dieu qui conserve sa divinité tout en devenant homme ? Ou d’observer qu’après que le pain est devenu le Sacré Corps du Christ, il a toujours le goût du pain et on le perçoit comme du pain, mais qu’il est maintenant le Corps du Christ ? Il y a eu un changement ontologique. Une coupe de vin a toujours l’odeur du vin et a son goût, mais est maintenant le sang du Christ. A l’ordination, un changement ontologique intervient.

« Dans ce lien entre le Seigneur Jésus et le prêtre », dit le Pape, « lien ontologique et psychologique, sacramentel et moral, résident le fondement en même temps que la force nécessaire de cette « vie dans l’Esprit » et de ce « radicalisme évangélique » auquel chaque prêtre est appelé aujourd’hui ... » [n. 72] Mais comment un tel lien, fructifiant dans une vie selon l’Esprit, peut-il être plus intime que dans le Sacrifice Eucharistique, dans lequel, comme dans le cas de l’acier fondu et du feu, il est difficile de savoir où le Christ « cesse » et où commence le prêtre, ou vice-versa.

Je sais que je ne dis là rien d’autre que ce que chacun d’entre vous ici pourrait dire mieux que moi, sur la base de sa propre expérience eucharistique, mais je ne serais pas satisfait si je ne profitais de cette occasion que pour parler des formes académiques de formation permanente. Aussi importantes qu’elles soient, j’ose les appeler secondaires en comparaison avec la formation permanente eucharistique, pour cette seule raison qu’à mon avis, si nous, en tant que prêtres, ne sommes pas enracinés, vivants, formés, réformés et transformés par l’Eucharistie sur une base permanente, tout le reste court le danger de devenir « cuivre qui résonne et cymbale retentissante ». Le Peuple de Dieu exige du pain ; nous ne devons pas lui donner des pierres.

Pas un instant, bien sûr, je ne plaide en faveur de l’anti-intellectualisme. Au contraire, j’applaudis avec force à ces mots de saint Jérôme :

« Il n’y a rien de plus dégoûtant que l’arrogance de prêtres incultes qui considèrent qu’une langue déliée est un signe d’enseignement et d’autorité. Ils sont toujours prêts à discuter, et ils tonnent au-dessus du peuple qui leur est confié avec des phrases qui sonnent haut. » [Epistula 68, ad Oceanem, n. 9]

Et encore :

« Je ne voudrais pas devoir te considérer comme un démagogue ni comme un discoureur disputailleur de-ci de-là. Je voudrais plutôt te voir versé dans les mystères et connaître intimement les secrets de ton Dieu. N’avoir qu’une langue facile avec un grand débit de paroles est un signe d’ignorance. [Epistula 52, Nepotisnum n. 8]

Prêcher, enseigner, servir le Peuple de Dieu comme il le mérite, dans le monde d’aujourd’hui, sans avoir continué l’étude, la lecture, l’apprentissage, la discussion, – que ce soit dans des programmes de formation permanente d’authentique nature, ou par le biais de ses propres lectures et études – cela confine à l’impossible. Quand pouvons-nous dire que nous avons appris suffisamment ? Je sais que pour moi-même, rien que pour prêcher chaque dimanche, je dois passer des heures personnellement sur les textes du jour et sur des commentaires d’Ecriture, à rechercher, à lire tout ce qui s’y rapporte et sur lequel je peux mettre la main, de la science à la fiction et à la revue des livres du New York Times. Oui, nous ne devons jamais oublier les mots de Blaise Pascal, l’un des plus brillants scientifiques qui aient jamais vécu : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». Si c’est vrai du cœur humain, qu’en est-il du Sacré-Cœur de Jésus ? Quels mystères ce cœur révèle-t-il à ceux qui entrent dans la fournaise de son amour à travers l’Eucharistie ?

« Imitamini quod tractatis », nous dit l’Ecriture. Et nous prenons en main l’Eucharistie, la plupart d’entre nous, tous les jours de notre vie. Nous ne pouvons imiter avec sincérité, cependant, que si nous nous ouvrons nous-mêmes consciencieusement à être formés par l’Eucharistie sur une base permanente. Beaucoup d’entre nous sont engagés avec une profonde générosité dans les travaux de l’Evangile social. Nous devons en effet nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus, loger les sans abris, visiter les prisonniers, servir les malades du SIDA ; tous travaux cruciaux et dignes de louange en effet, mais travaux dont l’efficacité est immensément accrue quand elle est enflammée avec l’amour eucharistique. Parce que le Sacrifice Eucharistique ne nourrit pas seulement spirituellement les assemblées. Il s’empare de l’univers pour nourrir et vêtir et loger et réconforter les multitudes, en les plongeant dans l’amour du Christ Crucifié et Ressuscité, cet amour dont ils ont faim à mourir.

Le Pape nous dit dans Redemptor Hominis :

« L’homme ne peut pas vivre sans amour. Il demeure un être incompréhensible à lui-même, sa vie est un non-sens si l’amour ne lui est pas révélé, s’il ne rencontre pas l’amour, s’il n’en fait pas l’expérience et ne le fait pas sien, s’il ne le participe pas intimement. » [n. 44]

Les multitudes auraient désespérément besoin d’amour, et pas les prêtres ? Pourtant, où les prêtres peuvent-ils trouver l’amour incarné aussi intimement que dans l’Eucharistie ?

En effet nous les prêtres, pour le salut des âmes, pour le bien du Peuple de Dieu, nous avons le devoir de parcourir le monde si nécessaire, à la recherche de la formation permanente disponible qui soit vraiment la meilleure. Comme il serait triste alors, et combien nous appauvririons le Peuple de Dieu, si nous ignorions, si nous étions indifférents ou si nous manquions d’égard envers le Christ à portée de main dans l’Eucharistie, la Parole de Dieu faite chair et habitant au milieu de nous. Quel serait l’effet à long terme de la formation permanente la plus développée, si en la suivant, le prêtre perdait la soif de ce qui suffit à le former comme prêtre, ou cessait de lui donner la priorité ? La majorité des « crises d’identité » des prêtres ne commencent-elles pas par ce refroidissement de l’ardeur envers l’Eucharistie, cette insatisfaction de ce qui n’apparaît à certains qu’un simple fonctionnariat, c’est-à-dire le fait de célébrer la Messe et les sacrements ? Beaucoup de prêtres n’en arrivent-ils pas à ressentir une perte de statut ou de prestige, et ne se tournent-ils pas presque exclusivement vers diverses sciences sociales et comportementales, très utiles en elles-mêmes pour le ministère sacerdotal, mais difficilement substituables au sacerdoce ? Toute formation permanente, après tout, doit commencer par ce que nous croyions qu’est un prêtre. Comment définissons-nous un prêtre ? Qu’est-il supposé être ? Qu’attendons-nous de la formation permanente qu’elle l’aide à être ? Je suggère donc que, si avancés ou sophistiqués ou nécessaires que puissent être les programmes de formation permanente, qui sont avant tout académiques par nature, ils peuvent même contribuer à la « crise d’identité du prêtre » qui a marqué notre époque, au lieu d’aider à la résoudre ; ceci s’ils deviennent des ersatz de cette formation permanente radicale dans le Sacrifice Eucharistique, lequel est la vie même du prêtre, et sans lequel son sacerdoce même se dessèche et meurt.

Les mots de Saint Bernard de Clairvaux au pape Eugène IV, alors qu’il lui rappelle la nécessité de la méditation, semblent applicables également au besoin d’Eucharistie des prêtres :

« Tu te dois à la veuve et à l’orphelin, au riche et au pauvre, à l’homme et à la femme, au vieux et au jeune – et tu te refuserais à toi-même ? ... Ils boivent tous à ton cœur comme à une fontaine publique. Vas-tu rester en dehors de toi-même, brûlant de soif pendant que les autres boivent ? » [De consideratione lib, 1, cap. 5, n. 6 ; 182, 734 A]

Je peux difficilement conclure une réflexion sur la formation permanente eucharistique sans faire au moins une référence minimale au lien entre Marie et Jésus, dont le Concile nous dit qu’il est « intime et indissoluble ». Marie demeure avec le Christ d’une façon mystérieuse dans l’Eucharistie et est, après lui, la première à offrir le Sacrifice Eucharistique. Son intervention provoqua le changement de l’eau en vin à Cana – le vin servi le dernier qui était meilleur que celui servi au commencement. Puisse-t-elle intervenir dans notre vie de prêtre de la même manière, de sorte qu’en étant continuellement formés, et re-formés chaque jour par le Christ Eucharistique, notre sacerdoce soit toujours plus riche à la fin qu’au commencement. Que ceci soit notre prière les uns pour les autres.

 

Spiritualité de communion du prêtre

Cardinal Camille Ruini

Vicaire de Sa Sainteté pour le diocèse de Rome

Président de la Conférence des Evêques d’Italie

1. Il est beau de s’adresser à des prêtres, à un si grand nombre de prêtres, dans cette atmosphère de prière, de joie et de disponibilité intérieure qui naît de l’eucharistie à peine concélébrée, en cette terre de Fatima bénie par la présence spéciale de Marie et par le simple fait de nous trouver ensemble, avec le Seigneur et au nom du Seigneur.

Le thème de notre matinée est « la spiritualité de communion du prêtre » : la voie royale pour y pénétrer ne peut être que l’action de grâce pour notre être de prêtre, et la méditation sur la nature du sacerdoce chrétien.

Il est peut-être bon de commencer une telle méditation par les aspects « problématiques » si l’on peut dire. Avec la parole de Dieu et les sacrements, le ministère apostolique est, pour la foi catholique, l’un des éléments ou structures « constitutifs » de l’Eglise. Cette vérité, cette règle de vie possédée pacifiquement à travers les siècles et les millénaires, extraordinairement riche en fruits de sainteté et de grâce, a été ces dernières décennies l’objet d’une contestation qui, provenant du protestantisme, est entrée aussi dans notre Eglise. Telle est la racine théologique de ce qu’on appelle la « crise d’identité des prêtres » et, je pense, de la brusque diminution des vocations que l’on a connue ces dernières décennies en de nombreux pays. Il y a bien sûr d’autres raisons, de type sociologique ou, au sens large, culturel, à l’origine de cette crise, mais elle n’aurait probablement pas été aussi forte ni aussi pénétrante si le sacerdoce ministériel, aux yeux de nombreux prêtres, n’était pas devenu problématique en lui-même, c’est-à-dire du point de vue de son enracinement dans le mystère du Christ et de l’Eglise. C’est aussi le diagnostic du Cardinal Ratzinger, qui l’a proposé magistralement dans sa relation au début du Synode des Evêques sur « la formation des prêtres dans les circonstances actuelles ».

Nous ne pouvons pas nous arrêter sur les motivations invoquées pour mettre en doute le caractère « constitutif » pour l’Eglise de notre sacerdoce. Du reste nous les connaissons bien : on dit que dans le Nouveau Testament les ministères ecclésiaux ne sont désignés que par des mots profanes et non pas sacrés ni sacerdotaux ; que Jésus lui-même n’était pas de race sacerdotale ; et que son sacrifice lui-même, à la différence des sacrifices antiques, n’est pas un fait cultuel mais profane, dont l’élément essentiel est l’amour, le service, le don de soi au milieu du monde et pour le monde.

Il y a indubitablement en tout cela une bonne part de sérieux et de vrai, mais il y a aussi une insoutenable partialité, dont l’origine se retrouve en Luther même. Pour la dépasser il faut justement partir du « nouveau » que nous trouvons dans le Nouveau Testament, du centre du Nouveau Testament lui-même : de Jésus-Christ donc. En effet, l’origine du sacerdoce chrétien se trouve uniquement dans le Christ, et ce n’est que par son intermédiaire que sont justifiés les rattachements au sacerdoce de l’Ancien testament, en raison de l’unité entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Mais au centre de la personne et de la mission de Jésus il y a son rapport direct au Père : « En vérité je vous le dis, le Fils de lui-même ne peut rien faire sinon ce qu’il voit faire par son Père » (Jn 5, 19) ; « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé » (Jn 7, 16). L’évangéliste Jean a approfondi ce concept fondamental, qui appartient à tous les Evangiles : en réalité il est typique de Jésus-Christ de ne pas s’appartenir et de ne rien posséder de lui-même, parce qu’il est tout entier du Père et pour le Père. Nous sommes ainsi au centre de la réalité de Dieu, c’est-à-dire du mystère trinitaire.

Mais Jésus a constitué les Douze et leur a dit : « Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé » (Mt 10, 40), ou encore « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21). Ce parallélisme ou cette correspondance dans la mission ont un sens et une portée très précis : même les Apôtres, comme le Fils et à travers le Fils, reçoivent tout du Père et ne peuvent rien faire d’eux-mêmes. Nous le voyons clairement en comparant deux autres phrases fameuses, toujours de l’Evangile selon saint Jean : « Le Fils de lui-même ne peut rien faire » (Jn 5, 19) et « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Ce « rien », que les disciples partagent avec Jésus, exprime à la fois la force et la faiblesse du ministère apostolique : de nous-mêmes nous ne pouvons en effet rien faire de ce que comme apôtres, ou prêtres, nous sommes tenus de faire : donner le Saint-Esprit, remettre les péchés, prononcer les paroles « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Mais c’est justement à travers ce « rien » de nous-mêmes que nous sommes entraînés dans la communion de vie et de mission avec le Christ et avec le Père dans l’Esprit saint. C’est précisément ce que dans le langage de l’Eglise on appelle « sacrement », et c’est ce que nous voulons dire quand nous affirmons que l’Ordre est un sacrement. Personne ne peut donc se déclarer prêtre de lui-même, et aucune communauté ne peut de sa propre autorité et initiative appeler quelqu’un au sacerdoce. Ce n’est que du sacrement en effet que l’on peut recevoir ce qui vient de Dieu, en entrant dans la mission qui fait de nous ses envoyés, ses instruments et messagers.

2. Ce bref rappel du ministère apostolique tel qu’il nous est présenté dans le Nouveau Testament devrait naturellement être complété par un discours sur la « succession apostolique », c’est-à-dire sur la transmission aux évêques du ministère et du charisme des Apôtres, à travers le geste de l’imposition des mains : de cela aussi nous avons un ample témoignage dans le Nouveau Testament, en particulier mais non exclusivement dans les lettres à Timothée et Tite, où l’on parle du « don de Dieu qui est en toi par l’imposition de mes mains » (2Tim 1, 6). L’exhortation Apostolique Pastores dabo vobis n. 16 nous rappelle en outre qu’à travers le sacerdoce de l’évêque, le sacerdoce des prêtres « est incorporé dans la structure apostolique de l’Eglise ». Il s’agit en réalité d’un fait qui remonte aux origines mêmes : comme nous le savons, dès la tradition la plus antique le sacerdoce des évêques et des prêtres est fondamentalement une réalité unitaire, même s’il y a distinction de degrés.

Telle est donc la base théologique et sacramentelle de notre être de prêtres : nous ne devons jamais en douter ; nous devons toujours nous y reporter dans le concret de notre vie. Pastores dabo vobis n. 12 parle en ce sens du caractère « relationnel » de notre identité de prêtres. La relation primaire et originaire est évidemment celle au Christ, et à travers le Christ au Père, dans le don de l’Esprit saint. Il est bon d’écouter quelques expressions de l’exhortation : « Le prêtre trouve la pleine vérité de son identité dans le fait d’être une dérivation, une participation spécifique et une continuation du Christ lui-même, souverain et unique prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance... La référence au Christ est ainsi la clef absolument nécessaire pour la compréhension des réalités sacerdotales ».

De là découlent avec évidence certains critères essentiels pour orienter notre vie et notre spiritualité de prêtres, comme le détachement de nous-mêmes, ce que nous pourrions appeler « l’auto-expropriation » et la gratuité de notre service. Ce n’est qu’ainsi que nous nous conformons concrètement au Christ et au mystère trinitaire, en développant en nous une authentique ressemblance avec Dieu, c’est-à-dire avec le modèle selon lequel nous avons été créés. De cette façon, et non dans la recherche de nous-mêmes, de notre avantage ou de notre intérêt de tout genre – des honneurs à l’argent et aux gratifications affectives – nous trouvons, en tant que prêtres, la réalisation de nous-mêmes et notre maturité humaine également, et même la plus pleinement humaine, justement parce que l’homme est créé à l’image de Dieu. C’est donc surtout pour nous les prêtres que valent les paroles de Jésus : « Qui perdra sa vie à cause de moi, la trouvera » (Mt 16, 25).

3. Le caractère « relationnel » de notre sacerdoce s’étend pourtant du Christ et du Père à toute la réalité de l’Eglise. Nous entendons encore Pastores dabo vobis n. 16 : «  La référence à l’Eglise est inscrite dans l’unique et même rapport du prêtre au Christ, en ce sens que c’est la « représentation sacramentelle «  du Christ par le prêtre qui fonde et anime son rapport à l’Eglise. »

Nous savons bien comment ce rapport à l’Eglise se développe selon la dialectique typiquement christologique et évangélique du « Chef-serviteur » et du pasteur, ou plutôt du bon pasteur. Le prêtre, en raison de sa nature et de son rôle, est donc celui qui rend présent dans la communauté le Christ, en tant que « chef-serviteur » et bon pasteur. Il n’agit donc pas de lui-même, mais seulement en clef sacramentelle, non seulement dans l’administration des sacrements mais dans toute l’activité pastorale. De plus, son être même, chacune de ses pensées et de ses comportements entrent dans cette logique sacramentelle. Cela comporte pour nous, dans la pratique de la vie, de nous charger de chacun de ceux qui nous ont été confiés, en mettant leur croissance dans la foi avant toute considération personnelle. Cela implique tout autant l’effort de « tenir ensemble » cette multiplicité d’individus, pour qu’avec nous ils ne forment qu’un seul corps dans le Christ.

Un texte de la première Lettre de Pierre, reporté intégralement par Pastores dabo vobis (n. 15), exprime avec la plus haute efficacité ce caractère communionel du ministère qui nous est confié. Nous voulons le relire nous aussi : « Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ, et qui dois participer à la gloire qui va être révélée. Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu ; non pour un gain sordide mais avec l’élan du cœur, non pas en faisant les seigneurs à l’égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du troupeau. Et quand paraîtra le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas » (1 P 5, 1-4).

Deux formules, l’une très usitée, l’autre forgée par le Saint Père et reprise en Pastores dabo vobis 17, expriment le double profil sous lequel se réalise cette dimension constitutive de notre être de prêtres. La première dit que le prêtre est l’homme de la communion, la seconde que le ministère ordonné a une « forme communautaire » radicale et ne peut être accompli que comme « une œuvre collective ».

Concrètement, chaque prêtre, qu’il soit diocésain ou religieux, est appelé à la communion et à la collaboration avec l’évêque, dans l’unité du presbyterium et dans la sollicitude pour l’Eglise particulière à laquelle il appartient ou dans laquelle, s’il est religieux, il est de toute façon inséré, ainsi que dans l’ouverture et la disponibilité au service de l’Eglise universelle.

Dans le même temps, le ministre ordonné existe dans l’Eglise en fonction du sacerdoce commun et universel de tous les fidèles. Une des intuitions principales et plus denses d’avenir du Concile Vatican II est sans aucun doute la redécouverte et la nouvelle mise en valeur de ce sacerdoce baptismal de tout le peuple de Dieu. Nous les prêtres, nous l’avons parfois ressenti comme un redimensionnement de notre rôle, et cela a pu contribuer d’une certaine façon à la crise de notre identité sacerdotale. Alors qu’au contraire, la croissance spirituelle et apostolique du peuple de Dieu est aussi et nécessairement la croissance authentique de notre ministère : non seulement parce que nous sommes soulagés de rôles qui ne nous sont pas propres, mais surtout parce que nous sommes appelés à un plus haut témoignage et à un plus fort service, comme pasteurs et guides de notre peuple. Nous savons bien, par expérience directe, que quand une communauté chrétienne est vivante, consciente de sa foi et donc missionnaire, le prêtre qui la préside est constamment sollicité à donner le meilleur de lui-même, à vivre en plénitude son être de prêtre. Nous devons donc considérer la croissance du laïcat chrétien avec une conviction intime et avec joie ; et percevoir au contraire comme un fait négatif, une limite à dépasser dans la prière, le témoignage personnel, la générosité apostolique et une infatigable œuvre de formation, ces situations de foi immature, d’indifférence ou de manque d’engagement qui sont malheureusement encore si diffuses dans notre laïcat.

Vous savez bien, de par l’expérience quotidienne de votre vie et de votre ministère, quelles sont les exigences pratiques d’un authentique rapport de communion, « propositif » pour ainsi dire, avec l’évêque, le presbyterium, le laïcat, le peuple de Dieu tout entier. Vous savez quelle liberté cela réclame de notre part, pour être sincèrement ouverts et accueillants envers notre prochain, capables de nous placer de son point de vue et pas seulement du nôtre. Vous savez l’importance qu’il y a à savoir faire le premier pas, sans se contenter d’attendre que les autres viennent nous chercher. Et comme il est tout aussi important de réussir à pardonner. Les gens perçoivent immédiatement celui qui les aime vraiment, qui ne prend pas une attitude de supériorité ou de détachement mais, en étant intégralement prêtre – homme de Dieu et disciple fidèle du Seigneur Jésus – pour cela même est frère de tous et « ami des pécheurs » (Mt 11, 19) ; celui qui sait être avec les autres et au milieu des autres, sans attitudes de supériorité ou de suffisance, rappelle spontanément la présence du Seigneur au milieu de nous.

4. Je voudrais alors affronter avec vous quelques nœuds à la base de notre être quotidien de prêtres, et donc de la communion ecclésiale.

L’un d’eux concerne le thème de l’obéissance, toujours délicat et aujourd’hui très controversé. Le Père Congar, dans un opuscule qui me frappa beaucoup quand je le lus encore jeune prêtre, Pour une Eglise servante et pauvre, parle de deux « mystiques », celle de l’obéissance et celle de la communion ; la première a caractérisé la spiritualité et la vie concrète de l’Eglise et en particulier des prêtres dans la période entre Vatican I et Vatican II, tandis que la seconde est typique de notre époque postconciliaire-conciliaire. Chacune de ces deux mystiques est, à son époque, la ressource et une secrète seconde peau pour l’Eglise, sa force qui naît d’un rapport avec Dieu, ou mieux de l’expérience de Dieu, et qui donc remonte vers Lui. Il ne s’agit certainement pas de les mettre en alternance, l’une en opposition à l’autre, mais d’abord d’enregistrer un fait, un déplacement d’accent, que nous autres prêtres plus âgés avons vécu personnellement et touché du doigt. La mystique de l’obéissance se centrait sur le rapport aux supérieurs ecclésiastiques et tirait sa force du fait de les considérer, avec simplicité de cœur, comme l’expression de la volonté de Dieu. Pratiquer l’obéissance était donc considéré immédiatement comme la forme concrète pour se mettre en rapport avec Dieu. Jean XXIII lui-même, le Pape qui a voulu le Concile, a fait de la devise « Oboedientia et pax » l’emblème de sa vie : c’est un authentique chemin de perfection, en tant qu’éloignement de notre moi, de notre volonté propre égoïste et pécheresse, et en tant que conversion à la volonté de Dieu, en substance à Dieu lui-même. Ce chemin plonge ses racines dans l’exemple du Christ lui-même, le Fils dont la nourriture est de faire la volonté de Celui qui l’a envoyé (Jn 4, 34), le Fils fait obéissant jusqu’à la mort sur la croix (Phil 2, 8) ; il traverse comme un filon précieux toute la tradition ecclésiale, et il a produit de nombreux fruits de sainteté, en notre siècle également (certains parviennent aujourd’hui à la reconnaissance officielle de l’Eglise et à la gloire des autels).

