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RÉFLEXION DE S.Em. LE CARDINAL MOUSSA Ier DAOUD 
À UN MOIS DU VOYAGE APOSTOLIQUE EN BULGARIE

Juin 2002


Plus qu'à ses paroles, on reconnaît un homme à ses oeuvres, à ses actes, à sa vie concrète. Verba volant, dit le proverbe latin. Jésus lui-même dit aux Juifs:  "Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas, mais si je les fais quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces oeuvres" (Jn 10, 37-38). Un témoignage qui s'appuie sur les oeuvres emporte la conviction.
Mais il existe un témoignage plus parfait, plus sûr. C'est le témoignage du sang. Plus que les documents, les faits, les oeuvres, le témoignage du sang est la preuve qui ne trompe pas. Jésus lui-même l'affirme:  "Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis" (Jn 15, 13). Jésus a signé son enseignement par son sang versé sur la Croix du Golgotha.

Le martyre est l'acte d'amour par excellence. C'est le don le plus parfait. C'est la preuve d'une vérité crue, vécue, témoignée par le sang. Le martyre est le baptême purificateur, qui efface, qui corrige tout, qui rend l'homme à son innocence originelle. Le baptême d'eau lui-même est une configuration au Christ mort et ressuscité. Le martyre est donc la porte du ciel. Un martyre subi pour le Christ, pour l'Eglise, corps mystique du Christ, est une participation à la sainteté transcendante du Christ.

Le martyre a accompagné l'Eglise durant toute son histoire. Il a été son pain quotidien surtout au XXème siècle. Ce siècle, caractérisé par les progrès techniques extraordinaires, est plutôt le "siècle des martyrs".

Le Pape Jean-Paul II a invité à plusieurs reprises à sauvegarder la mémoire de ceux qui ont défendu leur foi au prix de leur sang. "Un souvenir particulier, dit le Saint-Père, doit être réservé au martyre des prêtres dans les camps de Sibérie, ou ailleurs sur le territoire de l'Union soviétique".

Trois prêtres de l'ex-territoire de l'Union soviétique, morts pour le Christ, dans la fidélité à son Eglise, ont été béatifiés par Jean-Paul II, lors de sa visite en Bulgarie. C'était le couronnement de cette visite historique inoubliable dont il me reste bien des souvenirs, mais dont le plus émouvant, le plus parlant, fut sans doute la béatification de ces trois martyrs.

Ayant eu le privilège de participer à cette visite, je me souviendrai toujours des cérémonies officielles réservées au Souverain Pontife:  accueil présidentiel sur la place Alexandre Nevski, réception au palais présidentiel, visite au monde de la culture, des sciences et des arts.

L'aspect oecuménique de la visite a également retenu mon attention. La Bulgarie chrétienne se souviendra sans doute longtemps de la rencontre entre un Pape de Rome et le Patriarche orthodoxe de Bulgarie, avec son Saint Synode. Les discours officiels prononcés, les dons échangés entre les deux chefs d'Eglise, et la visite du Pape au monastère de Rila resteront dans la mémoire du mouvement oecuménique, comme des pas en avant, qui ouvrent les portes de l'avenir.

En tant que Préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, j'ai suivi avec attention la situation des fidèles catholiques, latins et orientaux en Bulgarie. L'Eglise catholique, condamnée par le régime soviétique à disparaître définitivement et qui a vu diminuer le nombre de ses fidèles, et de ses édifices de culte, renaît de ses ruines et recouvre sa liberté. La visite du Pape aux cathédrales latine et orientale catholique  à  Sofia  fut  un moment fort émouvant. J'ai vu couler les larmes de joie des fidèles catholiques qui n'en croyaient pas leurs yeux. Ma rencontre avec nos trois jeunes évêques catholiques, les prêtres, les religieuses, les fidèles m'a montré une communauté dynamique, pleine d'espérance. En marge de la visite officielle, j'eus la joie de me rendre auprès de deux communautés religieuses de rite oriental:  les Eucharistines et les Religieuses du Carmel qui fêtaient l'anniversaire de leur fondation. La grande messe célébrée par le Saint-Père Jean-Paul II à Plovdiv fut le sommet de la visite pontificale.

La place de Plovdiv, qui a vu défiler les troupes soviétiques, qui a entendu résonner les slogans communistes, fut, en ce dimanche 26 mai 2002, transformée en une véritable cathédrale, où la croix dominait, où les images religieuses étaient à l'honneur, devant un grand autel orné de fleurs aux couleurs vaticanes, blanc et jaune, et une copie de l'icône vénérée au monastère orthodoxe de Backivskij.

