Cultures et foi - Cultures and Faith - Culturas y fe - 2/1996 - Symposia
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ABIDJAN '96


FOI, CULTURE ET ÉVANGÉLISATION EN AFRIQUE, À L'AUBE DU III MILLÉNAIRE

Abidjan, 18-20 avril 1996

Fruit d'une excellente collaboration entre la Conférence Épiscopale Régionale de l'Afrique de l'Ouest, l'Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouest et le Conseil Pontifical de la Culture, le Colloque post-synodal Foi, Culture et Évangélisation en Afrique, à l'aube du IIIe millénaire a réuni durant trois jours une cinquantaine de participants dont plusieurs Évêques, venus d'Afrique occidentale et centrale, et de Madagascar, ainsi que l'ensemble des étudiants de l'ICAO qui accueillait le Colloque. Le Conseil Pontifical de la Culture était représenté par le Père Bernard Ardura, Sous-Secrétaire du Dicastère, qui ouvrit et conclut le Colloque par deux interventions.

Sans prétendre fournir dans ces pages un compte rendu exhaustif de l'ensemble des conférences et communications dont le texte sera publié au cours des prochains mois par les soins de l'ICAO, la Rédaction de Cultures et Foi a estimé utile de donner ici un bref aperçu de quelques contributions qui ont particulièrement marqué le Colloque.

Monseigneur Bernard Agré, Archevêque d'Abidjan et Grand Chancelier de l'ICAO, donnait le ton de la rencontre dès le premier instant: «Le primat de la foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité, devient encore plus éclatant dans notre monde qui désespère du sens de son histoire. Et l'on ne peut parler d'histoire sans référence à la culture... L'homme lui-même façonne son environnement. Il est à la fois sujet et acteur de sa culture dont les racines plongent dans ses traditions et relèvent de façon substantielle de son éducation familiale, scolaire, sans négliger celles que véhiculent tous les médias, anciens et modernes».

Soulignant l'importance du rapport foi et culture et son enjeu pour l'évangélisation, le Père Ardura déclarait: «L'annonce de la Bonne Nouvelle en Afrique requiert des chrétiens qu'ils soient dans leur vie quotidienne, par leur témoignage personnel et communautaire, un ferment évangélique, évangélisateur des cultures du troisième millénaire et de l'organisation sociale de leurs peuples, car tout homme est appelé à accueillir le Christ au coeur de son être et dans sa nature profonde... Vous avez providentiellement conservé en Afrique un élément culturel essentiel, présent dans toutes les cultures d'antique tradition: les interrogations sur l'homme et sur le monde contiennent en germe la question fondamentale de Dieu. De fait, personne ne serait capable de comprendre l'homme ou de vivre vraiment en homme, si la question de Dieu demeurait sans réponse. Toutes les grandes cultures, et notamment celles de l'Afrique, comprennent l'homme en le mettant en relation avec le divin. La personne peut ainsi se transcender dans la culture qui assume ses expériences personnelles, leur confère continuité et développement... La foi chrétienne est appelée à marquer toujours plus profondément la vie des croyants, non seulement parce que la religion est en soi une catégorie universelle de l'être humain, mais surtout parce que la foi chrétienne possède en propre la capacité de purifier toutes les cultures, de les féconder et de les porter à un nouvel épanouissement».

Il s'agit pour les chrétiens d'Afrique de faire preuve d'une volonté déterminée de réaliser une évangélisation en profondeur, qui intègre harmonieusement les richesses de la tradition africaine par le moyen de l'inculturation. Ce long processus est orienté vers une intelligence intériorisée de la foi, grâce à l'utilisation de tous les éléments culturels capables d'exprimer la foi et l'agir des chrétiens. «Ainsi l'inculturation est une véritable épiphanie du Seigneur qui fait irruption dans une culture et rejoint le plus profond du coeur des hommes et des femmes, des anciens et des jeunes, pour les appeler à la conversion. L'Évangile franchit les obstacles culturels et rejoint chaque personne dans son identité culturelle, tandis que les cultures purifiées des signes de leur finitude et du péché s'épanouissent en exprimant le message le plus haut et le plus fondamental qui soit au monde: Dieu nous sauve en Jésus-Christ et nous appelle à entrer dans la grande famille de l'Église. L'inculturation est l'expression du mouvement d'un peuple qui se convertit à l'Évangile et s'engage de tout son être à suivre le Christ, pour que celui-ci demeure au milieu de son peuple et chemine avec lui. Tant que ce processus n'approfondit pas le dialogue entre foi et culture, le Christ demeure un étranger pour cette culture, et son message n'est pas compris. Pour cette raison, l'inculturation de la foi est une priorité et une urgence dans la vie des Églises, une exigence de l'évangélisation, et la voie privilégiée qui conduit à la pleine évangélisation».