Nous ne devons pas nous cacher pourtant que la « mystique de l’obéissance », si on l’accentue unilatéralement, risque de favoriser une vision à son tour unilatéralement hiérarchique et pour ainsi dire pyramidale de l’Eglise et de l’existence chrétienne : il y a eu de fait une certaine corrélation entre cette forme de spiritualité et cette ecclésiologie, en particulier dans la période entre les deux Conciles du Vatican.

Avec Vatican II, cette partialité a été heureusement dépassée, en mettant en évidence les concepts porteurs de peuple de Dieu, de collégialité épiscopale, de dignité commune de tous les baptisés. Dans le Concile et l’après Concile, et particulièrement après le Synode extraordinaire des vingt ans du Concile, la notion de « communion » est toujours plus redevenue, comme elle était dans le Nouveau Testament et les Pères, une idée-force et une clef de voûte de notre conscience ecclésiale ; avec deux autres termes fondamentaux, mystère et mission, elle a pris part de la trilogie « mysterium, communio et missio », et on a toujours mieux éclairé comment le mystère qui est communion et mission consiste essentiellement dans l’enracinement de l’Eglise dans la Trinité divine, selon la parole de l’Apôtre Jean : « Le Verbe de Vie..., celui que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que vous soyez vous aussi en communion avec nous. Notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1, 2-3).

Il est pourtant indispensable de ne pas concevoir cette centralité de la communion comme une alternative à la dimension hiérarchique de l’Eglise. Certainement la hiérarchie est « dans » la communion (bien qu’il faille préciser encore un peu cet aspect dans la méditation de cet après-midi) et existe en fonction d’elle, comme tout le ministère ordonné est pour le peuple de Dieu et à son service. Mais tout cela ne doit pas nous faire oublier, ou même seulement atténuer, l’authenticité de notre obéissance et la conscience de son fondement « mystique », dans le mystère christologique et trinitaire lui-même.

Nous ne pouvons pas ignorer que ces dernières décennies l’obéissance ecclésiale a connu, et connaît encore, de fortes difficultés, qui s’expriment avant tout dans la pratique concrète, mais qui justement plongent leurs racines dans la perte ou dans l’affaiblissement de cette dimension mystique de l’obéissance elle-même. Les motifs sont en partie extérieurs à l’Eglise, comme par exemple l’explosion des phénomènes de contestation entre les années 60 et 70, et par la suite la poussée – qui dure encore – exaltant la subjectivité et relativisant toute norme objective. Il y a pourtant aussi des causes qui, tout en provenant elles aussi de l’extérieur, touchent l’Eglise au plus profond, en compromettant non seulement la mystique de l’obéissance mais aussi celle de la communion, puisque la communion ecclésiale elle-même tend à être réduite aux dynamiques d’une communauté purement humaine. Nous pouvons peut-être tenter de les individuer et de les résumer – certes très sommairement – à travers une unique expression : nous parlerons alors « d’esprit de mondanisation », ou de « logique du monde », qui cherche à s’insinuer dans l’Eglise, en substituant des attitudes de revendication et de contraposition à la gratuité, à la donation, au service et au partage. C’est une tentation de toujours, dans l’histoire de l’Eglise, ce n’est donc pas seulement d’aujourd’hui, mais maintenant cela prend la forme de notre époque ; on cherche à le justifier à travers la culture, et aussi les idéologies qui prévalent actuellement.

Vraiment nous atteignons ici un point crucial de notre fidélité non seulement à l’Eglise mais à Jésus et à son Evangile. C’est pourquoi nous devons chaque jour remotiver en nous-mêmes la mystique de la communion et en son sein la mystique de l’obéissance. Il s’agit bien d’une « mystique » et en réalité d’une unique « mystique », celle grâce à laquelle le mot « frères » fut le qualificatif commun, le dénominatif des chrétiens dans le Nouveau Testament et dans les deux premiers siècles de la vie de l’Eglise, et celle en vertu de laquelle le Christ « apprit l’obéissance de ce qu’il souffrit » (Heb 5, 8).

Concrètement, quelles sont les formes et les modalités d’expression que peut prendre cette mystique de l’obéissance et de la communion dans la réalité actuelle de notre vie de prêtres ? Pastores dabo vobis, au n. 28, qualifie notre obéissance d’ « apostolique », au sens qu’elle reconnaît, aime et sert l’Eglise dans sa structure hiérarchique. L’exhortation souligne en outre que l’obéissance des prêtres représente une « exigence communautaire » : car ce n’est pas seulement l’obéissance d’un individu qui se réfère personnellement à l’autorité ; elle est au contraire profondément insérée dans l’unité du presbyterium, qui comme tel est appelé à vivre la collaboration avec l’évêque, et par son intermédiaire avec le successeur de Pierre. Elle souligne enfin son « caractère de pastoralité », en tant que le prêtre est appelé à vivre l’obéissance dans une attitude de disponibilité constante à se donner lui-même, pour faire face aux besoins, aux nécessités pastorales du Peuple de Dieu.

Concrètement il est très important pour nous autres prêtres, souvent victimes d’une formation et d’une mentalité un peu trop individualiste, de devenir capables d’accueillir les charismes, ou plus modestement la présence et les initiatives des autres : depuis nos confrères jusqu’aux collaborateurs de toute la réalité du peuple qui nous est confié. Or c’est souvent le contraire qui se produit : notre point de vue personnel devient une prison pour nous-mêmes, une paralysie pour notre mission, un principe de désagrégation de la communauté dans laquelle nous sommes insérés. Et parfois, plus ce point de vue est partial, restreint ou même erroné, et plus nous le défendons avec un acharnement qui peut en arriver au déraisonnable. Ce risque guette la façon de nous mettre en relation non seulement envers les « supérieurs », mais aussi envers les confrères et envers les « inférieurs » : c’est donc un risque non seulement pour l’obéissance mais plus généralement pour la communion. Pour le dépasser il est bon de recourir avant tout à la dimension mariale de notre sacerdoce : « Me voici, je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38). C’est parce qu’elle a cru que Marie a aussi pu répondre ainsi à l’Ange, de sa bouche puis de toute la sincérité de sa vie. Quand l’obéissance naît de l’amour, comme en Marie, la liberté de la personne n’est pas atteinte, mais au contraire, elle rejoint son sommet dans le libre don de soi.

5. Un autre noeud à résoudre dans notre vie quotidienne de prêtres concerne notre « représentation », publique en sus d’être personnelle, du Christ et de l’Eglise. C’est une caractéristique qui ne pourra jamais nous abandonner, parce qu’au niveau sacramentel elle est constitutive de notre être de ministres ordonnés. Humainement on peut bien comprendre la tentation de s’en dépouiller à un certain point, ou au moins à certains moments et sous quelques aspects ; spécialement quand aujourd’hui le prêtre, dans la société sécularisée, est souvent considéré comme un étranger et peut donc être porté à se percevoir à son tour comme étranger. On peut la comprendre aussi pour des motifs plus pratiques et concrets, comme par exemple le rythme incessant des engagements et des services qui nous sont demandés, avec un travail qui tend à envahir tout espace, et qui est parfois assez pauvre en satisfactions humaines.

L’alternative à tout cela ne peut se trouver que dans un rapport vraiment personnel avec le Seigneur Jésus, c’est-à-dire dans le fait de l’avoir rencontré et d’avoir appris à l’aimer. Cela pourra paraître évident, mais cela reste la chose essentielle et décisive. Le prêtre doit être avant tout un homme profondément religieux et chrétien, qui sache rester avec le Christ auprès de Dieu, dans la prière et la vie, et qui soit intimement convaincu que c’est Dieu et non pas lui qui sauve le monde, et qu’il le sauve à travers la croix. Sans cette conviction, et auparavant sans cette expérience intérieure, notre ministère est une charge, souvent avare de gratifications ; avec elle au contraire, il devient un don libérateur et gratifiant. Nous nous sentons alors en sûreté dans le Christ, et nous savons que peu importe qui recueillera après que nous aurons généreusement semé. De ce rapport au Christ naît donc notre patience pastorale, notre capacité à comprendre, à supporter et pardonner : grâce à Dieu, combien dans ma vie ai-je connu de prêtres de ce type !

C’est ainsi que le ministère, l’apostolat deviennent un besoin et cessent, d’une certaine façon, d’être un fardeau. C’est la « représentation » du Christ et de l’Eglise que nous accueillons volontiers et l’esprit libre, même quand cela nous expose à des oppositions, des contradictions, ou même des dérisions. Un évêque et un prêtre heureux de représenter l’Eglise franchement, avec sincérité et authenticité, y compris dans les aspects les plus contestés de son enseignement et de sa discipline, donnent un témoignage et exercent une « prophétie » d’une incalculable fécondité spirituelle. Au contraire, quand nous nous soustrayons à la charge de représenter l’Eglise, ou pire quand nous prenons le rôle du contestateur et du contradicteur, sans même souvent nous rendre compte que nos protestations et nos « distinguo » finissent par frapper non seulement l’Eglise, mais aussi le Christ et son Evangile, nous devenons à notre insu semblables aux faux prophètes dont parlent amplement les Ecritures. Nous pourrons en effet obtenir quelque applaudissement mondain dans l’immédiat, mais nous faisons du tort au peuple de Dieu, nous faisons prendre des risques à son sens de la foi et à son appartenance ecclésiale, et en dernière analyse nous nous appauvrissons et nous nous humilions nous-mêmes, en nous privant de la joie la plus vraie qui consiste dans la pleine fidélité à sa vocation.

6. Je ne peux conclure cette méditation sur la spiritualité de communion du prêtre sans me référer à ce qui est le centre visible de cette communion, c'est-à-dire le ministère de Pierre et la personne du Pape.

Nous n’avons pas le temps de nous étendre sur l’enracinement de ce ministère dans le Nouveau Testament et dans la Tradition ecclésiale, ni non plus d’examiner de plus près la distinction désormais classique entre les formes d’exercice du service de Pierre au cours du premier puis du second millénaire chrétien. Nous pouvons pourtant faire au moins quelque considération concernant l’époque où nous vivons. Tandis que s’affirment, parfois de façon violente, des esprits de clochers, des particularismes de chaque culture, peuple ou nation, l’unité du genre humain croît de façon toujours plus rapide, dans ses expressions pratiques et concrètes, à travers les communications sociales, les échanges et l’interdépendance économique, les migrations, le tourisme, le caractère unitaire et universel de la recherche scientifique et des réalisations technologiques. Cette unité croissante réclame, au plan spirituel, non seulement l’unité oecuménique des chrétiens et le dialogue entre les grandes religions, mais aussi l’unité concrète et visible de l’Eglise catholique, sa présence comme unique sujet sur la scène mondiale, en conformité à ce caractère « public » et non seulement privé que le christianisme a eu depuis les origines. Ce n’est pas un hasard si cela s’est réalisé en notre siècle, en particulier à partir du pontificat de Léon XIII et au plus haut point avec Jean-Paul II, à travers son magistère, ses voyages, son témoignage public en faveur du Christ et des droits de l’homme.

Notre Pape a pu réaliser cela dans une situation dans laquelle, comme j’y faisais allusion, les tendances à la critique restent fortes, y compris dans l’Eglise. C’est vraiment un don de la Providence de Dieu qu’au sommet de la dimension également institutionnelle de l’Eglise, il y ait un homme qui soit en même temps un grand exemple incontestable de prière, comme en ont l’intuition et le reconnaissent même les journalistes qui l’approchent pour raisons professionnelles ; un vrai homme de Dieu, un chrétien et un prêtre au sens fort du mot. De nouveau, ce n’est pas un hasard si à partir de Pie IX, à travers des personnalités extrêmement diverses entre elles, la Providence a systématiquement mis sur la chaire de Pierre d’authentiques et clairs témoins du Christ : c’est ainsi qu’a été confirmé historiquement pour tous qu’il n’existe aucune opposition, mais qu’il y a au contraire une intime parenté entre l’Evangile du Christ et l’institution ecclésiale.

Le millénaire qui va s’ouvrir devant nous ne sera donc pas seulement, s’il m’est permis d’hasarder une telle prévision, le temps du retour à la situation du premier millénaire, en ce qui concerne le rapport entre la dimension locale et la dimension universelle de l’Eglise ; comme d’ailleurs il ne sera pas non plus une simple continuation du second millénaire. Il sera plutôt le temps de la synthèse, de cette présence simultanée d’universalité et de particularité dont le Concile Vatican II, sous l’impulsion du Saint-Esprit, a jeté les bases, et qui maintenant, sous l’impulsion du même Esprit saint, devra être réalisée dans l’entrelacs humainement inextricable de l’histoire du salut, marquée par le péché mais aussi par la surabondance de la grâce.

Chers prêtres, en regardant avec les yeux de la foi l’Eglise et l’humanité à laquelle l’Eglise est envoyée, et au milieu d’elle notre mission et notre existence personnelle, nous n’avons pas de motifs de découragement ni de confusion, mais plutôt de gratitude, de confiance et de joie. La Parole du Christ vaut aussi pour nous : « Ne crains pas, petit troupeau, parce qu’il a plu à votre Père de vous donner son Royaume » (Lc 12, 32).

 

Le prêtre époux de l’Eglise

Cardinal Camille Ruini

Vicaire de Sa Sainteté pour le diocèse de Rome

Président de la Conférence des Evêques d’Italie

1. Je me permets de commencer cette seconde méditation par un souvenir personnel : la réaction qu’avait l’évêque de mon diocèse d’origine, Reggio Emilia, quand on touchait au thème du célibat des prêtres. Mon évêque, Mgr Gilberto Baroni, renvoyait régulièrement cette boutade : « Moi, je ne suis pas célibataire, je suis marié ». Pourtant pour lui c’était bien plus qu’une plaisanterie : c’était l’expression de la vérité de sa vie, la mise au jour de quelque chose qui avait crû longuement en lui. C’était justement le thème de notre méditation actuelle : l’Evêque, et le prêtre, époux de l’Eglise.

A la base de cette vérité et de ce critère de notre existence sacerdotale, il y a quelque chose d’originaire et de fondamental dans la révélation biblique et chrétienne : le rapport sponsal de Dieu avec son peuple, tel que nous le présentent déjà les prophètes de l’Ancien Testament, par exemple Osée dans les trois premiers magnifiques chapitres de son livre. Et, dans la même ligne, le mystère du Christ Epoux de l’Eglise. Ecoutons à ce propos les célèbres paroles de l’Apôtre Paul : « Le mari est le chef de son épouse, comme aussi le Christ est le chef de son Eglise, lui qui est le Sauveur de son corps... et vous, maris, aimez vos épouses comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est donné lui-même pour elle, pour la rendre sainte, en la purifiant par le moyen du bain d’eau accompagné de la parole, afin de faire comparaître devant lui son Eglise toute glorieuse, sans tâche ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée... personne n’a en effet jamais haï sa propre chair ; au contraire, on la nourrit et on en prend soin, comme le fait le Christ envers l’Eglise. ... Ce mystère est grand, je veux dire par rapport au Christ et à l’Eglise ! (Eph. 5, 22-33).

L’Apocalypse fait écho à l’Apôtre Paul, quand il parle de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse parée pour son époux (Ap. 21, 2). Jésus lui-même, du reste, en plusieurs occasions, s’était présenté lui-même comme l’époux qui vient : ainsi dans la discussion avec les disciples de Jean sur le jeûne, et ensuite dans la parabole des dix vierges (Mt 9, 15 ; 25, 1-12).

Dans la grande tradition patristique, l’Evêque représente le Christ dans son rapport avec l’Eglise, et en tant que tel on le présente, lui aussi comme l’époux de l’Eglise elle-même ; ce fut la source de tout un courant de spiritualité ecclésiale et ministérielle.

L’exhortation apostolique Pastores dabo vobis reprend avec grande incisivité ce thème, en l’appliquant non seulement aux Evêques mais aussi aux prêtres. Je me souviens du vif débat qui s’était développé sur ce thème durant le synode de 1990, et qui s’était conclu positivement, avec cette unique remarque : que le caractère sponsal du rapport entre le prêtre et l’Eglise soit proposé non pas dans le chapitre deux, consacré à la nature et à la mission du sacerdoce ministériel, mais dans le chapitre trois, qui traite de la vie spirituelle du prêtre.

Ecoutons les paroles de l’Exhortation Apostolique : « Le prêtre est appelé à être l’image vivante de Jésus-Christ, Epoux de l’Eglise : ... c’est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l’amour du Christ époux envers l’Eglise épouse. Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d’être témoin de l’amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d’aimer les gens avec un coeur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une « jalousie » divine (cf. 2 Co 11, 2), avec une tendresse qui se pare même des nuances de l’affection maternelle, capable de supporter les « douleurs de l’enfantement » jusqu’à ce que « le Christ soit formé » dans les fidèles » (Pastores dabo vobis, 22). Beaucoup de richesses sont à savourer, il y a de quoi se nourrir dans ce que propose ce texte assez court. Il a le mérite de mettre en évidence combien notre rapport à l’Eglise, depuis l’Eglise universelle et notre Diocèse jusqu’à la portion du Peuple de Dieu qui est concrètement confiée à notre ministère, est sacramentellement et doit être existentiellement un rapport global, qui investit également notre affectivité et notre perception la plus intime. Ce n’est qu’ainsi, avec cet amour tenace et exigeant avant tout envers nous-mêmes, que nous pouvons nous configurer réellement au Christ prêtre.

2. Mais Pastores dabo vobis, non seulement dans le chapitre sur la spiritualité mais aussi dans celui consacré à la nature du sacerdoce ministériel, traduit ce rapport sponsal qui, à la ressemblance du Christ, lie le prêtre à l’Eglise, par un concept précis et très exigeant ; on l’a parfois un peu négligé ces dernières années, mais il est essentiel de le récupérer si nous voulons saisir la physionomie authentique du sacerdoce ministériel.

Certainement, dit l’Exhortation Apostolique, le prêtre comme croyant demeure toujours membre de la communauté, avec tous ses autres frères et soeurs convoqués par l’Esprit, et pourtant « En tant qu’il représente le Christ Tête, Pasteur et Epoux de l’Eglise, le prêtre a sa place non seulement dans l’Eglise, mais aussi en face de l’Eglise » (n. 22, qui reprend à la lettre la Propositio 7). C’est ce « face à face » de l’époux et de l’épouse que Pastores dabo vobis au n. 16 approfondit ultérieurement en disant que les apôtres et leurs successeurs, en tant que détenteurs d’une autorité qui leur vient du Christ tête et pasteur, sont placés – de par leur ministère – face à l’Eglise, comme prolongement visible et signe sacramentel du Christ dans son être face à l’Eglise et au monde, comme origine permanente et toujours nouvelle du salut, « Lui qui est le Sauveur de son corps » (Eph. 5, 23).

Il est facile de comprendre la signification de cette précision : dans l’élan de la redécouverte de la centralité du sacerdoce commun du Peuple de Dieu tout entier, il y a eu une forte tendance à placer le sacerdoce ministériel simplement à l’intérieur de la communauté croyante, comme un ministère parmi d’autres. L’élément de vérité, indubitablement grande et fondamentale, que contient cette conception, est exprimé par la formule « dans l’Eglise ». Il n’est pourtant pas possible de réduire à cela le ministère apostolique et sa continuation dans le sacerdoce ministériel. C’est en effet l’unique ministère à être « constitutif » de l’être même de l’Eglise, et non simplement utile et bénéfique à sa vie et à son développement. Et c’est ce ministère qui rend sacramentellement présent le Christ en tant que principe de la vie de l’Eglise. C’est pourquoi il se place, simultanément et indissociablement, « dans l’Eglise » et « face à l’Eglise ». Ce « face à » est le signe et la conséquence de l’irréductibilité du Christ à l’Eglise.

Pastores dabo vobis sait saisir avec une grande efficacité le sens spirituel que revêt tout cela, non seulement pour notre vie de prêtre et pour la conscience de notre ministère, mais aussi pour la communauté ecclésiale tout entière et pour la justesse de sa position envers le Seigneur. Ecoutons de nouveau les paroles même de l’exhortation : « Dans son être même et dans sa mission sacramentelle, le prêtre apparaît, dans la structure de l’Eglise, comme signe de la priorité absolue et de la gratuité de la grâce, qui est donnée à l’Eglise par le Christ ressuscité. Par le sacerdoce ministériel, l’Eglise prend conscience, dans la foi, de ne pas exister par elle-même, mais par la grâce du Christ dans l’Esprit Saint. » Nous comprenons ainsi combien il est important, au sens positif et non seulement pour s’opposer à quelque partialité ou quelque erreur, d’avoir une perception correcte et pleine de ce qu’est le sacerdoce ministériel et de ce qu’est son rapport précis au Christ et à l’Eglise.

3. De ce fort enseignement qui nous vient de Pastores dabo vobis, mais en réalité déjà du Nouveau Testament et de la tradition ecclésiale, et en dernière analyse de l’articulation même du mystère du Christ et de l’Eglise, je voudrais tirer encore deux considérations qui, je pense, peuvent nous être très utiles, l’une de caractère plus immédiatement spirituelle, l’autre en vue d’un éclaircissement théologique.

Ces dernières années on a beaucoup insisté sur la pastorale des vocations, en particulier des vocations au sacerdoce ministériel. Mais on n’a peut-être pas assez développé un aspect du sens de notre appel, celui qui correspond d’une certaine façon, de notre part, à notre être de signes de la priorité et de la gratuité de la grâce. Je pense à la grandeur de l’élection dont, sans aucun mérite de notre part, nous avons été l’objet lors de notre appel au sacerdoce. Le thème de l’élection divine traverse toutes les Ecritures, l’Ancien et le Nouveau Testament, et occupe en elles une place centrale. Il ne s’agit pas, comme souvent on le sous-entend et le craint, d’une revendication de supériorité et donc d’un prétexte à l’orgueil et à la domination, mais au contraire de la reconnaissance d’un don qui, justement, est reçu gratuitement et qui, par nature, concerne le bien de tous et nous met au service de tous. C’est ainsi que dans sa substance profonde l’ancien peuple d’Israël concevait déjà sa propre élection. Et c’est ainsi, à plus forte raison, que doit être conçue toute élection dans le Christ au sein du peuple chrétien. C’est ainsi en particulier qu’il faut comprendre notre appel et notre élection au sacerdoce ministériel.

