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COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE

Mémoire et réconciliation : l’église et les fautes du passé (2000)*

 

Introduction

La Bulle d’indiction de l’Année sainte de l’an 2000, Incarnationis mysterium (29 novembre 1998), indique parmi les signes « qui peuvent servir opportunément à vivre avec une plus grande intensité la grâce insigne du Jubilé », la purification de la mémoire. Celle-ci consiste en un processus visant à libérer la conscience personnelle et commune de toutes les formes de ressentiment ou de violence, héritage des fautes du passé. Ce processus s’opère au moyen d’une évaluation historique et théologique renouvelée des événements en question qui conduit (si elle se révèle juste) à la reconnaissance correspondante de la faute ; s’ouvre alors un chemin réel de réconciliation. Un tel processus peut agir de manière significative sur le présent, car les conséquences des fautes passées font souvent ressentir leur poids et demeurent encore comme autant de tentations pour aujourd’hui.

Aussi la purification de la mémoire demande-t-elle « un acte de courage et d’humilité dans le fait de reconnaître les manquements accomplis par ceux qui ont porté et portent le nom de chrétiens ». Elle se fonde sur la conviction qu’« en raison du lien qui, dans le corps mystique, nous unit les uns aux autres, nous tous, même sans avoir de responsabilité personnelle et sans nous substituer au jugement de Dieu qui seul connaît les cœurs, nous portons le poids des erreurs et des fautes de ceux qui nous ont précédés ». Jean-Paul II ajoute : « En tant que successeur de Pierre, je demande que, au cours de cette année de miséricorde, l’Église, forte de la sainteté qu’elle reçoit de son Seigneur, s’agenouille devant Dieu et implore le pardon des péchés passés et présents de ses fils[1]. » En répétant encore que « les chrétiens sont invités à prendre en charge, devant Dieu et devant les hommes offensés par leur comportement, les fautes qu’ils ont commises », le pape conclut : « Qu’ils le fassent sans rien demander en échange, forts du seul “amour de Dieu [qui] a été répandu dans nos cœurs” (Rm 5, 5)[2]. »

Les demandes de pardon faites par l’évêque de Rome dans un tel esprit d’authenticité et de gratuité ont suscité des réactions diverses. La confiance inconditionnelle que le pape a montrée dans la force de la vérité a généralement rencontré un accueil favorable, à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté ecclésiale. Nombreux sont ceux qui ont souligné la crédibilité accrue qu’ils accordaient aux déclarations de l’Église à la suite de ce geste. Certaines réserves n’ont pas manqué cependant, exprimant un malaise lié à des contextes historiques et culturels particuliers pour lesquels le seul fait d’admettre la reconnaissance de fautes commises par les fils de l’Église peut signifier céder devant les accusations de ceux qui lui sont hostiles par principe. Entre consensus et malaise se fait sentir le besoin d’une réflexion qui éclaire les raisons, les conditions et le contenu exact des demandes de pardon concernant les fautes du passé.

En élaborant le présent texte, c’est ce besoin que la Commission théologique internationale a décidé de prendre en compte. Dans la Commission sont représentées des cultures et des sensibilités différentes à l’intérieur de l’unique foi catholique. Ce texte propose une réflexion théologique sur la possibilité des actes de « purification de la mémoire » liés à la reconnaissance des fautes du passé. Les demandes auxquelles nous cherchons à répondre sont : Pourquoi poser de tels actes ? Quels en sont les thèmes appropriés ? Quel en est l’objet et comment le déterminer en conjuguant correctement jugement historique et jugement théologique ? Quels en sont les destinataires ? Quelles en sont les implications morales et quels effets possibles en attendre sur la vie de l’Église et de la société ? Le but de ce texte n’est donc pas d’examiner des cas historiques particuliers mais d’éclairer les présupposés qui fondent le repentir relatif à des fautes passées.

Préciser dès le début le genre de réflexion que l’on présente ici permet aussi de savoir à quoi l’on se réfère quand on parle de l’Église : il ne s’agit ni de la seule institution historique, ni de la seule communion spirituelle des cœurs illuminés par la foi. Par Église, on entendra toujours la communauté des baptisés, inséparablement visible et opérant dans l’histoire sous la conduite des pasteurs, unifiée dans la profondeur de son mystère par l’action de l’Esprit vivifiant, cette Église qui, selon les paroles du concile Vatican II, « en vertu d’une analogie qui n’est pas sans valeur, est comparée au mystère du Verbe incarné. Tout comme en effet la nature prise par le Verbe divin est à son service comme un organe vivant de salut qui lui est indissolublement uni, de même le tout social qui constitue l’Église est au service de l’Esprit du Christ qui lui donne la vie, en vue de la croissance du corps[3] ». Cette Église, qui embrasse ses fils du passé comme ceux du présent en une réelle et profonde communion, est l’unique Mère dans la grâce, qui prend sur elle le poids des fautes même passées pour purifier la mémoire et vivre le renouvellement du cœur et de la vie selon la volonté du Seigneur. Elle peut le faire dans la mesure où le Christ Jésus, dont elle est le corps mystiquement prolongé dans l’histoire, a assumé en lui, une fois pour toutes, les péchés du monde.

La structure de ce texte reflète les demandes formulées : il part d’une brève reconstitution historique du thème (chap. 1) afin de pouvoir rechercher le fondement biblique (chap. 2) et approfondir les conditions théologiques des demandes de pardon (chap. 3). La conjugaison exacte du jugement historique et du jugement théologique constitue l’élément décisif pour parvenir à des énoncés corrects et efficaces qui rendent compte avec justesse des temps, des lieux et des contextes dans lesquels se situent les actes considérés (chap. 4). Aux implications morales (chap. 5), pastorales et missionnaires (chap. 6) de ces actes de repentir pour les fautes du passé sont consacrées les considérations finales, qui ont naturellement une valeur spécifique pour l’Église catholique. En prenant toutefois conscience que la reconnaissance de leurs propres fautes est une exigence pour tous les peuples et toutes les religions, nous souhaitons que les réflexions proposées puissent les aider à avancer sur un chemin de vérité, de dialogue fraternel et de réconciliation.

En conclusion de cette introduction, il n’est pas inutile de rappeler la finalité ultime de tout acte possible de « purification de la mémoire » accompli par les croyants, car c’est elle qui a inspiré le travail de la Commission : il s’agit de la glorification de Dieu, car vivre l’obéissance à la vérité divine et à ses exigences conduit à confesser, en même temps que nos fautes, la miséricorde et la justice éternelles du Seigneur. La confessio peccati, soutenue et illuminée par la foi en la Vérité qui libère et sauve (confessio fidei), devient confessio laudis adressée à Dieu devant qui seulement il est possible de reconnaître les fautes du passé, comme celles du présent, pour se laisser réconcilier par lui et avec lui en Jésus-Christ, unique sauveur du monde, afin de devenir capables d’offrir le pardon à ceux qui nous ont offensés. Cette offre de pardon apparaît particulièrement significative si l’on pense à toutes les persécutions subies par les chrétiens au cours de l’histoire. Dans cette perspective, les actes accomplis et demandés par le pape concernant les fautes du passé revêtent une valeur exemplaire et prophétique, aussi bien pour les religions que pour les gouvernements et les nations, au-delà de l’Église catholique qui pourra ainsi être aidée à vivre de manière plus efficace le grand Jubilé de l’Incarnation comme événement de grâce et de réconciliation pour tous.

1. Le problème : hier et aujourd’hui

a) Avant Vatican II.

Le Jubilé a toujours été vécu dans l’Église comme un temps de joie pour le salut donné dans le Christ, et comme une occasion privilégiée de pénitence et de réconciliation pour les péchés présents dans la vie du peuple de Dieu. Depuis sa première célébration sous Boniface VIII, en 1300, le pèlerinage pénitentiel à la tombe des apôtres Pierre et Paul a été associé à l’obtention d’une indulgence exceptionnelle pour accorder, avec le pardon sacramentel, la rémission totale ou partielle des peines temporelles liées aux péchés[4]. Dans ce contexte, aussi bien le pardon sacramentel que la rémission des peines revêtent un caractère personnel. Au cours de « l’année de pardon et de grâce[5]», l’Église dispense de manière particulière le trésor des grâces que le Christ a constituées en sa faveur[6]. Mais dans aucun des jubilés célébrés jusqu’à présent il n’y a eu prise de conscience d’éventuelles fautes du passé de l’Église, ni du besoin de demander pardon à Dieu pour les comportements d’un passé proche ou lointain.

De plus, dans toute l’histoire de l’Église, on ne rencontre aucun précédent de demandes de pardon formulées par le Magistère pour les fautes du passé. Certes, les conciles et les décrétales du pape sanctionnaient les abus dont s’étaient rendus coupables les clercs ou les laïcs, et de nombreux pasteurs s’efforçaient sincèrement de les corriger. Pourtant, très rares ont été les occasions où les autorités de l’Église (pape, évêques ou conciles) ont reconnu ouvertement les fautes ou les abus dont ils s’étaient eux-mêmes rendus coupables. Un exemple célèbre nous est fourni par le pape réformateur Adrien VI qui, dans un message à la Diète de Nuremberg le 25 novembre 1522, reconnut ouvertement « les abominations, les abus […] et les prévarications » dont s’était rendue coupable la cour romaine de son temps, « maladie […] profondément enracinée et développée, […] propagée de la tête aux membres[7] ». Adrien VI déplorait des fautes contemporaines, précisément celles de son prédécesseur immédiat, Léon X, et de sa curie, sans toutefois associer une demande de pardon.

Il faudra attendre Paul VI pour voir un pape exprimer une demande de pardon adressée aussi bien à Dieu qu’à des contemporains. Dans le discours d’ouverture de la deuxième session du concile, le pape « demande pardon à Dieu […] et aux frères séparés » d’Orient qui se sentiraient offensés « par nous » (Église catholique), et il se déclare prêt, pour sa part, à pardonner les offenses reçues. Dans l’optique de Paul VI, la demande et l’offre de pardon concernaient uniquement le péché de la division entre chrétiens, et ils supposaient la réciprocité.

b) L’enseignement du concile.

Vatican II se place dans la même perspective que Paul VI. Pour les fautes commises contre l’unité, affirment les Pères conciliaires, « nous demandons pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[8] ». Outre les fautes contre l’unité, le concile signale d’autres épisodes négatifs du passé dans lesquels les chrétiens ont eu une responsabilité. Ainsi, il « déplore certaines attitudes qui parfois ne manquent pas chez les chrétiens » et qui ont pu faire penser à une opposition entre la science et la foi[9]. De même, il considère que « dans la genèse de l’athéisme », les chrétiens peuvent avoir eu « une certaine responsabilité », dans la mesure où par leur négligence ils ont voilé, plutôt que révélé, l’« authentique visage de Dieu et de la religion[10] ». De plus, le concile « déplore » les persécutions et les manifestations d’antisémitisme accomplies « en tout temps et par qui que ce soit[11] ». Le concile n’associe pourtant pas une demande de pardon aux faits cités.

Du point de vue théologique, Vatican II distingue entre la fidélité indéfectible de l’Église et les faiblesses de ses membres, clercs ou laïcs, hier comme aujourd’hui[12]. Il distingue donc, d’une part, l’Épouse du Christ « sans tache ni ride […] sainte et immaculée[13] », et, d’autre part, ses fils, pécheurs pardonnés, appelés à une metanoia permanente et au renouvellement dans le Saint-Esprit. « L’Église contient des pécheurs en son propre sein, elle est donc à la fois sainte et appelée à se purifier en poursuivant constamment son effort de pénitence et de renouvellement[14]. »

Le concile a aussi élaboré quelques critères de discernement à l’égard de la culpabilité ou de la responsabilité des vivants pour les fautes du passé. Il a en effet souligné, dans deux contextes différents, la non-imputabilité aux contemporains des fautes commises dans le passé par des membres de la même communauté religieuse :

– « Ce qui a été commis durant la passion [du Christ] ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs qui vivaient alors, ni aux juifs de notre temps[15]. »

– « Des communautés considérables se sont détachées de la pleine communion de l’Église catholique, non sans faute des deux parties. Ceux qui naissent et sont maintenant instruits dans la foi au Christ dans de telles communautés ne peuvent être accusés du péché de séparation, et l’Église catholique les embrasse avec un respect fraternel et avec amour[16]. »

Paul VI avait donné pour thème à la première année sainte célébrée après le concile, en 1975, « Renouveau et réconciliation[17] », en précisant dans l’Exhortation apostolique Paterna cum benevolentia que la réconciliation devait avant tout s’opérer entre les fidèles de l’Église catholique[18]. Comme à son origine, l’Année sainte restait une occasion de conversion et de réconciliation des pécheurs avec Dieu, au moyen de l’économie sacramentelle de l’Église.

c) Les demandes de pardon de Jean-Paul II.

Non seulement Jean-Paul II ravive le regret pour les « souvenirs douloureux » qui scandent l’histoire des divisions entre chrétiens, comme l’avaient fait Paul VI et le concile Vatican II[19], mais il étend aussi la richesse du pardon à une multitude de faits historiques dans lesquels l’Église ou des groupes particuliers de chrétiens ont été impliqués à des titres divers[20]. Dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente[21], le pape souhaite que le Jubilé de l’An 2000 soit l’occasion de purifier la mémoire de l’Église de « toutes les formes de contre-témoignage et de scandale » qui se sont succédé au cours du millénaire passé[22].

L’Église est invitée à « prendre en charge, avec une conscience plus vive, le péché de ses fils ». Elle « reconnaît comme siens ses fils pécheurs » et elle les incite à se purifier, par le repentir, des erreurs, des infidélités, des incohérences, des lenteurs[23]. La responsabilité des chrétiens dans les maux de notre temps est également évoquée[24], même si l’accent est surtout mis sur la solidarité de l’Église d’aujourd’hui avec les fautes du passé, dont certaines sont explicitement mentionnées, comme la division entre chrétiens[25] ou « les méthodes de violence et d’intolérance » utilisées dans le passé pour évangéliser[26].

Le même Jean-Paul II stimule l’approfondissement théologique au sujet de la prise en charge des fautes du passé et de l’éventuelle demande de pardon aux contemporains[27] quand, dans l’Exhortation Reconciliatio et paenitentia, il affirme que dans le sacrement de pénitence « le pécheur se trouve seul devant Dieu avec sa faute, son repentir et sa confiance. Personne ne peut se repentir à sa place ou demander pardon en son nom ». Le péché est donc toujours personnel, même s’il blesse l’Église entière qui, représentée par le prêtre, ministre de la pénitence, est la médiatrice de la grâce sacramentelle qui réconcilie avec Dieu[28]. Les situations de « péché social », que l’on rencontre à l’intérieur des communautés humaines quand la justice, la liberté et la paix se trouvent lésées, « sont toujours le résultat, l’accumulation et la concentration des péchés personnels ». Même si la responsabilité morale se diluait dans des causes anonymes, on ne pourrait parler de péché social que par analogie[29]. Il en résulte que, à proprement parler, l’imputabilité d’une faute ne peut pas être étendue au-delà d’un groupe de personnes qui ont consenti volontairement, à travers des actions ou des omissions, ou par négligence.

d) Les questions soulevées.