Dans le sillage du Synode des Évêques pour l'Afrique, il apparaît nécessaire de mettre en lumière la diversité des richesses qu'offre la réalité de la famille, une fois purifiée de ses imperfections, pour une compréhension inculturée de l'Église. Il convient toutefois de se garder de l'illusion d'une inculturation magique: sans une conversion au Christ, la famille humaine ne peut prétendre être à l'image de la famille de Dieu. La famille, comme toutes les réalités humaines, doit passer avec le Christ par le Mystère Pascal, mystère de mort et de résurrection. Témoins du Christ au milieu de leurs frères, les Africains accordent une place importante au symbolisme religieux et notamment aux rites d'initiation. Pour cette raison, «la formation des agents de l'évangélisation ou, mieux, des apôtres qui témoigneront, par la parole et l'exemple de leur vie, du salut apporté par Jésus-Christ, sera décisive pour l'avenir de l'Église».

Dans une longue et riche conférence d'ouverture qui devait donner le ton à l'ensemble des communications, Monseigneur Anselme Titianma Sanon, Évêque de Bobo-Dioulasso, président de la CERAO, et membre du Conseil Pontifical de la Culture, a affronté les questions fondamentales: Sur quel terrain situer foi-culture-évangélisation après le Synode africain? Comment allons-nous entrer dans le nouveau siècle?, car les défis ne manquent pas: catastrophes écologiques, incertitudes sociales, insécurité alimentaire, «sécuritaire» national ou international, prolifération des groupes sectaires et de nouveaux courants religieux, laïcité exacerbée, «mondialisation médiatique»: «Ce nouvel aréopage, école mondiale de formation sociale, tend davantage vers les cultures de mort que vers les cultures de vie. Nous assistons à l'émergence des groupes de ceux qui ont fait naufrage dans la foi. Nous vivons en plein en régime de cultures de transition. Elles sont éclatées, dispersées, fragilisées: de plus en plus, elles se manifestent fébriles et sans racine. Chaque siècle a son utopie, et chaque groupe humain aussi. Comment le XXIe siècle sera-t-il évangélisé en Afrique? Quels principes ou rêves utopiques soutiendront les acteurs de cette évangélisation?». Mgr Sanon, faisant référence à saint Thomas More, part de ce postulat: tout ce que la conscience exige comme moralement nécessaire est historiquement possible. C'est affirmer la puissance d'action de la conscience. L'Église en Afrique tend vers le Royaume en gestation à travers l'évangélisation. «L'utopie dit rupture et fondation. Appliquée à l'économie, elle est le manifeste de la Révolution comme processus économique ultime. Appliquée à notre domaine, elle est un processus spirituel ultime... L'utopie est la réalisation de l'union entre la foi et la raison. Notre utopie prophétique implique la rencontre entre la foi et la culture, entre un christianisme bimillénaire et les nouvelles Églises en croissance vers leur maturité». La réalisation de cette utopie en Afrique implique la prise en charge de l'Église d'Afrique par elle-même, car «l'évangélisation fait accéder à la foi par la médiation de la conscience, mais cette conscience n'est pas que morale, elle est tout aussi bien intellectuelle, spirituelle, économique et politique... Avoir conscience de son humanité africaine comme de toute humanité, c'est afficher une certaine confiance en l'humain africain». L'évangélisation, non seulement met la Bonne Nouvelle à la portée de tous, mais elle pénètre toutes les réalités humaines capables de la grâce de Dieu. Ainsi, «ce qui sera esquissé en théologie, le sera dans la catéchèse comme un droit et un devoir, dans la liturgie comme une manière de participer à l'offrande et au sacrifice, et dans le quotidien comme charité, rayonnement et prise réelle sur le matériel et le financier, c'est-à-dire le temporel de la cité humaine». Et Mgr Sanon de cerner la question essentielle: «Il faut donner à cette Église une intelligence spirituelle d'elle-même, une lecture de ce qu'elle est et signifie dans un continent africain: comment elle est signe du Christ, et en même temps comme elle est Église Famille de Dieu».

Comme l'a souligné le Synode pour l'Afrique, le Christ et sa Parole assument la place centrale dans l'Église et dans l'évangélisation, car «le Christ est l'ancêtre des ancêtres, le fondateur des fondateurs, celui qui détient la parole primordiale comme son propre être, l'alpha et l'oméga, le même hier, aujourd'hui et demain. Cette parole prend racine dans les coeurs, les intelligences, les mentalités. Elle prend corps dans les vies et les conduites des personnes comme des communautés. Elle s'irradie dans le réseau social de la culture, de l'économique et du politique. Elle promeut ou permet l'émergence de cités nouvelles grâce à une fraternité nouvelle qui est l'Église-Famille de Dieu... À ce premier stade, foi, culture et évangélisation s'articulent pour faire advenir des consciences nouvelles».