Il faut donc être conscient de la grandeur insondable de ce choix gratuit de Dieu, du don qui nous a été fait et de la responsabilité et du service qui nous ont été confiés. Nous qui sommes prêtres souvent déjà depuis de nombreuses années, nous devons nous souvenir quotidiennement du sens de cette élection divine à l’origine de notre appel personnel : ainsi l’eucharistie que nous célébrons tous les jours devient action de grâce à un titre à la fois sacramentel et intimement personnel. Ainsi également nous pourrons plus facilement repousser et vaincre en nous-mêmes ces tentations : nous lamenter des obligations du sacerdoce, en porter la charge avec lassitude et à contrecoeur, nous regarder nous-mêmes avec des yeux seulement mondains ; ceux-ci sont toujours aux aguets, parce qu’ils procèdent de la logique du monde qui refuse la rédemption et, en notre intérieur, de l’héritage du péché originel.

Une question que l’on m’a adressé tant de fois en parlant avec des prêtres, – et ainsi j’en viens à la seconde considération -, c’est de préciser en quoi consiste exactement la différence essentielle, et non seulement de degrés, entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel, selon la célèbre formule de Lumen Gentium n. 10. Et bien à mon avis la réponse substantielle nous l’avons déjà faite auparavant, quand nous avons vu comment le sacerdoce ministériel se situe non seulement « dans l’Eglise », mais aussi « face à l’Eglise ». C’est là, c’est dans cette représentation sacramentelle du Christ comme chef-serviteur, pasteur et époux, que le sacerdoce ministériel est une réalité essentiellement diverse du sacerdoce commun, tout en lui étant étroitement uni et en fonction de lui, et bien que tous deux participent, chacun à sa manière, à l’unique sacerdoce du Christ. Plus se diffusera dans l’Eglise, entre les pasteurs et les fidèles, la connaissance et l’accueil de cette diversité dans l’unité, et plus croîtra une authentique communion ecclésiale et il sera facile d’éviter le double risque d’une cléricalisation subreptice des laïcs et d’une laïcisation tout autant subreptice des prêtres.

4. En demeurant bien ancrée dans le concept fondamental de la représentation sacramentelle du Christ pasteur et époux, Pastores dabo vobis met au centre de la vie spirituelle du prêtre, comme son élément spécifique et caractéristique, la charité pastorale. On se sert ici d’une citation particulièrement évocatrice de Saint Augustin, où il parle du ministère sacerdotal comme d’un « amoris officium », une charge et un devoir d’amour : « Sit amoris officium pascere dominicum gregem », que ce soit une charge et un devoir d’amour que de paître le troupeau du Seigneur.

Le Saint-Père nous a donné un commentaire assez parlant de cette formule augustinienne, en disant que « le prêtre qui accueille la vocation au ministère est en mesure d’en faire un choix d’amour, en vertu duquel l’Eglise et les âmes deviennent son principal sujet d’intérêt et, avec une telle spiritualité concrète, il devient capable d’aimer l’Eglise universelle et cette portion qui lui en est confiée avec tout l’élan d’un époux pour son épouse » (Discours du 4 novembre 1980 aux prêtres participants à une réunion promue par la CEI). En effet, la charité du prêtre se réfère avant tout à Jésus-Christ et embrasse l’Eglise en tant que celle-ci est le corps et l’épouse du Christ, selon la parole de l’Apôtre Paul : « Quand à nous, nous sommes vos serviteurs pour l’amour de Jésus » (2 Cor 4, 5). Et comment oublier les paroles du Seigneur à Pierre, quand il ne lui confie le ministère de paître le troupeau qu’après sa triple attestation d’amour : « Il lui dit pour la troisième fois : ‘Simon fils de Jean, m’aimes-tu ?’ Pierre lui répondit : ‘Seigneur tu sais tout ; tu sais que je t’aime’. Jésus lui répondit : ‘Pais mes brebis’ » (Jn 21, 17).

La charité pastorale trouve sans aucun doute sa plus forte nourriture et sa plus pleine expression dans l’Eucharistie. Notre messe quotidienne est donc le secret de notre capacité à servir sans nous lasser, à aimer et pardonner. « La Sainte Messe est de façon absolue le centre de ma vie et de chacune de mes journées » : puissent donc ces paroles, prononcées par le Pape le 27 octobre dernier à l’occasion du Symposium promu par la Congrégation pour le Clergé lors du trentième anniversaire du décret Presbyterorum Ordinis, être toujours plus la vérité de notre vie pour chacun des évêques et prêtres que nous sommes.

Cette même charité pastorale constitue, comme le dit Pastores dabo vobis n. 23, « le principe intérieur et dynamique capable d’unifier les diverses et multiples activités du prêtre ». De plus, elle peut répondre au besoin plus profond, que nous percevons souvent au fond de nous-mêmes, d’une unité globale qui embrasse notre moi intérieur et tout notre agir, en un mot toute notre vie. Pour ce faire, la charité pastorale doit être réellement « l’option fondamentale » qui nous guide et nous façonne intérieurement, le fil conducteur de nos journées, auquel nous nous référons constamment.

Ce soir, lors du Rosaire médité, nous écouterons les témoignages de cardinaux et d’évêques qui sont d’authentiques confesseurs de la foi : l’exemple qui nous vient de leur vie, des années et des décennies de souffrances supportées et offertes pour le Christ et pour l’Eglise, est pour nous la confirmation la plus persuasive que la parole de Jésus, « nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13), est capable de devenir une réalité concrète dans notre existence actuelle de prêtres. Sous ces formes héroïques et exceptionnelles, mais aussi dans le quotidien à son tour héroïque de la vie de beaucoup d’évêques et de prêtres, le don sponsal de soi à l’Eglise, célébré sacramentellement au jour de notre ordination, trouve son plein achèvement pratique.

5. Le Concile Vatican II a mis en évidence le caractère universel de la vocation à la sainteté, que chacun doit poursuivre dans sa condition de vie et dans l’exercice des tâches qui lui sont propres (Lumen gentium nn. 40-41). Cette vérité a été rappelée de très nombreuses fois à propos des laïcs, mais vaut aussi pour nous les prêtres. Concrètement, la charité pastorale est la voie royale de notre sanctification. Pastores dabo vobis au numéro 24, développe ce thème à la lumière du rapport entre consécration et mission : « la consécration est pour la mission. De cette façon, non seulement la consécration, mais aussi la mission se trouvent sous le signe et la force sanctificatrice de l’Esprit ». Il existe donc, selon l’enseignement de Presbyterorum Ordinis au n. 12, un rapport intime entre la vie spirituelle du prêtre et l’exercice de son ministère.

Je voudrais approfondir cette perspective en clef christologique, en développant l’indication qu’offre Pastores dabo vobis (n. 24). Un principe fondamental de christologie est qu’en Jésus nous trouvons une parfaite unité entre la personne et la mission : toute son existence se réalise et s’accomplit, sans réserves ni résidus, dans l’accomplissement de la mission qui lui vient du Père avec l’onction du Saint-Esprit, jusqu’à la Cène, à la Croix et à la Résurrection. Une unité analogue entre personne et mission doit se réaliser chez le prêtre : le don de l’Esprit reçu dans l’ordination oriente et guide toute sa vie vers la mission, et, dans l’exercice de celle-ci, vers la sainteté. Il n’y a rien en nous qui puisse légitimement demeurer hors de cette unique perspective unifiante. Naturellement tout cela n’a de sens et de valeur que parce que la prière, la contemplation, la pénitence, la souffrance rentrent à plein titre dans notre mission, à la ressemblance de Jésus, et même parce qu’elles en constituent la dimension la plus essentielle, la plus féconde et décisive.

Les conditions concrètes dans lesquelles nous exerçons notre sacerdoce varient certainement beaucoup de personne à personne et même, dans les divers temps et moments de la vie, chez une même personne. Par exemple, il sera plus facile et spontané de considérer que nous avons réalisé notre vocation et notre mission spécifique dans l’annonce de la Parole, dans la célébration des sacrements, dans l’animation et la conduite de notre communauté, plutôt que dans l’exercice de tâches d’organisation ou d’administration. Mais si nous allons plus profond, si nous tenons ferme le critère de la charité pastorale comme âme et principe unifiant de notre sacerdoce, nous pourrons comprendre et vivre tout ce que nous faisons, souvent en dehors de nos inclinations personnelles, afin de répondre aux exigences concrètes de cette charité : c’est une réalisation non moins authentique du même sacerdoce, et c’est le chemin de sainteté que le Seigneur ouvre devant nous dans la situation où il nous a mis.

6. La configuration au Christ Tête-serviteur, pasteur et époux de l’Eglise, est l’essence de notre sacerdoce. Pourtant elle ne peut s’en tenir au niveau sacramentel, elle doit évidemment s’exprimer dans toute la réalité de notre vie. C’est pourquoi la suite effective du Christ, et donc le « radicalisme évangélique », pour utiliser l’expression préférée de Pastores dabo vobis (n. 27), caractérise, en même temps que la charité pastorale, la vie spirituelle du prêtre et son chemin de sanctification. L’Exhortation Apostolique dépasse décidément, y compris pour le clergé diocésain, une vision restreinte qui résumerait à la seule obligation du célibat l’imitation du Christ chez nous autres prêtres ; elle propose par contre les trois conseils évangéliques d’obéissance, de chasteté et de pauvreté, dans leur intime coordination réciproque, comme étant ce que le prêtre est appelé à vivre, selon les modalités, les finalités et ce sens spécifique qui dérivent de son identité de prêtre.

Dans la méditation de ce matin, nous avons fait quelque mention de l’obéissance. Maintenant je voudrais m’arrêter un peu sur la chasteté. Cela a aussi un rapport avec le thème de cette seconde méditation, le prêtre époux de l’Eglise.

Il y a effectivement une dynamique très claire, qui part de la vie de Jésus, qui se développe au long de l’histoire et de la vie de l’Eglise, et qui conduit à la virginité pour le Royaume, bien au-delà de la question spécifique du lien nécessaire qui subsiste, dans l’Eglise latine et dans quelques églises orientales, entre le sacerdoce ministériel et la chasteté dans le célibat. Il est évident d’autre part que ce lien nécessaire a son fondement dans cette dynamique et en constitue la pleine expression, sous les deux aspects de représentation sacramentelle du Christ Epoux de l’Eglise, et d’imitation concrète de sa forme de vie.

Pour comprendre toute la densité, humaine également, la difficulté et en même temps la valeur de la chasteté à laquelle nous sommes appelés, il faut d’abord ne pas diminuer ou atténuer le sens chrétien de la sexualité et du mariage. Le Concile Vatican II a déjà accompli le pas décisif dans cette direction, en dépassant une attitude ainsi qu’une ascèse qui auparavant étaient souvent orientées de façon plutôt négative sur ce sujet. Il faut pourtant ajouter que l’importance, non seulement du mariage mais aussi de la sexualité dans la vie concrète, a toujours été considérée et reconnue dans l’Eglise, et que celle-ci a donc développé un grand effort d’éducation en la matière, même s’il comportait quelques conditionnements et des limites qu’il est inutile de nier.

En notre siècle, les sciences humaines ont mis en lumière sous de nouveaux aspects cette force pénétrante et persuasive de la sexualité que l’Eglise et tout « expert en humanité » percevait depuis toujours, même si c’était de manière moins consciente. Sans condescendre aux partialités et au déterminisme qui caractérisent souvent, dans ce domaine également, les sciences humaines, il demeure vrai que la sexualité constitue un moteur fondamental des actions et des comportements, chez l’homme et la femme, qui restent pourtant des personnes libres et responsables.

C’est bien pour cela que le choix de la chasteté pour le Royaume, ou pour proclamer que Dieu est le salut de l’homme, représente vraiment le don que la personne fait d’elle-même, dans son unité originaire d’esprit et de corps et dans son dynamisme de relation et de communication. Il s’agit d’un don certainement spécial, qui s’inscrit dans la logique « eschatologique », c’est-à-dire nouvelle, divine et tendue vers la plénitude future du Royaume. C’est pourquoi Jésus a dit aux disciples : « Tous ne peuvent le comprendre, mais seulement ceux à qui cela a été concédé » (Mt 19, 11). Et Saint Paul lui fait écho : « Je voudrais que tous fussent comme moi ; mais chacun reçoit son don particulier de par Dieu, qui d’une façon, qui de l’autre » (1 Cor 7, 7). Dans notre appel gratuit au sacerdoce de la part de Dieu et de l’Eglise, et dans notre libre réponse à cet appel, sont donc inclus le don, et de notre part l’accueil, de cette grâce spéciale de la chasteté pour le Royaume.

Un principe théologique et ascétique certainement valide et fécond dit que notre coeur doit être vide de toute affection terrestre pour pouvoir se remplir de l’amour de Dieu, c’est-à-dire pour pouvoir se tourner vers le Seigneur sans divisions. Nous pourrions aussi retourner le propos et dire que notre coeur doit être avant tout rempli de Dieu, envahi par sa grâce, pour pouvoir réellement libérer des affections terrestres, et en garder libre. Ou mieux encore, que nous avons besoin avant tout de la certitude que nous sommes aimés de Dieu. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons ne pas nous sentir seuls, ne pas rester à la merci de nous-mêmes et de nos besoins. Et ainsi nous pouvons recevoir le don d’une énorme liberté, d’une transfiguration de nos affections, du dynamisme de la communication qui est en nous. Telle est la vérité la plus profonde de l’affirmation, classique dans la spiritualité chrétienne et sacerdotale, qui recommande d’être vierge pour être vraiment père d’une multitude de fils : ce que nous expérimentons souvent avec joie, une joie sans aucun doute unie à l’effort et au tourment de la paternité spirituelle.

Il est donc clair que le don de la chasteté dans le célibat doit être demandé et protégé, dans la prière, la vigilance et l’ascèse quotidienne. Je voudrais dire à ce propos, chers prêtres, quelques mots sincères, fruits de l’expérience. Que l’amitié, même la plus profonde, ne soit pour nous que de l’amitié. Et puisque toujours, spontanément, renaissent et repoussent en chacun des élans à construire des liens affectifs, qui par la suite deviennent aussi sexuels, ou qu’au moins tend à réapparaître une sexualité qui n’accepte pas d’être dominée par notre liberté, et encore moins transfigurée par la grâce, il est nécessaire d’avoir tous les jours le courage de trancher tout ce que nous constatons devoir être taillé, l’esprit serein et non par scrupule ni par peur de l’autre sexe.

Dans ce domaine la promptitude et l’immédiateté qui sont toujours requises dans la résistance aux tentations et l’accueil de la grâce sont particulièrement importantes. Ici en outre la dimension mariale de notre vie de prêtres prend un relief particulier : dans le mystère de la Vierge-Mère, nous avons la plénitude de l’affectivité, du don de soi et de la pureté de coeur. Le rapport personnel avec Marie, la prière que nous adressons au Père en même temps que Marie et à travers son intercession nous sont donc du plus grand secours. Une prière par laquelle nous demandons que notre coeur soit libéré, pour accepter vraiment le don de la virginité, avec sincérité, jusqu’au fond et pour toujours, afin qu’ainsi ce même coeur devienne non pas moins capable, mais plus capable d’aimer.

Chaque prêtre et chaque chrétien, chaque homme et chaque femme qui sait aimer chastement pose au monde une grande interrogation qui remet en cause beaucoup de solides préjugés, et ouvre la voie à une meilleure compréhension de la réalité de l’amour. Il a alors un extraordinaire pouvoir éducateur et formateur, envers les vocations à une consécration spéciale, mais non moins envers les vocations au mariage elles-mêmes. Le témoignage de celui qui aime chastement n’est donc pas devenu moins nécessaire, mais beaucoup plus nécessaire dans une société et un contexte culturel où l’eros domine souvent. Un tel témoignage constitue aujourd’hui un service à l’ « humanité » de l’homme et de la femme ; c’est une défense face à de soi-disant courants de progrès, lesquels risquent plutôt de nous faire régresser vers des comportements et des styles de vie que le christianisme nous avait aidé à dépasser depuis des siècles ou des millénaires.

Sur la base du don de la chasteté, accueilli avec générosité et gardé avec persévérance dans notre vie, nous pouvons et nous devons construire, ou reconstruire, une pastorale non seulement de la famille, mais de toute la vie affective et sexuelle dans la perspective de la foi. Le mot de Jean-Paul II ouvrant son pontificat, « n’ayez pas peur », est aussi la parole que nous nous adressons réciproquement, spécialement en ce domaine où l’on s’oppose si souvent à la proposition chrétienne comme si elle n’était qu’un résidu du passé.

7. Nous n’avons pas le temps maintenant de réfléchir comme il le faudrait à la pauvreté du prêtre. Rappelons au moins, en reconfirmant le lien qui unit les trois conseils évangéliques, ces paroles synthétiques et profondes des Pères du Synode de 1990, qui l’ont présentée comme « soumission de tous les biens au Bien suprême de Dieu et de son Royaume » (Pastores dabo vobis n. 30). Cette pauvreté nous rend libres pour « aller », comme missionnaires, évangéliser partout où la voix du Seigneur et de l’Eglise nous appelle, à commencer par les changements de service pastoral – ils réclament souvent un vrai détachement intérieur de notre part – et en allant jusqu’à la disponibilité à abandonner son diocèse et son pays pour devenir des prêtres « fidei donum ».

Chers frères et amis, cette rencontre internationale a été promue par la Congrégation pour le Clergé comme un temps de préparation spécifique au Grand Jubilé. Comme Vicaire du Saint-Père pour le diocèse de Rome, qu’il me soit consenti d’adresser à tous un cordial « au revoir » – si Dieu le permet – pour l’an 2000 ; nous restons unis dans la prière avec Marie, et nous nous laissons conduire par elle à l’intérieur du mystère de notre salut, pour pouvoir être à notre tour de fidèles ministres de la miséricorde de Dieu et de la réconciliation (cf. 2Cor 5, 18).

 

Homélies


« Hommes spirituels »

Cardinal Antoine Ribeiro,

Patriarche de Lisbonne

à la messe d’ouverture de la Rencontre internationale des prêtres

17 juin 1996

 

Salut

1. La Congrégation pour le Clergé, avec la pleine approbation du Saint-Père, a décidé de promouvoir une série de rencontres internationales de prêtres, pour favoriser une préparation qui leur soit propre au grand Jubilé du Troisième Millénaire.

La première de ces rencontres est celle que nous vivons ces jours-ci en ce sanctuaire de Fatima, lieu marqué par les Apparitions de la Très Sainte Vierge il y a 79 ans, dans lequel retentit encore pour les hommes un fort rappel évangélique à s’unir à Dieu et à renouveler spirituellement toute leur vie chrétienne.

Pour commencer en quelques mots, dans l’homélie d’aujourd’hui, qu’il me soit permis de saluer cordialement et respectueusement leurs Eminences les cardinaux ici présents, les Evêques et les chers prêtres rassemblés ici, spécialement ceux qui viennent de plus loin. Le salut que je vous adresse n’est pas seulement mien ; il est aussi celui de tous les Evêques du Portugal.

L’Eucharistie que nous concélébrons maintenant est la Messe votive de l’Esprit saint. Nous voulons ainsi invoquer l’assistance du Divin Paraclet sur les travaux de notre rencontre et nous désirons en même temps prendre une conscience plus vive de ce que notre condition sacerdotale fait de nous des hommes consacrés par le Saint-Esprit, des hommes envoyés par le Saint-Esprit et des hommes nourris par le Saint-Esprit.

Hommes consacrés par le Saint-Esprit

2. Nous sommes avant tout des hommes consacrés par l’Esprit de Dieu. En sus de la consécration radicale du Baptême et de la Confirmation, qui ont fait de nous des chrétiens, membres du Corps du Christ, nous avons reçu un jour l’onction spécifique du Sacrement de l’Ordre, qui nous a faits participants du sacerdoce ministériel du Seigneur Jésus. L’Esprit de celui qui est l’Oint par excellence s’est communiqué à nous, il nous a unis de façon indissoluble au Chef de l’Eglise et il nous a configuré sacramentellement à Celui dont nous sommes devenus ministres et ambassadeurs qualifiés.

Notre être le plus profond de prêtre, notre identité d’hommes ordonnés pour le ministère sacré, découle de cette onction de l’Esprit, et ce n’est qu’à partir d’elle qu’on peut la définir convenablement. Le Directoire pour le ministère et la vie des prêtres déclare à ce propos : « Dans son ordination presbytérale » – nous pouvons ajouter : et épiscopale – « le prêtre a reçu le sceau de l’Esprit Saint qui fait de lui un homme marqué par le caractère sacramentel afin d’être pour toujours ministre du Christ et de l’Eglise » (n. 8).

Nous sommes en effet des hommes indélébilement marqués par le sceau de l’Esprit, dans une radicalité qui rejoint toutes les dimensions de notre être et de notre agir. Malgré nos faiblesses et nos imperfections humaines, et malgré l’argile dont nous sommes pétris, nous sommes conscients de porter un trésor de valeur inestimable (cf. 2 Cor. 4, 7), et nous sommes sûrs que le Paraclet, le divin Consolateur, restera pour toujours avec nous.

Il est possible de faire croître chaque jour la flamme de ce feu surnaturel qui nous réchauffe et nous pousse vers les hauteurs de la sainteté (cf. 2 Tim. 1, 6). Comme le dit encore le Directoire : « Le prêtre sait qu’il ne perdra jamais la présence et le pouvoir efficace du Saint-Esprit, pour pouvoir exercer son ministère et vivre la charité pastorale, comme un don total de soi pour le salut de ses frères » (n. 8). C’est pourquoi, dans la vie du prêtre, chaque instant est une occasion opportune pour tout recommencer à zéro s’il en est besoin, avec la fraîcheur de la première heure et la force de Dieu, pour monter plus haut et arriver plus loin.

Hommes envoyés par l’Esprit

3. Etant des hommes consacrés par le Saint-Esprit, nous sommes en même temps des hommes envoyés par le Saint-Esprit pour servir, à la manière du Christ, la mission de l’Eglise au milieu du monde, en cette fin de siècle et de millénaire.

Il nous revient d’annoncer le Sauveur et son salut aux hommes de notre temps. Il nous revient, plus qu’à d’autres dans l’Eglise, de rendre témoignage à Jésus-Christ, éternellement vivant et présent dans l’histoire de l’humanité. Nous devons proclamer, avec une audace évangélique, les merveilles du salut que le Seigneur a déjà réalisé et qu’il veut continuer à réaliser en faveur des hommes de toutes les générations.