L’Église est une société vivante qui traverse les siècles. Sa mémoire n’est pas constituée seulement par la tradition qui remonte aux Apôtres, normative pour sa foi et sa vie elle-même ; elle est riche aussi de la variété des expériences historiques, positives ou négatives, qu’elle a vécues. Le passé de l’Église structure en grande partie son présent. Les traditions doctrinale, liturgique, canonique, ascétique, nourrissent la vie même de la communauté croyante, lui offrant un échantillonnage incomparable de modèles à imiter. Tout au long du pèlerinage terrestre, cependant, le bon grain demeure inextricablement mêlé à l’ivraie, la sainteté côtoie l’infidélité et le péché[30]. C’est ainsi que le souvenir des scandales du passé peut faire obstacle au témoignage de l’Église d’aujourd’hui ; la reconnaissance des fautes commises par les fils de l’Église peut favoriser le renouveau et la réconciliation du temps présent.

La difficulté qui se présente est alors de définir quelles sont les fautes passées, en raison surtout du jugement historique que cette démarche exige ; car dans ce qui est advenu, il faut toujours distinguer la responsabilité ou la faute à attribuer aux membres de l’Église en tant que croyants, de celle qui se réfère aux siècles dits « de chrétienté » ou aux structures de pouvoir dans lesquelles le temporel et le spirituel étaient étroitement liés. Une herméneutique historique est donc plus nécessaire que jamais pour opérer une distinction adéquate entre l’action de l’Église en tant que communauté de foi, et celle de la société aux époques d’osmose entre ces données.

Les pas accomplis par Jean-Paul II pour demander pardon des fautes du passé ont été compris dans de nombreux milieux, ecclésiaux ou non, comme des signes de vitalité et d’authenticité de l’Église, propres à renforcer sa crédibilité. Il est juste, en outre, que l’Église contribue à modifier des images d’elle-même fausses et inacceptables, surtout dans des domaines où, par ignorance ou mauvaise foi, certains secteurs de l’opinion se plaisent à lui faire une réputation d’obscurantisme et d’intolérance. Les demandes de pardon formulées par le pape ont suscité une émulation positive dans le milieu ecclésial et même au-delà de celui-ci. Actuellement, des chefs d’État ou de gouvernement, des sociétés privées et publiques, des communautés religieuses demandent pardon pour des épisodes ou des périodes historiques marqués par des injustices. Cette démarche n’est pas du tout rhétorique, à tel point que certains hésitent à l’entreprendre après avoir calculé les coûts qu’entraînera (notamment sur le plan judiciaire) une affirmation de solidarité avec des fautes passées. De ce point de vue également, il est urgent d’opérer un discernement rigoureux.

Il ne manque pas toutefois de fidèles déconcertés, car leur loyauté envers l’Église s’en trouve perturbée. Certains d’entre eux se demandent comment transmettre l’amour de l’Église aux jeunes générations, si cette Église est imputée de crimes et de fautes. D’autres font observer que reconnaître des fautes est pour le moins unilatéral et que les détracteurs de l’Église en profitent, satisfaits qu’ils sont de voir confirmés les préjugés qu’ils ont nourris à son égard. D’autres encore mettent en garde contre la culpabilisation arbitraire des générations actuelles de croyants pour des manquements auxquels ils n’ont consenti d’aucune manière, bien qu’ils se déclarent prêts à assumer leurs responsabilités dans la mesure où des groupes humains se sentiraient aujourd’hui encore atteints par les conséquences des injustices subies par leurs prédécesseurs à une autre époque. D’autres encore estiment que l’Église pourra purifier sa mémoire, face aux actions ambiguës dans lesquelles elle a été impliquée dans le passé, en prenant simplement part au travail critique sur la mémoire qui s’est développé dans notre société. Elle pourrait ainsi affirmer qu’elle partage avec ses contemporains le refus de ce que la conscience morale actuelle réprouve, sans se poser comme l’unique coupable et responsable des maux du passé ; elle rechercherait alors simultanément le dialogue dans une compréhension réciproque avec ceux qui se sentiraient aujourd’hui encore blessés par des actes du passé imputables aux fils de l’Église. Enfin, on peut s’attendre à ce que certains groupes puissent réclamer une demande de pardon à leur égard, soit par analogie avec d’autres, soit parce qu’ils pensent avoir subi des torts. Dans tous ces cas, la purification de la mémoire ne pourra jamais signifier que l’Église renonce à proclamer la vérité révélée qui lui a été confiée, que ce soit dans le domaine de la foi ou dans celui de la morale.

On voit ainsi se profiler diverses interrogations : la conscience actuelle peut-elle se charger d’une faute liée à des phénomènes historiques singuliers, comme les croisades ou l’Inquisition ? N’est-il pas trop facile de juger les protagonistes du passé avec la conscience actuelle (comme le font les scribes et les pharisiens selon Matthieu 23, 29-32), comme si la conscience morale n’était pas située dans le temps ? Mais, par ailleurs, peut-on nier que le jugement éthique est toujours en jeu, du simple fait que la vérité de Dieu et ses exigences morales restent valables pour toujours ? Quelle que soit l’attitude à adopter, il faudra prendre en compte ces questions et rechercher des réponses fondées sur la révélation et sa transmission vivante dans la foi de l’Église. La question prioritaire est donc celle de clarifier dans quelle mesure les demandes de pardon pour les fautes du passé, surtout si elles s’adressent à des groupes humains actuels, entrent dans l’horizon biblique et théologique de la réconciliation avec Dieu et avec le prochain.

2. Approche biblique

Il y aurait diverses manières de mener une enquête sur la conscience qu’Israël a eue de ses fautes, dans l’Ancien Testament, et sur le thème de la confession des fautes selon les traditions du Nouveau Testament[31]. La nature de la réflexion théologique que nous menons ici nous conduit à privilégier une approche principalement thématique, partant de l’interrogation suivante : quel arrière-fond le témoignage de l’Écriture sainte fournit-il à l’invitation faite par Jean-Paul II à l’Église de confesser les fautes du passé ?

a) L’Ancien Testament.

On trouve des confessions de péchés liées à des demandes de pardon dans toute la Bible, aussi bien dans les récits de l’Ancien Testament que dans les Psaumes, chez les Prophètes et dans les Évangiles, ainsi que, plus sporadiquement, dans la littérature sapientielle et les Épîtres du Nouveau Testament. Étant donné l’abondance de ces témoignages et leur diffusion, on peut se demander comment sélectionner et cataloguer la masse de textes significatifs. Par exemple, autour des textes bibliques ayant trait à la confession des péchés, on peut se poser la question : qui confesse quoi et à qui (et quel genre de fautes) ? Poser la question de cette manière permet de distinguer deux catégories principales de « textes de confession », chacune d’elles comprenant diverses sous-catégories : premièrement, les textes de confession de péchés individuels ; deuxièmement, les textes de confession des péchés du peuple tout entier (et de ceux de ses ancêtres). Dans le contexte des pratiques ecclésiales récentes que nous étudions, il convient de limiter l’analyse à la seconde catégorie.

Dans cette catégorie, plusieurs possibilités s’offrent, selon qui confesse les péchés du peuple et qui est ou n’est pas associé à la faute collective, en laissant de côté la présence ou non d’une conscience de la responsabilité personnelle (celle-ci mûrira progressivement[32]). Sur la base de ces critères, on peut distinguer les cas suivants, au demeurant plutôt fluides.

[1] Une première série de textes représente le peuple entier (parfois personnifié par le singulier « je ») qui, à un moment particulier de son histoire, confesse ou fait allusion à ses péchés contre Dieu sans aucune référence (explicite) aux fautes des générations précédentes[33].

[2] Un autre groupe de textes place la confession – adressée à Dieu – des péchés actuels du peuple sur les lèvres d’un ou de plusieurs chefs (religieux) qui peuvent s’inclure explicitement ou non au sein du peuple pécheur pour lequel ils prient[34].

[3] Un troisième groupe de textes présente le peuple ou l’un de ses chefs en train d’évoquer les péchés des ancêtres, sans toutefois mentionner ceux de la génération présente[35].

[4] Assez fréquemment, les confessions qui mentionnent les fautes des ancêtres les relient expressément aux erreurs de la génération présente[36].

Au vu des témoignages recueillis, il apparaît que dans tous les cas où sont mentionnés les « péchés des pères », la confession est adressée uniquement à Dieu ; les péchés confessés par le peuple ou pour le peuple sont ceux commis directement contre lui, plutôt que ceux commis à l’encontre d’autres êtres humains (en Nombres 21, 7 uniquement, il est fait référence à un être humain lésé, Moïse)[37]. Se pose alors la question de savoir pourquoi les écrivains bibliques n’ont pas éprouvé le besoin de demandes de pardon adressées aux interlocuteurs présents, s’agissant des fautes commises par les pères, malgré leur sens élevé de la solidarité entre les générations dans le bien et dans le mal (que l’on pense à l’idée de « personnalité corporative »). En réponse à cette question, on peut avancer diverses hypothèses. Avant tout, le théocentrisme diffus de la Bible donne la préséance à la reconnaissance individuelle ou nationale des fautes commises envers Dieu. De plus, des actes de violence perpétrés par Israël contre d’autres peuples, qui sembleraient exiger une demande de pardon à ces peuples ou à leurs descendants, sont saisis comme l’exécution de directives divines à leur égard, par exemple : Josué 2-11 et Deutéronome 7, 2 (l’extermination des Cananéens), ou 1 Samuel 15 et Deutéronome 25, 19 (la destruction des Amalécites). Dans de tels cas, le commandement divin en question semblerait exclure toute demande possible de pardon[38]. Les expériences de mauvais traitements subis par Israël de la part d’autres peuples, et l’animosité ainsi suscitée, pourraient aussi avoir milité contre l’idée de demander pardon à ces peuples pour le mal qu’on leur a causé[39].

Selon le témoignage biblique, il existe de toute façon un sens de la solidarité entre les générations dans le péché (et dans la grâce), qui s’exprime dans la confession devant Dieu de « péchés des ancêtres ». Citant la splendide prière d’Azarias, Jean-Paul II a pu ainsi affirmer : « Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères, […] nous avons péché, nous avons agi avec iniquité, en nous éloignant de toi, nous avons manqué de toutes les manières. Nous n’avons pas obéi à tes commandements (Dn 3, 26-29). Ainsi priaient les Hébreux après l’exil (voir aussi Ba 2, 11-13), en prenant sur eux les fautes commises par leurs pères. L’Église imite leur exemple et demande pardon pour les fautes, même historiques, de ses fils[40]. »

b) Le Nouveau Testament.

Un thème fondamental, lié à l’idée de faute et largement présent dans le Nouveau Testament, est celui de l’absolue sainteté de Dieu. Le Dieu de Jésus est le Dieu d’Israël[41], invoqué comme « Père saint[42] », appelé « le Saint » en 1 Jean 2, 20[43]. La triple proclamation de Dieu comme « saint » de Isaïe 6, 3 revient dans Apocalypse 4, 8, tandis que 1 Pierre 1, 16 insiste sur le fait que les chrétiens doivent être saints « parce qu’il est écrit : “Vous serez saints parce que je suis saint”[44] ». Tout cela reflète la notion vétérotestamentaire de l’absolue sainteté de Dieu. Pour la foi chrétienne cependant, la sainteté divine est entrée dans l’histoire en la personne de Jésus de Nazareth : la notion vétérotestamentaire n’a pas été abandonnée mais développée, au sens où la sainteté de Dieu se rend présente dans la sainteté du Fils incarné[45] ; la sainteté du Fils est communiquée aux « siens[46] », rendus fils dans le Fils[47]. Il ne peut y avoir cependant aucune aspiration à la filiation divine de Jésus tant qu’il n’y a pas d’amour pour le prochain[48].

Ce motif décisif dans l’enseignement de Jésus devient le « commandement nouveau » de l’Évangile de Jean : les disciples devront aimer comme lui a aimé[49], c’est-à-dire parfaitement, « jusqu’au bout[50] ». Le chrétien est donc appelé à aimer et à pardonner selon une mesure qui transcende toute mesure humaine de justice et induit une réciprocité entre les êtres humains reflétant celle entre Jésus et le Père[51]. Dans cette optique, le thème de la réconciliation et du pardon des offenses prend un grand relief. À ses disciples, Jésus demande d’être toujours prêts à pardonner à ceux qui les auraient offensés, de même que Dieu lui-même offre toujours son pardon : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes les remettons à nos débiteurs[52]. » Celui qui est en mesure de pardonner au prochain montre qu’il a compris le besoin qu’il a personnellement du pardon de Dieu. Le disciple est invité à pardonner « jusqu’à soixante-dix fois sept fois » celui qui l’offense, même si celui-ci ne demande pas pardon[53].

Jésus insiste sur l’attitude requise de la personne offensée par rapport à ses offenseurs : elle est appelée à faire le premier pas, effaçant l’offense moyennant le pardon offert « du fond du cœur[54] », sachant qu’elle est elle-même pécheresse devant Dieu qui ne refuse jamais le pardon demandé avec sincérité. En Matthieu 5, 23-24, Jésus demande à l’offenseur d’« aller se réconcilier avec son propre frère qui a quelque chose contre lui », avant de présenter son offrande à l’autel : Dieu n’agrée pas un acte cultuel opéré par celui qui ne veut pas d’abord réparer le tort qu’il a causé à son prochain. Ce qui compte, c’est de changer son propre cœur et de montrer de manière appropriée que l’on veut réellement la réconciliation. Dans tous les cas, le pécheur, conscient que ses péchés blessent tout à la fois sa relation à Dieu et à son prochain[55], ne peut attendre le pardon que de Dieu seul, car Dieu seul est toujours miséricordieux et prêt à effacer les péchés. C’est là aussi la signification du sacrifice du Christ qui nous a purifiés une fois pour toutes de nos péchés[56]. Ainsi, l’offenseur et l’offensé sont réconciliés par Dieu dans sa miséricorde qui les accueille tous et pardonne.

