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CONGREGAZIONE PER LE CHIESE ORIENTALI

ALLOCUTION DU CARD. LEONARDO SANDRI
PRÉPARÉE POUR LE COLLOQUE
"SAINT GRÉGOIRE DE NAREK ET LA LITURGIE DE L'EGLISE"
 

(Kaslik, 12-14 octobre 2009)

Béatitude,
Excellences,
Révérends Pères et Sœurs,
Mesdames et Messieurs,

J’adresse mes salutations à Sa Béatitude Nerses Bedros XIX accompagnées de mes souhaits pour une fructueuse réflexion à tous les participants au Colloque dédié à Saint Grégoire de Narek et la Liturgie de l’église.

J’aurais bien volontiers participé à cet important Colloque mais je suis retenu à Rome pour l’Assemblée du Synode des évêques pour l’Afrique où se trouvent les églises Orientales de rite Alexandrin. Pour cette raison et avec grande joie, je désire envoyer cette réflexion pour souligner l’importance du magistère de Saint Grégoire de Narek pour toutes les Eglises d’Orient et d’Occident.

Quelqu’un qui s’approche de la poésie et de l’expérience mystique de St Grégoire de Narek, comme elles s’expriment en particulier dans son Matean, son «Livre», ce chef-d’œuvre unique des littératures profanes et sacrées, ne pourra se soustraire à l’émotion profonde que provoquent la force de ses images, la fougue transparente des sentiments en éruption, la sonorité bouleversante de sa symphonie de mots, la finesse tranchante de ce langage théologique qui unissent, dans une tension et une fusion tout à fait singulières, la théologie au chant, la poésie au mystère. Le Livre en question, le Matean Ołbergout‘ean, Le livre de lamentation / tragédie – le terme ołbergout‘iwn signifiant en arménien «lamentation»aussi bien que «tragédie» –, livre que la tradition populaire a appelé, en raccourci, Narek par métonymie.

Il va sans dire que Grégoire de Narek est une des figures les plus emblématiques et les plus vénérées de l’église et du peuple arméniens. Un critique littéraire qui avait saisi, dans son noyau, le rapport presque unique qui lie Grégoire et son Matean à son peuple, l’exprimait ainsi de façon fort pertinente: «... son œuvre, en cela peut-être unique au monde, fut une entité magique à l’usage de tout un peuple pendant plus de neuf siècles. Evènement qui prouve mieux son excellence que ne le ferait une démonstration dans l’ordre de l’esthétique»1. Jugement qui rejoigne cet autre, déjà formulé par un critique éminent des lettres arméniennes, le Père Cyril Kibarian (Kiwreł Kiparean) des Mékhitaristes de Venise, qui affirmait: «Le Narek, écrit dans la solitude du monastère, ..., avec la tension d’un idéal mystique lointain, incompréhensible en lui-même, a pu devenir populaire d’une manière surprenante. C’est une forêt, difficile à pénétrer, qui porte quand même les apparences magiques d’une lune particulière; c’est pourquoi le peuple, enchanté, s’est accroché à lui et l’a adoré, sans le comprendre»2.

En dehors de son peuple et de son église, St Grégoire de Narek est resté très longtemps, pendant presque un millénaire, ignoré par une grande partie du monde chrétien, surtout en Occident. Heureusement, il est maintenant au centre d’une activité de découverte en pleine expansion, que je salue ici, en cette occasion solennelle, de bon gré en souhaitant qu’elle puisse non seulement réparer cette ignorance injuste qui l’avait relégué à l’oubli, mais qu’elle puisse surtout contribuer à ce que le message spirituel de ce grand saint, théologien, mystique et maître de spiritualité tout à la fois, devienne le patrimoine partagé de la chrétienté universelle.

A cet égard, je voudrais exprimer ma plus vive appréciation et ma sincère satisfaction pour le fait que le Patriarcat de Cilicie des Arméniens Catholiques s’est vu engagé à fond, ces dernières années, à porter à cet effort commun de découverte, qui voit le concours d’une multitude dévouée, sage et déterminée de communautés, d’institutions et de spécialistes, de l’Arménie à la diaspora, d’Orient à l’Occident.

