The Holy See
back up
Search
riga

L’EUCHARISTIE: MÉMORIAL DU MYSTÈRE PASCAL

Mardi, 17 juin 2008, Homélie
Stanislaw Cardinal Dziwisz

 

Éminences, Excellences,
Vénérés Cardinaux et Évêques,
Chers Prêtres et Religieuses,
Chers Frères et Soeurs,

Faites cela en mémoire de moi (Lc 21, 19)

Depuis deux mille ans, l’Église est en marche. Conduite par la puissance de l’Esprit

Saint, elle va infatigablement vers la plénitude de la vérité et l’accomplissement définitif en Dieu. Cependant il y avait et il y a toujours des moments dans l’histoire de l’Église, où l’Esprit Saint nous arrête pour un moment, pour que nous regardions où nous sommes, pour que nous voyions le passé avec la reconnaissance et l’humilité, et pour que nous regardions avec l’espérance ce qui nous attend dans l’avenir.

C’est l’Esprit Saint qui nous a amenés en ces jours au Canada. Il nous a rassemblés dans l’honorable diocèse de Québec et nous a arrêtés devant le mystère du Corps et du Sang du Christ – “le don de Dieu pour la vie du monde”. Je voudrais avec vous m’incliner avec la foi et avec la plus profonde adoration sur un aspect du mystère de l’Eucharistie, en tant que Mémorial du Mystère pascal.

1. Posons-nous, tout d’abord, la question sur le Mémorial

L’Eucharistie n’est pas seulement le mémorial du Mystère pascal dans le sens de se souvenir et de rendre présente la Pâque de notre Seigneur. L’Eucharistie est aussi un mémorial qui met le croyant devant la question de son propre, “je me souviens; je fais mémoire”, un mémorial qui met toute la communauté de l’Église devant la question: qu’est-ce que cela signifie: “je me souviens;je fais mémoire”?

“Je me souviens”, c’est-à-dire “je suis présent” au Mystère de la Pâque, “je me laisse entraîner” dans telle dimension du monde, dans laquelle Dieu sauve chaque homme et l’humanité tout entière. C’est avec la grâce de la foi et le pouvoir d’un homme se relevant sans cesse que je monte sur le Calvaire pour voir, contempler l’Unique Agneau Pascal. Je quitte Galilée des miracles, Samarie des questions sur l’eau vive et Jérusalem des débats avec les pharisiens, je laisse le lac de Génésareth – le lac de pêches abondantes et misérables, le lac de tempête et le lac d’apaisement, – et j’arrive au Golgotha, et je suis là au coeur du Mystère du salut. “Je me souviens, je fais mémoire, d’une manière eucharistique“ veut dire que je ne suis ailleurs mais au coeur de l’Église, au coeur de l’homme et au coeur du Dieu même.

“Je me souviens” signifie aussi “je rends présent ce Mystère là, où je suis”. L’homme qui n’a mis ses pieds qu’une seule fois au Golgotha, avec le don de la grâce de la foi, porte à jamais dans son coeur la marque du sacrifice pascal. “Je me souviens d’une manière eucharistique” signifie que je suis une image vivante et un témoin de la mort et de la résurrection de notre Seigneur. Non seulement je rends présent au monde le Mystère de la Pâque du Seigneur, mais je deviens moi-même en quelque sorte la Pâque pour ma famille, pour mes amis, ceux qui sont proches et ceux qui sont plus loin.

Nous serions ingrats envers l’Eucharistie, si nous l’enfermions sur les autels du monde entier. Nous serions de simples spectateurs du sacrifice de salut du Christ sur le Calvaire, si nous ne devenions, nous-mêmes, le Calvaire.

L’Eucharistie est un mystère enraciné dans le Mystère pascal.

2. La question se pose donc maintenant sur le mystère.

Il faut être avant tout, humble, devant le Mystère. Car si nous sommes en présence de quelque chose qui nous dépasse – et l’Eucharistie dépassera l’homme toujours – soit nous adoptons une attitude d’humbles serviteurs, laquelle nous permettra d’entrer de plus profondément dans le mystère de la Pâque, soit nous adoptons une attitude d’intendants, ou même une attitude de maîtres du mystère, ce qui, non seulement, fermera l’accès à une connaissance plus profonde de l’Eucharistie, mais surtout discréditera et appauvrira la valeur du Mystère aux yeux du monde entier. L’homme qui ne peut pas accepter sa petitesse devant le Corps et le Sang du Seigneur, montre aux autres – plus ou moins consciemment – que le Mystère même n’est pas grand chose.