Dans ce cadre, que l’on pourrait élargir par l’analyse des Lettres de Paul et des épîtres catholiques, rien n’indique que l’Église des origines ait porté son attention sur les péchés du passé pour demander pardon. On peut l’expliquer par la conscience forte qu’elle a eue de la nouveauté chrétienne, qui a projeté la communauté vers l’avenir plutôt que vers le passé. On rencontre toutefois une insistance plus large et plus subtile qui apparaît dans le Nouveau Testament : dans les Évangiles et dans les Épîtres, l’ambivalence propre à l’expérience chrétienne est largement reconnue. Pour Paul, par exemple, la communauté chrétienne est un peuple eschatologique qui vit déjà « la création nouvelle[57] », mais cette expérience, rendue possible par la mort et la résurrection de Jésus[58], ne nous libère pas de l’inclination au péché présent dans le monde en raison de la chute d’Adam. Le résultat de l’intervention divine dans et à travers la mort et la résurrection de Jésus entraîne deux scénarios possibles : l’histoire d’Adam et celle du Christ. Elles se déploient côte à côte, et le croyant doit compter sur la mort et la résurrection du Seigneur Jésus[59] pour participer à l’histoire dans laquelle « la grâce surabonde[60] ».

Une telle relecture théologique de l’événement pascal du Christ montre comment l’Église des origines devait avoir une conscience aiguë des manquements possibles des baptisés. On pourrait dire que le corpus paulinien tout entier appelle les chrétiens à reconnaître pleinement leur dignité, tout en ayant une vive conscience de la fragilité de leur condition humaine : « C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage[61]. » Un motif analogue se rencontre dans les récits des Évangiles. Il apparaît de manière incisive chez Marc, où les carences des disciples de Jésus sont l’un des thèmes dominants du récit[62]. Bien qu’il soit un peu estompé, le même motif revient dans tous les Évangiles. Judas et Pierre sont respectivement le traître et celui qui renie son Maître, même si Judas en arrive au désespoir pour l’acte accompli[63] tandis que Pierre se repent[64] et parvient à la triple confession d’amour[65]. Chez Matthieu, jusque dans l’apparition finale du Seigneur ressuscité, tandis que les disciples tombent en adoration, « certains doutaient encore[66] ». Le quatrième Évangile présente les disciples comme des gens à qui est donné un amour incommensurable, bien que leur réponse soit faite d’ignorance, de manquements, de reniement et de trahison[67].

Cette présentation constante des disciples appelés à suivre Jésus, qui vacillent dans leur consentement au péché, n’est pas seulement une relecture critique de l’histoire des origines. Les récits sont mis en scène de manière à s’adresser à chaque disciple successif du Christ en difficulté, qui regarde l’Évangile comme son propre guide et son inspiration. En outre, le Nouveau Testament est rempli de recommandations pour bien se comporter, vivre à un plus haut niveau d’engagement, éviter le mal[68]. Il n’y a toutefois aucun appel explicite adressé aux premiers chrétiens à confesser les fautes du passé, même si la réalité du péché et du mal est reconnue de manière significative à l’intérieur du peuple appelé à une existence eschatologique qui est le propre de la condition chrétienne (que l’on pense aux reproches contenus dans les lettres aux sept Églises de l’Apocalypse). Selon la demande qui se trouve dans la prière du Seigneur, ce peuple invoque en ces termes : « Remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit[69]. » En somme, les premiers chrétiens montrent qu’ils sont bien conscients de pouvoir agir d’une manière qui ne correspond pas à la vocation reçue, en ne vivant pas le baptême de mort et de résurrection de Jésus dans lequel ils ont été baptisés.

c) Le Jubilé biblique.

La célébration du Jubilé représente un soubassement biblique significatif de la réconciliation liée au dépassement des situations passées, comme elle est instituée dans le livre du Lévitique (chap. 25). Dans une structure sociale composée de tribus, de clans et de familles, des situations de désordre surgissaient inévitablement lorsque des individus et des familles de condition défavorisée devaient « se racheter » eux-mêmes de leurs propres difficultés en remettant la propriété de leur terre ou de leur maison, de leurs serviteurs ou de leurs fils, à ceux qui jouissaient de conditions meilleures. Un tel système avait pour effet que certains Israélites en venaient à souffrir des situations intolérables de dettes, de pauvreté et d’esclavage, sur cette même terre qui leur avait été donnée par Dieu, et cela au profit d’autres fils d’Israël. Au bout de périodes plus ou moins longues, il arrivait qu’un territoire ou un clan tombât entre les mains de quelques riches, tandis que le reste des familles du clan se trouvait dans une telle situation de dette ou de servitude qu’elles devaient vivre dans une totale dépendance envers de plus aisés.

La législation de Lévitique 25 constitue une tentative pour renverser tout cela (au point que l’on peut douter qu’elle ait jamais été mise totalement en pratique !). Elle convoquait la célébration du Jubilé tous les cinquante ans, afin de préserver le tissu social du peuple de Dieu et de restituer son indépendance même à la plus petite famille du pays. La proclamation régulière de la confession de foi d’Israël en un Dieu qui avait libéré son peuple à travers l’Exode est décisive pour Lévitique 25. « Je suis le Seigneur votre Dieu qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte, pour vous donner le pays de Canaan, pour être votre Dieu[70]. » La célébration du Jubilé revenait à admettre implicitement la faute et elle était une tentative pour rétablir un ordre juste. Tout système qui aliénerait n’importe quel Israélite, d’abord esclave et maintenant libéré par le bras puissant de Dieu, démentait en fait l’action divine salvifique dans et à travers l’Exode.

La libération des victimes et des souffrants fait partie d’un programme plus large des prophètes. Le Deutéro-Isaïe, dans les chants du Serviteur souffrant[71], développe les allusions à la pratique du Jubilé, avec les thèmes du rachat et de la liberté, du retour et de la rédemption. Isaïe 58 est une attaque contre l’observance rituelle qui ne se préoccupe pas de justice sociale, un appel à la libération des opprimés[72], centré de manière spécifique sur les obligations de la parenté[73]. Plus clairement, Isaïe 61 emploie les images du Jubilé pour représenter l’Oint comme le héraut de Dieu, envoyé pour « évangéliser » les pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et proclamer une année de grâce du Seigneur. Il est significatif que, pour présenter la mission de sa vie et de son ministère (Luc 4, 17-21), Jésus cite précisément ce texte avec une allusion à Isaïe 58, 6.

d) Conclusion.

De tout ce qui a été dit, on peut conclure que l’appel adressé par Jean-Paul II à l’Église, comme caractéristique de l’année jubilaire, pour reconnaître sa faute dans toutes les souffrances et les offenses dont ses fils se sont rendus responsables dans le passé[74], et les pratiques qui s’y rattachent, ne trouvent pas de correspondance univoque dans le témoignage biblique. Ils se fondent toutefois sur ce que la sainte Écriture affirme au sujet de la sainteté de Dieu, de la solidarité entre les générations de son peuple et de la reconnaissance de son état de pécheur. L’appel du pape recueille l’esprit authentique du Jubilé biblique qui demande d’accomplir des actes destinés à rétablir le dessein originel de Dieu envers la création. Cela exige que la proclamation de l’« aujourd’hui » du Jubilé, commencée par Jésus[75], soit poursuivie par la célébration jubilaire de son Église.

Cette expérience singulière de grâce pousse en outre le peuple de Dieu tout entier, comme chacun des baptisés, à prendre encore plus conscience du commandement reçu du Seigneur d’être toujours prêts à pardonner les offenses reçues.

3. Fondements théologiques

« Il est juste que, tandis que le second millénaire du christianisme arrive à son terme, l’Église prenne en charge avec une plus vive conscience le péché de ses fils, en se souvenant de toutes les circonstances dans lesquelles, dans le déroulement de l’histoire, ils se sont éloignés de l’esprit du Christ et de son Évangile, en offrant au monde, au lieu du témoignage d’une vie inspirée des valeurs de la foi, le spectacle de modes de penser et d’agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignages et de scandale. L’Église, bien que sainte par son incorporation au Christ, ne se lasse pas de faire pénitence : elle reconnaît toujours comme siens, devant Dieu et devant les hommes, ses fils pécheurs[76]. » Ces paroles de Jean-Paul II soulignent comment l’Église est atteinte par le péché de ses fils : sainte, rendue telle par le Père au moyen du sacrifice du Fils et du don de son Esprit, elle est aussi, en un certain sens, pécheresse, car elle assume réellement en elle le péché de ceux qu’elle a elle-même engendrés dans le baptême, par analogie avec le Christ qui a assumé le péché du monde[77]. De plus, fait partie de la plus profonde conscience ecclésiale de notre temps la conviction que l’Église n’est pas seulement une communauté d’élus, mais comprend en son sein des justes et des pécheurs, appartenant au temps présent comme au passé, dans l’unité du mystère qui la constitue. Dans la grâce, en effet, comme dans la blessure du péché, les baptisés d’aujourd’hui sont proches et solidaires de ceux d’hier. C’est pourquoi l’on peut dire que l’Église, qui est une dans le temps et l’espace dans le Christ et l’Esprit, est véritablement « à la fois sainte et ayant toujours besoin de purification[78] ». De ce paradoxe, caractéristique du mystère ecclésial, naît l’interrogation suivante : comment concilier les deux aspects, d’une part l’affirmation de la foi en la sainteté de l’Église, et d’autre part son besoin incessant de pénitence et de purification ?

a) Le mystère de l’Église.

« L’Église est dans l’histoire, mais elle la transcende en même temps. C’est uniquement “avec les yeux de la foi” que l’on peut voir en sa réalité visible en même temps une réalité spirituelle, porteuse de vie divine[79]. » L’ensemble de ses aspects visibles et historiques se réfère au don divin, par analogie avec la manière dont l’humanité, assumée dans le Verbe de Dieu incarné, est le signe et l’instrument de l’action de la personne divine du Fils : les deux dimensions de l’être ecclésial forment « une seule réalité complexe résultant d’un élément humain et d’un élément divin[80] » en une communion qui participe à la vie trinitaire et fait que les baptisés se sentent unis entre eux à travers la diversité des temps et des lieux de l’histoire. Forte de cette communion, l’Église se présente comme un sujet absolument unique dans les vicissitudes humaines, capable de se charger des dons, des mérites et des fautes de ses fils d’aujourd’hui comme de ceux d’hier.

Cette analogie avec le mystère du Verbe incarné n’est pas mince ; elle implique toutefois une différence fondamentale : « Tandis que le Christ saint, innocent, sans tache (He 7, 26), ignore le péché (2 Co 5, 21), venant seulement expier les péchés du peuple (voir He 2, 17), l’Église, elle, comporte des pécheurs dans son propre sein ; elle est donc à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, poursuivant constamment son effort de pénitence et de renouvellement[81]. » L’absence de péché dans le Verbe incarné ne peut pas être attribuée à son Corps ecclésial à l’intérieur duquel chacun, certes participant à la grâce donnée par Dieu, a néanmoins besoin d’une vigilance et d’une incessante purification, solidaire qu’il est de la faiblesse des autres : « Tous les membres de l’Église, ses ministres y compris, doivent se reconnaître pécheurs (voir 1 Jn 1, 8-10). En tous, l’ivraie du péché se trouve encore mêlée au bon grain de l’Évangile jusqu’à la fin des temps (voir Mt 13, 24-30). L’Église rassemble donc des pécheurs saisis par le salut du Christ mais toujours en voie de sanctification[82]. »

Paul VI avait déjà affirmé solennellement que « l’Église est sainte, tout en comprenant en son sein des pécheurs, car elle ne possède pas d’autre vie que celle de la grâce […]. C’est pourquoi l’Église souffre et fait pénitence pour ces fautes, dont elle a le pouvoir de guérir ses enfants par le sang du Christ et le don de l’Esprit Saint[83] ». En somme, l’Église dans son « mystère » est la rencontre de la sainteté et de la faiblesse continuellement rachetée, et qui a toujours besoin à nouveau de la force de la rédemption. Comme l’enseigne la liturgie, véritable lex credendi, le fidèle et le peuple des saints invoquent Dieu afin que son regard se pose sur la foi de son Église et non sur les péchés des individus qui sont la négation de cette foi vécue. Ne respicias peccata nostra, sed fidem Ecclesiae tuae ! Dans l’unité du mystère ecclésial à travers le temps et l’espace, il est alors possible de considérer l’aspect de la sainteté, le besoin de repentir et de réforme, et leur articulation dans l’agir de l’Église Mère.

b) La sainteté de l’Église.

L’Église est sainte parce que, sanctifiée par le Christ qui l’a acquise en se livrant à la mort pour elle, elle est maintenue dans la sainteté par le Saint-Esprit qui se répand sans cesse en elle. « Nous croyons que l’Église est indéfectiblement sainte. En effet, le Christ, Fils de Dieu, qui est proclamé avec le Père et l’Esprit “le seul saint”, a aimé l’Église comme son épouse et s’est donné lui-même à elle, afin de la sanctifier (voir Ep 5, 25-26) ; il s’est uni à elle comme à son corps et l’a remplie du don du Saint-Esprit, pour la gloire de Dieu. Aussi tous, dans l’Église, sont appelés à la sainteté[84]. » En ce sens, depuis les origines, les membres de l’Église sont appelés les « saints[85] ». On peut distinguer cependant la sainteté de l’Église et la sainteté dans l’Église. La première, qui a son fondement dans les missions du Fils et de l’Esprit, garantit la continuité de la mission du peuple de Dieu jusqu’à la fin des temps, elle stimule et aide les croyants à poursuivre la recherche de la sainteté subjective et personnelle ; tandis que, dans la vocation que chacun reçoit, est enracinée la forme de sainteté qui lui a été donnée et que l’on attend de lui comme plein accomplissement de sa vocation et de sa mission propre. La sainteté personnelle est dans tous les cas projetée vers Dieu et vers les autres ; elle a donc un caractère essentiellement social : c’est la sainteté « dans l’Église », orientée vers le bien de tous.

À la sainteté de l’Église doit donc correspondre la sainteté dans l’Église : « Les disciples du Christ, appelés par Dieu non selon leurs œuvres, mais selon le dessein de sa grâce et justifiés dans le Seigneur Jésus, ont vraiment été faits fils de Dieu et participants de la nature divine dans le baptême de la foi et donc réellement saints. Ils doivent alors, avec l’aide de Dieu, maintenir et perfectionner dans leur vie la sainteté qu’ils ont reçue[86]. » Dans toute son existence, le baptisé est appelé à devenir ce qu’il est devenu pleinement par la consécration baptismale ; mais cela n’advient pas sans le consentement de sa liberté et l’aide de la grâce qui vient de Dieu. Quand cela advient, on peut percevoir dans l’histoire l’humanité nouvelle selon Dieu : personne ne devient pleinement lui-même autant que le saint qui accueille le plan divin et, avec l’aide de la grâce, conforme tout son être au projet du Très-Haut ! En ce sens, les saints sont comme des lumières suscitées par le Seigneur au milieu de son Église pour l’illuminer, une prophétie pour le monde entier.

c) La nécessité d’un renouveau continuel.