Nous en avons eu une preuve, il y a quatre ans, lors du Colloque organisé à Rome en Janvier 2005. Ce Colloque a été dans l’ensemble une très bonne réussite pour plus d’une raison dont je me permettrais de rappeler les suivantes: a) il a réuni quelques uns parmi les meilleurs érudits à la quête de la personnalité et de l’œuvre du Veilleur de Narek; b) il s’est distingué pour l’atmosphère authentiquement œcuménique que l’on y respira avec la participation de représentants de l’église Apostolique Arménienne et d’autres confessions chrétiennes; c) enfin, les Actes ont été accessibles au grand public dans le délai d’un an, ce qui n’est pas quelque chose de moindre importance.

Le Colloque qui est inauguré aujourd’hui, dans cette ambiance accueillante et fraternelle de l’Université Saint-Esprit de Kaslik, se place dans la continuité du précédent. Celui-ci s’était proposé l’objectif d’ébaucher une introduction générale, étendue et détaillée aussi bien que rigoureuse, à la figure et à l’œuvre de Saint Grégoire de Narek, considéré dans sa double dimension fondamentale de théologien et de mystique. Ce deuxième Colloque, dans cet esprit de continuité, se fixe comme but l’étude du rapport du Narek, du Matean Ołbergout‘ean, de ce Livre par antonomase sorti de la plume d’homme, le Livre de lamentation et de tragédie, le Livre de vie, avec la Liturgie de l’église; cela signifie son rapport avec le service, le ministère, le culte, le sacerdoce, la prière, la prophétie, la royauté, la dignité d’épouse, la fertilité, la vie même de l’église.

Une fois encore, nous voyons réunis, aujourd’hui, certains des meilleurs esprits, au niveau de la chrétienté entière, qui s’occupent de l’étude des Pères et des Docteurs de l’église, de la théologie, de la spiritualité, de la mystique, en général, de l’église Arménienne et de Narekatsi, en particulier. Une fois encore se renouvellent la collaboration et la syntonie œcuméniques parmi les représentants des différentes confessions arméniennes ou non, comme naguère au Colloque de Rome.

Mais le présent Colloque, accueilli sous le toit hospitalier de l’Université Saint-Esprit de Kaslik, gérée par l’Ordre Libanais Maronite, devient aussi le symbole effectif et réel de l’esprit de collaboration et d’union fraternelles entre les glorieuses chrétientés de l’Orient qui trouvent dans ce pays biblique du Liban un terroir pour leurs racines, des plus anciens et des plus sacrés. J’ai ainsi l’opportunité d’exprimer mon amicale affection à Sa Béatitude Eminentissime le Patriarche Maronite, aux pasteurs et aux fidèles de la vénérable église que j’ai eu la grande joie de visiter il ya un an. Je saisis volontiers cette occasion pour exprimer à toutes les communautés vivant et opérant dans ce pays magnifique, parsemé de beautés naturelles et des merveilles du génie de l’homme, aux chrétiens et aux musulmans de toutes les dénominations, mes vœux les plus sincères et chaleureux pour que la paix puisse y régner en souveraine et que les différends encore existants, soit à l’intérieur des différentes communautés, soit au niveau international, puisse aboutir à des solutions élaborées dans le respect et l’amitié mutuels.

Le programme du Colloque, réparti sur trois jours, est riche et précis dans sa conception, varié et complémentaire quant aux thématiques et aux approches envisagées s’étalant à partir du milieu et de la vie monastiques à la célébration de la parole, de l’identité sacramentelle de l’église aux regards œcuméniques. En même temps, il est solidement organisé autour d’un axe qui est le rapport même du Matean avec la Liturgie de l’église. Je nourris bon espoir que ce Colloque nous guidera vers une nouvelle étape dans les études narekiennes, vers une sorte de saut qualitatif dans nos connaissances et nos analyses de ce texte unique. Aujourd’hui, à la distance de cinq ans, nous pouvons affirmer ceci sans hésitation à l’égard du Colloque de Rome; je ne doute pas que les années à venir, une fois encore, nous donnerons raison et viendront confirmer notre humble espoir du présent.