Nous autres prêtres de ce dernier fragment de siècle, nous devons être, sous l’action du Saint-Esprit, les principaux hérauts et artisans de la nouvelle évangélisation. Autour de nous il y a un monde auquel nous avons été envoyés, qui a un grand besoin de la lumière et de la grâce de l’Evangile du Christ. Beaucoup d’espaces missionnaires ne sont pas encore évangélisés, et il y a tant de nouvelles zones dans la pensée et la culture, les nouveaux aréopages du monde contemporain, qui réclament avec urgence une évangélisation ardente, nécessairement créative à travers des moyens et des langages appropriés.

L’Esprit-Saint qui repose sur nous nous envoie continuellement annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, déclarer le rachat des prisonniers, redonner la vue aux aveugles, restituer la liberté aux opprimés et proclamer l’année de grâce du Seigneur (cf. Lc 4, 18-19).

Hommes nourris de l’Esprit

4. Cette tâche passionnante nous ne réussirons à la mener à bien convenablement qu’en étant des hommes alimentés et renforcés par le Saint Esprit de Dieu, cet Esprit de Sainteté qui purifie et renouvelle notre existence et la rend capable d’un témoignage crédible.

Dans l’exhortation apostolique Pastores dabo vobis, le Saint Père souligne cette pensée avec les paroles suivantes : « La vocation sacerdotale est essentiellement un appel à la sainteté dans la forme qui découle du sacrement de l’Ordre. La sainteté est intimité avec Dieu, elle est imitation du Christ pauvre, chaste et humble ; elle est amour sans réserve envers les âmes, et don de soi-même pour leur véritable bien, elle est amour pour l’Eglise qui est sainte et nous veut saints, car telle est la mission que le Christ lui a confiée. » Et, plus loin, en s’adressant directement aux prêtres, le Pape poursuit : « Par l’Ordination, chers amis, vous avez reçu l’Esprit même du Christ, qui vous rend semblables à lui afin que vous puissiez agir en son nom et vivre en vous-mêmes ses propres sentiments. Tandis que cette intime communion avec l’Esprit du Christ assure l’efficacité de l’action sacramentelle que vous accomplissez «  in persona Christi », elle requiert également de s’exprimer dans la ferveur de la prière, dans la cohérence de la vie, dans la charité pastorale d’un ministère inlassablement orienté vers le salut des frères. En un mot elle requiert votre sanctification personnelle ».

C’est en effet dans la recherche de la sainteté et dans le développement spirituel de nos vies sacerdotales que réside le secret d’une évangélisation efficace du troisième millénaire. « L’homme contemporain – écrivit Paul VI – écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, – nous le disions l’année dernière à un groupe de laïcs – ou s’il écoute les maîtres c’est parce que ce sont des témoins (...). C’est donc avant tout par sa conduite, sa vie, que l’Eglise évangélisera le monde, c’est-à-dire à travers son témoignage vécu de fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et de détachement, de liberté face aux pouvoirs de ce monde, de sainteté en un mot » (Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, n. 41)

Si le témoignage de la sainteté est requis de la part de tous les membres de l’Eglise, à plus fort titre l’est-il de nous, ministres qualifiés du Christ et pasteurs du peuple saint de Dieu.

Que la rencontre que nous commençons aujourd’hui serve donc à stimuler notre renouveau spirituel. Cette grâce nous la demandons par l’intercession de la Vierge Sainte Marie, Mère de Jésus-Christ et Mère des prêtres !

 

« Le réalisme de la foi catholique »

Homélie de Son Eminence le cardinal Kazimierz Swiatek

Archevêque de Minsk-Mohilev

Rencontre internationale des prêtres

(Sanctuaire de Fatima, 18 juin 1996)

Il importe beaucoup d’avoir une compréhension adéquate de la foi chrétienne. Il peut arriver qu’elle soit présentée de façon non orthodoxe, non fidèle, et donc fausse. Ce type de présentation de la foi éloigne l’homme de la vérité et engendre le préjugé. Il faut soigner la pureté de la foi, elle doit être proclamée exactement comme il y a deux mille ans !

1. Rappelons-nous la confession de Pierre à Césarée de Philippe. A la question de Jésus : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », Simon Pierre répond : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 15-16). Par ces paroles simples, Pierre a professé sa foi. Certainement, cette profession était très simple et provenait d’un pécheur qui ne comprenait pas encore clairement la mission de Jésus comme Messie, et n’avait pas encore une idée précise de Jésus comme Fils de Dieu. Pierre a confessé très simplement son Credo, il l’a confessé exactement comme il a perçu la réalité de Dieu, dans son Fils Jésus-Christ.

Après vingt siècles de christianisme, maintenant que nous connaissons l’identité de Jésus exprimée dans les dogmes, ce réalisme qui se dégage de la figure de Pierre est de la plus haute importance pour notre foi. Bien que le langage théologique le plus précieux ne réussisse pas à présenter Dieu dans sa dimension de grandeur infinie, nous cherchons, à travers les sciences théologiques, à approcher l’homme vers Dieu, à saisir Dieu, comme pour rendre quasiment palpable son mystère infini qui ne peut être réalisé que dans l’acte de foi. Dieu, comme existence infinie, ne peut être défini par l’esprit humain limité. C’est pourquoi l’approche réelle du chrétien vers Dieu oblige à ne pas s’encombrer l’esprit de rationalisations excessives, mais à confesser de façon simple et droite la foi en Dieu, comme Pierre l’a fait.

2. Le second comportement réaliste du chrétien est l’acceptation de Jésus-Christ non seulement comme une figure historique qui aurait vécu dans le monde il y a vingt siècles, mais comme celui qui est toujours vivant dans son Eglise fondée par Lui.

Il n’est pas rare d’entendre dire : « Je crois en Dieu, je crois en Jésus-Christ, mais je n’accepte pas la hiérarchie ecclésiastique avec ses prêtres, sa liturgie et tout son apparat administratif ». Certainement, il faut croire surtout en Dieu un et trine, en Jésus-Christ Fils de Dieu qui est notre Rédempteur, mais on ne peut renier l’Eglise, parce que Celui qui l’a fondée c’est justement Lui, le Seigneur. Considérons de nouveau l’Evangile où Jésus dit à Pierre : « Et moi je te dis : tu es Pierre et, sur cette pierre, j’édifierai mon Eglise et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » (Mt 16, 18-19)

Le christianisme n’est pas une religion abstraite, théorique. C’est une institution créée dans l’espace et le temps, une organisation ecclésiastique, dans laquelle il y a le Pape, successeur de Pierre, il y a les évêques et les prêtres, successeurs des disciples de Jésus. L’Eglise est une institution dans laquelle il y a les sacrements, la liturgie et les édifices pour le culte. Il est vrai que cet élément humain dans l’Eglise peut être imparfait et peut même parfois prêter à scandale, mais cela témoigne encore plus comment l’Eglise, institution de Jésus, malgré les faiblesses humaines, est porteuse de cette foi divine qui permet aux chrétiens de rejoindre la vie éternelle.

3. Enfin, la troisième expression réaliste du comportement chrétien tient dans l’unité des principales vérités de la foi, vérifiée tous les jours par ses oeuvres comme l’a dit l’Apôtre Saint Jacques dans sa lettre : « à quoi sert, mes frères, que quelqu’un dise avoir la foi s’il n’a pas les oeuvres ? Cette foi peut-elle le sauver ?... Il en est ainsi de la foi : si elle n’a pas les oeuvres, elle est morte en elle-même » (Jc 2, 14 ; 17)

Dès lors la foi à elle seule ne suffit pas à la rédemption. Les oeuvres constituent le témoignage d’authenticité de notre foi chrétienne. Elles configurent le comportement de chaque chrétien sur le modèle du divin Rédempteur, le Seigneur Jésus-Christ. Lui, avec ces oeuvres qui l’ont porté à être cloué sur la croix, au Golgotha, il a témoigné dans le concret quotidien de l’unité entre la vie et la foi en Dieu.

Voilà quelle est l’expérience chrétienne, vécue en plénitude, selon la vérité. Seule cette expérience produit du fruit dans la vie quotidienne et porte au salut, à la louange et à la gloire de Dieu !

 

Homélie de son Eminence le cardinal Vinko Puljic

Archevêque de Sarajevo

Fatima, le 19 juin 1996

Chers confrères dans le Saint Ordre sacerdotal,

si nous désirons nous désaltérer à des eaux limpides et fraîches, alors il faut aller aux sources. Ce soir, en réfléchissant sur notre nature sacerdotale, nous aussi nous voulons aller aux sources, et notre source c’est la dernière Cène. Le Seigneur a commandé à ses élus de faire ce qu’Il avait fait. Il a voulu avoir confiance en nous, quand il nous a confiés d’accomplir en son nom la plus grande action sacrée sur terre. Maintenant, ici – à cette source de notre sacerdoce – nous voulons redécouvrir le profil du prêtre qui « en vertu du sang du Christ peut entrer dans le Sancta Sanctorum, ce nouveau chemin vivifiant » (Heb 10, 19). Puisque nous prononçons sur le pain les paroles de Jésus : « Ceci est mon corps » (Lc 22, 19), nous aussi, dans l’accomplissement de notre mission, nous devenons du pain rompu pour les autres. Il est donc bien de s’arrêter aux sources de notre identité sacerdotale pour nous redécouvrir nous-mêmes et nous reconnaître dans notre mission au service des autres.

De quel profil de prêtre notre temps a-t-il besoin ?

1. Le prêtre est homme de prière

Jésus, plongé dans la prière, était une provocation pour ses disciples, lesquels, désirant l’imiter, lui demandèrent : « Seigneur, apprends-nous à prier » (Lc 11, 1). Tout prêtre est maître et témoin de prière, parce que nous n’enseignons pas seulement ce que nous disons, mais aussi Celui de qui nous tenons nos paroles. Et c’est justement notre familiarité avec le Christ, à travers la prière, qui nous conforme à l’esprit du Christ et nous rend crédibles en tant que ses envoyés.

2. Le prêtre est un homme plein de Dieu

Le Seigneur a prié pour nous « non pour nous retirer du monde, mais pour nous protéger du malin » (cf. Jn 17, 15). Nous devons porter à ce monde, auquel nous sommes envoyés, les valeurs spirituelles qui rayonnent de notre plénitude. Il nous faut être proche de l’homme et non son égal si nous voulons le porter à suivre Celui qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). L’ange, en visitant Marie pour Lui annoncer l’Incarnation, l’appela « pleine de grâce », parce qu’elle conçut d’abord par la foi et ensuite par l’opération du Saint-Esprit. Ainsi en est-il de notre mission : la bouche doit parler de la plénitude du cœur.

3. Le prêtre est homme pour les autres

A la source de notre identité, nous sommes appelés à réaliser ce que le Seigneur a fait (cf. Lc 22, 19), lui qui a dit « le fils de l’homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la libération des hommes » (Mt 20, 28). C’est en cela que consiste notre mission sacerdotale : suivre le Maître, vivre en puisant à la source, et être ainsi toujours reconnu pour son disciple. L’essentiel de la spiritualité tient dans le service pour le salut du monde.

4. Le prêtre est homme dans le chemin de sainteté.

Dans notre nom même – sacerdos – nous portons une référence à la sainteté. Tout le contenu de la mission sacerdotale consiste à s’occuper des choses saintes, à nourrir avec le saint, à annoncer et témoigner le saint. Le prêtre remplit les coeurs des autres avec ce dont il s’occupe toujours par vocation, il rayonnera donc ce dont son cœur est plein. Au cours d’une rencontre, un médecin psychiatre me disait : « Si les prêtres avec leur regard irradiaient plus de sûreté envers l’éternité et le saint, nous aurions moins de travail ! »

5. Le prêtre est l’homme de la simplicité

Simplicité du langage, simplicité du rapport aux autres, simplicité dans le comportement et le vêtement... En faisant ainsi le prêtre sera un homme que les autres pourront facilement accepter ; un homme auquel s’adresser avec confiance et sans réserves et sur qui pouvoir compter vraiment. Nous sommes témoins du fait que la simplicité du Seigneur conquiert les petits et les malades, les pauvres comme les gens cultivés.

6. Le prêtre est homme de l’humanité

Cette humanité est soulignée dans la compréhension qu’il a des autres, dans l’accueil de l’autre, dans l’estime pour l’autre, spécialement des plus nécessiteux, des plus faibles, des marginaux. En particulier, le prêtre irradie son humanité grâce à sa bonté irrésistible, qui sait allumer une lumière en toute circonstance, au lieu de maudire stérilement les ténèbres.

7. Le prêtre est l’homme de la joie

Ce n’est que si nous sommes heureux de et dans notre vocation, même quand nous sommes dans les larmes, que nous serons crédibles, que nous serons une force qui provoque les plus jeunes à la générosité, pour qu’ils entreprennent eux aussi ce même chemin. Les hommes qui irradient la joie de leur vocation inspirent confiance aux autres. Et nous pouvons faire cela parce que nous ne sommes pas envoyés en notre propre nom. Nous ne nous sommes pas choisis. C’est le Seigneur qui nous a choisis, et c’est l’Eglise qui nous a consacrés et nous a envoyés. Même quand nous parcourons notre Via Crucis, nous cheminons derrière le Christ crucifié et nous devenons pain rompu et donné aux autres. Malgré notre fragilité, il a eu confiance en nous quand il a dit : « Faites ceci en mémoire de moi ».

Nous pouvons dire nous aussi avec Marie : « Voici la servante du Seigneur ! Qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38).

 

Homélie de Son Eminence le cardinal Jan Chryzostom Korec

Evêque de Nitra -Slovaquie
le 20 juin 1996

Très chers frères ! Nous nous trouvons à Fatima, en un lieu sacré d’apparitions de la Vierge Marie. Fatima est devenue la maison spirituelle de toute l’Eglise et a un sens dans le monde entier. Fatima nous rappelle tant de dons de Dieu reçus par le monde. Cela nous porte à la gratitude et nous maintient dans l’espérance, même au milieu de notre monde malheureux. Les dons de Dieu liés à Fatima nous font revivre. Ce n’est pas seulement le souvenir des apparitions. C’est la vie elle-même, la vie selon ces apparitions. Le souvenir de Fatima devient plus qu’un simple rappel ! Il signifie vivre le passé avec le cœur, et recueillir dans l’âme tout ce qui est survenu rapidement, pour le faire vraiment nôtre, pour notre vie humaine, chrétienne et sacerdotale.

Pour cet enrichissement spirituel du cœur et de la vie, nous nous sommes réunis nous aussi, maintenant à Fatima. Nous ne sommes pas les premiers. Avant nous des centaines de milliers de personnes ont déjà approfondi ici leur vie de foi, la vie de leurs familles et de leur peuple – les mères, les pères, la jeunesse, les prêtres, les évêques. La sacralité de Fatima a attiré l’attention aussi des successeurs de Pierre. Pie XII a salué Fatima à travers le Radio message d’octobre 1942, de nouveau le 13 mai 1946 et encore le 13 octobre 1951. Puis il a consacré tout le genre humain à la Vierge de Fatima, spécialement les peuples de la Russie... Le Pape Paul VI a envoyé la rose d’or au sanctuaire de Notre-Dame de Fatima en novembre 1964 et le 13 mai 1967 il a personnellement visité cette terre bénie par la Vierge de Fatima.

Et le Saint Père Jean-Paul II ? Après la surprise et l’horreur, quand le monde entier reçut le 13 mai 1981 la nouvelle de l’attentat de la place Saint-Pierre, perpétré contre sa personne, nous avons vécu une nouvelle surprise – quand un an après, guéri, il est venu personnellement à Fatima, plein de gratitude envers la Vierge de Fatima. Le Saint-Père a commencé ici son homélie à partir des mêmes paroles d’Evangile que nous venons d’entendre :

« Jean ... entendit du haut de la croix les paroles de Jésus : « Voici ta Mère ! Et auparavant Jésus avait dit à sa mère : ‘Femme, voici ton fils !...’ et dès cet instant le disciple la pris chez lui » (Jn 19, 27).

Très chers frères ! Ces paroles de l’Evangile nous sont aussi destinées. La Mère du Seigneur, nous l’avons reçue tous et chacun comme notre Mère. Nous sommes ses enfants. Et nous devons toujours être avec elle, et elle doit toujours être avec nous. Elle doit vivre avec nous et nous avec elle. Telle est la volonté suprême que nous a déclarée le Fils de Dieu du haut de la croix. Que nous dit tout cela ? À quoi tout cela nous confronte-t-il ? Que signifie cela pour notre vie, en ces temps difficiles de la vie de l’Eglise, de nos peuples, en ces temps difficiles de la vie de notre monde ? Voilà ce qui nous vient à l’esprit quand nous considérons les événements au pied de la croix – en regardant Marie et son disciple Jean.

L’apôtre Jean faisait partie de ceux que Jésus avait choisis lui-même, qu’il avait particulièrement aimés et retenus capables pour être témoins de ses souffrances et aussi de sa gloire. L’apôtre Jean a connu tout cela. Mais sous la croix il ne pouvait pas consoler Jésus par sa fidélité. Le regard du Maître sur Jean a peut-être encore augmenté la douleur de Jésus. Jean pourtant appartenait à la croix et aussi à la solitude de Jésus sur la croix. Nous aussi, nous appartenons avec lui à la croix de Jésus. Jésus en réalité n’était pas tout seul sur la croix. Il a vu la Mère, il a vu le disciple. Jean ne s’est pas trouvé auprès de la croix seulement pour pouvoir raconter toute sa vie ces événements, au titre de témoin oculaire. Le mystère de sa présence auprès de la croix était plus profond. C’était la participation à la croix. Il devait être une consolation pour Jésus, mais en réalité il était peut-être une souffrance encore plus grande. Sa présence auprès de la croix creusait jusqu’en son fond la douleur de Jésus. La douleur de Jésus était d’autant plus grande que l’amour s’épanchait, en ces instants de proximité avec les âmes de la Mère et du disciple. Celui qui meurt tout seul meurt peut-être un peu plus doucement que celui qui regarde ceux qu’il aime et qu’il doit abandonner, de qui il prend congé. Jésus a également donné au Père cette douleur étendue. Mais la douleur elle-même s’est gravée aussi dans le coeur de la Mère et de l’Apôtre Jean. C’était une douleur donnée et offerte. C’est ainsi que la Mère et le disciple ont été attirés pour toujours dans le sacrifice de Jésus. Nous aussi nous rencontrons la douleur dans notre vie. Nous aussi nous devons donner et offrir et insérer nos douleurs dans le sacrifice du Seigneur.

Jean l’Apôtre doit aussi, après le Golgotha, demeurer avec la Mère dans une communauté. Ils doivent vivre cette vie qui, à travers l’amour du coeur, sera cachée en Dieu. Mais ils doivent aussi persévérer dans la mission de Jésus, chacun pourtant à sa façon. Tous les deux vivront dans le Christ. La Mère, Jésus l’a confiée au sacerdoce de Jean. Elle, elle inclut ce sacerdoce dans sa prière, et elle prend sur elle, dans la vie sacerdotale et apostolique de Jean, ce qu’elle sait déjà supporter en tant que mère – de continuels sacrifices et la persévérance. La Vierge Marie a déjà ici l’expérience humaine et spirituelle du service qu’elle a rendu pendant tant d’années à son Fils. Elle donnera à Jean ce qu’elle a donné d’abord à Jésus – elle était son soutien. Elle est la première à qui a été confiée la mission de Jean le prêtre. Jean est le premier à avoir été confié à ses prières et à sa protection. La Vierge Marie a accompli ce devoir de Mère dans la vie des prêtres à travers toute l’histoire, et elle accomplit ce devoir jusqu’à aujourd’hui.

Le sacerdoce de Jean ne consiste pas seulement dans son lien avec le Seigneur. La Vierge Marie également fait partie de la vie sacerdotale de Jean. Jésus lui-même l’a confiée à Jean et à elle il a confié Jean. Du fait que la Vierge est devenue la mère de Jésus, elle participe pour toujours non seulement à sa vie, mais aussi à son oeuvre. En effet cette oeuvre – l’Eglise – ne peut être séparée de la vie de Jésus. Ainsi la Vierge Marie participe à la naissance et aussi à la croissance de l’Eglise. Cette participation de la Vierge Marie s’effectue aussi par le moyen de l’Apôtre Jean. Par son intermédiaire, elle participe à la mission de l’Eglise et à la mission de tous les chrétiens. La Vierge Marie n’est jamais devenue ni Apôtre ni prêtre. Elle est pourtant devenue dans l’Eglise la Mère des Apôtres et la Mère des prêtres. Elle est devenue la Mère de l’Eglise édifiée sur les Apôtres et sur la roche – sur Pierre. L’Apôtre Pierre écrira plus tard et confirmera que la Pierre de l’Eglise est Pierre comme pasteur principal du troupeau de Dieu.

Jésus sur le Golgotha s’en va. Il s’en va vers le Père. Mais la Vierge Marie est Mère à ce point qu’elle ne sera jamais sans son Fils – elle est pour l’éternité unie à Jésus. Par le moyen de l’Apôtre Jean, elle sera unie aussi avec la communauté de l’Eglise et en son sein elle reste pour toujours la Mère dans l’amour de Jésus – elle sera la Mère des frères et des soeurs de Jésus, que le Père a accueilli comme siens. Elle demeure au milieu des fils et des filles du Père. Ainsi, de façon encore plus profonde et plus durable, elle participera au mandat de son Fils au milieu de son Eglise.

Jean a reçu de Jésus tant de manifestations de son attention qu’il sait ce qu’est l’amour. Il acceptait de tout coeur l’attention et l’amour de Jésus et il voulait le dilater encore de toute son âme. Maintenant le Seigneur lui a confié sa Mère. Si Jean veut prendre la place du Fils envers la Mère de celui-ci, il doit apprendre à l’aimer ainsi, comme Jésus l’aimait. Jean doit apprendre à aimer comme Jésus. Dans son rapport à cette Mère, il doit apprendre à donner l’amour, également à tous les autres qui lui seront confiés. La vie avec la Vierge Marie sera pour Jean une école d’amour. La Mère qui a vécu l’amour de Jésus, maintenant doit enseigner l’amour aux disciples, et dans l’amour du disciple elle doit presque reconnaître son propre Fils. La Vierge Marie enseigne toujours l’amour à chacun de nous.

La Vierge Marie et Jean doivent, les premiers, accomplir le commandement de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Cet amour sera un modèle pour les communautés chrétiennes dans la foi. Dans la communauté de la Vierge Marie et de Jean, il ne s’est pas seulement agi de leur bonheur personnel. Ce n’était pas le dernier motif ni le plus profond de cet amour prescrit : « Aimez-vous les uns les autres ». Jésus leur a fait ce don pour qu’ils le diffusent. Ils ont reçu son amour débordant pour le répandre avec débordement. Jésus leur a tant donné son amour que nous autres, dans ce lien de la Mère et du disciple, nous touchons directement son coeur. Dans la vie qui s’en est suivie, de la Mère et du disciple, nous voyons de façon vive et concrète qu’existe la possibilité d’un amour vrai, comme l’a souhaité le Seigneur. Cet amour continue jusqu’à nos jours – jusqu’à Fatima. C’est la preuve que cet amour est possible, que la grâce du Seigneur peut le rendre réel et qu’il le fait effectivement – l’amour entre la Mère et les disciples.