La culture en train de naître en Afrique ne fait pas appel à l'intériorité intime, mais à l'inter-relation qui signifie projet commun, moments conjoints reconnus comme tels entre partenaires. «Il ne s'agit plus de l'intériorité du sujet, mais du lien qui se tisse entre son milieu et un autre, par le biais de ses convictions personnelles». L'évangélisateur doit se faire médiateur, interlocuteur valable entre la foi et la culture, entre la foi et toute culture. Son ambition est de mettre la foi et les cultures en dialogue, en une compénétration qui devienne compréhension. La conversion ne se résume pas à un transfert d'une zone de croyance minimale à une zone de pleine lumière. La conversion est saisie intérieure d'une réalité unique théologale à travers une diversité d'expression culturelle.

Pour l'Évêque de Bobo-Dioulasso, «l'évangélisation est sujette à la culture en ses principes, ses méthodes et moyens, et même en ses intentions... Le noble idéal de sauver les âmes, ce qui est prioritaire, se complète par celui de donner à manger aux foules, le spirituel par le temporel, la communauté chrétienne par son engagement dans la cité humaine. La situation africaine, au regard d'autres traditions, met l'accent sur l'humanité de la culture là où d'autres tiennent plus à la technologie de la culture. Si la culture peut être vue comme la façon dont une société humaine répond à son environnement, les cultures africaines tendent à humaniser l'environnement lui-même». L'évangélisation en Afrique se doit de prendre en compte, au coeur de sa démarche, la dimension culturelle, et non seulement au niveau linguistique: il faut surtout chercher à intégrer les autres signes, rites et symboles, en somme la culture avec toute ses harmoniques, en en respectant le projet interne «avant d'y sauver ce qui mérite de l'être au prix de la grâce». Le «culturel», comme concept-clé de l'anthropologie africaine, comprend le culturel, l'écologie et l'économie, le politique, le cultuel, l'éthique et le social. «L'évangélisation ne saurait occulter ces requêtes culturelles... dans la mesure où la culture est l'un des problèmes du siècle qui naît et est un problème permanent de toute communication, antique comme moderne, technique ou spirituelle».

Et Mgr Sanon de relever un fait de la plus grande importance: les sociétés africaines se sont habituées à la culture de la répétition au détriment de l'inventivité. «L'évangélisation ne saurait se contenter d'utiliser les cultures comme une monture plus ou moins bizarroïde. Il lui faut faire advenir de nouvelles cultures qui lui sont d'ailleurs indispensables. En d'autres termes, il y a une mission de l'évangélisation: faire naître une pensée humaine et chrétienne en Afrique. L'évangélisation a la mission de générer des ressources nouvelles pour la vie culturelle des croyants». L'inculturation entraîne l'inter-culturalité, une amorce de dialogue entre les cultures par le biais de la foi: c'est la responsabilité de la communauté croyante et évangélisatrice. «D'une manière générale, la foi a besoin de la culture pour se dire et elle doit respecter l'identité culturelle. Dans le même élan, elle est source de nouvelles cultures».

À l'aube du second siècle d'évangélisation de plusieurs pays d'Afrique, il convient de poser la question de la maturité de l'Église-Famille. «Lorsque Paul VI lança sa parole prophétique à Kampala "Vous, désormais, Africains, vous êtes vos propres missionnaires", qui a pu le comprendre et le suivre? La question de fond rebondit de notre côté: avons-nous le désir de devenir des Églises majeures, qui accèdent à la maturité?». Quelques critères s'imposent pour orienter ces Églises vers l'âge adulte: l'état du personnel, les capacités de répartir les ministères, les capacités au point de vue matériel, équipement et finances, la qualité des relations de communion avec l'Église en son Centre et avec les autres Églises-soeurs, la contribution ou l'apport à la vie de la cité des hommes par le rayonnement intellectuel, culturel et même économique?

À la suite du Synode pour l'Afrique, la pastorale d'évangélisation se renouvelle dans le Christ Ancêtre-Fondateur, vainqueur, Seigneur ressuscité et vivant. Elle se développe comme une pastorale culturelle et s'accomplit en une pastorale sociale qui prend en compte tout le poids et le prix de l'humain aujourd'hui. L'annonce se fait dans le dialogue avec les cultures, avec les autres cultes, avec les courants sociaux, pour relever ces défis décisifs:

1. Donner aux communautés et aux personnes le sens de leur responsabilité culturelle: l'Évangile est aussi créateur de culture.