Sans offusquer cette sainteté, il faut reconnaître qu’en raison de la présence du péché, un renouvellement continuel est nécessaire, ainsi qu’une constante conversion de la part du peuple de Dieu : l’Église sur terre est « ornée d’une vraie sainteté » cependant « imparfaite[87] ». Augustin observe contre les Pélagiens : « L’Église dans son ensemble dit : Remets-nous nos dettes ! Elle a donc des taches et des rides. Mais au moyen de la confession, les rides s’effacent ; au moyen de la confession, les taches sont lavées. L’Église se tient en prière pour être purifiée par la confession, et il en sera ainsi tant que les hommes vivront sur la terre[88]. » Et Thomas d’Aquin précise que la plénitude de la sainteté appartient au temps eschatologique, tandis que l’Église pérégrinante ne doit pas se faire illusion en s’affirmant sans péché : « Que l’Église soit glorieuse, sans tache ni ride, c’est le but final vers lequel nous tendons par la passion du Christ. Mais ceci s’obtiendra seulement dans la patrie éternelle et non dans l’état de pèlerinage ; ici […] nous nous tromperions si nous disions n’avoir aucun péché[89]. » En réalité, « bien que revêtus de la robe baptismale, nous ne cessons de pécher, de nous détourner de Dieu. Mais avec la demande : “Remets-nous nos dettes”, nous retournons à lui, comme l’enfant prodigue (voir Lc 15, 11-32), et nous nous reconnaissons pécheurs devant lui, comme le publicain (voir Lc 18, 13). Notre demande commence par une “confession” où nous confessons en même temps notre misère et sa Miséricorde[90]. »

C’est donc l’Église entière qui, par la confession du péché de ses fils, confesse sa foi en Dieu et en célèbre l’infinie bonté en même temps que sa capacité de pardon : grâce au lien établi par le Saint-Esprit, la communion qui existe entre tous les baptisés dans le temps et dans l’espace devient telle que, en elle, chacun est lui-même, mais en même temps il est conditionné par les autres, il exerce sur eux une influence dans l’échange vital des biens spirituels ; de sorte que la sainteté des uns influe sur la croissance des autres dans le bien. De même, l’importance du péché n’est pas exclusivement individuelle, car celui-ci pèse et oppose une résistance sur le chemin du salut de tous. En ce sens, le péché touche vraiment l’Église en sa totalité, à travers la variété des temps et des lieux.

Cette conviction pousse les Pères à des affirmations nettes, comme celle de saint Ambroise : « Faisons bien attention que notre chute ne devienne pas une blessure de l’Église[91]. » Mais celle-ci, « tout en étant sainte par son incorporation au Christ ne se lasse pas de faire pénitence et elle reconnaît comme siens, devant Dieu et devant les hommes, ses enfants pécheurs[92] », ceux d’aujourd’hui comme ceux d’hier.

d) La maternité de l’Église.

La conviction que l’Église peut se charger du péché de ses fils, en vertu de la solidarité existant entre eux dans le temps et dans l’espace par leur incorporation au Christ et l’œuvre du Saint-Esprit, s’exprime d’une manière particulièrement opérante dans l’idée d’« Église Mère » (Mater Ecclesia), qui « dans la conception des premiers Pères, résume toute l’aspiration chrétienne[93] ». L’Église, affirme Vatican II, « à travers la Parole de Dieu accueillie avec foi, devient à son tour mère, puisque par la prédication et par le baptême elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu[94] ». À cette très large tradition dont ces idées sont l’écho, se joint Augustin avec, par exemple, ces paroles : « Cette sainte mère digne de vénération, l’Église, est semblable à Marie : elle met au monde et elle est vierge, vous êtes nés d’elle ; elle engendre le Christ parce que vous êtes les membres du Christ[95]. » Cyprien de Carthage affirme nettement : « Celui qui n’a pas l’Église comme mère ne peut avoir Dieu pour père [96]. » Et Paulin de Nole de chanter ainsi la maternité de l’Église : « Comme mère, elle reçoit la semence de la Parole éternelle, porte les peuples en son sein et leur donne le jour[97]. »

Selon cette vision, l’Église se réalise continuellement dans l’échange et la communication du Saint-Esprit de l’un à l’autre des croyants ; elle constitue un milieu générateur de foi et de sainteté dans la communion fraternelle, l’unanimité de la prière, la participation solidaire à la Croix, le témoignage commun. En vertu de cette communication vitale, chaque baptisé peut être considéré en même temps fils de l’Église, en tant qu’il est engendré en elle à la vie divine, et Église Mère, en tant qu’il coopère par sa foi et sa charité à engendrer de nouveaux fils de Dieu : il est d’autant plus Église Mère que sa sainteté est plus grande et plus ardent son effort pour communiquer aux autres le don reçu. En outre, le baptisé qui, à cause de son péché, se séparerait du cœur de l’Église, ne cesse pas d’être son fils : il pourra toujours accéder de nouveau aux sources de la grâce et écarter le poids que sa faute fait peser sur toute la communauté de l’Église Mère. À son tour, celle-ci, comme une véritable Mère, ne pourra pas ne pas être blessée par le péché de ses fils d’aujourd’hui comme d’hier, tout en continuant toujours à les aimer, au point de se charger en tout temps du poids de leurs fautes. En ce sens, l’Église apparaît aux Pères comme Mère des douleurs, non seulement à cause des persécutions extérieures, mais surtout des trahisons, des manquements, des lenteurs et des souillures de ses fils.

La sainteté et le péché dans l’Église se reflètent donc dans leurs effets sur l’Église entière, même si c’est une conviction de la foi que la sainteté, en tant que fruit de la grâce divine, est plus forte que le péché. La preuve lumineuse en est donnée par les figures des saints, reconnus comme modèles et aides pour tous ! Il n’y a pas de parallélisme entre la grâce et le péché, ni une sorte de symétrie ou de rapport dialectique : l’influence du mal ne pourra jamais vaincre la force de la grâce et le rayonnement du bien, même le plus caché ! En ce sens, l’Église se reconnaît essentiellement sainte dans ses saints. Alors qu’elle se réjouit de cette sainteté dont elle est bénéficiaire, elle ne confesse pas moins qu’elle est pécheresse, non pas en tant que sujet du péché, mais parce qu’elle assume avec une solidarité maternelle le poids des fautes de ses fils, afin de les aider à les surmonter sur le chemin de la pénitence et de la vie nouvelle. C’est pourquoi la sainte Église éprouve le devoir de « se repentir profondément des faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage, en l’empêchant de refléter pleinement l’image de son Seigneur crucifié, témoin indispensable d’amour patient et d’humble douceur[98] ».

Cela peut être fait particulièrement par celui qui, par charisme et ministère, exprime dans la forme la plus dense la communion du peuple de Dieu. Au nom des Églises locales, les pasteurs respectifs pourront exprimer les éventuelles confessions de fautes et demandes de pardon. Au nom de l’Église entière, une dans le temps et dans l’espace, pourra se prononcer celui qui exerce le ministère universel de l’unité, l’Évêque de l’Église « qui préside à la charité[99] », le Pape. Voilà pourquoi il est particulièrement significatif que soit venue de lui l’invitation à ce que « l’Église prenne sur elle avec une plus vive conscience le péché de ses fils » et reconnaisse la nécessité de « faire amende honorable, en invoquant avec force le pardon du Christ[100] ».

4. Jugement historique et jugement théologique

L’identification des fautes du passé dont il faut s’amender implique avant tout un jugement historique correct ; celui-ci servira de fondement à l’évaluation théologique. On doit se demander : que s’est-il passé précisément ? Qu’a-t-on vraiment dit et fait ? Ce n’est que lorsqu’une réponse appropriée aura été donnée à ces interrogations, à la suite d’une démarche historique rigoureuse, que l’on pourra se demander si ce qui est advenu, qui a été dit et fait, peut être interprété comme conforme ou non à l’Évangile, et si, dans le cas où cela n’a pas été conforme à l’Évangile, les fils de l’Église ayant eu un tel comportement auraient pu s’en rendre compte dans le contexte où ils agissaient. C’est seulement lorsqu’on sera parvenu à la certitude morale que ce qui a été fait contre l’Évangile par certains fils de l’Église et en son nom aurait pu être jugé comme tel par eux, et aurait pu être évité, que demander pardon pour les fautes du passé peut avoir un sens pour l’Église.

Le rapport entre « jugement historique » et « jugement théologique » est donc aussi complexe que nécessaire et déterminant. C’est pourquoi il faut l’entreprendre sans prévention d’un côté ou de l’autre : il convient d’éviter aussi bien une apologie cherchant à tout justifier qu’une culpabilisation indue, fondée sur l’attribution de responsabilités historiquement insoutenables. Jean-Paul II a affirmé à propos de l’évaluation historico-théologique de l’action de l’Inquisition : « Le Magistère ecclésial ne peut certes pas se proposer d’accomplir un acte de nature éthique, telle que la demande de pardon, sans s’être informé exactement auparavant sur la situation de cette époque. Mais il ne peut non plus s’appuyer sur les images du passé véhiculées par l’opinion publique, car elles sont souvent surchargées d’une émotivité passionnelle qui empêche un diagnostic serein et objectif […]. Voilà pourquoi la première démarche consiste à interroger les historiens, auxquels on ne demande pas un jugement de nature éthique qui dépasserait les limites de leur compétence, mais d’apporter une aide à la reconstruction la plus précise des événements, des usages, des mentalités d’alors, à la lumière du contexte historique de l’époque[101]. »

a) L’interprétation de l’histoire.

Quelles sont les conditions d’une interprétation correcte du passé, du point de vue du savoir historique ? Pour les déterminer, il faut tenir compte de la complexité du rapport intervenant entre le sujet qui interprète et l’objet de l’interprétation qui, lui, est passé[102]. En premier lieu, on doit souligner leur étrangeté réciproque. Les événements ou les paroles du passé sont avant tout « passés » : comme tels, on ne peut pas les réduire totalement aux instances actuelles ; ils ont une épaisseur et une complexité objectives qui empêchent d’en disposer de manière uniquement fonctionnelle selon les intérêts du moment. Il faut donc les aborder par le biais d’une enquête historico-critique, cherchant à utiliser toutes les informations accessibles, en vue de reconstituer le milieu, les modes de penser, les conditionnements et le processus vital où se situent ces événements et ces paroles. On évaluera ainsi leur contenu et les défis que, précisément dans leur diversité, ils lancent à notre présent.

En second lieu, entre celui qui interprète et ce qui est interprété, on doit reconnaître une certaine coappartenance, sans laquelle aucun lien ni aucune communication ne pourraient subsister entre passé et présent. Ce lien de communication est fondé sur le fait que tout être humain d’hier et d’aujourd’hui se situe dans un ensemble de relations historiques et qu’il a besoin pour les vivre d’une médiation linguistique, toujours déterminée historiquement. Nous faisons tous partie de l’histoire ! Mettre en lumière la coappartenance entre l’interprète et l’objet interprété – qui doit être atteint à travers les multiples formes par lesquelles le passé a laissé des témoignages de lui-même (textes, monuments, traditions, etc.) – signifie juger de la justesse des correspondances possibles et des éventuelles difficultés de communication mises en évidence par notre propre intelligence, entre le présent, les paroles et les événements passés. Cela exige de tenir compte des motivations de la recherche et de leur incidence sur les réponses obtenues, du contexte de vie où l’on travaille, ainsi que de la communauté interprétante dont on parle le langage et à laquelle on entend parler. Dans ce but, il est nécessaire de rendre la précompréhension (toujours incluse, en fait, dans une interprétation) aussi réfléchie et consciente qu’il est possible, afin de mesurer et de tempérer son incidence réelle sur le processus d’interprétation.

Enfin, entre celui qui interprète et le passé, objet de l’interprétation, s’accomplit, à travers l’effort cognitif et évaluatif, une osmose (« fusion des horizons ») qui constitue à proprement parler l’acte de compréhension. En elle, s’exprime ce que l’on juge être une intelligence correcte des événements et des paroles du passé, ce qui équivaut à relever la signification qu’ils peuvent avoir pour l’interprète et son univers. Grâce à cette rencontre des milieux de vie, la compréhension du passé devient possible au présent : le passé est bien saisi dans les potentialités qu’il ouvre et la stimulation qu’il offre pour modifier le présent ; la mémoire devient capable de susciter un nouveau futur.

On parvient à une osmose féconde avec le passé par l’articulation de certaines opérations herméneutiques fondamentales, correspondant aux moments indiqués de l’étrangeté, de la coappartenance et de la compréhension proprement dite. S’agissant d’un « texte » du passé (entendu en général comme un témoignage écrit, oral, monumental ou figuratif), ces opérations peuvent être exprimées de la façon suivante : « [1] comprendre le texte, [2] peser l’exactitude de sa compréhension du texte et [3] exposer ce qu’on estime être la juste compréhension du texte[103] ». Comprendre le témoignage du passé signifie le rejoindre le plus possible dans son objectivité, au moyen de toutes les sources dont on peut disposer ; juger de l’exactitude de sa propre interprétation signifie vérifier honnêtement et avec rigueur dans quelle mesure celle-ci a pu être orientée ou même conditionnée par la précompréhension et les préjugés possibles de l’interprète ; exposer l’interprétation obtenue signifie faire participer les autres au dialogue tissé avec le passé, soit pour en vérifier la pertinence, soit pour l’exposer éventuellement à d’autres interprétations.

b) Enquête historique et évaluation théologique.

Si ces opérations font partie de tout acte herméneutique, elles ne peuvent non plus être absentes de l’interprétation en laquelle s’intègrent le jugement historique et le jugement théologique. Cela exige en premier lieu que, dans ce type d’interprétation, on prête la plus grande attention aux éléments de différenciation et d’étrangeté entre le présent et le passé. Quand on entend juger des possibles fautes du passé, on doit en particulier avoir conscience que divers sont les temps historiques, et divers les temps sociologiques et culturels de l’action ecclésiale ; des paradigmes et des jugements propres à une société et à une époque pourraient être appliqués de manière erronée à l’évaluation d’autres phases de l’histoire, engendrant des équivoques non négligeables ; diverses sont les personnes, les institutions et leurs compétences respectives ; diverses les manières de penser et divers les conditionnements. Il faut donc préciser qui sont les responsables des événements et des paroles prononcées, en tenant compte du fait qu’une demande ecclésiale de pardon implique le même objet théologique (l’Église) avec une variété de modes et de degrés suivant lesquels les particuliers représentent la communauté ecclésiale, selon la grande diversité des situations historiques et géographiques. Il convient d’éviter toute généralisation. Les procédés d’actualisation doivent être effectués par les sujets plus directement en cause (l’Église universelle, les épiscopats nationaux, les Églises particulières, etc.).