« Voici ta mère, ton Fils... » – c’est ce que vit toute personne vraiment croyante. La mère de Jésus, la Vierge de Fatima, est pour toujours la Mère de Jésus. Et puisque Jésus nous a accueillis comme ses frères, sa mère est aussi notre mère – là aussi pour toujours. Jésus lui-même nous l’a dit.

Combien de choses donne à l’homme croyant son rapport à la Vierge Marie ! Combien de choses cela donne à un prêtre ! La Vierge Marie était notre Mère également dans ma patrie, en Slovaquie, durant ces longues années de quarante ans de persécution de la part de l’athéisme communiste des pays d’Europe centrale et orientale. Sur les lieux de pèlerinage de la Vierge, chez nous se réunissaient des foules de centaines de milliers de croyants – y compris les jeunes. La mère du Seigneur était notre force, elle était notre soutien, elle était notre espérance. Oh, combien nous avions besoin d’elle durant ces longues années de persécution ! Humiliés, espionnés et oppressés, toujours nous l’avons honorée. Dans les usines, dans les prisons et dans la vie publique, elle était tous les jours auprès de nous. L’aide de Marie était presque palpable pour nous. Son aide était même nécessaire pour nous – dans la grande indigence, nous avons toujours été soutenus par sa protection. La haine du pouvoir athée s’est manifestée brutalement pendant toute notre vie. Chacun avait peur de chacun. L’enseignant avait peur des élèves, les élèves de l’enseignant. Le père avait peur de son fils, le fils de son père. Le frère avait peur de son frère, l’employé de l’employé, l’ouvrier de l’ouvrier, le ministre du ministre. Les dénonciateurs ont triomphé. Un écrivain slovaque qui a abandonné l’Eglise pour devenir athée n’a reçu à la fin, comme toute récompense de la part du régime athée, que la persécution. Il est alors revenu à l’Eglise. Avant de mourir il m’a écrit une lettre dans laquelle il confessait : « Monseigneur l’Evêque, j’écoute vos pensées à la radio, de l’étranger... je vous remercie. Du fond du coeur, je reconnais que toutes les autorités qui ont blasphémé Dieu nous ont brutalement humiliés... Monseigneur l’Evêque, je vous en prie, que l’on m’enterre dans la terre consacrée... » Voilà ce qu’écrivait un auteur retourné à l’Eglise.

Ainsi de nombreuses personnes, y compris parmi celles qui se sont laissé tromper par l’athéisme, ont reconnu la monstruosité d’un système sans Dieu qui s’est écroulé à la fin. Nous avons attendu et persévéré pendant quarante ans, toujours dans la profonde confiance dans les promesses de la Vierge de Fatima, que nous avons toujours vénéré et à qui nous avons toujours adressé nos prières. La liberté, d’autres nations l’ont vu ensuite également, y compris les peuples de Russie.

Ici à Fatima nous sentons surtout la présence de la Vierge Marie, la présence de Dieu qui nous accompagne sur les chemins du monde. Ici, nous comprenons l’identité de la famille chrétienne avec la famille humaine. Le Christ vit toujours avec nous ! Et sa Mère aussi est avec nous. Ici à Fatima, nous vivons un mystère. Mystère de la foi vive et efficace. Le Pape Jean-Paul II l’a connu personnellement, ce mystère de la Vierge de Fatima, après que la Vierge l’ait protégé de la mort le 13 mai 1981, comme lui-même l’a confirmé.

Très chers frères ! Prions durant notre célébration de l’eucharistie pour le monde entier et toute l’Eglise. Prions pour nous, pour que nous repartions de Fatima spirituellement rénovés, vers nos peuples, nos diocèses, nos croyants, nos confrères dans le service pastoral. Prions pour que nous revenions de Fatima, de chez la Mère du Seigneur, avec une foi approfondie, une plus grande fidélité envers le Dieu vivant, le Père du crucifié et du Seigneur ressuscité, dans son Esprit saint. Prions, pour revenir de Fatima encore plus unis dans l’amour pour l’Eglise du Seigneur, fidèles à Pierre – la pierre d’aujourd’hui, sur laquelle est bâtie l’Eglise de par la volonté du Seigneur. Prions durant cette eucharistie, pour qu’après le retour vers nos peuples et nos fidèles nous annoncions avec une vitalité et une persuasion encore plus grandes la Parole de l’Evangile. Prions pour que sous la protection de la Vierge de Fatima, nous soyons un exemple vivant de l’unité dans l’amour pour ce monde bouleversé et malheureux. Prions afin que nous annoncions l’Evangile comme des hommes de Dieu, choisis et envoyés dans le monde par le Seigneur ressuscité lui-même – Jésus-Christ, Fils de la Mère Marie, de la Mère de l’Eglise.

Vierge de Fatima, Mère de l’Eglise, priez pour nous !

 

 

Chemin de Croix

Première station : Jésus est condamné à mort

S.E. Mgr Serafim de Sousa

Evêque de Leiria-Fatima

L’évangéliste saint Marc raconte ainsi : « Pilate, voulant satisfaire la foule, leur relâcha Barabbas, et après avoir fait flageller Jésus, le leur remit pour qu’il soit crucifié ».

Avec un regard serein de pardon et de paix, l’Innocent entendit la sentence de mort. Et il l’accepta !

Pour que tous aient la vie. Il est la vie !

... Tu savais, Oh Christ, ce qui devait arriver. Sans fatalisme ! Tu sais, oh Christ, ce qui se passe. Sans que cela doive fatalement arriver.

Les caprices paradoxaux de l’autorité constituée continuent de nos jours. Les abus criminels du pouvoir politique ou populaire se multiplient. Des erreurs crasses se commettent dans les systèmes judiciaires. Mais ce n’est pas ta volonté. Tu demandes la conversion de chacun et à tous tu offres le salut.

... Nous autres, tes prêtres dans le sacerdoce ministériel, nous te promettons de lutter, dans la liberté responsable, en faveur de la vie. Toujours. De tous. Nous voulons ton règne !

Nous te remercions pour la mission que tu nous as confiée dans ton Eglise. Et nous demandons pardon de nos lâchetés et infidélités.

... Aides-nous oh Christ. Amen.

 

Seconde station : Jésus est chargé de sa croix

Mons. Franco Hilary

États-Unis

Pilate l’a condamné. Les chefs politiques et religieux sont contents de se débarrasser d’un suborneur. La foule elle-même, qui était allée à ses devants avec enthousiasme le dimanche des rameaux, aujourd’hui s’est révoltée contre lui et avec le même enthousiasme elle a insisté pour sa crucifixion.

Il était allé au-delà du raisonnable en entreprenant des voyages exténuants pour proclamer le jour du salut ; il est prêt maintenant à commencer un autre type de voyage qui le portera à la conclusion de son expérience humaine. Et c’est ainsi qu’IL ACCEPTA LA CROIX.

Il l’avait pourtant bien dit à ses disciples « qu’il était destiné à monter à Jérusalem et à souffrir beaucoup à cause des anciens, des grands prêtres et des scribes, à être mis à mort pour ressusciter le troisième jour » (Mt 16, 21), mais Pierre, indigné comme les autres Apôtres, ne l’avait pas cru, au point d’être vertement tancé : « Tu es un obstacle sur mon chemin, parce que ta façon de penser n’est pas celle de Dieu mais d’un homme » (Mt 16, 23).

Cette croix était si difficile à comprendre ! Elle l’était alors, mais elle l’est encore maintenant, Seigneur ! Si je ne t’avais pas vu quand tu l’as acceptée, cette croix, pour moi aussi il aurait été très difficile de comprendre pourquoi la semaine dernière j’ai dû enterrer un enfant de cinq ans à peine, ou de comprendre le motif des souffrances indicibles d’une mère morte à quarante et un ans d’un cancer, ou de celles d’un bon père de famille qui à quarante-sept ans va mourir de leucémie, en abandonnant des enfants très jeunes qui ne parviennent pas à comprendre quel est le plan providentiel de Dieu sur leur avenir !

Je leur ai parlé de TOI, comment toi, Seigneur, tu as accepté cette croix, pour rendre moins pesante leur croix et celle de leurs parents.

Je te trouve là, Seigneur, où je trouve les pauvres, les persécutés, les opprimés, les victimes de guerres apparemment incompréhensibles... je te trouve là, Seigneur, à partager leurs croix !

Seigneur Jésus, je t’en conjure, fais-moi comprendre !

Je sais que ta croix est faite de deux morceaux de bois, celui horizontal qui signifie la mort et celui vertical qui signifie la vie ! Je sais aussi que la croix est un problème de souffrance et de mort, et que ta présence sur cette croix représente la solution du problème, parce que tu es le Crucifié !

Fais-moi comprendre que tu as accepté la croix par Amour de mon néant, pour que je puisse faire la même chose pour toi, pour ces frères et soeurs qui rejettent cette monotonie qui marque souvent nos journées, qui ne supportent pas le découragement sous ses diverses formes, les désillusions, les tensions, les obstacles, les préoccupations, et, n’acceptant pas la croix, ont besoin de ton amour.

 

Troisième station : Jésus tombe pour la première fois

Mgr. Alexandre Pietrryk

Côte d’Ivoire

Nous tombons sous le poids de nos péchés quelque soit notre âge et quelque soit notre dignité ou notre mérite dans l’Église, et par toutes sortes de faiblesses. Et la liturgie nous rappelle que nous tombons  « par paroles, par actions et par omissions ».

Nous tombons dans le découragement, ou au contraire dans la superstition, dans la vanité, dans l’idolâtrie. L’idolâtrie reste une tentation constante de la foi. Elle consiste à diviniser ce qui n’est pas Dieu. Il y idolâtrie quand un prêtre vénère une créature à la place de Dieu, quand il honore et place une valeur au-dessus de Dieu, qu’il s'agisse du pouvoir, du plaisir, de l’argent, de la race, des ancêtres, de l’Etat, d’une culture. Il y a idolâtrie quand le service de Dieu devient insidieusement notre vanité : par notre prêche efficace ou brillant, par notre manière de chanter, par le nombre de nos fidèles, par la modernité de nos méthodes pastorales, par les contacts importants aux yeux du monde que nous pouvons avoir... Les fautes des hommes chargés du sacerdoce sont multiples. Laquelle est la première ? Mysterium iniquitatis. Nous tombons. Et Jésus lui aussi est tombé sous le poids de nos péchés.

Mais la sainte Croix était sur son épaule, la Croix de l’humilité et la Croix de l’épreuve. Nos fautes et les épreuves que le Maître inflige à ses disciples nous humilient. Mais parce que nous voulons suivre le chemin de notre Maître bien-aimé, nous disons avec le psalmiste :

« Je suis pauvre et humilié,

le Seigneur pense à moi.

Tu es mon aide et mon libérateur ;

mon Dieu, ne tarde pas » (Ps 39 (40), 18).

Et le Seigneur susurre à mon oreille :

« Sans les épreuves il est impossible d’être vigoureux... Quand Dieu veut délivrer de leurs tentations ses enfants, Il ne leur enlève pas les épreuves, mais Il leur donne la patience de les supporter. Car c’est dans la patience qu’ils deviennent parfaits » (Isaac le Syrien 1/268, 264). C’est dans l’épreuve qu’ils apprennent à aimer totalement (Jean Galot).

Le Christ nous a aimés totalement dans l’épreuve de la Croix. Sous son poids, tu est tombé, Seigneur, mais tu t’es relevé pour aller vers ta mort et vers ta Résurrection. Comme toi, nous avons à nous relever, à mourir à nous-mêmes et à poursuivre notre ministère qui est d’annoncer ta Résurrection. Avec confiance car  « le Seigneur, lui, m’a assisté ; il m’a revêtu de force, afin que par moi le message fut pleinement proclamé et qu’il fut entendu de tous les païens... Le Seigneur me délivrera de toute entreprise perverse et me sauvera pour son Royaume céleste » (2 Tm 4, 17-18).

« Père Eternel, par les souffrances endurées par Jésus dans sa première chute sous la Croix, fais que je ne tombe plus dans le Péché. En remerciement d’un tel don, je t’offre ses mérites infinis, les douleurs et les mérites de la Vierge Marie » (S. Vincent Pallotti)

Que les âmes des fidèles défunts reposent en paix.

Amen.

 

 

Quatrième station : Jésus rencontre sa mère

Mgr. Antonio Tammaro, vicaire général d’Aversa

« Pourquoi pleures-tu, ma Mère ?....

Pourquoi te laisses-tu aller à perdre contenance

au milieu des autres femmes ?

Veux-tu que je ne souffres plus,

que je n’ailles pas rencontrer la mort ?

Comment alors rachèterais-je Adam ?

Que je n’ailles pas habiter un sépulcre ?

Comment alors pourrais-je ramener à la vie

ceux qui demeurent dans l’Hadès ?

C’est vrai, tu le sais toi aussi,

je suis crucifié injustement.

Mais pourquoi pleurer, ma Mère ?

Crie donc plutôt ceci :

c’est parce qu’il le veut que souffre mon Fils et mon Dieu. »

(Romain le Mélode, VI siècle)

La piété chrétienne médite, dans cette station, la rencontre émouvante de Marie avec son Fils, chargé de sa croix et déjà rendu méconnaissable par les coups reçus.

Pensons aux rencontres de Jésus avec sa Mère !

« Ineffable » la rencontre dans le mystère de l’Incarnation ;

« Très douce » la rencontre à Bethléem dans le gel d’une grotte ;

« Rassurante » celle du temple après qu’elle l’ait perdu ;

« Joyeuse » au long des routes de Galilée lors de la vie publique.

Terrible ! Terrible cette rencontre le long de la route vers le Calvaire !

Le temps pour que la vie de son Fils subisse ce tragique épilogue était-il vraiment venu ?

Cela n’avait-il pas été déjà prédit par le vieillard Siméon ?

Une douleur sans mesure grandissait face à ce sort inéluctable : elle, la flagellée sans fouet, la transpercée sans coup d’épée, la crucifiée sans croix !

Que d’humanité dans cette douleur sans voix : c’est une Mère !

Le regard résigné, sa montée sans clameur jusqu’au sommet la font apparaître à l’écart, et pourtant nous savons qu’elle est présente : sa vie est fondue avec celle de son Fils.

Cette vie terrestre que Marie avait ainsi courageusement donnée était maintenant arrachée par la stupidité d’hommes abrutis par la politique, par l’argent, par la haine aveuglante et stupide.

Des hommes qui jouissent du spectacle le plus féroce jamais mis en scène : la mort subtile, lente, répugnante et atroce de leur semblable !

La terreur prend corps et forme, elle déchire et dévaste cette créature délicate et transparente, qui assiste impuissante à ce spectacle horrible dans lequel l’homme se précipite sur l’homme, même si cette fois c’est sur Dieu que l’homme se jette.

Et pourtant, quelle pudeur dans cette grande douleur.

Elle n’invective pas, elle la Mère ; elle ne maudit pas, elle n’insulte pas, elle ne s’enfuit pas, mais elle reste à la suite du Christ en renouvelant silencieusement son « FIAT » !

Chaque fois qu’un destin touche à son terme, que des mères désarmées acceptent silencieusement le fléau inexplicable qui s’abat sur elles, Marie, la Mère de tous les croyants, est présente en elles, et elle monte accablée au long des rues pierreuses, baignées de sang, les rues de son Fils Eternel – Amour.

 

Cinquième station : Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix

P. Luis Ignacio Nuñes, L.C.

Mexique

Pensons au bien immense que peut faire le prêtre ne serait-ce qu’en prenant la croix de Jésus et en le suivant. Nous ne devons jamais succomber à la fascination des oripeaux d’une vie facile, commode et sans croix.

Qu’aucun prêtre ne se fasse illusion. Le Christ est exigeant ; son chemin est étroit. Lui-même n’a pas caché cette vérité ni la difficulté qu’il y a à le suivre, et c’est pour cela qu’il invite à entrer par la porte étroite. Tout son enseignement se résume dans l’invitation radicale : « Celui qui veut venir avec moi, qu’il prenne sa croix et me suive ».

Oui, le mystère le plus beau de la vie sacerdotale est cette croix qui constitue la rencontre de l’humain et du divin. Ne cherchons pas à être consolés dans le monde, quand le Christ nous demande d’être ouverts à quelque chose de plus ; ne cherchons pas le repos, quand le Christ nous demande et nous appelle à monter plus haut ; ne cherchons pas la paix, quand le Christ nous demande de demeurer plein d’élan et sur pied de guerre.

En tant que prêtre, nous devons toujours être des cyrénéens. Ne songeons donc pas à une vie sans croix. Mais pensons plutôt aux croix avec le Christ. Parce que la croix est un instrument connaturel à la vie de l’homme ; et spécialement pour ceux qui, par vocation, ont accepté de suivre le Christ sur le chemin du Calvaire. Alors donc, nous porterons cette croix avec joie, avec l’amour dont on aime ce qui nous appartient en propre ; nous porterons cette croix avec l’optimisme du chrétien qui connaît, grâce à la foi, la transcendance de sa vie face à l’éternité ; nous porterons cette croix et nous aiderons les autres à la porter, comme de bons samaritains.

Seigneur Jésus, fais-nous la grâce de porter avec enthousiasme et constance la croix que tu nous a concédée dans ta bonté, pour t’accompagner sur le chemin du Calvaire, animés de l’amour pour les âmes éloignées de toi. Aides-nous à être des hommes qui compatissent en présence de la souffrance des autres, pour les aider avec la générosité du Cyrénéen à porter leur croix. Grave dans notre esprit et notre coeur cet acte suprême d’amour par lequel tu as rompu l’amertume et le poids de la souffrance, les convertissant en douceur et en moyen indispensable de salut et de sanctification. Puissions nous répondre à la constance de la douleur dans notre vie par la constance de l’amour, et à l’intensité de la souffrance par l’intensité de l’offrande.

 

Sixième station : Véronique essuie la Face de Jésus

Mgr. Jean-François Guérin

France

L’Evangile, la Tradition et la Piété chrétienne nous ont conservé, Seigneur, quelques gestes de Charité de femmes compatissantes aux douleurs de votre Chemin de Croix :

- Marie, votre Mère au coeur douloureux, vient en premier comme il se doit. C’est sa place et toute sa place que de vous rencontrer et de vous accompagner dans ces heures cruelles.

- Véronique, un courage de femme généreuse, bravant l’hostilité et l’insulte de la meute qui vous harcèle, devançant la compassion des filles de Jérusalem et se plaçant avec les saintes femmes qui seront au pied de la croix, à l’heure suprême de votre mort.

- À travers ces coeurs de femmes, c’est autant de gestes de la pitié divine qui s’accomplissent autant pour vous soulager que pour vous accabler de douloureuse tendresse.

- Sainte Véronique est celle qui a contemplé votre face ; la contemplation n’a pu, en elle, que précéder et inspirer l’acte de son courage et de sa compassion. C’est une bonne ouvre de Dieu qu’elle vient accomplir envers Vous.

- « Vera Icona », elle a su dans sa foi reconnaître la vraie Icône, la vraie Image, Votre Face un temps défigurée, bafouée et méprisée. À travers vos souffrances indicibles, elle a su voir le Visage de Dieu. Elle a vu votre Sainte Face s’imprimer sur le voile de Sa Charité. Votre Charité a répondu à la sienne, car c’est Vous qui aimez toujours le premier, votre Charité l’a fait entrer dans la Charité pour le Pauvre de tous les temps. Partout où l’on se souviendra du geste d’amour pour la Face douloureuse de vos pauvres, partout vous serez là.

- Avec les Martin, les Jean de Dieu, les Vincent de Paul et tant d’autres, nous essuierons vos plaies dans celles de ceux que vous appelez plus particulièrement à entrer dans votre Passion, éprouvés dans leur chair et dans leur coeur, jusqu’à la fin du monde.

- C’est aussi Vous que tant de femmes, tant de Véronique, reconnaîtront et panseront, par Amour du Père pour Vous e pour les Pauvres confondus avec Vous, les plaies et les misères des hommes.

- Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, devant le Mystère de votre Sainte Face voudra en porter le Nom pour mieux prendre part à la Rédemption du monde et des prêtres. « Afin que je ressemble à Jésus », sera sa prière préférée. Elle pensera aux prêtres que nous sommes de par Vous et en Vous et pour lesquels elle prie et se livre.

- C’est à Marie, c’est à la Véronique, c’est à Thérèse, que nous confierons nos regards de prêtres, nos coeurs de prêtres, pour les pauvres qui sont pour nous le visage ténébreux de votre Passion mais derrière lequel se cache le Mystère de votre Sainte Face dans la Gloire de la Résurrection.

- Votre Face et la Face de vos pauvres nous sollicitent, nous engagent, nous appellent à vous suivre. Nous voulons être des prêtres qui vous ressemblent, nous voulons être votre Image, votre Icône.

- C’est en prêtres et pour les prêtres du monde entier que nous crions ici : « Seigneur, montrez-nous votre Face et nous serons sauvés... et nous sauverons le Sacerdoce, le vôtre et celui de tous nos frères prêtres... »

Sainte Véronique, Saint Martin, Sainte Thérèse, Notre-Dame da Fatima, priez pour nous, priez pour les prêtres de la Face douloureuse et glorieuse de Jésus.

 

Septième station : Jésus tombe pour la deuxième fois

Abbé Noël O. Sanvicente

Philippines

La croix de bois pesait lourd, la distance que Notre Seigneur avait parcourue était déjà grande, ses genoux étaient affaiblis, tout son corps était façonné par la douleur, et maintenant il devait soulever la croix et couronner sa souffrance par sa propre mort. Pour la deuxième fois, Jésus tomba.

Le chemin du Calvaire était pavé de la patience de Notre Seigneur, de sa détermination, de son acceptation de la mort pour nous, de son silence, de son abandon, de sa vie, de son amour. Il tomba, et pourtant cela ne signifia pas qu’il renonçait. À cet instant, il se souvint de nous tous, le peuple qu’il aime. À ce point, Notre Seigneur obéit encore à la volonté du Père. Il tomba, et alors il demeura fidèle, le coeur plein de miséricorde, la volonté brûlante dans sa détermination à obéir à son Père, le corps plein du désir d’être offert pour notre salut.