2. Former la conscience chrétienne dans toutes ses dimensions.

3. Prêter la plus grande attention aux nouvelles requêtes de la «fides quaerens intellectum», car «le problème de Dieu investit dans une quête constante de l'homme et de sa culture».

4. Prendre conscience de la richesse de l'Église créatrice de culture et de fraternité, communauté des communautés, famille des familles, cité des cités de l'homme, Église-communion, communauté de relations et d'ouverture, fondée sur la Parole de Jésus-Christ.

5. Être pasteurs, porteurs de l'Évangile, capables de sens prophétique.

6. Donner une «forme» de tradition à nos acquis quasi-centenaires en pastorale catéchétique, liturgique et socio-caritative, grâce à des institutions, des normes canoniques et administratives.

7. Les théologiens doivent s'investir à frais nouveaux dans la dynamique de l'évangélisation en Afrique.

«Au terme de ce parcours, nous confessons notre conviction fondamentale: l'inculturation bien menée est source d'Épiphanie de la foi, et, à son tour, elle devient source de nouvelles cultures au bénéfice de l'évangélisation».

L'Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l'Afrique a mis en lumière l'image de la famille comme expression de l'Église du Christ. L'Abbé Jean-Marie Kusiele Dabire, Recteur du Grand Séminaire de Koumi au Burkina Faso, a présenté une approche doctrinale et pastorale de L'Église Famille de Dieu en Afrique, dont les Évêques du Burkina Faso avaient eu l'intuition dans une lettre pastorale publiée en 1962, juste avant leur départ au concile. Puis, en 1976, à l'occasion du 75e anniversaire de l'évangélisation du pays, le propos de vivre dans l'Église comme dans la grande famille africaine, avec ses qualités à promouvoir et ses défauts à éliminer, a préparé le choix fait par les Évêques en 1977 de promouvoir l'image de la famille pour renouveler la vie de l'Église. Ce concept de «famille», si fréquent dans la Révélation, chez les Pères, et surtout dans la liturgie romaine, a repris une place d'honneur dans le discours théologique, notamment après plusieurs interventions épiscopales lors des assises de Vatican II.

«La notion d'Église Famille de Dieu, loin d'être une invention africaine, est une image ecclésiologique déjà présente en préfiguration lointaine dans l'Ancien Testament, en réalisation effective dans le Nouveau Testament, surtout par la Révélation du Christ et par la vie en fraternité des premiers chrétiens, et enfin, à des degrés divers tout au long de la Tradition de l'Église, tant dans l'enseignement doctrinal que dans la prière liturgique. Nous prenons acte de cette vérité pour aller plus loin en osant faire de cette image de l'Église un discours théologique et pastoral sur la base de l'anthropo-sociologie de la famille africaine».

La notion africaine de la famille peut-elle prétendre devenir un lieu théologique d'intelligence de l'Église? Oui, la «famille» comprise dans le contexte africain peut exprimer, dans une certaine mesure, et sous forme d'analogie, une partie de la vérité de l'Église du Christ. «La grande famille africaine composée de plusieurs unités en cercles concentriques, et qui, à chaque niveau, garde le nom de "famille" ("Yir" en dagara), peut inspirer puissamment l'organisation de la communauté chrétienne, depuis les petites unités familiales de l'Église domestique, les C.C.B. des villages, quartiers et associations chrétiennes, jusqu'à la grande famille de l'Église universelle, en passant par la paroisse, le diocèse et la province ecclésiastique. Ainsi donc, nés dans des familles humaines où, à différents niveaux nous avons des "pères", des "mères", des "frères", des "soeurs" au sens africain des termes, nous renaissons par le baptême dans l'Église-Famille de Dieu, où nous trouvons aussi, à différents niveaux et à des titres divers, des "pères" (Dieu notre Père, le Saint-Père, nos pères Évêques), des "mères" (la Vierge Marie notre Mère, l'Église notre Mère), des "frères et soeurs" (les chrétiens membres de l'Église)». Sens de la famille, esprit de parenté, de filiation et de fraternité, esprit de solidarité, de partage et d'hospitalité, ces valeurs trouvent dans la Révélation de Jésus-Christ sur la famille humaine, un lieu théologique d'évangélisation et de christianisation, un lieu de plénitude et de transfiguration. Ces valeurs deviennent valeurs chrétiennes au sein de l'Église-Famille de Dieu et sont vécues par les Africains d'une manière plus belle, plus noble et plus profonde. Quant aux «non-valeurs comme l'esprit d'inimitié et de vengeance, de gérontocratie et de parasitisme traditionnel ou moderne, etc..., une lutte sans merci est désormais engagée dans l'Église-Famille de Dieu, en vue de les éliminer à terme... À l'opposé de l'esprit d'inimitié et de vengeance par fierté ou par amour-propre, le chrétien suit l'enseignement du Christ sur la charité fraternelle et l'amour des ennemis. Alors que les familles africaines couvent souvent un esprit invincible de racisme, de tribalisme et de tensions ethniques, l'Église-Famille de Dieu, au contraire, doit faire tomber les barrières sociales et raciales, et lutter avec le Christ contre le retour ou même le recours à toute forme de violence et d'inégalité entre les hommes. Cet effort d'incarnation-inculturation qui consiste à promouvoir et à évangéliser les valeurs familiales africaines tout en combattant les non-valeurs est l'effort théologico-pastoral de purification-transfiguration».