En second lieu, la mise en relation du jugement historique et du jugement théologique doit tenir compte du fait que, pour l’interprétation de la foi, le lien entre le passé et le présent n’est pas seulement motivé par l’intérêt actuel et la commune appartenance de tout être humain à l’histoire et à l’expression de ses médiations ; il se fonde aussi sur l’action unificatrice de l’Esprit de Dieu et sur l’identité permanente du principe constitutif des croyants, qui est la révélation. L’Église, en vertu de la communion réalisée en elle par l’Esprit du Christ dans le temps et l’espace, ne peut pas ne pas se reconnaître dans son principe surnaturel, présent et opérant en tous les temps, comme sujet d’une certaine manière unique, appelé à correspondre au don de Dieu, dans des formes et des situations diverses, à travers les choix de ses fils, malgré les manquements qui peuvent les avoir caractérisés. La communion dans l’unique Saint-Esprit fonde aussi de manière diachronique une communion des « saints » en vertu de laquelle les baptisés d’aujourd’hui s’éprouvent liés aux baptisés d’hier. De même qu’ils bénéficient de leurs mérites et se nourrissent de leur témoignage de sainteté, ils éprouvent aussi le devoir d’assumer le poids actuel de leurs fautes, après avoir opéré un attentif discernement historique et théologique.

Grâce à ce fondement objectif et transcendant de la communion du peuple de Dieu dans ses diverses situations historiques, l’interprétation croyante reconnaît au passé de l’Église une signification toute particulière pour aujourd’hui : la rencontre avec ce passé, qui se produit dans l’acte de son interprétation, peut se révéler chargée de valeurs particulières pour le présent, riche d’une efficacité « performante » qui n’est pas toujours calculable à l’avance. Naturellement, la proximité très forte de l’horizon herméneutique et du sujet ecclésial qui interprète expose plus facilement le regard théologique au risque de céder à des lectures apologétiques ou instrumentales : c’est ici que l’exercice herméneutique cherchant à comprendre les événements et les paroles du passé, et à mesurer la justesse de leur interprétation pour maintenant, est plus que jamais nécessaire. En vue de telles fins, la lecture croyante se servira de toutes les contributions possibles offertes par les sciences historiques et les méthodes d’interprétation. Cependant, l’exercice de l’herméneutique historique ne devra pas empêcher l’évaluation par la foi qui interpelle les textes selon sa spécificité propre ; il s’agit d’opérer une interaction du présent et du passé dans la conscience de l’unité foncière du sujet ecclésial qui est impliqué. Cela met en garde contre tout historicisme qui relativise le poids des fautes passées et considère que l’histoire peut tout justifier. Comme le fait observer Jean-Paul II, « un jugement historique correct ne peut pas faire abstraction d’une considération attentive des conditionnements culturels du moment […]. Mais la considération des circonstances atténuantes n’exonère pas l’Église du devoir de se repentir profondément pour les faiblesses de tant de ses fils[104] ».

L’Église, en somme, « ne redoute pas la vérité qui émerge de l’histoire et elle est prête à reconnaître les erreurs là où elles sont assurées ; surtout quand il s’agit du respect dû aux personnes et aux communautés. Elle incline à se méfier des sentences généralisées d’absolution ou de condamnation à l’égard des différentes époques de l’histoire. Elle confie l’enquête sur le passé à une reconstitution scientifique patiente et honnête, libre de préjugés de type confessionnel ou idéologique, soit pour ce qui concerne les imputations qui lui sont faites, soit pour les torts qu’elle a subis[105]. » Les exemples présentés au chapitre suivant le démontreront de manière concrète.

5. Discernement éthique

Pour que l’Église fasse un examen de conscience historique approprié devant Dieu, en vue de son propre renouvellement intérieur et de l’accroissement de la grâce et de la sainteté en elle, il est nécessaire qu’elle sache reconnaître les « formes de contre-témoignage et de scandale » qui se sont présentées dans son histoire, en particulier durant le dernier millénaire. Il n’est pas possible de remplir une telle tâche sans être conscient de son implication morale et spirituelle. Cela exige de définir certains termes clés et de formuler certaines précisions sur le plan éthique.

a) Quelques critères éthiques.

Sur le plan moral, la demande de pardon présuppose que l’on admette une responsabilité, plus précisément la responsabilité d’une faute commise contre d’autres. La responsabilité morale se réfère habituellement à la relation entre une action et la personne qui l’accomplit : elle établit de qui relève l’acte et l’attribue à une personne donnée ou à plusieurs personnes. La responsabilité peut être objective ou subjective : la première se rapporte à la valeur morale de l’acte bon ou mauvais en lui-même, et donc à l’imputabilité de l’action ; la seconde concerne la perception, de la part de la conscience individuelle, de la bonté ou de la malice de l’acte accompli. La responsabilité subjective disparaît à la mort de celui qui a accompli l’acte ; elle ne se transmet pas par génération ; les descendants n’héritent donc pas de la responsabilité (subjective) des actes de leurs ancêtres. En ce sens, demander pardon présuppose une contemporanéité entre ceux qui sont offensés par une action et ceux qui l’ont accomplie. La seule responsabilité susceptible de se prolonger dans l’histoire ne peut être que de type objectif ; on peut y adhérer librement, au moins subjectivement. C’est ainsi que le mal survit souvent à celui qui l’a fait, à travers les conséquences des comportements ; ceux-ci peuvent devenir un fardeau pesant sur la conscience et la mémoire des descendants.

Dans ce contexte, on peut parler d’une solidarité qui unit le passé et le présent en un rapport de réciprocité. Dans certaines situations, le poids qui pèse sur la conscience peut être si lourd qu’il constitue une sorte de mémoire morale et religieuse du mal perpétré ; par nature, il s’agit d’une mémoire collective. De manière significative, elle témoigne de la solidarité objective entre ceux qui ont commis ce mal dans le passé et leurs héritiers du temps présent. C’est alors qu’il devient possible de parler d’une responsabilité commune objective. On se libère du poids d’une telle responsabilité en implorant avant tout le pardon de Dieu pour les fautes du passé, et donc, quand c’est le cas, à travers la « purification de la mémoire » qui culmine dans le pardon réciproque des péchés et des offenses au temps présent.

Purifier la mémoire signifie éliminer de la conscience personnelle et collective toutes les formes de ressentiment et de violence laissées par l’héritage du passé, sur la base d’un nouveau et rigoureux jugement historico-théologique, lui-même fondement d’un comportement moral renouvelé. Cela advient toutes les fois que l’on réussit à attribuer à des actes historiques passés une qualité différente impliquant une nouvelle incidence sur le présent. Son but est de promouvoir la réconciliation dans la vérité, la justice et la charité entre les êtres humains, en particulier entre l’Église et les différentes communautés religieuses, culturelles ou civiles avec lesquelles elle est en relation. Parmi les exemples emblématiques de cette incidence sur toute la vie de l’Église, à la suite d’une interprétation réévaluée, on peut citer la réception des conciles ou des actes comme la levée d’anathèmes réciproques. En effet, ces actes expriment une qualification nouvelle de l’histoire passée capable de conférer un caractère différent aux relations vécues dans le présent. La mémoire de la division et de l’opposition est purifiée et remplacée par une mémoire réconciliée. Tous, dans l’Église, sont invités à s’ouvrir à elle et à se laisser éduquer par elle.

La combinaison du jugement historique et du jugement théologique dans le processus d’interprétation du passé rejoint ici les répercussions éthiques qu’elle peut avoir sur le présent ; certains critères de nature morale se dégagent de la fonction herméneutique du rapport entre jugement historique et jugement théologique. Mentionnons-les :

[1] Le principe de la conscience. La conscience, aussi bien comme « jugement moral » que comme « impératif moral », constitue l’appréciation ultime d’un acte, qualifié de bon ou de mauvais devant Dieu. En effet, seul Dieu connaît la valeur morale de chaque acte humain, même si l’Église, comme Jésus, peut et doit classer, juger et parfois condamner certains types d’action[106].

[2] Le principe de l’historicité. Dans la mesure précisément où chaque acte humain appartient à celui qui le pose, la conscience individuelle et la société opèrent leurs choix et agissent à l’intérieur d’un horizon déterminé de temps et d’espace. Aussi, pour comprendre vraiment les actes humains et les dynamiques qui leur sont liées, nous devrions entrer dans le monde propre de leurs agents ; ce n’est qu’ainsi que nous pourrions arriver à connaître leurs motivations et leurs principes moraux. Et cela, sans préjudice de la solidarité qui lie les membres d’une communauté donnée à travers le déroulement du temps.

[3] Le principe du changement de « paradigme ». Avant l’avènement des Lumières, il existait une sorte d’osmose entre Église et État, foi et culture, moralité et loi. À partir du xviiie siècle, cette relation a été notablement modifiée. Le résultat en a été le passage d’une société sacralisée à une société pluraliste ou, comme il est advenu en certains cas, à une société séculière : les modèles de pensée et d’action, ce qu’on appelle les « paradigmes » d’action et d’évaluation, ont changé. Une telle transition a un impact direct sur les jugements moraux, même si cette influence ne justifie en aucune manière la relativisation des principes moraux ou la nature de la morale elle-même.

Le processus complet de purification de la mémoire, en tant qu’il requiert une combinaison correcte de l’évaluation historique et du regard théologique, doit être vécu par les fils de l’Église non seulement avec une rigueur tenant compte des critères et des principes indiqués, mais aussi en invoquant l’assistance du Saint-Esprit, afin de ne pas tomber dans le ressentiment ou dans l’autoflagellation ; il s’agit de parvenir à confesser le Dieu dont « la miséricorde va de génération en génération[107] », qui désire la vie et non la mort, le pardon et non la condamnation, l’amour et non la crainte. Il faut ici mettre en évidence le caractère d’exemplarité que le fait d’admettre honnêtement les fautes passées peut exercer sur les mentalités, dans l’Église et dans la société civile. Cela demande un engagement renouvelé d’obéissance à la Vérité et, par conséquent, de respect pour la dignité et les droits des autres, surtout des plus faibles. En ce sens, les nombreuses demandes de pardon formulées par Jean-Paul II constituent un exemple qui met en évidence un bien et en stimule l’imitation, en appelant les individus et les peuples à un examen de conscience honnête et fructueux, en vue de tracer des chemins de réconciliation.

À la lumière de ces éclaircissements sur le plan éthique, nous pouvons maintenant approfondir quelques exemples (parmi ceux qui sont mentionnés par Tertio millennio adveniente[108]) impliquant des situations où le comportement des fils de l’Église semble avoir été en contradiction avec l’Église de Jésus-Christ de manière notable.

b) La division des chrétiens.

L’unité est la loi de la vie du Dieu trinitaire, révélée au monde par le Fils[109]. Dans la force du Saint-Esprit et en aimant jusqu’au bout[110], le Fils communique cette vie aux siens. Cette unité devra être la source et la forme de communion de la vie de l’humanité avec Dieu Trinité. Si les chrétiens vivent cette loi d’amour réciproque au point d’être un « comme le Père et le Fils sont un », il en résultera que « le monde croira que le Fils a été envoyé par le Père[111] » et que « tous sauront qu’ils sont ses disciples[112] ».

Malheureusement, il n’en a pas été ainsi, surtout au cours du millénaire qui s’achève : de grandes divisions sont apparues entre chrétiens, en contradiction ouverte avec la volonté explicite du Christ, comme si lui-même avait été divisé[113]. Rappelons le jugement du concile Vatican II : « Une telle division s’oppose ouvertement à la volonté du Christ. Elle est pour le monde un objet de scandale et elle fait obstacle à la plus sainte des causes : la prédication de l’Évangile à toute créature[114]. »

Les principales scissions qui, durant le millénaire écoulé, « ont porté atteinte à la tunique sans couture du Christ[115] », sont le schisme entre les Églises d’Orient et d’Occident au début de ce millénaire, puis, en Occident (quatre siècles plus tard), le déchirement causé par les événements « que l’on a coutume d’appeler la Réforme[116] ». Il est vrai que « ces diverses séparations diffèrent beaucoup entre elles, non seulement en raison de leur origine et des circonstances de lieu et de temps, mais surtout par la nature et la gravité des questions relatives à la foi et à la structure de l’Église[117] ». Dans le schisme du xie siècle, des facteurs culturels et historiques ont joué un rôle important ; l’aspect doctrinal concernant l’autorité de l’Église et l’évêque de Rome n’avait pas atteint à cette époque le degré de clarté qui est le sien aujourd’hui grâce au développement doctrinal de tout un millénaire. Avec la Réforme, au contraire, des pans entiers de la révélation et de la doctrine furent soumis à controverse.

Le chemin ouvert pour dépasser ces différences est celui du dialogue doctrinal animé par un amour réciproque. Les déchirements semblent avoir consisté en un manque d’amour surnaturel, commun aux deux parties, un manque d’agapè. Puisque la charité est le commandement suprême de l’Évangile, sans lequel tout le reste n’est qu’« airain qui sonne ou cymbale qui retentit[118] », ce manque doit être examiné avec le plus grand sérieux devant le Ressuscité, Seigneur de l’Église et de l’histoire. C’est en reconnaissant ce manque que le pape Paul VI a demandé pardon à Dieu et aux « frères séparés » qui se sentiraient offensés « par nous » (l’Église catholique)[119].

En 1965, dans le climat engendré par le concile Vatican II, le Patriarche Athénagoras a mis en relief, dans son dialogue avec Paul VI, le thème de la restauration (apokatastasis) de l’amour réciproque, essentiel à la suite d’une histoire si lourde d’oppositions, de méfiance réciproque et d’antagonismes[120]. Ce qui était en jeu, c’était un passé encore présent dans les mémoires : les événements de 1965 (culminant le 7 décembre 1965 avec la levée des anathèmes de 1054 entre l’Orient et l’Occident) montrent que l’aveu de cette faute qu’ont représentée les exclusions réciproques peut purifier la mémoire et en susciter une nouvelle. Le fondement de cette nouvelle mémoire ne peut être que l’amour réciproque ou, mieux encore, l’engagement renouvelé à le vivre. C’est le commandement ante omnia[121] pour l’Église, en Orient comme en Occident. De la sorte, la mémoire se libère de la prison du passé et invite les catholiques et les orthodoxes, ainsi que les catholiques et les protestants, à être les architectes d’un avenir plus conforme au commandement nouveau. Le témoignage rendu à cette mémoire nouvelle par le pape Paul VI et par le Patriarche Athénagoras est, en ce sens, exemplaire.