Cher Seigneur, nous nous rappelons ici nos frères prêtres qui souffrent la persécution. Ceux qui sont en train de lutter pour obtenir justice et paix dans le monde. Nous vous demandons de leur accorder la grâce de persévérer dans leur mission, malgré les difficultés et les épreuves qu’ils traversent. Nous nous rappelons nos frères prêtres qui maintenant sont en prise au découragement et à la frustration. Seigneur, s’il vous plaît, accordez-leur la grâce de redécouvrir la valeur de la croix et de la souffrance. Prions pour que nous puissions comme vous être obéissant au Père, que nous puissions demeurer fidèles aux promesses de notre ordination. Aidez-nous à progresser dans notre façon de présenter la miséricorde, d’offrir de l’amour, dans ce travail pour la paix et la justice, dans ce goût pour la patience, et dans cette participation à la construction de l’Eglise des Béatitudes.

Marie, Mère de Jésus et Mère des prêtres, priez pour nous, pour que dans les moments de tentation et de chute nous puissions rester debout, et poursuivre ce chemin du salut que nous propose votre Fils !

 

Huitième station : Jésus rencontre les femmes de Jérusalem

Mgr Manuel Fernando de Souza e Silva

Braga (Portugal)

Une grande masse du peuple le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Mais, se retournant vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car voici venir des jours où l’on dira : Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n’ont pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri. Alors on se mettra à dire aux montagnes : « Tombez sur nous » et aux collines : « Couvrez-nous » ! Car si l’on traite ainsi le bois vert, qu’adviendra-t-il du sec ? » (Lc 23, 27-30).

Face au passage profond que nous vivons, d’un vieux monde qui agonise à un nouveau monde qui naît, nous rencontrons nécessairement une crise des valeurs. Nous nous lamentons de l’errance de la jeunesse, de la contestation de valeurs morales élémentaires, de la sécularisation qui nous porte à organiser la vie comme si Dieu n’existait pas. L’angoisse que nous ressentons est la réaction normale d’un esprit qui ne voit pas d’issue à cette situation.

Il est très facile et commode, pour nous les prêtres, de nous réfugier dans une attitude inerte, de nous lamenter de tout ce qui arrive. Nous nous lamentons les mains liées, comme quelqu’un qui ne sait pas quoi faire, ou les bras croisés, comme celui qui attend calmement une solution miraculeuse.

Une telle attitude dénonce notre manque d’espérance, et elle s’enracine dans une foi faible, dans une vie spirituelle anémique. C’est exactement contre ce genre d’attitude que Jésus met en garde les femmes de Jérusalem, en leur indiquant, comme à nous aussi, la vraie attitude à tenir.

« Pleurez plutôt sur vous-mêmes »

Frères prêtres, regardons au fond de nous !

Le Seigneur nous demande la conversion, l’abandon de notre vie de routine, à la lumière de l’Evangile que rappelle ce message de Fatima, proclamé ici par Notre-Dame il y a 79 ans. N’ayons pas peur, nous non plus, d’ouvrir les portes de notre coeur à Jésus-Christ ! N’ayons pas peur des exigences de la sainteté personnelle.

Et demandons-nous à nous-mêmes, courageusement : « Où en est ma vie de prière, d’intimité avec Dieu ? Comment célèbré-je l’Eucharistie, ce renouvellement du mystère pascal du Christ ? Me suis-je identifié à Lui, en cet instant unique de ma vie sacerdotale ?

Comment fais-je réparation envers Jésus offensé, spécialement dans l’Eucharistie... comme le recommandait l’ange gardien du Portugal aux petits bergers, tout près d’ici dans la « Loca do Cabeço » ?

Quels sont les signes que je présente de la présence du Christ Rédempteur ? Suis-je reconnaissable comme prêtre au service de tous, dans la façon même de me présenter ?

Est-ce que je vis pour servir, spécialement les plus nécessiteux, dans un choix authentique des pauvres ? Le grand signe que le monde attend de l’Eglise et de ses prêtres est, d’une façon spéciale, de « laver les pieds à ses frères », comme le dit le Divin Maître au Cénacle, le soir du Jeudi saint.

« Pleurez plutôt sur vos fils »

Tous les fidèles sont coresponsables de la mission de l’Eglise. Le prêtre y trouve, en vertu du sacrement de l’Ordre qu’il a reçu, la mission spéciale d’offrir au Christ la possibilité d’une présence visible : les lèvres pour annoncer la Parole de Dieu ; les mains pour bénir et tracer le signe de croix, en pardonnant les péchés ; les pieds, pour parcourir sans repos les chemins de la terre à la recherche de la brebis perdue ; les yeux pour s’émouvoir face aux problèmes humains, pour sourire en répandant la confiance, pour exprimer l’amour. « Le Maître passe, quelques fois, très près de nous. Il nous regarde... Et si tu le vois, si tu l’écoutes, si tu ne lui opposes pas de résistance, Il t’enseignera comment donner un sens surnaturel à toutes tes actions... Et alors, toi aussi tu sèmeras, là où tu te trouves, la consolation, la paix et la joie » (Bx Josemaria Escrivà, le premier pèlerin de Fatima sur les autels, in Chemin de Croix, VIII° station, n. 4).

Le démon sait y faire pour nous enthousiasmer à propos de choses, bonnes en général, mais qui nous éloignent de l’accomplissement de ce travail que nous seuls pouvons réaliser : l’évangélisation et l’administration des sacrements ; l’animation de la communauté de foi, et la sollicitude envers ceux qui ne sont pas capables de poursuivre sur la route entreprise, ou qui s’en sont éloignés.

Nous sommes encore tentés d’effacer tous les signes qui nous identifient comme prêtres, interdisant aux autres de réclamer notre aide comme tels !

Dans cette 8° station, nous rencontrons un appel à la sainteté personnelle et à l’apostolat. Sainteté personnelle et apostolat sont comme les deux pieds avec lesquels nous devons cheminer vers le ciel. Nous sommes appelés à être le grain qui se livre généreusement à la mort de tous les jours, pour que beaucoup aient la vie en abondance.

Et alors, au lieu des ombres menaçantes qu’indique Jésus à ces femmes sensibles, un nouveau monde naîtra, grâce aussi à notre générosité.

Notre Dieu ne perd pas une bataille, il compte sur nous pour les nouveaux temps de lumière qui s’approchent.

Il n’y a pas de place pour les pessimismes. La croix est signe d’espérance.

 

Neuvième station : La troisième chute

William Somali

Patriarcat Latin de Jérusalem

Plus Jésus s’approchait du calvaire, plus sa croix devenait lourde. Elle opprimait son corps, meurtri par des flagellations inhumaines, affaibli par la fatigue, la faim, la soif et les chutes précédentes. À cela s’ajoutaient les moqueries de la foule et des soldats, la lâcheté et la trahison des Apôtres, des disciples et des chrétiens de tous les temps. Jésus a porté le poids de nos péchés. En lui s’accomplit la prophétie d’Isaïe : Objet de mépris, abandonné des hommes, homme des douleurs, familier de la souffrance, comme quelqu’un devant qui l'on voile la face, méprisé, nous n’en faisions aucun cas. Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé... Jahvé a fait retomber sur lui nos fautes à tous" (Is 53, 5-3-6).

***

La force qui le poussait encore à poursuivre son chemin était sa certitude qu’il était aimé du Père, que sa souffrance avait une valeur rédemptrice, qu’elle était une source de vie pour les hommes créés à son image, et que par ses chutes. Jésus nous aidait à nous relever. Le même Isaïe poursuit : « Dans ses blessures nous trouvions la guérison... Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s’accablant lui-même de leurs fautes » (Is 53, 5.11).

***

Jésus continue à porter sa croix dans les hommes d’aujourd’hui. Les souffrances physiques et psychologiques, les maladies longes et incurables sont le prolongement de sa croix.

Beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants en sont des victimes innocentes. Devant l’absurdité de la souffrance humaine, l’unique réponse valable est que Jésus fut une victime innocente et qu’il s’est rallié aux opprimés et aux victimes de tous les temps et qu’il a porté ce même poids jusqu’à tomber trois fois. Il n’a pas supprimé la souffrance, mais lui a donné un sens. Il l’a sanctifiée et l’a rendue source de vie.

Que peut répondre l’Eglise devant l’accusation d’avoir gardé le silence dans certaines guerres et sous des régimes totalitaires et tyranniques ? Elle peut témoigner qu’elle a été elle-même persécutée et qu’elle a partagé les souffrances du peuple. L’exemple du Père Maximilien Kolbe et de centaines d’autres restera dans la mémoire de tous les prêtres. Jésus veut que son Eglise prenne le parti des opprimés et des malades et qu’elle voie et aime en eux le visage du Christ.

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Nous pensons aussi aux souffrances physiques e, psychologiques de milliers de prêtres dans 1e monde. Jésus leur a donné d’être à son image et à sa ressemblance. Nous prions afin qu’ils soient courageux devant 1a souffrance, les persécutions et la mort, et qu’ils croient en la valeur de ce qu’ils souffrent et offrent au Seigneur.

Dans le sacrement de la réconciliation, le prêtre est témoin des chutes et des faiblesses des hommes. Jésus veut que nous soyons aussi témoins de sa sainteté, de sa compassion, de la force de sa résurrection et de son pardon qui aide les hommes à se relever.

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Nous pensons aussi aux prêtres pour qui les engagements sacerdotaux, surtout l’obéissance et le célibat consacré, sont devenus un poids, afin que notre prière, notre charité et communion sacerdotales les aide à dépasser leur solitude et leur isolement et à reprendre courage.

Seigneur, que ton relèvement après ta troisième chute nous donne du courage pour nous relever après les difficultés auxquelles nous sommes souvent exposés.

 

 

Dixième station : Jésus est dépouillé de ses vêtements


Abbé Jozef Zaniewski

Jésus ! tu as permis qu’on te dépouille complètement… y compris de ton dernier vêtement, celui que ta chère mère avait réalisé pour toi… parce que celui qui se consacre au service de Dieu ne peut plus être lié par une entrave matérielle, par le bien-être, son confort et la recherche des plaisirs. Il doit être un homme libre ! Les biens matériels, temporels, instables et passagers ne peuvent rendre esclave l’homme, qui a été créé à l’image de Dieu, dans la réponse à sa vocation à la gloire de Dieu et au salut. La mort dépouille tout le monde de la même manière.

Mon Dieu ! J’ai fait librement ce choix de pauvreté, pour être complètement libre dans la recherche des biens éternels et pour être plus libre dans l’approfondissement de ma vie spirituelle, pour mieux servir l’homme et chercher à gagner le Royaume de Dieu. Et que se passe-t-il en pratique dans ma vie quotidienne ? Pourquoi les biens matériels et tout ce qui les accompagne me paralysent-ils tous les jours, entravent-ils mes pensées et mes oeuvres et enchaînent-ils les sentiments de mon coeur ?

Oh divin Sauveur ! Tranche par ta grâce tous les liens qui me tiennent en esclavage, permets-moi de te louer également dans ma vie matérielle et donne-moi un ample souffle de liberté, de fils de Dieu. Que ton image, dépouillée du dernier vêtement, me confirme dans cette résolution.

 

Onzième station : Jésus est cloué à la Croix

Abbé André Havugimana (Rwanda)

Ô Jésus, Fils bien aimé du Père, notre Frère et notre Seigneur,

Par trois fois, tu es tombé à terre, par trois fois tu t’es relevé.

Voici venue l’heure de ta victoire, l’heure de la défaite du prince de ce monde.

Tu es cloué à la croix et tu es élevé en croix. C’est le moment culminant de ta vie.

- Le Calvaire est le point de ralliement pour l’humanité en détresse et en proie à l’injustice et à l’oppression. Ta croix illumine notre monde en désarroi.

- En croix, les brans étendus, tu embrasses tous les peuples. Tu les attires à Toi.

- De ta croix, devenue ton trône de justice et ta chaire de vérité, tu laisses au monde ton dernier message. Qu’il s’approche de ta croix et boive à ta coupe, qui veut changer la face de la terre.

- Au pied de ta croix de toujours, nous méditons de nouveau les 7 paroles que tu nous as dites : Parole de vie et de vérité.

- Donne à tes disciples rassemblés en ce moment, de se recueillir et d’accueillir ton Testament d’un coeur humble et pur, comme Marie, ta Mère, et comme ton disciple bien-aimé.

Au pied de la croix, nous devenons tes frères, car tu nous donnes à ta Mère : « Voici ton fils ».

Au pied de la croix, Marie devient notre Mère : « Voici ta Mère ».

Pardonne-nous nos lâchetés, car nous sommes de ceux qui désespèrent au moment de la tribulation.

- Donne-nous de reconnaître notre part de responsabilité dans les souffrances et les épreuves qu’endurent nos frères. Fais-nous la grâce de nous réconcilier avec nos détracteurs.

-Nous sommes de ceux qui ont mangé et vu à ta table. Comme aux convives des noces de Cana, tu fais notre joie. Et du fond de notre abîme et de notre détresse, quand nous crions vers Toi, tu nous sauves. Pourtant quand un de nos frères nous crie : « J’ai faim, j’ai soif », nous ne reconnaissons pas ta voix.

- Seigneur Jésus, prends pitié de toutes nos infidélités, de tout notre égoïsme, de toutes nos hypocrisies et de toutes nos attitudes d’indifférence.

- Seigneur d’amour et de miséricorde, sois le réconfort des orphelins, des veuves et des veufs, des handicapés, des réfugiés, des prisonniers, des affamés et assoiffés, des sans abris et de tous ces peuples meurtris par des guerres ouvertes ou latentes et leurs conséquences.

- Au milieu de nos tourments, apprends-nous à nous remettre entre les mains du Père, et, comme Toi, à mettre, avant tout autre intérêt, la volonté du Père, pour mériter ta douce promesse d’être avec Toi au Paradis.

Amen.

 

Douzième station : Jésus meurt sur la croix

Abbé Fr. Lourdusamy

(Inde)

Aux yeux des juifs, la mort de Jésus était un châtiment. Mais pour Jésus, cette mort était un acte de libération de l’humanité, face aux manoeuvres des forces diaboliques qui font de l’existence humaine un esclavage. Concernant la mort de Jésus, il faut clairement comprendre deux points.

Tout d’abord, c’est d’une volonté libre que Jésus, en harmonie avec le plan de rédemption du Père éternel, abandonne sa vie. C’est pourquoi il dit : « Personne ne prend ma vie, c’est moi qui la donne ».

Ensuite, Jésus a donné sa vie dans le but de ressusciter par son propre pouvoir. « J’ai le pouvoir de donner ma vie et celui de la reprendre ». Cela démontre comment la mort n’est pas encore la fin. En d’autres mots, la douleur, la souffrance et le mal du monde ne peuvent nous mener à la perte éternelle ni à la condamnation.

Toutes nos agonies humaines et nos souffrances prennent un nouveau sens. Quand nous regardons le corps crucifié de Jésus, l’espérance envahit nos visages agonisants. La face brûlée par le soleil du travailleur journalier, les mains rugueuses du soutien de famille, membre de ces peuples au-dessous du seuil de pauvreté, le dos courbé des porte-faix, tout cela reçoit un énorme rayon de lumière et d’espérance. Ils font l’expérience de la mort et de la résurrection quotidienne dans leur vie de souffrance. Que la mort de Jésus nous aide à mourir et à ressusciter dans les événements quotidiens de la vie.

Marie, la mère de Jésus, est associée avec beaucoup d’intimité à ce travail de rédemption de Notre Seigneur, à travers l’incarnation, la passion et la crucifixion. C’est ainsi à juste titre que nous pouvons l’appeler la « Co-rédemptrice », la Médiatrice de la grâce. Quand nous voyons des femmes en Inde se déplacer avec peine sous le soleil brûlant, quand nous les voyons maltraitées par leurs maris qui dépensent en boissons le salaire d’une journée, oublieux des besoins vitaux de leur épouse et de leurs enfants, quand nous voyons les femmes de chez nous porter tous les jours sur leur tête l’eau pour boire... elles ont Marie, le modèle parfait de la femme, qui se tient aux pieds de la croix et console ces femmes souffrantes, en leur donnant l’espérance de la résurrection.

 

Treizième station : Jésus est descendu de la croix

Mgr. Francisco de Assis Pereira

Vicaire Général – Natal (Brésil)

 

« Le soir venu, il vint un homme riche d’Arimathie, du nom de Joseph, qui s’était fait, lui aussi, disciple de Jésus. Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus... Joseph prit donc le corps, le roula dans un linceul propre » (Mt 27, 57-59).

Du haut de sa croix, bien qu’ « objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance » (Is 53, 3), Jésus est exalté et glorifié par le Père : « Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil. 2, 9).

La croix est le trône sur lequel il exerce sa royauté. Maintenant pourtant, l’anéantissement et le dépouillement semblent atteindre leur sommet, parce que l’Exalté est abaissé, déposé de la Croix, pour recevoir un « sépulcre avec les impies » (Is 53, 9), en tout semblable à nous, hormis le péché.

Joseph d’Arimathie, par son geste généreux, exerce un ministère, une « diakonia », en enveloppant d’un blanc linceul le serviteur de Yahvé, le dernier de tous les hommes. Rappel puissant à savoir nous pencher sur nos frères souffrants, exclus, nus et affamés, qui complètent dans leur chair la passion de Jésus, et à savoir les couvrir du manteau de la fraternité et de la solidarité.

Pourtant, le service des frères ne peut être séparé du service du Seigneur, dans la liturgie et la prière. Comme Joseph d’Arimathie, nous sommes appelés à envelopper le corps du Seigneur dans les blancs linges de l’autel, lors de la célébration des saints mystères, et à le parfumer du nectar de la sainteté. Alors seulement, nous serons prêts au ministère et à la charité pastorale.

Et Marie qui reçut dans ses bras ce corps exsangue du Seigneur, accueillera aussi en son sein maternel tous ses fils prêtres, continuateurs de la mission de son Divin Fils !

 

 

Quatorzième station : La mise au tombeau

Mgr. Francesco Cuccarese

Archevêque de Pescara-Penne (Italie)

Nous sommes au terme du Chemin de croix. Le Christ a fini de monter la colline du Golgotha ; il est monté encore plus haut et en haut il nous a portés nous aussi ; il a même emmené la famille humaine tout entière. Mais maintenant il est descendu de la Croix ; il est dans les bras de sa Mère, le havre de paix de tout fils.

Le Crucifié a déjà adressé à son Père son cri messianique : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (cf. Ps 21). Le Crucifié a déjà recueilli les plaintes et les invocations déchirantes élevées de la terre vers le ciel depuis le début du temps.

Le Crucifié a été déposé de son insoupçonnable ‘trône de gloire’, après avoir exclamé son « Consummatum est » : la parole de la fidélité extrême, le sceau de toute son oeuvre de rédemption. Le Crucifié déposé de la Croix : c’est la scène, très douce et très tendre, de la Pietà ; c’est donc un tableau marial : Marie serre sur son coeur le Fils qu’elle avait engendré, pour un dernier baiser. C’est la Fille de Sion, la Femme-Peuple (et donc, l’Eglise) qui recueille le Crucifié, mort d’épuisement dans sa lutte contre Satan, l’ « Ennemi » que nous n’aurions jamais pu abattre.

Le Crucifié est déposé ! C’est une leçon pour nous tous, les prêtres. Dé-poser, se déposer, c’est le mot grave de la Croix, une parole sévère qui descend du magistère de la Croix.

Notre mission également, très chers prêtres, doit se dérouler sur le filigrane de cette icône de la compassion et de la piété ; nous aussi, nous sommes appelés à monter, mais sur la croix seulement ; nous sommes appelés à nous dé-poser, c’est-à-dire à nous abaisser épuisés par notre mission.

Jésus déposé de la Croix est étendu dans le tombeau ! Ainsi, sorti de notre vie par sa mort sur la Croix, il est maintenant soustrait également aux yeux de notre chair avec son statut de défunt. Il y a cette grande crainte : peut-être le Christ a-t-il disparu pour toujours ? Reviendra-t-il encore ? Notre foi est mise à rude épreuve. Notre espérance est appelée à résister à la tentation de céder au découragement le plus grave.

Prêtres ! Jésus déposé de la Croix et enseveli dans le sépulcre nous admoneste, nous aussi. Qu’en serait-il de nous si Jésus disparaissait de notre vie ? Mais notre mission n’est-elle pas déjà marquée par cette terrible hypothèse ? En tant de domaines, notre époque n’est-elle pas un temps sans Christ ? Aux portes du nouveau millénaire ne devons-nous pas constater que le mystère du Samedi saint dure encore, avec son Christ caché ? Pour les mondes de la culture, de l’éducation, de l’économie, de la politique, du droit de notre époque, le Christ n’est-il pas encore « dans le tombeau » ?

À quatre ans du début du troisième millénaire, du fond du tombeau du Christ monte vers nous les prêtres l’appel à recréer dans le coeur des nouvelles générations le désir du Christ, à solliciter la nostalgie de son retour, à porter la cause de l’Evangile au sommet de nos pensées, à chercher avant tout le Règne de Dieu et sa justice, pour avoir le reste « en surplus » (cf. Mt 6, 33).

Il nous est demandé, pour le nouveau millénaire chrétien qui va commencer, de créer plus de temps et d’espace pour le Christ. C’est la demande que le Saint-Père nous adresse depuis le début de son pontificat avec des paroles douces et aussi des cris qui reviennent, avec leur écho, remuer notre âme.

- Le premier cri, c’est celui de la place Saint-Pierre par lequel Jean-Paul II a commencé son service pontifical, le 22 octobre 1978 : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ ! Ouvrez à son pouvoir sauveur les frontières des Etats, les systèmes économiques et politiques, les vastes domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait « ce qu’il y a dans l’homme ». Lui seul le sait. »

- Le second cri, c’est celui au Colisée de Rome. À la fin du « Chemin de Croix » de 1994, vous vous en souviendrez, Jean-Paul II, après avoir évoqué les « montagnes de Croix » présentes dans le monde et dans les Eglises, et après avoir rappelé les nombreux « Colisées » érigés dans les plaies les plus diverses du monde entier, s’est exclamé d’une voix forte : « Sans la Croix, l’homme n’a pas de racines, il est détruit » ; et il accompagnait son cri d’énergiques gestes manuels, comme s’il voulait le rendre plus fort, s’il voulait l’aider à descendre au fond des coeurs de ceux qui l’écoutaient. Après quoi, d’une voix solennelle, nous admonestant, il a martelé la citation de Saint Paul : « Ne evacuatur crux Christi » (1Cor 1, 17) : Que ne soit pas réduite à néant la Croix du Christ !

Prêtres ! Écoutons la voix de Jean-Paul II : ramenons le Christ au monde et encourageons ce dernier à ne pas le craindre. Disons-lui plutôt que l’unique peur qui soit à prendre en compte, c’est de perdre le Christ, de vivre sans lui, comme s’il était encore enfermé dans le tombeau de Jérusalem.

Annonçons aux hommes du troisième millénaire, avec un nouvel enthousiasme, que le Christ est sorti du tombeau, qu’il siège « à la droite du Père », c’est-à-dire dans ‘l’endroit’ le plus proche pour rejoindre tous les hommes et les sauver.