Le plus frappant est que celui qui était combattu par le régime soviétique comme le grand ennemi du peuple, celui dont le nom était lié à la trahison, le Pape de Rome, était acclamé par la foule, salué par les autorités civiles, entouré de nombreux évêques, des centaines de prêtres, religieux et religieuses, et des milliers de fidèles... Quel changement, quel triomphe!

En suivant la richesse de la liturgie pontificale, j'ai voulu concentrer ma méditation sur l'objet principal de la cérémonie:  les trois martyrs qui allaient être béatifiés.
Qui sont-ils? D'où viennent-ils? Pourquoi ont-ils été mis à mort? Quel est le chef de leur accusation? Qu'ont-ils fait de mal à la nation?

Il s'agissait de trois prêtres originaires de Bulgarie, profès de la Congrégation des Augustins de l'Assomption, qui dirigeait une école importante pour la formation de la jeunesse. Ce sont:  Kamen Vitchev (1893-1952), Pavel Djidjov (1919-1952) et Josaphat Chichkov (1884-1952). Leur seule faute fut de rester fidèles à leur Eglise  catholique. Accusés de haute trahison et d'espionnage pour le compte du Vatican, ils ont été condamnés à mort dans un procès farce, et exécutés dans la nuit du 11 au 12 novembre 1952, avec le bienheureux Eugenio Bossilkov, Evêque de Nicopoli. Pendant 50 ans, on ne pouvait même pas prononcer publiquement leurs noms. Les autorités responsables de leur mort ont essayé d'effacer complètement leur souvenir. Après les avoir condamnés et exécutés, elles n'ont laissé aucune trace de leur sépulture. Une tentative désespérée et vaine, car le crime dont ils ont été accusés était évidemment sans fondement. Il ne s'agissait pas de traîtres au service de forces étrangères mais d'hommes qui avaient reçu du Christ le don de la pleine liberté, celle qui jaillit de l'appartenance à Lui et à l'Eglise. Ils avaient vécu jour après jour ce don dans un témoignage généreux. Trois religieux consacrés à Dieu, qui précisément à cause de cette consécration, étaient totalement au service de l'homme. Grâce à leur foi et leur préparation culturelle, ils sont devenus des éducateurs efficaces.

Père Kamen, docteur en théologie, historien de l'Eglise, professeur de philosophie, préfet des études au Collège Saint-Augustin de Plovdiv, orateur estimé et formateur de prêtres, se distinguait par la sensibilité avec laquelle il entretenait des rapports oecuméniques fructueux. Il accueillait et éduquait de façon responsable les étudiants sans distinction de credo religieux.

Père Pavel, le plus jeune, professeur très apprécié, et également généreux dans son engagement en faveur des confrères, économe au Collège Saint-Augustin jusqu'au moment où les communistes décrétèrent sa fermeture.

Père Josaphat, prédicateur érudit, musicien, éditeur, lui aussi formateur de prêtres et éducateur attentif aux nouvelles possibilités offertes par son temps, telles que la machine à écrire en caractères cyrilliques, le cinéma et le phonographe qui enthousiasmaient les jeunes qui lui étaient confiés.

Les voilà aujourd'hui élevés à la gloire des autels. Toute la Bulgarie inclinait la tête avec respect devant ces courageux témoins de la foi, qui ont imité le Christ, que ce soit par leur vie ou par leur martyre.

Leur béatification était un acte d'hommage à tout le peuple chrétien qui a su résister à cette ignoble et violente persécution, dont la folie était de vouloir supprimer, par un décret, l'existence de l'Eglise catholique en Bugarie.

Ils ne sont donc pas des traîtres, mais bien au contraire, des serviteurs généreux de la nation bulgare, et particulièrement des jeunes, qui en constituent l'avenir. Leur liberté intérieure et la conscience de devoir servir leurs frères avec le don de la sagesse humaine et chrétienne représentaient la vraie menace dont le régime communiste voulait se libérer.

Mais la vérité ne peut être étouffée, car elle porte le nom de Jésus-Christ et trouve sa source en Lui. Les forces humaines pourront même tuer... mais la résurrection du Christ sera toujours plus forte. Le Crucifié étant Réssucité, la vérité qui rend l'homme libre ressuscitera  toujours.  C'est l'espérance  et la force qui accompagnent les croyants en Christ, même aujourd'hui, partout, et particulièrement là où le martyre n'est pas seulement un événement passé, mais bien une réalité actuelle.

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