La tentation de se laisser guider ou même déterminer par des facteurs culturels, des conditionnements historiques ou des préjugés qui alimentent la séparation et la méfiance réciproque entre chrétiens, peut se révéler particulièrement importante sur le chemin de l’unité entre chrétiens, même s’ils n’ont rien à voir avec la foi. Les fils de l’Église doivent examiner leur conscience avec sérieux pour voir s’ils sont activement engagés dans l’obéissance à l’impératif de l’unité et s’ils vivent « la conversion intérieure », puisque « les désirs de l’unité naissent et mûrissent par le renouveau de l’esprit, le renoncement à soi-même et l’effusion la plus libre de la charité[122] ». Au cours du temps écoulé entre la fin du concile et aujourd’hui, la résistance que l’on a opposée à son message a certainement attristé l’Esprit de Dieu[123]. Dans la mesure où certains catholiques se complaisent à demeurer liés aux séparations du passé, en ne faisant rien pour écarter les obstacles à l’unité, on pourrait parler, à juste titre, de solidarité dans le péché de division[124]. On pourrait dans ce contexte rappeler ces mots du Décret de Vatican II sur l’œcuménisme : « Par une humble prière, nous devons donc demander pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[125]. »

c) L’usage de la violence au service de la vérité.

Au contre-témoignage de la division entre chrétiens, il faut ajouter celui des diverses occasions où, au cours du millénaire passé, des moyens douteux ont été utilisés pour obtenir des fins justes telles que la prédication de l’Évangile ou la défense de l’unité de la foi : « Il y a un autre chapitre douloureux sur lequel les fils de l’Église ne peuvent pas ne pas revenir en esprit de repentir : le consentement donné, surtout en certains siècles, à des méthodes d’intolérance et même de violence dans le service de la vérité[126]. » Nous faisons allusion aux formes d’évangélisation qui ont employé des instruments impropres pour annoncer la vérité révélée, ou qui n’ont pas opéré un discernement évangélique adapté aux valeurs culturelles des peuples, ou qui n’ont pas respecté les consciences des personnes à qui la foi était présentée, ainsi qu’aux formes de violence exercées dans la répression et la correction des erreurs.

On doit prêter une attention analogue aux omissions possibles dont les fils de l’Église se seraient rendus responsables dans diverses situations concernant la dénonciation des injustices et des violences : « Il y a aussi le manque de discernement de nombreux chrétiens face aux situations de violation des droits humains fondamentaux. La demande de pardon vaut aussi pour tout ce qui a été omis ou tu, par faiblesse ou évaluation erronée, pour ce qui a été fait ou dit de manière incertaine ou peu adaptée[127]. »

Comme toujours, il est décisif d’établir la vérité historique au moyen de la recherche historico-critique. Une fois les faits établis, il sera nécessaire d’évaluer leur valeur spirituelle et morale ainsi que leur signification objective. De cette manière seulement, il sera possible d’éviter toute mémoire mythique et de parvenir à une mémoire critique adéquate, capable (à la lumière de la foi) de produire des fruits de conversion et de renouveau. « Des traits douloureux du passé émerge une leçon pour l’avenir ; elle doit conduire chaque chrétien à s’en tenir fermement à la règle d’or définie par le concile : “La vérité ne s’impose qu’en vertu de la vérité elle-même ; elle pénètre dans les esprits avec suavité et avec vigueur tout à la fois[128].” »

d) Chrétiens et juifs.

L’un des domaines qui exige un examen de conscience particulier est le rapport entre chrétiens et juifs[129]. La relation de l’Église avec le peuple juif est différente de celle entretenue avec toute autre religion[130]. Pourtant, « l’histoire des relations entre juifs et chrétiens est une histoire tourmentée […]. En effet, le bilan de ces relations pendant deux millénaires a été plutôt négatif[131] ». L’hostilité ou la défiance de nombreux chrétiens envers les juifs, au cours des temps, est un fait historique douloureux, cause d’un profond regret de la part de chrétiens conscients que « Jésus était un descendant de David ; que c’est du peuple juif que naquirent la Vierge Marie et les Apôtres ; que l’Église tire sa nourriture des racines de ce bon olivier sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage des Gentils (voir Rm 11, 17-24) ; que les juifs sont nos frères très aimés, et que, en un certain sens, ils sont vraiment “nos frères aînés”[132] ».

La Shoah fut certes le résultat d’une idéologie païenne, le nazisme, animée d’un antisémitisme sans pitié qui non seulement méprisait la foi mais niait aussi la dignité même du peuple juif. Cependant, « il faut aussi nous demander si la persécution du nazisme envers les juifs n’a pas été facilitée par les préjugés anti-juifs, présents dans les esprits et les cœurs de certains chrétiens […]. Les chrétiens ont-ils offert toute l’aide possible aux persécutés et, en particulier, aux juifs[133] ? ». Il y eut, sans aucun doute, beaucoup de chrétiens qui risquèrent leur vie pour sauver et aider des juifs de leur connaissance. Mais il semble également vrai « qu’à côté de tels hommes et femmes courageux, la résistance spirituelle et l’action concrète des autres chrétiens n’ont pas été celles que l’on aurait pu attendre de disciples du Christ[134] ».

Ce fait constitue un appel à la conscience de tous les chrétiens d’aujourd’hui ; il exige un « acte de repentir » (teshuva)[135] et devient une incitation à redoubler les efforts en vue d’être « transformés par un renouvellement de l’intelligence[136] », et pour que soit maintenue la « mémoire morale et religieuse » de la blessure infligée aux juifs. Dans ce domaine, tout ce qui a déjà été fait pourra être confirmé et approfondi.

e) Notre responsabilité dans les maux d’aujourd’hui.

« L’époque actuelle, à côté de nombreuses zones de lumière, présente aussi beaucoup d’ombres[137]. » Parmi celles-ci, il faut signaler, en premier lieu, le phénomène de la négation de Dieu sous de nombreuses formes. Ce qui frappe particulièrement, c’est que cette négation, surtout en ses aspects les plus théoriques, est un processus qui est né dans le monde occidental. Liée à cette éclipse de Dieu, s’est ensuivie une série de phénomènes négatifs, comme l’indifférence religieuse, l’absence diffuse du sens de la transcendance de la vie humaine, un climat de sécularisme et de relativisme éthique, la négation du droit à la vie de l’enfant à naître, sanctionnée même par les lois abortives, et une large indifférence aux cris des pauvres venant de secteurs entiers de la famille humaine.

Dans quelle mesure les croyants sont-ils eux-mêmes responsables de ces formes d’athéisme théorique et pratique ? Cette question inquiétante doit être posée. Gaudium et spes répond avec des mots soigneusement choisis : « Les croyants eux-mêmes portent souvent à cet égard une certaine responsabilité. Car l’athéisme, considéré dans son ensemble, ne trouve pas son origine en lui-même ; il la trouve en diverses causes, parmi lesquelles il faut compter une réaction critique en face des religions et spécialement, en certaines régions, en face de la religion chrétienne. C’est pourquoi, dans cette genèse de l’athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n’est pas mince[138]. »

Du moment que le visage authentique de Dieu a été révélé en Jésus-Christ, la grâce incommensurable de connaître ce visage est offerte aux chrétiens : mais ils ont reçu aussi la responsabilité de vivre de manière à manifester aux autres le vrai visage du Dieu vivant. Ils sont appelés à faire rayonner dans le monde cette vérité : « Dieu est amour (agapè)[139]. » Si Dieu est amour, il est aussi Trinité de personnes dont la vie consiste dans la communication infinie et réciproque dans l’amour. Donc, la meilleure voie pour que les chrétiens fassent rayonner la vérité du Dieu amour, c’est l’amour réciproque. « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres[140]. » Au point que l’on a pu dire que, souvent, les chrétiens « par la négligence dans l’éducation de leur foi, par des présentations trompeuses de la doctrine, et aussi par des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, voilent l’authentique visage de Dieu et de la religion plus qu’ils ne le révèlent[141] ».

Il faut enfin souligner que mentionner les fautes des chrétiens du passé ne revient pas seulement à les confesser au Christ Sauveur, mais aussi à louer le Seigneur de l’histoire pour son amour miséricordieux. En effet, les chrétiens ne se contentent pas de croire à l’existence du péché, ils croient encore et surtout au « pardon des péchés ». En outre, rappeler ces fautes signifie aussi accepter notre solidarité avec ceux qui, dans le bien et dans le mal, nous ont précédés sur le chemin de la vérité, offrir au temps présent un motif fort de conversion aux exigences de l’Évangile, et poser un préalable nécessaire à la demande de pardon à Dieu qui ouvre la voie à la réconciliation réciproque.

6. Perspectives pastorales et missionnaires

À la lumière des considérations qui viennent d’être faites, il est dès lors possible de se demander : quelles sont les finalités pastorales en vue desquelles l’Église prend en charge les fautes commises par ses fils dans le passé et en fait amende ? Quelles en sont les implications pour la vie du peuple de Dieu ? Quelles en sont les répercussions sur la mission de l’Église et son dialogue avec les cultures et les religions ?

a) Les finalités pastorales.

Parmi les multiples finalités pastorales qu’entraîne la reconnaissance des fautes du passé, on peut mettre en évidence les suivantes.

En premier lieu, ces actes tendent à la purification de la mémoire. Comme on l’a dit, le processus d’une évaluation renouvelée du passé peut avoir des incidences non négligeables sur le présent. Les péchés passés, en effet, font souvent ressentir encore leur poids ; ils demeurent comme autant de tentations pour aujourd’hui. S’il est mûri dans le dialogue et la recherche patiente de réciprocité avec ceux qui pourraient se sentir offensés par des événements ou des paroles du passé, le fait d’ôter à la mémoire personnelle et collective toute cause de ressentiment pour le mal subi, et toute influence négative de ces actes, peut contribuer à faire grandir la communauté ecclésiale dans la sainteté, à travers le chemin de la réconciliation et de la paix, dans l’obéissance à la vérité. « Reconnaître les faiblesses d’hier est un acte de loyauté et de courage qui nous aide à renforcer notre foi et nous rend plus avertis et prêts à affronter les tentations et les difficultés d’aujourd’hui[142]. » Il est bon, dans ce but, que la mémoire de la faute inclue tous les manquements possibles qui ont été commis, même si certains d’entre eux seulement sont plus fréquemment mentionnés aujourd’hui. Il ne faudra en aucun cas oublier le prix payé par beaucoup de chrétiens pour leur fidélité à l’Évangile et au service du prochain dans la charité[143].

Une deuxième finalité pastorale, étroitement liée à la précédente, consiste en la mise en œuvre de la réforme permanente du peuple de Dieu. « Si donc il est arrivé, par suite des circonstances, qu’en matière morale, dans la discipline ecclésiastique, ou même dans la manière d’énoncer la doctrine (qu’il faut distinguer avec soin du dépôt de la foi), certains points n’aient pas été observés attentivement, il faut y remédier en temps opportun avec la droiture qui convient[144]. » Tous les baptisés sont appelés à « examiner leur fidélité à la volonté du Christ par rapport à l’Église et à entreprendre avec vigueur un effort soutenu de rénovation et de réforme[145] ». Le critère de la vraie réforme et du renouveau authentique ne peut être que la fidélité à la volonté de Dieu à l’égard de son peuple[146], ce qui suppose un effort sincère pour se libérer de tout ce qui s’éloigne d’elle, qu’il s’agisse de fautes présentes ou de l’héritage du passé.

Une autre finalité peut consister dans le témoignage que l’Église rend ainsi au Dieu de miséricorde et à sa vérité qui libère et qui sauve, à partir de l’expérience qu’elle a faite de lui dans l’histoire, et dans le service qu’elle rend à l’humanité pour surmonter les maux du présent. Jean-Paul II affirme qu’« un sérieux examen de conscience a été souhaité par beaucoup de cardinaux et d’évêques, en ce qui regarde surtout l’Église d’aujourd’hui. Au seuil du nouveau millénaire, les chrétiens doivent se mettre humblement en présence du Seigneur pour s’interroger sur les responsabilités qu’ils ont, eux aussi, au regard des maux de notre temps[147]», afin de les surmonter dans l’obéissance à la splendeur de la Vérité qui sauve.

b) Les implications ecclésiales.

Quelles implications un acte ecclésial de demande de pardon revêt-il pour la vie même de l’Église ? Plusieurs aspects peuvent être mentionnés.

Il faut tenir compte avant tout des processus de réception divers qu’impliquent ces actes de repentir ecclésial, car ils varient selon les contextes religieux, culturels, politiques, sociaux, personnels, etc. Il faut considérer, dans cette optique, que des événements ou des paroles liés à des contextes historiques n’ont pas forcément une portée universelle ; et, réciproquement, que des actes conditionnés par une perspective théologique et pastorale déterminée ont comporté des conséquences de grand poids pour la diffusion de l’Évangile (que l’on songe, par exemple, aux différents modèles historiques de la théologie de la mission). Il faut aussi évaluer le rapport entre les bienfaits spirituels et les coûts possibles de tels actes, en tenant compte des accents indus que les médias peuvent mettre sur certains aspects des déclarations ecclésiales ; se rappeler, en l’occurrence, l’admonition de l’apôtre Paul demandant d’accueillir, de considérer et de soutenir avec prudence et amour les « faibles dans la foi[148] » ; prêter particulièrement attention à l’histoire, à l’identité et aux contextes des Églises orientales et des Églises établies dans des continents ou des pays dans lesquels la présence chrétienne est largement minoritaire.

Il faut également préciser quel est le sujet apte à se prononcer sur les fautes du passé, qu’il s’agisse de pasteurs locaux, considérés individuellement ou collégialement, ou du Pasteur universel, l’Évêque de Rome. Sous cet aspect, dans la reconnaissance des fautes passées et des référents actuels qui pourraient en porter la charge, il est opportun de tenir compte de la distinction entre le Magistère et l’autorité dans l’Église. Tout acte d’autorité n’a pas valeur magistérielle. Un comportement contraire à l’Évangile, posé par une ou plusieurs personnes revêtues d’autorité, n’implique pas pour autant une intervention du charisme magistériel promis par le Seigneur aux pasteurs de l’Église ; il ne demande par conséquent aucun acte magistériel de réparation.

On soulignera enfin que le destinataire de toute demande de pardon est Dieu. Les destinataires humains éventuels, surtout pris collectivement, à l’intérieur ou hors de la communauté ecclésiale, doivent être identifiés avec le discernement historique et théologique nécessaire, soit pour accomplir les actes de réparation qui conviennent, soit pour témoigner à leur égard de la bonne volonté et de l’amour de la vérité des fils de l’Église. Cela se fera d’autant mieux qu’il y aura dialogue et réciprocité entre les parties sur le chemin de la réconciliation éventuelle, liée à la reconnaissance des fautes et au repentir exprimé à leur sujet ; sans ignorer toutefois que la réciprocité, parfois impossible en raison des convictions religieuses de l’interlocuteur, ne peut être considérée comme une condition indispensable. La gratuité de l’amour s’exprime souvent par une initiative unilatérale.