Très chers prêtres, sur la vague du cri apostolique de Jean-Paul II, crions nous aussi aux hommes de notre époque : « N’ayez pas peur du Christ ! Et donnons raison, par le témoignage d’une foi très vive, de notre cri missionnaire : le Christ est « Le Premier, le Dernier et le Vivant » (Ap 1, 17).

 

Quinzième station : la Résurrection

Cardinal José Sanchez

Par trois fois, Notre Seigneur informa ses disciples de l’imminence de sa passion et de sa mort à Jérusalem, et de la résurrection qui s’ensuivrait le troisième jour. « Nous devons monter à Jérusalem pour que tout ce qu’ont écrit les prophètes sur le Fils de Dieu soit réalisé ». Et de fait, il vint réaliser l’oeuvre que lui avait confiée le Père. Tout ce qui touche à sa passion et à sa mort, tout a été pleinement réalisé, CONSUMMATUM EST ! Les pouvoirs des ténèbres et du diable semblent avoir vaincu ! C’est alors que le paradoxe divin est sur le point de se réaliser. L’heure de gloire du Christ est à portée de main. L’heure est venue pour le Fils de l’Homme d’être glorifié, parce que le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt que pour donner un fruit abondant. « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire » ? (Lc 24, 26)

Nous t’adorons ô Christ et nous te bénissons,

Parce que par ta sainte Croix tu as racheté le monde.

Lecture de l’Evangile selon saint Luc (24, 5-8)

« Les hommes dirent aux femmes : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici ; mais il est ressuscité. Rappelez-vous comment il vous a parlé, quand il était encore en Galilée : il faut, disait-il, que le Fils de l’Homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. » »

MEDITATION : La résurrection de Jésus est le sceau final de son identité de Fils de Dieu envoyé dans le monde pour notre rédemption. Sa revendication. De fait, notre foi repose sur la réalité de la résurrection. « Si le Christ n’est pas ressuscité », dit saint Paul, « notre prédication est sans contenu et notre foi est vaine ». De la même façon, saint Pierre demande que celui qui prendra la place de Judas dans le ministère apostolique soit « l’un de ceux qui ont été témoins avec nous de la résurrection » du Seigneur Jésus.

Même les scribes et les pharisiens réalisèrent quel rôle crucial la résurrection aurait eu à l’avenir pour ceux qui se réclameraient du Christ. C’est pourquoi ils demandèrent à Pilate de faire garder la tombe de Jésus par des sentinelles, de peur que « ses disciples ne vinssent le dérober et ne disent au peuple : « Il est ressuscité des morts ! » Cette dernière imposture serait pire que la première. » Et quand les gardes leur rapportèrent que Jésus était réellement ressuscité des morts, ils espérèrent encore s’opposer à la nouvelle en attribuant une forte somme d’argent aux soldats, avec cette consigne : « Vous direz ceci : ‘Ses disciples sont venus de nuit et l’ont dérobé tandis que nous dormions’. »

Mes frères, nous avons le privilège d’être choisis et envoyés par le Seigneur lui-même (‘vous ne m’avez pas choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis’), pour proclamer jusqu’aux extrémités de la terre les merveilles de l’amour infini de Dieu pour nous : sa mort et sa Résurrection, cette foi et cet événement grâce auquel ses disciples peuvent avoir la vie éternelle. La vérité est de notre côté. Il nous reste seulement à proclamer la vérité aux hommes pour les amener à croire et en faire des disciples du Christ. Nous devons proclamer ce dont les ennemis du Christ s’efforcent d’empêcher la proclamation au monde d’aujourd’hui et de demain.

PRIERE : Père éternel, dans ton infinie bonté tu nous a choisis pour être participants au sacerdoce de ton Fils notre Seigneur Jésus-Christ, et particulièrement durant ces années de préparation au troisième millénaire. Concède-nous la grâce spéciale de proclamer à tous avec fermeté la joie de la résurrection de Jésus, certitude et fondement de notre foi, et espérance de la vie éternelle que tu nous as promise dans Jésus le Christ notre Seigneur. Amen.

 

Chapelet

1er mystère glorieux : la Résurrection

Cardinal Kasimierz Swiatek

La Résurrection du Seigneur ne doit pas être contemplée seulement du point de vue de notre vie éternelle ; elle devrait être méditée également pour ses conséquences sur notre vie terrestre. Cette méditation nous fait découvrir une renaissance spirituelle de nos âmes rachetées par le sang du Christ, une renaissance tendue vers la Résurrection du Seigneur qui nous a fait approcher de la gloire céleste.

Concrètement, la renaissance doit atteindre notre esprit, notre volonté et notre coeur.

1. (L’esprit) : de même que Jésus-Christ a été enseveli après sa mort, et que sa tombe fut fermée par des pierres, scellée et surveillée par les gardes, ainsi notre esprit tombe de temps en temps dans la mort spirituelle. Cette mort qui est aussi la perte de la foi vivante survient quand nous cédons à l’indifférence, aux doutes, aux préjugés, aux opinions humaines contradictoires, aux peurs, à l’influence de la propagande antireligieuse. Et voici que la Résurrection de Notre Seigneur, réalisée parce qu’il est le Fils de Dieu, détruit les chaînes de la mort et redonne la vie ; elle libère notre esprit de l’incroyance et renforce dans notre âme la pleine renaissance de la foi en Dieu.

2. (La volonté) : il en va de même de notre volonté, qui devrait être soumise à la grâce de Dieu. Nous perdons la grâce à cause du péché, de la désobéissance à la volonté divine, des commodités, de la satisfaction des convoitises. La grâce divine diminue quand nous suivons les séductions de Satan, et que, de cette façon, notre lien avec Dieu se trouve menacé et interrompu, tant maintenant que dans l’éternité.

Notre Seigneur a souvent subi les conséquences de ces intentions perverses, qui mettent les hommes en nette opposition avec la loi de Dieu.

Seule la Résurrection de Notre Seigneur, qui a donné la preuve de sa divinité et nous a offert la garantie de l’immortalité, stimule notre volonté pour purifier notre âme de ses péchés, des faiblesses humaines, et laisse place à la grâce méritée par la passion et la mort du Sauveur.

3. (Le coeur) : pour finir le coeur, qu’envahissent parfois la colère, la haine et l’égoïsme, se vide de son amour pour Dieu et le prochain. Cette situation expose l’âme au danger de briser ce lien qui nous relie à Dieu dans la vie terrestre et la vie éternelle.

Jésus, souffrant à cause de la méchanceté des hommes et de cette haine qui commande sa crucifixion sur le Golgotha, devient Lui-même dans sa résurrection le signe de l’amour divin qui réussit à aimer jusqu’à ses propres ennemis. Dans la victoire sur la mort, sur cette conséquence de la perversité humaine, notre Rédempteur nous porte à la libération du coeur face à toutes les expressions de la haine et nous offre la possibilité de goûter l’amour de Dieu, gage de la récompense de la vie éternelle.

Que cette méditation nous aide à rentrer avec plus de profit dans le mystère pascal. Que la Résurrection du Seigneur agisse :

- sur notre esprit, pour qu’il s’éloigne de l’indifférence et s’approche du réalisme de la foi ;

- sur notre volonté, pour qu’il soit possible de passer du péché à la grâce ;

- sur notre coeur, pour que toute adversité soit vaincue par l’amour.

Pour vraiment comprendre la Résurrection du Seigneur, nous pouvons être grandement aidés par les témoignages de ces frères qui ont conservé la foi pendant de longues décennies en vivant sous le régime et la terreur athées, matérialistes. C’est là que sont morts des milliers d’innocents ; dans les prisons et les goulags soviétiques ! Avec un acharnement satanique, on a cherché à détruire le clergé et les églises. On a interdit l’éducation religieuse des enfants et des jeunes, on a persécuté les adultes à cause de leur pratique religieuse, on a injecté le venin de l’athéisme dans leur intelligence. Par ces formes de persécution, l’on a voulu créer le vide spirituel dans les âmes des hommes ! Tel fut le Golgotha du XXe siècle – un Golgotha conçu et réalisé par le gouvernement soviétique.

Que le témoignage vivant de l’Eglise durant les longues persécutions, la fidélité à Dieu, la renaissance de l’Eglise et de la vie religieuse parmi ces peuples nous stimulent tous pour vivre plus intimement, toujours et partout, notre lien au Christ ressuscité, pour rendre inlassablement louange à Dieu et ouvrir ainsi les portes à l’espérance de la vie éternelle !

 

2ème mystère glorieux : L’Ascension de Jésus au ciel.

Cardinal Jan Ch. Korec

Jésus, après ta crucifixion et ta résurrection tu es « glorieusement monté au ciel ». Tu nous l’as prédit : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; maintenant je laisse de nouveau le monde et je vais vers le Père » (Jn 16, 28). Tu es retourné vers le Père, glorieux également en tant qu’homme. Et pourtant tu es aussi demeuré avec nous, comme tu nous l’as dit : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Tu es demeuré avec nous comme la vigne, dans laquelle nous-mêmes sommes les rameaux. Nous sommes tes frères et tes soeurs, par le baptême tu nous donné le pouvoir de « devenir enfants de Dieu ». Nous le sommes dans ton Eglise, que tus remplis de ton Esprit et de ta sainte présence. Tu as bâti l’Eglise sur la Pierre – Pierre et ses douze apôtres. A Pierre tu as donné les clefs et le pouvoir de lier et délier, et tu as dit à tous les Apôtres : « Qui vous écoute m’écoute... » (Lc 10, 16).

Jésus, nous autres, au milieu de nos peuples, alors que les athées persécutaient la foi à loisir, pendant cinquante ans nous nous sommes toujours rappelés que nous t’appartenions, à toi le Seigneur ressuscité, que nous faisions partie de l’Eglise dans laquelle tu habites et que tu ravives de ton Esprit. Toi seul as été notre force, notre courage, tu as été notre espoir – pour nous de la Slovaquie le long du Danube, pour nos frères de Pologne, pour la Bohème et la Moravie, pour la Hongrie et les autres peuples persécutés. Ils nous ont traînés en prison, nous avons durement travaillé comme ouvriers en usines, nous avons toujours été espionnés par la police secrète, pendant cinquante ans on a attenté à notre vie, ils nous ont oppressés par la peur et les menaces... Mais nous le savions : nous appartenions à toi et à ton Eglise, dans l’unité avec la Mère de Jésus, Mère de l’Eglise, Vierge de Fatima. Nous avons entendu la voix des successeurs de Pierre, depuis Pie XII jusqu’à Jean-Paul II le pape d’aujourd’hui. Leur voix a été pour nous ta voix – toi seul nous as parlé depuis le Colisée de Rome, les Vendredi Saints, quand le Pape Paul VI, et, après lui, le successeur de Jean-Paul Ier, Jean-Paul II, priaient pour nous tous les persécutés – pour nous autres de Dresde à Vladivostok en passant par Varsovie, Hanoï, Pékin. Jésus, nous te remercions pour l’Eglise, dans laquelle nous te sommes unis dans l’amour ! Nous te remercions pour les successeurs de Pierre, que tu as établis comme Pierre de l’Eglise et par le moyen de qui tu renforces aujourd’hui comme il y a deux mille ans tes frères et soeurs dans le vaste monde. Seigneur, je te rends grâce pour la force que tu m’as donnée – que tu as donnée à un modeste fils de la Compagnie de Jésus, au long de quarante-cinq ans de vie épiscopale.

Jésus, nous te remercions pour avoir été près de nous dans les persécutions. Nous te remercions parce que tu nous unis encore aujourd’hui dans l’amour de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, répandue dans le monde entier. Nous te remercions parce que tu es dans la gloire à la droite du Père, et qu’en même temps tu marches à la droite de chacun d’entre nous, tu nous accompagnes la vie durant et tu nous donnes la force divine, afin que nous restions tes fidèles collaborateurs dans la famille de l’Eglise, unis au successeur de Pierre et guidés par les fidèles successeurs des Apôtres, au milieu de tout le chaos du monde d’aujourd’hui, toujours fidèles à toi et, dans l’unité du Saint-Esprit, fidèles au Père.

Jésus, sois toujours avec nous !

Jan Chrysostome Cardinal Korec

Evêque de Nitra, Slovaquie,

le plus ancien diocèse d’Europe centrale et orientale,

érigé en l’an 880.

 

Troisième mystère glorieux : La descente du Saint-Esprit sur Marie et les Apôtres, en prière au Cénacle

Cardinal Vinko Puljic

Archevêque de Vrhbosna

Bosnie-Herzégovine

Nous avons sous les yeux l’icône de l’événement de la Pentecôte. Marie est en prière avec les Apôtres. Bien qu’ils aient étudié pendant près de trois ans à l’école de Jésus la théologie du salut, les disciples sont maintenant témoins du Christ vivant, de ce qu’Il est et de ce qu’Il a fait. Et pourtant ils ne sont pas encore capables d’être prédicateurs et témoins courageux du Christ ressuscité. Ce n’est que par la descente du Saint-Esprit qu’ils deviennent capables de poursuivre l’œuvre du Christ.

La descente du Paraclet survient dans un contexte de prière, tandis que la communauté priait avec Marie. Après quoi Pierre sort le premier, il témoigne et il prêche.

Dans ce mystère, je reconnais ce qui fit la force de ma vie durant cette guerre qui a été livrée dans ma patrie, la Bosnie-Herzégovine, mais aussi la force et la fidélité de nombreux prêtres, religieux et religieuses, comme aussi de tant de fidèles laïcs dans les ténèbres de la guerre. Je viens de ce petit pays qui est maintenant, malheureusement, connu du monde entier parce que s’y sont passées des événements horribles. La Bosnie-Herzégovine est un pays où vivent trois peuples différents : les Serbes, les Croates et les musulmans ; ces derniers, au cours de la guerre, ont formé leur nation en se déclarant bosniaques. Les Croates sont en majorité catholiques, les Serbes à majorité orthodoxes bien qu’un grand nombre d’entre eux n’ait pas été baptisé, tandis que les musulmans sont devenus tels pendant la séculaire domination ottomane en Bosnie. Dans ce pays il y a quatre diocèses avec trois sièges : Sarajevo, Banja Luka et Mostar. Cette guerre n’est pas née dans le peuple, elle a été conçue par les hommes politiques de Belgrade, pour créer la grande Serbie, en conquérant et persécutant tous ceux qui ne sont pas serbes et en détruisant tous les signes et symboles des autres religions et cultures. Cette guerre a détruit les deux tiers de l’Eglise catholique dans notre région. Il suffit de dire que, seulement dans l’archidiocèse qui m’est confié, sur les 528.000 catholiques de 1991 il n’en reste que 200.000, tandis qu’ont été détruits ou endommagés près de 610 édifices religieux.

Là où j’ai pu reconnaître et constater la présence et la force de l’Esprit, c’est justement dans la disponibilité et l’empressement des prêtres à rester avec les fidèles, malgré les périls souvent mortels, pour rassembler leur troupeau et le nourrir de la parole de Dieu, laquelle, dans les ténèbres totales de la guerre, était l’unique lumière. Un témoignage particulier concerne Sarajevo où nous avons vécu pendant quatre ans comme dans une prison. Malgré les bombardements, dans toutes nos églises les saintes Messes ont été célébrées régulièrement, et les gens participaient aux célébrations eucharistiques, parce qu’ils cherchaient et trouvaient la consolation et la force divine. Le Seigneur a vraiment accompli un miracle, parce que lors de ces célébrations, personne n’est mort en se rendant ni en revenant de l’Eglise.

Pour moi en particulier, ce fut une belle expérience quand, à Noël et à Pâques, en même temps que mes prêtres, je confessais les fidèles, chose que nous avons pu organiser presque régulièrement. J’ai pu constater alors que les gens combattaient la haine avec la foi, la prière et le repentir, et qu’ils priaient pour leurs ennemis. J’ai encore perçu l’action de l’Esprit dans les fidèles, bien qu’ils fussent contraints de vivre dans une atmosphère saturée par tant de mal. Je me rappelle seulement que sur les routes de Sarajevo 12.000 civils ont été tués, et qu’il y eut cinq fois plus de blessés. Sur la base de mon expérience, je peux assurer qu’il fallait un grand courage pour parler et consoler avec foi les personnes affamées, contraintes à vivre dans une insécurité terrible. Il me fut particulièrement difficile de parler à Noël 1993. Je dis ouvertement qu'humainement je ne pouvais pas parler, mais que je laissais à la Parole incarnée le soin de parler et de nous consoler. Ce fut une expérience de foi profonde et touchante. Il est difficile de le décrire, comme il est terrible de se sentir isolés et abandonnés et de vivre des moments très difficiles quand on est complètement coupés du reste du monde. Avec qui se consoler, quelles décisions prendre, tandis que la guerre des medias t’assaille et sème la haine ?

J’ai expérimenté alors la vérité de la parole de Jésus : « Il vous sera donné à ce moment de quoi répondre ». Ou encore, qui peut décrire l’expérience des sorties et des entrées à Sarajevo, au milieu de mille périls mortels, des multiples postes de contrôle, pour me rendre dans les diverses paroisses et encourager les fidèles. Je me souviens seulement qu’il fallait passer par la route du Mont Igman, en conduisant de nuit et sans lumières. Nous étions en effet exposés au tir des assaillants, et c’est pourquoi il ne fallait pas qu’on voie la moindre lumière.

Chers confrères, nous devons donc prier davantage l’Esprit saint, pour qu’il allume en nous la force de l’apostolat et pour qu’il ravive en particulier ce don que nous avons reçu avec l’imposition des mains, pour être la communauté sacerdotale qui prie avec Marie, et qui expérimente la présence de l’Esprit qui nous guide.

 

Quatrième mystère glorieux : L’Assomption de Marie

S.E. Mgr. François-Xavier Van Thuân

Secrétaire du Conseil Pontifical "Justice et Paix"

Assumpta est Maria in coelum, alleluia (Liturgie)

Magnificat anima mea Dominum, alleluia (Lc 1,46)

"Réjouis-toi, Jérusalem ! Jubilez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez" (Is 66,10).

"Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici que ton Roi vient à toi !"(Za 9,9).

Marie est entrée au ciel. Sa joie est une joie qui s’enracine dans la foi que Dieu sauve, la joie du Salut.

L’Assomption, c’est l’anticipation de ce qui nous attend tous, de ce à quoi nous sommes promis par le baptême, c’est-à-dire notre "déification", selon l’expression de nos frères orthodoxes. "Si nous tenons fermes avec Lui, avec Lui nous régnerons" (2Tim 2,12).

Pour être unie à Jésus dans la gloire éternelle et pour chanter son Magnificat, Marie s’est offerte à Dieu inconditionnellement, en vivant son Fiat silencieusement, jour après jour, jusqu’au Stabat, auprès de la Croix de son fils.

Mes chers confrères, je suis heureux de me trouver parmi vous, pour prier Marie :

Mère, vois, dans tes prêtres, Jésus crucifié et abandonné. Montre ta miséricorde, offre ton secours à tes prêtres qui, malgré leur fragilité humaine, se sont sacrifiés à la suite de ton Fils : les prêtres âgés, isolés, malades, handicapés, éprouvés, blessés, désespérés, frustrés, en proie à toutes sortes de difficultés.

Moi aussi, je regarde ma vie de pauvre prêtre, avec 43 ans de sacerdoce, 29 ans d’épiscopat, plus de 13 ans passés en prison – dont 9 en isolement – à 1700 km de mon diocèse et, depuis 1988, en exil. Mon plus grand tourment, c’est de voir tomber tous mes projets pastoraux : plus de diocèse, plus de séminaire, plus de construction à réaliser...

Marie m’a fait comprendre que tout cela, ce sont des oeuvres de Dieu, mais pas Dieu : il faut choisir Dieu seul et sa volonté, en confiant toutes ses oeuvres en ses propres mains. Cette conviction m’a donné une grande paix. Le secret qui m’a donné la force de surmonter tout cela, c’est l’Eucharistie. Les fidèles m’ont envoyé un flacon de vin et de petits morceaux d’hostie, des "médicaments contre les maux d’estomac" ; chaque jour, avec 4 gouttes de vin et une goutte d’eau dans le creux de ma main, je célébrais la messe et donnait la communion à mes compagnons chrétiens, en leur passant l’hostie dessous la moustiquaire. Seuls les chrétiens savaient que dans chaque groupe, il y avait quelqu’un qui, dans la poche de sa chemise, avait un sachet en nylon contenant le Saint-Sacrement, et cela, jour et nuit : la prière, l’adoration, la présence de Jésus ont fait beaucoup de conversions.

L’amour de Jésus-Eucharistie me donne la force de voir et d’aimer Jésus dans les autres : mes compagnons, mais aussi mes ennemis, mes gardiens. Peu à peu, la méfiance, les soupçons, l’hostilité disparaissaient. On devient amis. C’est difficile... incompréhensible... mais c’est vrai. C’est le testament du Christ. Le bois de ma croix pectorale, la chaîne que je porte autour du cou et faite avec du fil électrique de la prison, grâce à l’aide de mes gardiens communistes, me rappellent qu’il faut aimer comme Jésus et Marie, pour changer les coeurs.

Parfois, à bout de forces, tout comme Marie, je regarde Jésus crucifié et abandonné sur la Croix, dans une immobilité absolue ; sa vie semble inutile, frustrée mais, aux yeux de Dieu, sur la Croix, Jésus a vécu le moment le plus important de sa vie : c’est là qu’il a offert son existence pour le salut de l’humanité.

Mère du Rédempteur, accompagne tes prêtes ; avec toi, nous voulons suivre les pas de Jésus :

ses pas errants vers l’étable de Bethléem

ses pas inquiets sur la route de l’Egypte

ses pas pressés sur le chemin du retour vers la maison de Nazareth

ses pas joyeux pour monter au temple

ses pas fatigués pendant trente années de labeur

ses pas diligents à la recherche de la brebis perdue

ses pas douloureux à l’entrée de Jérusalem

ses pas solitaires devant le prétoire

ses pas chancelants sous la croix, sur la route du Calvaire.

Nous voulons parcourir le monde, porter ton message de Fatima, qui est aussi message de nouvelle évangélisation, message de conversion, message du Grande Jubilé de l’An 2000, franchir le pas triomphal du matin de Pâques.

 

 

Cinquième mystère glorieux : Le couronnement de Marie dans les cieux

Père Luli, SJ (Albanie)

 

« Reine des Anges et des saints,

Reine du ciel et de la terre. »

 

Dans ce dernier mystère glorieux, nous sommes invités à lever les yeux vers le ciel et à contempler la gloire de Marie couronnée reine du ciel et de la terre, reine des anges et des saints.

Le couronnement de Marie, sa participation à la gloire du Fils ressuscité est l’achèvement d’une vie vécue dans la fidélité au projet de Dieu sur Elle, fidélité qui a connu le passage à travers le terrible mystère de la souffrance et de la croix.