Cet espoir réalisé, les résultats de ce Colloque s’ajouteront à ceux du Colloque romain, pour offrir un gage d’une remarquable valeur – je n’en doute pas –, afin que Saint Grégoire de Narek, ce Docteur de l’église Arménienne et l’un des ses plus grands luminaires, soit perçu, reçu et, enfin, officiellement reconnu, dans toute sa grandeur de théologien et de mystique par toutes les églises.

Le regretté Nerses Der-Nersessian, moine mékhitariste, éminent savant, et par la suite premier archevêque des Arméniens Catholiques de l’Arménie et du Caucase, avait ainsi résumé, dans une expression cristalline, la place occupée par Grégoire de Narek dans l’ensemble de la tradition orientale: “se dressant sur le fond du Xe siècle, il est, dirait-on, l’achèvement de la tradition grecque”3 où, bien entendu, par l’adjectif grec l’auteur aurait voulu désigner, dans un langage familier aussi aux Arméniens, la tradition orientale toute entière.

De fait, la doctrine et la spiritualité de Grégoire enfoncent leurs racines dans le tréfonds de la tradition de l’église Arménienne dont les origines remontent à l’aube du christianisme et qu’une tradition vénérable relie aux Apôtres Thaddée et Barthélemy. Cette formation ecclésiale de la première heure devint très tôt l’église du Royaume d’Arménie grâce à l’apostolat de St Grégoire l’Illuminateur, missionnaire venu de Cappadoce dont l’éclatante tradition théologique et monastique formera, tout au long des siècles, le noyau du patrimoine chrétien de l’Arménie qui saura l’intégrer de façon admirable aux influences hagiopolites, syriaques et alexandrines.

En renouvelant mes plus vives félicitations au Patriarcat Arménien Catholique de Cilicie et, en particulier, à Sa Béatitude le Patriarche Nersès Bédros XIX pour cette magnifique réalisation, je voudrais exprimer aussi mon appréciation fraternelle à Sa Sainteté Karekin II, Catholicos de tous les Arméniens et à Sa Sainteté Aram I, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie. Je me souviens de leur visite à Rome pour la rencontre avec le Saint Père et de leur passage à la Congrégation pour les églises Orientales. Je me rappelle aussi ma participation à la Consécration du Saint Myron à St Etchmiadzin, où j’ai eu l’honneur de représenter Sa Sainteté Benoît XVI, et ma visite au Catholicos de Cilice au cours de mon voyage au Liban. Mes salutations vont au Pasteur Meguerditch Karagueuzian, Chef de l’église évangélique Arménienne, au Rév. Père Hady Mahfouz, Recteur de l’Université Saint-Esprit de Kaslik, et à tous ceux qui, de quelque façon que ce soit, ont apporté leur contribution à la réalisation de ce Colloque.

En vous assurant la proximité du Saint Père Benoît XVI et son affection pour l’église Arménienne Catholique avec Sa prière pour sa mission, j’implore sur vous tous la bénédiction du Père Tout-Puissant, la grâce de son Fils Incarné et la communion de l’Esprit-Saint.



1 Luc-André Marcel, dans l’introduction à ses versions frémissantes de morceaux choisis de Narekatsi, dans Cahiers du Sud, 1951, reprises dans Grégoire de Narek et l’ancienne poésie arménienne du même auteur, éd.s Cahiers du Sud, Paris, 1953, p. 20.

2 Hisoire de la littérature arménienne, Première partie, Des origines jusqu’à 1700 (en arménien), Ier vol., Venise - St Lazare, 1944, p. 247; reprise en Histoire de la littérature arménienne ancienne (en arménien), éd. posthume, Venise - St Lazare, 1992, p. 352.

3 Nersēs TĒR-NERSĒSEAN [Nerses Der-Nersessian], “La foi de nos ancêtres sur l'Immaculée Conception de la Mère du Seigneur” (en arménien), Pazmaveb, CXII (1954), fasc. 5 (N° spécial dédié au centenaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception), p. 160.

 

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