Les gestes éventuels de réparation sont liés à la reconnaissance d’une responsabilité qui persiste dans le temps ; ils pourront avoir un caractère symbolico-prophétique, autant qu’une valeur de réconciliation effective (par exemple entre les chrétiens divisés). Même dans la définition de ces actes, une recherche commune avec leurs éventuels destinataires est souhaitable, car ces derniers peuvent présenter des requêtes légitimes.

Sur le plan pédagogique, il est opportun d’éviter de perpétuer les images négatives de l’autre, ou d’activer des processus d’auto-culpabilisation indue ; on soulignera à cet égard comment, pour celui qui croit, se charger des fautes passées est une sorte de participation au mystère du Christ crucifié et ressuscité, qui s’est chargé des fautes de tous. Cette perspective pascale se révèle particulièrement adaptée pour produire des fruits de libération, de réconciliation et de joie pour tous ceux qui, dans une foi vivante, sont impliqués dans la demande de pardon, comme sujets ou comme destinataires.

c) Les implications sur le plan du dialogue et de la mission.

À la suite d’une reconnaissance ecclésiale des fautes du passé, les implications prévisibles sur le plan du dialogue et de la mission peuvent être de diverses sortes.

Sur le plan missionnaire, il faut avant tout éviter que de tels actes contribuent à inhiber l’élan de l’évangélisation en exagérant les aspects négatifs. On ne doit pas moins tenir compte que ces mêmes actes pourront faire croître la crédibilité du message, dans la mesure où ils proviennent de l’obéissance à la vérité et ont pour objet des fruits effectifs de réconciliation. Les missionnaires ad gentes, en particulier, auront soin de situer dans son contexte la proposition de ces thèmes et de la mettre en relation avec leur capacité effective de réception dans les milieux où ils se trouvent (par exemple, les aspects de l’histoire de l’Église en Europe pourront sembler peu significatifs pour beaucoup de peuples non européens).

Sur le plan œcuménique, la finalité des éventuels actes ecclésiaux de repentir ne peut être que l’unité voulue par le Seigneur. Dans cette perspective, il est d’autant plus souhaitable qu’ils s’accomplissent dans la réciprocité, même si parfois des gestes prophétiques peuvent requérir une initiative unilatérale, absolument gratuite.

Sur le plan interreligieux, il faut souligner combien, pour ceux qui croient au Christ, la reconnaissance des fautes passées est conforme aux exigences de la fidélité à l’Évangile et constitue donc un témoignage lumineux de leur foi en la vérité et la miséricorde du Dieu révélé par Jésus. Ce qu’il faut éviter, c’est que de tels actes soient interprétés comme confirmant des préjugés à l’égard du christianisme. En outre, il serait souhaitable que ces actes de repentir incitent également les fidèles des autres religions à reconnaître les fautes de leur propre passé. Étant donné que l’histoire de l’humanité est remplie de violences, de génocides, de violations des droits de l’homme et des peuples, d’exploitation des faibles et de divinisation des puissants, l’histoire des diverses religions est également entachée d’intolérance, de superstition, de connivence avec les pouvoirs injustes et de négation de la dignité et de la liberté des consciences. Les chrétiens n’ont pas été une exception et ils sont bien conscients que tout le monde est pécheur devant Dieu !

Dans le dialogue avec les cultures, il convient de garder présentes à l’esprit la complexité et la pluralité des mentalités avec lesquelles on dialogue en ce qui concerne les notions de repentir et de pardon. Dans chaque cas, la prise en compte des fautes passées de l’Église doit être clarifiée à la lumière du message évangélique et, en particulier, par la présentation du Seigneur crucifié, révélation de la miséricorde et source de pardon, ainsi que de la nature particulière de la communion ecclésiale, une dans le temps et dans l’espace. Là où une culture se montre tout à fait étrangère à l’idée d’une demande de pardon, les raisons théologiques et spirituelles qui motivent cet acte doivent être présentées avec opportunité, en tenant compte de ses caractères critique et prophétique. Là où l’on se heurte au préjugé de l’indifférence envers la parole de foi, il faut tenir compte du double effet possible de ces actes de repentir : d’une part, ils peuvent confirmer les préjugés négatifs ou des attitudes de mépris et d’hostilité ; de l’autre, ils participent à l’attirance mystérieuse du « Dieu crucifié[149] ». En outre, il faut considérer que dans le contexte culturel actuel, en Occident surtout, l’invitation à la purification de la mémoire conduit à un engagement commun des croyants et des non-croyants. Ce travail commun constitue déjà un témoignage positif de docilité envers la vérité.

En ce qui concerne la société civile, il convient de considérer la différence existant entre l’Église, mystère de grâce, et toute société temporelle, et de ne pas manquer de souligner le caractère d’exemplarité que peut présenter la demande ecclésiale de pardon, ainsi que la stimulation qui peut en résulter pour accomplir des démarches analogues de purification de la mémoire et de réconciliation dans les situations les plus diverses où l’urgence se fait sentir. Jean-Paul II affirme : « La demande de pardon […] regarde en premier lieu la vie de l’Église, sa mission d’annonce du salut, son témoignage envers le Christ, son engagement pour l’unité, en un mot la cohérence qui doit être la marque de l’existence chrétienne. Mais la lumière et la force de l’Évangile, dont vit l’Église, ont la capacité d’illuminer et de soutenir, comme par surcroît, les choix et les actions de la société civile, dans le plein respect de son autonomie […]. Au seuil du troisième millénaire, il est légitime d’espérer que les responsables politiques et les peuples, surtout ceux qui sont impliqués dans des conflits dramatiques, alimentés par la haine et le souvenir de blessures souvent très anciennes, se laisseront guider par cet esprit de pardon et de réconciliation dont témoigne l’Église et s’efforceront de résoudre leurs désaccords par un dialogue loyal et ouvert[150]. »

Conclusion

Au terme de cette réflexion, soulignons une fois encore que toutes les formes de repentir pour les fautes du passé, et chacun des gestes qui leur sont liés dans l’Église, s’adressent avant tout à Dieu et entendent le glorifier, lui et sa miséricorde. C’est vraiment ainsi que l’Église pense célébrer la dignité de la personne humaine, appelée à la plénitude de la vie dans une alliance fidèle avec le Dieu vivant : « Car la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu[151]. » En agissant ainsi, l’Église témoigne aussi de sa confiance dans la vérité qui rend libre[152]. « Sa demande de pardon ne doit pas être comprise comme une affectation de feinte humilité, ni comme le reniement de son histoire bimillénaire, assurément riche de mérites dans les champs de la charité, de la culture et de la sainteté. Au contraire, elle répond à une exigence de vérité à laquelle elle ne peut renoncer : à côté d’aspects positifs, elle reconnaît les limites et les faiblesses humaines des différentes générations des disciples du Christ[153]. » Reconnaître la vérité est source de réconciliation et de paix car, ainsi que l’affirme le pape, « l’amour de la vérité, recherchée avec humilité, est l’une des grandes valeurs capables de réunir les hommes d’aujourd’hui à travers les diverses cultures[154] ». En raison même de sa responsabilité envers la Vérité, l’Église « ne peut pas passer le seuil du nouveau millénaire sans inciter ses fils à se purifier, dans la repentance, des erreurs, des infidélités, des incohérences, des lenteurs. Reconnaître les faiblesses d’hier, c’est faire acte de loyauté et de courage[155] ». Ce qui ouvre un lendemain nouveau pour tous.


* L’étude du thème « L’Église et les fautes du passé » a été proposée à la Commission théologique internationale par son président, S. Ém. le cardinal Joseph Ratzinger, dans la perspective de la célébration du Jubilé de l’an 2000. Cette étude a été confiée à une sous-commission composée des membres suivants : Rév. Christopher Begg ; Mgr Bruno Forte (qui en assurait la présidence) ; R.P. Sebastian Karotemprel, s.d.b. ; Mgr Roland Minnerath ; Rév. Thomas Norris ; R.P. Rafael Salazar Cárdenas, m.sp.s. ; Mgr Anton Strukelj. Les discussions générales sur le sujet ont nécessité de nombreuses réunions de cette sous-commission. Elles ont été également abordées lors des sessions plénières de la Commission théologique internationale qui se sont tenues à Rome en 1998 et 1999. Le texte présenté ici a été approuvé in forma specifica par un vote écrit de la Commission. Il a été ensuite soumis à son président, S. Ém. le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui a donné son approbation pour la publication.

Nous reproduisons ici, avec quelques corrections et des adaptations éditoriales, le texte publié aux éditions du Cerf : Commission théologique internationale, Mémoire et réconciliation : l’église et les fautes du passé, Paris, 2000, p. 9-92.

[1] Jean-Paul II, Bulle Incarnationis mysterium, no 11.

[2] Ibid. Dans de nombreuses interventions, et notamment au no 33 de sa Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, le pape avait déjà indiqué à l’Église le chemin à parcourir pour purifier sa propre mémoire en rapport avec les fautes du passé, et pour donner l’exemple du repentir aux particuliers et aux sociétés civiles.

[3] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 8. Voir Ep 4, 16.

[4] Voir Extravagantes communes, livre V, Titre IX, chap. 1, dans Corpus iuris canonici, A. Friedberg (éd.), t. 2, Leipzig, 1881, col. 1303-1304.

[5] Voir Benoît XIV, Lettre Salutis nostrae (30 avril 1774), § 2 ; Léon XII, dans sa Lettre Quod hoc ineunte (24 mai 1824), § 2, parle d’« une année d’expiation, de pardon et de rédemption, de grâce, de rémission et d’indulgence ».

[6] C’est dans ce sens que va la définition de l’indulgence donnée par Clément VI, quand il institua, en 1343, la périodicité du jubilé tous les cinquante ans. Clément VI voit dans le jubilé ecclésial « l’accomplissement spirituel » du « jubilé de rémission et de joie » de l’Ancien Testament (Lv 25).

[7] « Chacun de nous doit examiner en quoi il est tombé et s’examiner lui-même avec plus de rigueur qu’il ne le sera par Dieu au jour de sa colère » (Deutsche Reichstagsakten, Jüngere Reihe, vol. 3 : Deutsche Reichstagsakten unter Kaiser Karl V., A. Wrede [éd.], Gotha, 1901, p. 397).

[8] Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 7.

[9] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 36.

[10] Ibid., no 19.

[11] Vatican II, Déclaration Nostra aetate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, no 4.

[12] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 43, § 6.

[13] Voir Ep 5, 27.

[14] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 8 ; voir le Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 6 : « L’Église pérégrinante est appelée par le Christ à cette continuelle réforme dont elle-même, en tant qu’institution humaine et terrestre, a toujours besoin. »

[15] Vatican II, Déclaration Nostra aetate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, no 4.

[16] Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 3.

[17] Voir Paul VI, Lettre apostolique Apostolorum limina, 23 mai 1974 (Enchiridion Vaticanum, vol. 5, p. 304-305).

[18] Paul VI, Exhortation apostolique Paterna cum benevolentia, 8 décembre 1974 (Enchiridion Vaticanum, vol. 5, p. 526-553).

[19] Voir Jean-Paul II, Lettre encyclique Ut unum sint, no 88 : « Pour ce dont nous sommes responsables, j’implore le pardon. »

[20] Par exemple, le pape « demande pardon, au nom de tous les catholiques, pour les torts causés aux non-catholiques au cours de l’histoire », chez les Moraves (voir la canonisation de Jan Sarkander, en République tchèque, le 21 mai 1995). Il a désiré accomplir « un acte d’expiation » et demander pardon aux Indiens d’Amérique latine et aux Africains déportés comme esclaves (Message aux Indiens d’Amérique, Saint-Domingue, 13 octobre 1992, et Discours à l’audience générale du 21 octobre 1992). Dix ans auparavant, il avait déjà demandé pardon aux Africains pour la traite des Noirs (Discours à Yaoundé, 13 août 1985).

[21] Voir Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, nos 33-36.

[22] Ibid., no 33.

[23] Ibid., no 33.

[24] Ibid., no 36.

[25] Ibid., no 34.

[26] Ibid., no 35.

[27] Ce dernier aspect n’affleure dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente qu’au no 33, là où il est dit que l’Église reconnaît comme siens ses fils pécheurs « devant Dieu et devant les hommes ».

[28] Jean-Paul II, Exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentia (2 décembre 1984), no 31.

[29] Ibid., no 16.

[30] Voir Mt 13, 24-30.36-43 ; saint Augustin, De Civitate Dei, I, 35 (CCSL 47, p. 33), XI, 1 (CCSL 48, p. 321) et XIX, 26 (CCSL 48, p. 696).

[31] Sur les diverses méthodes de lecture de l’Écriture sainte, voir le document de la Commission biblique pontificale, L’Interprétation de la Bible dans l’Église (1993).

[32] Voir Ez 14, 12-23 ; 18, 1-32 ; 33, 10-20.

[33] On peut donner comme exemples de cette première série : Dt 1, 41 (la génération du désert reconnaît avoir péché en refusant d’avancer pour entrer dans la Terre promise) ; Jg 10, 10.12 (au temps des Juges, le peuple dit par deux fois : « nous avons péché » contre le Seigneur, en rappelant qu’il a servi les Baals) ; 1 S 7, 6 (le peuple du temps de Samuel affirme : « Nous avons péché contre le Seigneur ! ») ; Nb 21, 7 (ce texte se distingue en ce que le peuple de la génération mosaïque admet qu’en se lamentant au sujet de la nourriture, il s’est rendu coupable de « péché » ; parce qu’il a parlé contre le Seigneur et contre son guide humain, Moïse) ; 1 S 12, 19 (les Israélites de l’époque de Samuel reconnaissent que, en demandant d’avoir un roi, ils ont ajouté « à tous leurs péchés ») ; Esd 10, 13 (le peuple reconnaît devant Esdras qu’il a grandement « péché en cette matière » [en épousant des étrangères]) ; Ps 65, 2-4 ; 90, 8 ; 103, 10 (107, 10-11.17) ; Is 59, 9-15 ; 64, 5-9 ; Jr 8, 14 ; 14, 7 ; Lm 1, 14.18a.22 (« Je » = la personnification de Jérusalem) ; 3, 42 (4, 13) ; Ba 4, 12-13 (Sion évoque les fautes de ses fils qui l’ont conduite à la dévastation) ; Ez 33, 10 ; Mi 7, 9 (« Je ») ; 18-19.