En vérité les dernières images que l’Evangile nous a transmises sur Marie sont celle de sa présence au pied de la croix de son Fils, et l’autre, non moins significative, qui la montre en prière dans le Cénacle avec l’Eglise naissante. Marie est exemple de fidélité auprès de son fils Jésus, qui porte à son achèvement sa mission de salut à travers le don de sa propre vie, et elle est exemple de fidélité à l’Eglise, laquelle continue l’œuvre de salut du Christ.

C’est ainsi que Marie, mes très chers frères prêtres, devient « le miroir » de notre mission sacerdotale, modèle pour la façon de vivre notre vie, y compris quand l’ombre de la croix, de l’épreuve, de la solitude, s’étend sur elle.

Je bénis le Seigneur qui m’a donné, à moi son pauvre et humble ministre, la grâce de lui rester fidèle dans une vie pratiquement toute vécue dans les chaînes. Seule la grâce pouvait faire cela.

Je suis albanais et vous savez tous que mon pays sort tout juste des ténèbres d’une dictature communiste parmi les plus cruelles et insensées, qui a déversé sa haine sur tout ce qui pouvait d’une certaine façon parler de Dieu. Beaucoup de mes confrères sont morts martyrs : il m’a été donné par contre de vivre. Je suis entré en prison en 1947, après un procès faux et injuste : je venais de finir ma formation. J’ai vécu dix-sept ans en prison ferme et autant en travaux forcés. Je n’ai pratiquement connu ce qu’est la liberté qu’à 80 ans, quand en 1989 j’ai pu dire ma première messe au milieu des gens. Humainement parlant, on m’a dépouillé du droit de vivre.

Mais aujourd’hui je reparcours en esprit cette vie, et je me rends compte qu’elle a été un miracle de la grâce de Dieu, et je m’étonne d’avoir pu supporter tant de souffrance, avec une force qui n’est pas ma force, en conservant une sérénité qui ne pouvait avoir d'autres sources que le cœur de Dieu.

Ils m’ont opprimé par toutes sortes de tortures : quand ils m’arrêtèrent la première fois ils me firent demeurer neuf mois dans les cabinets : je devais dormir par terre sur les excréments séchés sans jamais réussir à m’étendre complètement, tant le local était étroit. La nuit de Noël de ce premier mois, toujours dans ce local, ils me firent me déshabiller et me suspendirent à une poutre par une corde de façon que je ne puisse toucher terre qu’avec la pointe des pieds. Il faisait froid. Je sentais le gel monter le long de mon corps : c’était une sorte de mort lente : quand le gel était sur le point d’atteindre mon cœur, j’ai poussé un cri désespéré. Mes bourreaux accoururent, me rouèrent de coups puis me firent descendre. Ils me torturaient souvent avec le courant électrique : ils me mettaient les deux pôles aux oreilles : c’était une chose horrible, horrible. Un moment, ils avaient pris l’habitude de me lier pieds et poings avec du fil de fer, étendu par terre dans un local sombre plein de gros rats d’égouts. Les rats me couraient sur le corps sans que je puisse les chasser. Je porte encore aux poignets les marques de ce fil de fer qui me pénétrait la chair. Je vivais dans la crainte continuelle des interrogatoires, toujours accompagnés de violences physiques : je me rappelais alors les violences contre Jésus lorsqu’il était interrogé devant le grand prêtre.

Ils me mirent une fois devant une feuille de papier et une plume et me dirent : « Écris une confession pleine de tes crimes et si tu es sincère nous pourrions même te renvoyer à la maison ». Pour éviter les coups de poings et de bâton je me mis à remplir quelques pages avec des noms de morts ou de fusillés avec lesquels je n’avais jamais rien eu à faire. Je rajoutai à la fin : « Rien de ce que j’ai écrit n’est vrai, mais je l’ai fait sous la contrainte ». L’officier commença sa lecture avec un sourire de satisfaction, certain d’être parvenu à ses fins, mais quand il lut les dernières lignes il me combla de coups de pied et en blasphémant, il ordonna aux policiers de m’emmener, en criant : « Nous saurons bien faire parler cette charogne » !

Quand ils me firent sortir de prison, je dus faire l’ouvrier agricole dans une agence de l’Etat : ils me mirent à travailler à l’assainissement des marais. C’était un travail fatigant et avec le peu de nourriture que nous avions nous étions réduits à l’état de larves humaines : quand l’un de nous tombait, on le laissait mourir dans la boue. Mais c’est en cette période que je réussissais à dire la messe en cachette, de l’offertoire à la communion, tout seul. J’avais réussi à me procurer un peu de vin et des hosties : mais je ne pouvais me fier à personne parce que s’ils m’avaient découvert ils m’auraient fusillé. Je poursuivis ainsi ce travail pendant onze ans.

Le 30 avril 1979 je fus arrêté pour la seconde fois, ils me portèrent à Scutari et me fouillèrent. Je n’avais qu’un chapelet, un canif et une montre. Après la perquisition, ils ouvrirent une porte et me jetèrent dans une cellule. Je savais que je me dirigeais vers un nouveau Calvaire. Mais c’est en cette occasion que j’eus une expérience intérieure extraordinaire, qui me rappelle en un sens la « transfiguration » de Jésus, dans laquelle il reçut une telle force alors qu’il allait vers la souffrance. Il gravit la montagne, je me sentais au début comme enseveli au fond de la terre. Mais à l’improviste la détresse fit place à une extraordinaire présence du Seigneur. C’était comme si je l’avais là devant moi, et que je puisse lui parler. Ce moment fut déterminant pour moi parce que les tortures reprirent, et un nouveau procès. Le 6 novembre 1979 ils me condamnèrent à être fusillé. Chef d’accusation : sabotage, propagande antigouvernementale... mais deux jours plus tard, la peine de mort fut commuée en vingt-cinq ans de prison.

Ma vie s’est déroulée ainsi. Mais je n’ai jamais eu dans le cœur de sentiments de haine. En rencontrant un jour, après l’amnistie, un de ceux qui me torturaient, j’ai été poussé intérieurement à le saluer et je l’embrassai. La formation de la Compagnie m’avait habitué à l’idée que la fidélité à Jésus est ce qui compte le plus dans la vie du jésuite et que parfois elle doit être payée chèrement. Y compris au prix de la vie.

Mais aujourd’hui, en contemplant la gloire de Marie dans le ciel, et en pensant qu’à nous aussi cette espérance d’une joie future avec Dieu est offerte, je ne peux faire moins que de m’adresser à vous, chers frères prêtres, avec les paroles de saint Paul : « Je considère que toutes les souffrances du moment présent ne sont pas comparables à la gloire future qui devra se révéler en nous » (Rom 8, 18). En contemplant la gloire de Marie dans le ciel, nous restons fidèles, debout, avec force et dignité auprès de la croix de Jésus, quelle que soit la façon dont la croix est présente dans nos vies. Nous sommes voués à l’Amour du Christ. Qui pourra jamais nous séparer de cet amour ? Tel est le message de l’expérience de ma vie : en toutes les souffrances et épreuves, « nous sommes plus que vainqueurs en vertu de celui qui nous a aimés » (Rom 8, 37)

Vierge Marie, Reine des Anges et des Saints, reine des martyrs, connus et inconnus, priez pour nous, soutenez-nous et faites-nous parvenir près de vous, dans la plénitude de la vie et de la joie que Jésus nous a promise.

Amen.

 

Conclusion

S.E. Mgr Crescenzio Sepe, Secrétaire de la Congrégation pour le Clergé

21 juin 1996

 

Messieurs les Cardinaux,

Excellences,

Très chers prêtres,

1) Après trois jours d’un intense travail de méditation et de prière, durant lesquels nous avons vécu en authentique communion ecclésiale l’amitié et la fraternité sacerdotale, nous voici arrivés au terme de la première étape de notre pèlerinage sacerdotal commun vers la Porte Sainte de l’an 2000 ; tous ensemble, en tant qu’ « Ordo sacerdotalis », « in spiritu humilitatis et in animo contrito », nous franchirons alors ce seuil sacré avec la ferme volonté d’être d’enthousiastes évangélisateurs du monde qui s’ouvre au troisième millénaire chrétien.

Il nous reste à parcourir les étapes de Yamoussoukro (l’an prochain), de Guadalupe au Mexique (en 1998), de Jérusalem où notre sacerdoce a été institué et, en l’an 2000, de la proximité à la tombe du Prince des Apôtres, pour vivre sacerdotalement le Grand Jubilé avec le successeur de Pierre.

Nous repartons de ce Cénacle de grâce qu’est Fatima, enrichis par les dons que l’Esprit n’a pas manqué de faire à ceux qui se sont mis à son écoute et ont accueilli ses suggestions. Je suis certain qu’après ces journées, nous retournerons à nos activités pastorales avec plus de motivation et d’engagement à réaliser notre sanctification, laquelle nous est spécifique, personnelle, notre propre de ministres sacrés. La sainteté fleurit sur une vie spirituelle vraiment profonde, sur une ascèse déterminée par la charité pastorale et qui, pour être telle, exige recueillement, prière, mortification, maîtrise de soi, préparation intellectuelle. Mais c’est justement cette austérité qui, en déterminant une forte imitation du Christ Bon Pasteur, permet de jouir de cette joie authentique que le monde ne sait pas donner, qu’il ne pourrait jamais donner.

Il faut partir de la sainteté personnelle pour affronter les défis de la Nouvelle Evangélisation ; elle concerne certainement tous et chacun des membres du corps mystique, mais dans le prêtre elle rencontre le moteur qui pousse chacun à rencontrer le Christ, et à s’efforcer de le faire connaître même des plus éloignés.

Si l’on ne commence pas par la sainteté des prêtres, le thème de la nouvelle évangélisation demeurerait un « slogan » sans conséquences, et la pastorale des vocations – dont l’urgence précède et accompagne celle d’une nouvelle évangélisation – ne pourrait produire aucun effet.

2) Nous nous sommes réunis en provenance de tous les continents, de toutes les latitudes et longitudes – une vraie épiphanie de catholicité – en provenance de cultures et de traditions ethniques différentes, et même notablement différentes. Nous savons pourtant qu’en partant de la foi en Jésus-Christ, Rédempteur de l’homme, nous avons la certitude qu’en Lui se trouve la « richesse impénétrable » (Eph 3, 8) qu’aucune culture, aucune époque ne peut épuiser et à laquelle peuvent toujours puiser les hommes pour s’enrichir [cf Jean-Paul II, Discours inaugural de la IV Conférence Générale de l’Episcopat Latino-américain, Saint-Domingue, 12-18 octobre 1992, n. 24 ; AAS 85 (1983), 826].

3) L’heure est donc arrivée de renouveler notre foi en Jésus-Christ, qui est le même « hier, aujourd’hui et toujours » (Heb 13, 8). Par conséquent, comme le dit notre Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, « l’appel à la nouvelle évangélisation est avant tout un appel à la conversion ». En même temps c’est un appel à cette espérance, « qui repose sur les promesses de Dieu, sur la fidélité à sa Parole, et qui a comme certitude indestructible la résurrection du Christ, sa victoire définitive sur le péché et la mort, première annonce et racine de toute évangélisation, fondement de toute promotion humaine, principe d’authentique culture chrétienne ». Dans ce contexte, le prêtre doit avant tout « raviver sa foi, son espérance et son amour sincère envers le Seigneur, de façon à pouvoir l’offrir à la contemplation des fidèles et de tous les hommes tel qu’il est vraiment : une personne vivante, fascinante, qui nous aime plus que quiconque parce qu’il a donné sa vie pour nous » (n. 35).

4) Tout cela nous a été communiqué dans les paroles touchantes que le Saint-Père nous a adressé en forme de message, dans les profondes et doctes relations de leurs Eminences les Cardinaux O’Connor et Ruini, dans les homélies des Cardinaux Ribeiro, Swiatek, Puljic, Korec, de Son Excellence Mgr Van Thuan et du Père Luli, ainsi que dans les méditations du chemin de croix, belles et profondes, que nous ont données leurs Excellences Mgr de Souza, évêque de Leiria-Fatima, Mgr Cuccarese, Archevêque de Pescara, le cardinal Sanchez et nombre d’entre vous, chers prêtres, représentant vos diocèses et vos pays. Mais l’Esprit a fait aussi écho dans nos coeurs quand il nous a parlé dans le silence de l’adoration eucharistique personnelle, quand il nous a nourri du même pain de vie qui fait l’Eglise et nous cimente en elle. L’Esprit nous a animés quand nous avons renouvelé nos promesses sacerdotales et quand nous avons été totalement confiés, par l’acte de consécration, au Coeur Immaculé de Marie : ce fut notre « totus tuus » ! Il nous a renouvelés dans la confession sacramentelle, et certainement il nous a parlé au travers de ces lieux bénis par Marie Très Sainte, Icône splendide de la Sainte Eglise, sans ride ni tâche.

5) Face à cette abondance de grâces, que répondre ? Que faisons-nous ?

Nous avons peut-être déjà répondu en nos coeurs à l’auteur de tout Don. Je crois pourtant interpréter le sentiment général en affirmant que nous repartons de Fatima avec le désir de vivre dans l’enthousiasme notre consécration au Christ et à l’Eglise, et avec une conscience et responsabilité accrue envers la réalisation de notre mission sacerdotale.

Nous ne pouvons éviter les erreurs ni les médiocrités dangereuses qu’avec un plus grand amour, et même avec le plus grand Amour, celui qui permet de tout faire – jusqu’à donner sa vie ! Je suis certain que Fatima a constitué un fort rappel à la dimension maîtresse de tout notre être et de notre agir : la verticalité ! Seule la profondeur de la « Caritas Christi », reversée en nous par l’Eucharistie quotidienne et par l’intimité divine, peut se communiquer au prochain, faire tomber tout mur de résistance égoïste pour répandre le salut dans les réfractions multiformes du ministère pastoral. Nous sommes dans la logique de l’amour le plus grand, folie pour ce monde et sagesse pour Dieu.

6) En ce moment, nous ne pouvons manquer d’adresser au Seigneur notre reconnaissance. Nous le faisons avec les paroles de l’Apôtre des nations : « Grâces soient à Dieu qui, dans le Christ, nous emmène sans cesse dans son triomphe et qui, par nous, répand en tous lieux le parfum de sa connaissance. Car nous sommes bien, pour Dieu, la bonne odeur du Christ parmi ceux qui se sauvent et parmi ceux qui se perdent ; pour les uns une odeur qui de la mort conduit à la mort ; pour les autres une odeur qui de la vie conduit à la vie. Et de cela qui est capable ? » (2 Cor 2, 14-16)

7) C’est la tâche particulière du prêtre que de diffuser ce parfum du Christ ; mais nous ne pouvons le faire que si nous sommes imprégnés de sa charité et de sa sainteté. L’ »odeur » du Christ qui nous vient du saint chrême dont nous avons été oints dans l’ordination sacerdotale, doit devenir une attrayante « odeur de vie », une grâce personnelle, une fascination spirituelle pour tout attirer au Coeur du Christ, les personnes et les communautés.

De ce « parfum » l’histoire de la sainteté dans l’Eglise est riche : il suffit de penser à la fascination qu’exercent encore aujourd’hui de saints prêtres, qu’ils soient canonisés comme Jean-Marie Vianney et Jean Bosco, ou qu’ils soient humbles et cachés ; ils ont laissé des traces indélébiles dans les coeurs de nombreuses âmes et ont suscité un nombre incalculable de vocations religieuses et sacerdotales.

De cette odeur le monde d’aujourd’hui a besoin, lui qui est souvent imprégné de la culture de mort et de violence, de matérialisme et de relativisme qui portent inéluctablement à vivre sans âme et sans valeurs. Contre cette « odeur de mort », le prêtre est témoin de l’odeur du Christ. C’est vrai du prêtre qui travaille dans la sierra ou le désert ; c’est vrai du prêtre de la petite communauté, qu’elle soit en montagne ou seulement éloignée et cachée, souvent isolée et sans grande possibilité de communications ; c’est vrai du responsable de paroisse des grandes métropoles ; c’est vrai du prêtre malade ou fatigué et du missionnaire qui continue à donner sa vie pour ses frères dans un héroïsme silencieux.

Laissez-moi vous dire, chers prêtres, que de se savoir appelé à répandre le « parfum de la connaissance du Christ » aux autres, que ce parfum même du Christ est une chose vraiment attrayante, quelque chose que l’on peut désirer fortement et qui mérite que l’on s’y engage de toutes ses forces.

Notre mode de vie, notre être auprès du Christ dans la prière, notre façon de célébrer la Messe, d’adorer le Saint Sacrement, de prêcher la Parole, de nous confesser et de confesser, de guider la communauté qui nous est confiée, de vivre comme un don le célibat sacré, d’obéir avec une motivation intérieure profonde, d’être artisans de fraternité sacerdotale, d’être forts dans la docilité à l’esprit de Dieu plutôt qu’à celui du monde, de savoir nous présenter en toute circonstance selon notre identité – y compris extérieurement avec notre habit ecclésiastique – de savoir servir toujours sans chercher notre intérêt mais la « salus animarum », voilà la bonne odeur du Christ !

En effet, ce que nous disons et faisons ne suffit pas ; l’importance prioritaire revient à notre mode d’être, d’où le Christ émane. Le parfum emplit l’air : le prêtre demeure dans la mémoire du coeur et dans le désir de la conscience de celui qui l’a connu, même à distance de temps. Disons avec S. Augustin : « Tu as soufflé sur moi ton parfum, je l’ai respiré et maintenant j’aspire à toi » (Confessions, 10, 27).

8) Chers confrères dans le sacerdoce, nous nous trouvons si bien ensemble que nous pouvons nous adresser le « quam iucundum habitare fratres in unum » ! L’heure des adieux est pourtant arrivée et nous devons nous saluer. Il est beau de le faire dans la maison de notre Mère, de celle que le Seigneur nous a laissée comme son héritage précieux. Que pouvait-il nous laisser de plus doux et de plus fort ? Elle qui est le refuge le plus tendre et la force !

C’est d’ici, de Fatima, que la miséricorde divine a daigné nous parler par le biais de la Blanche Dame dont le Coeur souffrant et immaculé est un poème d’amour maternel.

C’est d’ici que la Vierge nous a parlé coeur à coeur de l’Eglise, et nous ne voulons ni ne pouvons rester sourds à ces paroles.

Nous sommes appelés à la fidélité ! La fidélité est le nom de l’amour dans le temps. Fidélité à notre identité, fidélité au Magistère qui au long des siècles n’est jamais dépassé mais qui avance, qui progresse « in eodem sensu » ; fidélité à la discipline, fidélité au Pape, successeur de Pierre, fidélité dans le service des âmes jusqu’à l’immolation de soi !

Fidélité même quand cela doit coûter, dans le contexte de notre époque. Comme les Apôtres nous sommes appelés à souffrir par amour, peut-être plus que tous, parce que notre amour, qui est divin, est l’amour le plus grand ! La Madone nous invite à un amour surprenant pour l’Eglise et, comme de vrais Apôtres, nous désirons être passionnés par l’Eglise, elle qui a été « promise à Jésus-Christ ». Malheur à qui la touche !

Cette passion d’amour ne peut être que le sentiment fondamental du pasteur d’âmes.

Celui qui est conscient d’être l’ami de l’Epoux ne peut pas ne pas se sentir sans cesse invité à cette veille d’amour, pour mener vers le Christ, dans la candeur et l’intégrité, l’Eglise qui lui a été en quelque sorte confiée.

Merci, Blanche Dame,

merci pour ta présence à nos côtés,

merci pour tes rappels,

merci pour ton aide constante,

Tu es notre espérance,

Tu es l’Etoile de notre chemin.

Fatima est dans nos coeurs avec tout ce que cela comporte.

Tu as refait nos forces en ces jours, tu nous a donné du coeur pour marcher, pour aller de l’avant !

9) Chers amis, la Congrégation pour le Clergé vous a ouvert son coeur en organisant ces journées, et à travers sa revue Sacrum ministerium, ses publications, la mise sur pied d’un Institut pour la formation du Clergé ; elle compte vous accompagner dans l’affrontement des défis que le monde oppose à votre ministère pastoral. Vous aussi, faites-nous une petite place dans votre coeur par la prière, et en profitant de ce qui vous est destiné.

En souvenir de cette première étape du pèlerinage jubilaire, et comme gage de notre « revoir » à Yamoussoukro, la Congrégation a fait don à tous d’un chapelet. C’est aussi un engagement moral à prier les uns pour les autres dans l’esprit de Fatima, à nous sentir liés, comme les grains du chapelet, à tous nos confrères de par le monde, à nous sentir stimulés à l’égrener souvent pour notre sanctification, pour le Saint-Père et pour la floraison de saintes et nombreuses vocations.

Au revoir donc, à la rencontre du Christ, avec Marie, vers le Troisième Millénaire chrétien !

 

CONSECRATION AU COEUR IMMACULE DE MARIE

 

 

Vierge très Sainte, Notre-Dame de Fatima !

Au terme de cette première rencontre internationale de prêtres,

tenue à Cova di Iria,

là ou votre amour de mère

a élevé une chaire et un autel pour le monde,

nous sommes décidés à être prêtres à cent pour cent,

à plein temps et à plein coeur,

faisant de notre vie une eucharistie permanente

dans le quotidien de notre existence.

La grande merveille,

vraiment extraordinaire,

c’est notre vie ordinaire.

Nous nous consacrons donc à votre Coeur Immaculé.

Nous sommes, par vocation, une totalité pour Dieu.

Pour la vivre, nous désirons être une totalité

par vous, ô Mère !

C’est par vous que la Trinité est venue à nous ;

c’est par vous que nous irons à la Trinité ;

dans les desseins ineffables de Dieu,

tel est l’unique chemin.

Dans les battements de votre Coeur de Mère,

nous sentons palpiter, à l’unisson,

le Coeur de votre Fils,

Prêtre souverain et éternel,

source et modèle de tout sacerdoce.

Nous ne pouvons oublier

que c’est à la chaleur de votre coeur de mère

qu’a été modelé le Coeur sacerdotal du Christ,

par l’action mystérieuse de l’Esprit Saint.

Mère très chère,

toute puissance suppliante auprès de la Trinité,

obtenez-nous la grâce

de la fidélité joyeuse à notre vocation,

pour le salut temporel et éternel

de tous les rachetés.

À la veille du troisième millénaire,

dans cette consécration,

unis au Saint Père,

à nos évêques et à tous les fidèles chrétiens,

nous demandons que par votre intercession

surgissent nombre de saints prêtres

qui révèlent à l’humanité de tous les siècles

le vrai visage de Jésus-Christ,

unique Rédempteur et Sauveur de l’Homme.

Puissions-nous rester toujours avec vous, ô Mère ! Amen.

 

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