Il faudrait se poser ici la question sur notre fidélité à la Liturgie eucharistique, sur l’obéissance { la Tradition de l’Église dans la célébration de l’Eucharistie; la question sur les péchés et les omissions, la question sur le sens de la fidélité aux prescriptions de l’Église concernant la célébration du Saint Sacrement.

L’humilité devant le mystère signifie une foi simple et profonde, que pour Dieu le pain et le vin, le Corps et le Sang sont suffisants pour racheter le monde entier.

Le Mystère invite non seulement à l’humilité. Le Mystère appelle aussi à la connaissance. Si je sais que je suis au bord d’un océan, je me pose la question sur ce qu’il y a au-delà de l’horizon. En même temps, avec cette question apparaît un pur désir de partir, de découvrir et de connaître quelque chose qui est encore inimaginable, inconcevable aujourd’hui. S’il n’y avait pas ce désir naturel, on n’aurait jamais découvert l’Amérique, et le Québec ne serait pas le lieu du Congrès eucharistique.

Si donc l’Eucharistie est un Mystère Pascal, et nous sommes conscients d’être encore au bord de ce grand Mystère, n’ayons pas peur de prendre le large. Laissons-nous emporter par ce désir naturel de connaître ce qui est encore impénétrable! Ne nous laissons pas inculquer que nous savons tout et que nous avons déjà tout connu.

Celui qui reste au bord d’un grand océan veut dire en effet qu’il n’y a rien de nouveau au-delà de l’horizon. Croire que l’Eucharistie est un Mystère, c’est, en fait, ne jamais cesser de connaître plus profondément la Pâque de notre Seigneur.

3. L’Eucharistie est un mystère de la Pâque.

Une question se pose encore, et notamment la question sur la Pâque.

La Pâque est avant tout le passage à la liberté. Quand le peuple élu se mettait à table en Égypte, ce soir inoubliable, le dix du premier mois, pour manger l’agneau pascal, tout le peuple croyait que c’était le dernier soir en captivité.

Quand Jésus, l’Agneau pascal a été immolé sur la croix, Dieu dans la mort de son Fils a fait sortir l’humanité sur le chemin de la liberté.

Tous les jours, dans l’Eucharistie, sur les autels du monde entier, Dieu parle sous l’espèce du Pain et du Vin en Jésus-Christ: “Tu n’es plus esclave, mais fils”. Il faut que, dans le monde plein d’angoisses et de diverses captivités, la voix, le message de l’Eucharistie retentisse avec plus de force et de clarté: “Tu n’es plus esclave, mais fils, et comme fils, tu es héritier par la grâce de Dieu” (Ga 4, 7). C’est le don de l’Eucharistie pour le monde. Le don assurant la fin de la captivité, la Pâque libérant tout homme.

Célébrer la Pâque, c’est aussi manger. On pourrait même dire qu’il n’y a pas de passage, de chemin à la liberté sans manger la Pâque.

Le dix du premier mois, chaque Israélite devait se procurer “un agneau par famille, un agneau par maison” (Ex 12, 3). Tout le monde devait manger la Pâque.

Si pour nous la mort et la résurrection de Jésus Christ est la Pâque de la Nouvelle Alliance, et l’Eucharistie en est le mémorial et la présence, il est difficile de parler du don libérateur de l’Eucharistie si elle n’est pas mangée. Ni le Corps ni le Sang du Seigneur ne seront jamais un don ni pour nous ni pour le monde, s’ils ne sont pas mangés dignement.

Saint Paul écrit: « Et celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur sans savoir ce qu’il fait aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. On doit donc s’examiner soimême avant de manger de ce pain et boire à cette coupe » (1 Cor 11, 27-28).

Chers Frères et Soeurs,

Je voudrais terminer la réflexion sur le mémorial du mystère pascal par les mots extraits de la dernière encyclique du Serviteur de Dieu, le pape Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 59 : «Frères et soeurs très chers, permettez que, dans un élan de joie intime, en union avec votre foi et pour la confirmer, je donne mon propre témoignage de foi en la très sainte Eucharistie. “Ave verum corpus natum de Maria Virgine, / vere passum, immolatum, in cruce pro homine!”. Ici se trouve le trésor de l’Église, le coeur du monde, le gage du terme auquel aspire tout homme, même inconsciemment. Il est grand ce mystère, assurément il nous dépasse et il met à rude épreuve les possibilités de notre esprit d'aller au-delà des apparences. […] Permettez que, comme Pierre à la fin du discours eucharistique dans l’Évangile de Jean, je redise au Christ, au nom de toute l’Église, au nom de chacun d’entre vous: "Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle"» (Jn 6, 68).

  

top