[34] Par exemple Ex 9, 27 (le pharaon dit à Moïse et Aaron : « Cette fois, j’ai péché : le Seigneur a raison ; moi et mon peuple nous sommes coupables ») ; Ex 34, 9 (Moïse « pardonne notre faute et notre péché ») ; Lv 16, 21 (le grand prêtre confesse les péchés de son peuple sur la tête du « bouc émissaire », le jour de l’expiation) ; Ex 32, 11-13 (voir Dt 9, 26-29 : Moïse ; 32, 31 : Moïse) ; 1 R 8, 33 s. (voir 2 Ch 6, 22 s. ; Salomon prie pour que Dieu pardonne les futurs péchés éventuels du peuple) ; 2 Ch 28, 13 (les chefs des Israélites affirment : « Notre faute est déjà grande ») ; Esd 10, 2 (Shekanya dit à Esdras : « Nous avons été infidèles envers notre Dieu, en épousant des femmes étrangères ») ; Ne 1, 5-11 (Néhémie confesse les péchés commis par le peuple d’Israël, par lui et par la maison de son père) ; Est 4, 17n (Esther confesse : « Nous avons péché contre toi et tu nous as mis entre les mains de nos ennemis, pour avoir glorifié leurs dieux ») ; 2 M 7, 18-32 (les martyrs juifs affirment qu’ils sont en train de souffrir à cause de « nos péchés » contre Dieu).

[35] Parmi les exemples de ce type de confession nationale, on peut renvoyer à : 2 R 22, 13 (voir 2 Ch 34, 21 : Josué craint la colère du Seigneur « parce que nos pères n’ont pas écouté les paroles de ce livre ») ; 2 Ch 29, 6-7 (Ézéchias affirme : « Nos pères ont été infidèles ») ; Ps 78, 8 s. (un « je » réassume les péchés des générations passées à partir de l’Exode). Voir aussi le dicton populaire cité dans Jr 31, 29 et Ez 18, 2 : « Les pères ont mangé des raisins verts et les fils en ont eu les dents agacées. »

[36] C’est le cas des textes suivants : Lv 26, 40 (les exilés sont appelés à « confesser leur iniquité et l’iniquité de leurs pères ») ; Esd 9, 5b-15 (prière pénitentielle d’Esdras, v. 7 : « Depuis les jours de nos pères jusqu’à ce jour, nous avons été grandement coupables » ; voir Ne 9, 6-37) ; Tb 3, 1-5 (dans sa prière, Tobie implore : « Ne me punis pas pour mes péchés et pour mes erreurs et celles de mes pères » [v. 3], et il poursuit en constatant : « Nous n’avons pas observé tes décrets » [v. 5]) ; Ps 79, 8-9 (cette prière collective implore Dieu « de ne pas nous imputer les fautes de nos pères […] sauve-nous et pardonne nos péchés ») ; Ps 106, 6 (« Nous avons péché comme nos pères ») ; Jr 3, 25 (« nous avons péché contre le Seigneur notre Dieu […], nous et nos pères ») ; Jr 14, 19-22 (« Nous reconnaissons notre iniquité et l’iniquité de nos pères » [v. 20]) ; Lm 5, 7 (« Nos pères péchèrent et ils ne sont plus, nous portons le châtiment de leur iniquité ») ; Lm 5, 16b (« Malheur à nous, car nous avons péché ») ; Ba 1, 15 - 3, 18 (« Nous avons offensé le Seigneur » [1, 17 ; voir 1, 19.21 ; 2, 5-24] ; « Ne te souviens pas de l’iniquité de nos pères » [3, 5 ; voir 2, 33 ; 3, 4.7]) ; Dn 3, 26-45 (la prière d’Azarias : « C’est dans la vérité et dans le droit que tu nous as traités à cause de nos péchés » [v. 28]) ; Dn 9, 4-19 (« car à cause de nos péchés et des fautes de nos pères, Jérusalem […] est l’objet d’opprobre […] » [v. 16]).

[37] Ils incluent le manque de confiance en Dieu (ainsi, par exemple, Dt 1, 41 ; Nb 14, 10), l’idolâtrie (comme en Jg 10, 10-15), la demande d’un roi humain (1 S 12, 9), les mariages avec des femmes étrangères, en contradiction avec la Loi divine (Esd 9-10). Dans Is 59, 13b, le peuple dit de lui-même « qu’il profère violence et révolte, conçoit et médite le mensonge ».

[38] Voir le cas analogue de répudiation des épouses étrangères par les juifs, raconté en Esd 9-10, avec toutes les conséquences négatives qui s’ensuivaient pour les femmes impliquées. La question de la demande de pardon à leur encontre (et/ou à celle de leurs descendants) ne se pose pas vraiment dans la mesure où la répudiation est présentée comme une exigence de la Loi divine (voir Dt 7, 3) dans tous ces chapitres.

[39] À ce propos, vient à l’esprit le cas des relations constamment tendues entre Israël et Édom. Ce peuple, malgré sa condition de « frère » d’Israël, participa à la chute de Jérusalem causée par les Babyloniens, et s’en réjouit (voir par exemple Ab 10-14). Israël, en raison de l’outrage de cette trahison, ne ressentit aucun besoin de demander pardon pour le carnage des prisonniers édomites sans défense, perpétré par le roi Amasias, selon 2 Ch 25, 12.

[40] Jean-Paul II, Discours du 1er septembre 1999 ; L’Osservatore Romano, 2 septembre 1999, p. 4.

[41] Voir Jn 4, 22.

[42] Jn 17, 11.

[43] Voir Ap 6, 10.

[44] Voir Lv 11, 44-45 ; 19, 2.

[45] Voir Mc 1, 24 ; Lc 1, 35 ; 4, 34 ; Jn 6, 69 ; Ac 3, 14 ; 4, 27.30 ; Ap 3, 7.

[46] Voir Jn 17, 16-19.

[47] Voir Ga 4, 4-6 ; Rm 8, 14-17.

[48] Voir Mc 12, 29-31 ; Mt 22, 37-38 ; Lc 10, 27-28.

[49] Voir Jn 13, 34-35 ; 15, 12.17.

[50] Jn 13, 1.

[51] Voir Jn 13, 34-35 ; 15, 1-11 ; 17, 21-26.

[52] Mt 6, 12.14-15.

[53] Voir Mt 18, 21-22.

[54] Voir Mt 18, 35 ; Mc 11, 25.

[55] Voir Lc 15, 21.

[56] Voir He 9, 22 ; 10, 18.

[57] Voir 2 Co 5, 17 ; Ga 6, 15.

[58] Voir Rm 3, 21-26 ; 5, 6-11 ; 8, 1-11 ; 1 Co 15, 54-57.

[59] Voir par exemple Rm 6, 1-11 ; Ga 3, 27-28 ; Col 3, 10 ; 2 Co 5, 14-15.

[60] Voir Rm 5, 12-21.

[61] Ga 5, 1.

[62] Voir Mc 4, 40-41 ; 6, 36-37.51-52 ; 8, 14-21.31-33 ; 9, 5-6.32-41 ; 10, 32-45 ; 14, 10-11.17-21.27-31.50 ; 16, 8.

[63] Voir Ac 1, 15-20.

[64] Voir Lc 22, 61-62.

[65] Voir Jn 21, 15-19.

[66] Mt 28, 17.

[67] Voir Jn 13, 1-38.

[68] Voir par exemple Jc 1, 5-8.19-21 ; 2, 1-7 ; 4, 1-10 ; 1 P 1, 13-25 ; 2 P 2, 1-22 ; Jude 3-13 ; 1 Jn 1, 5-10 ; 2, 1-11.18-27 ; 4, 1-6 ; 2 Jn 7-11 ; 3 Jn 9-10.

[69] Lc 11, 4 ; voir Mt 6, 12.

[70] Lv 25, 38 ; voir versets 42 et 45.

[71] Is 42, 1-9 ; 49, 1-6 ; 50, 4-11 ; 52, 13 - 53, 12.

[72] Is 58, 6.

[73] Is 58, 7.

[74] Voir Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, nos 33-36.

[75] Voir Lc 4, 21.

[76] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 33.

[77] Voir Rm 8, 3 ; 2 Co 5, 21 ; Ga 3, 13 ; 1 P 2, 24. Que l’on pense au reproche fait à l’Église pour ses fautes, motif présent chez les auteurs chrétiens de diverses époques. Un exemple parmi les plus représentatifs est constitué par le Liber asceticus de Maxime le Confesseur (PG 90, col. 912-956).

[78] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 8.

[79] Catéchisme de l’Église catholique, no 770.

[80] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 8.

[81] Ibid. Voir Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, nos 3 et 6.

[82] Catéchisme de l’Église catholique, no 827.

[83] Paul VI, Profession de foi, no 19 ; La Documentation catholique 65 (1968), col. 1255.

[84] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 39.

[85] Voir Ac 9, 13 ; 1 Co 6, 1-2 ; 16, 1.

[86] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 40.

[87] Ibid., no 48.

[88] Saint Augustin, Sermon 181, 5, 7 (PL 38, col. 982).

[89] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiae, IIIa, q. 8, a. 3, ad 2.

[90] Catéchisme de l’Église catholique, no 2839.

[91] Saint Ambroise, De virginitate, 8, 48 (PL 16, col. 278D) : « Caveamus igitur, ne lapsus noster vulnus Ecclesiae fiat ». La Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 11, parle aussi de la « blessure » infligée à l’Église par le péché de ses fils.

[92] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 33.

[93] K. Delahaye, Ecclesia Mater chez les Pères des trois premiers siècles, Paris, 1964, p. 128. Voir aussi Hugo Rahner, Mater Ecclesia, Lobpreis der Kirche aus dem ersten Jahrtausend christlicher Literatur, Einsiedeln, 1944.

[94] Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, no 64.

[95] Saint Augustin, Sermo 25, 8 (PL 46, col. 938) : « Mater ista sancta, honorata, Mariae similis, et parit et Virgo est. Ex illa nati estis et Christum parit : nam membra Christi estis. »

[96] Saint Cyprien, De Ecclesiae catholicae unitate, 6 (CCSL 3, p. 253) : « Habere iam non potest Deum patrem qui ecclesiam non habet matrem ». Le même Cyprien affirme ailleurs : « Ut habere quis possit deum patrem, habeat ante ecclesiam matrem » (Lettre 74, 7 ; CCSL 3C, p. 572). Et saint Augustin : « Tenez donc, très chers, tenez tous unanimement Dieu comme père et l’Église comme mère » (Enarrationes in Psalmos, lxxxviii, Sermo II, 14 ; CCSL 39, p. 1244).

[97] Saint Paulin de Nole, Carmen 25, 171-172 (CSEL 30, p. 243) : « Inde manet mater aeterni semine verbi / concipiens populos et pariter pariens. »

[98] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 35.

[99] Saint Ignace d’Antioche, Aux Romains, Salutation (SC 10 bis, p. 106-107).

[100] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 35.

[101] Jean-Paul II, Discours aux participants du Symposium international sur l’étude de l’Inquisition, organisé par la Commission théologico-historique du Comité central du Jubilé, no 4 (31 octobre 1998).

[102] Pour ce qui suit, voir H.-G. Gadamer, Vérité et méthode, Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, 2e édition, Paris, 1976.

[103] B. Lonergan, Pour une méthode en théologie, Paris-Montréal, Éd. du Cerf - Fides, 1978, p. 181.

[104] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 35.

[105] Jean-Paul II, Discours du 1er septembre 1999 ; L’Osservatore Romano du 2 septembre 1999, p. 4.

[106] Voir Mt 18, 15-18.

[107] Lc 1, 50.

[108] Voir Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, nos 34-36.

[109] Voir Jn 17, 21.

[110] Jn 13, 1.

[111] Jn 17, 21.

[112] Jn 13, 35.

[113] Voir 1 Co 1, 13.

[114] Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 1.

[115] Ibid., no 13. Dans sa Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 34, Jean-Paul II dit que « encore plus que durant le premier millénaire, la communion ecclésiale a connu des déchirements douloureux ».

[116] Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 13.

[117] Ibid.

[118] 1 Co 13, 1.

[119] Paul VI, Discours d’ouverture de la seconde session du Concile, le 29 septembre 1963 (Enchiridion Vaticanum, vol. 1, p. 106, no 176).

[120] Voir la documentation du dialogue de la charité entre le Saint-Siège et le Patriarcat œcuménique de Constantinople dans Tomos Agapes : Vatican-Phanar (1958-1970), Rome-Istanbul, 1971.

[121] 1 P 4, 8.

[122] Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 7.

[123] Ep 4, 30.

[124] 1 Co 1, 10-16.

[125] Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 7.

[126] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 35.

[127] Jean-Paul II, Discours du 1er septembre 1999 ; L’Osservatore Romano, 2 septembre 1999, p. 4.

[128] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 35. La citation de Vatican II est tirée de la Déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse, no 1.

[129] Le sujet est traité avec rigueur dans la Déclaration Nostra aetate de Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes.

[130] Jean-Paul II, Discours du 13 avril 1986 à la synagogue de Rome, no 4 ; La Documentation catholique 83 (1986), p. 437.

[131] C’est l’avis du récent document de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah (16 mars 1998), no 3. On pourra voir ce texte dans La Documentation catholique 95 (1998), p. 336-340.

[132] Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah, no 5.

[133] Ibid., no 4.

[134] Ibid., no 4.

[135] Ibid., no 5.

[136] Rm 12, 2.

[137] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 36.

[138] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 19.

[139] 1 Jn 4, 8.16.

[140] Jn 13, 35.

[141] Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, no 19.

[142] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 33.

[143] Que l’on pense seulement au signe du martyre ; voir ibid., no 37.

[144] Vatican II, Décret Unitatis redintegratio sur l’œcuménisme, no 6. Le même texte (ibid.) affirme que « l’Église, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente (ad hanc perennem reformationem) dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre ».

[145] « Opus renovationis nec non reformationis » (ibid., no 4).

[146] Ibid., no 6 : « Toute rénovation de l’Église consiste essentiellement dans une fidélité grandissante à sa vocation. »

[147] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 36.

[148] Voir Rm 14, 1.

[149] La formule, particulièrement forte, est de saint Augustin : De Trinitate, I, 13, 28 (CCSL 50, p. 69, ligne 13 : « deus crucifixus ») ; Id., Lettre 169, 2 (CSEL 344, p. 617) ; Id., Sermo Mai XXII, 1 (Miscellanea Agostiniana, vol. 1 : Sancti Angustini Sermones post Maurinos reperti, G. Morin [éd.], Rome, 1930, p. 314, ligne 22 : « deus crucifixus est » ; voir aussi PL, Supplementum, vol. II-2, col. 467).

[150] Jean-Paul II, Discours aux participants du Symposium international sur l’étude de l’Inquisition, dirigé par la Commission théologico-historique du Comité central du Jubilé (31 octobre 1998), no 5 ; La Documentation catholique 95 (1998), p. 1006.

[151] Saint IrÉNÉe, Adversus Haereses, IV, 20, 7 (SC 100-2, p. 648) : « gloria enim Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei ».

[152] Voir Jn 8, 32.

[153] Jean-Paul II, Discours du 1er septembre 1999, dans L’Osservatore Romano, 2 septembre 1999, p. 4.

[154] Jean-Paul II, Discours au Centre européen pour la recherche nucléaire, Genève (15 juin 1982), no 8 ; La Documentation catholique 79 (1982), p. 660.

[155] Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, no 33.

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