De toute évidence, l'image de l'Église-Famille de Dieu n'est pas une réalité vaine en Afrique: elle parle au coeur et fait pénétrer dans la Révélation du Christ et la Tradition de l'Église. Intelligence théologique et sagesse pastorale pourront en faire une réalité porteuse de bons fruits et pleine d'avenir. Les Africains en sont conscients: l'image de l'Église-Famille de Dieu n'est pas une invention africaine, elle fait partie des multiples images de l'Église. Par conséquent, loin d'exclure les autres images traditionnelles de l'Église, elle les postule.

L'Église-Famille de Dieu, face aux défis contemporains dans la nouvelle évangélisation en Afrique, requiert d'identifier le modèle de famille, de déterminer les options ecclésiologiques engagées en suivant ce modèle, dégager les défis à relever en suivant les orientations de l'Exhortation apostolique «Ecclesia in Africa», voilà le panorama, ample et suggestif, proposé par l'Abbé Jean Mbarga, Enseignant de Théologie morale à l'UCAC de Yaoundé et Recteur du Grand Séminaire de Nkolbisson au Cameroun.

En reprenant tour à tour les différents exemples de «familles» rencontrés dans la vie humaine et dans la foi chrétienne, l'Auteur souligne la richesse de la famille trinitaire: «C'est l'école de l'unité dans la diversité. L'un est multiple et le multiple est l'un; l'un est triple et le triple est un; la différence et la diversité s'unissent pour construire l'unité. La pluralité devient unité; la distinction devient l'union; les différences spécifiques s'harmonisent dans un amour qui est à la fois intime et expansif, essentiel et existentiel. C'est la personnalisation de la communion-amour où tout l'être même de Dieu est amour... porté par l'expérience de la paternité, de la filialité, de la procession de l'Esprit».

La famille de Jésus, la Sainte Famille, est porteuse d'enseignements profonds pour nous aider à comprendre l'Église-Famille de Dieu: cette famille ne se réduit pas au lien de consanguinité. Au contraire, elle le dépasse, car elle est fondée sur l'amour et la communion en la volonté de Dieu: «Ici, la famille de Dieu, c'est la famille où le lien de vie commune, de parenté, est fondé par l'unité d'engagement au service de la volonté de Dieu. C'est la famille où Dieu Trine se donne à l'homme... La Sainte Famille nous révèle ce que devrait être une Église-Famille. C'est une Église qui est en Dieu, fidèle et disponible à son service; une Église où le lien d'unité et d'amour est essentiellement la même fidélité à la volonté de Dieu. C'est une Église où cette unité de mission suffit pour créer entre ses membres cohésion, harmonie et solidarité multiple. Cette Église intégrée dans la culture locale y exerce un témoignage d'amour et de charité».

Le Collège apostolique lui-même, voulu et institué par le Christ, ne se réduit pas à une structure: «c'est un foyer de personnes vivantes qui se nourrissent de la vie du Christ, qui rayonnent la foi, la fraternité et l'espérance dans l'humanité». Ce Collège est une Famille de Témoins.

Mais, concrètement, comment la famille africaine, à la lumière de l'Exhortation apostolique «Ecclesia in Africa», peut-elle apporter à l'Église des valeurs propres à en enrichir la vie, et comment résout-elle les défis nombreux que lui présente l'Église?

1. La promotion de la femme africaine se pose en termes de reconnaissance de sa dignité et de ses droits en tant que personne, mais aussi en termes de participation de la femme à la vie de l'Église et de la société.

2. Être père et mère de famille, c'est tout à la fois enfanter, éduquer, assurer l'intégration sociale, soigner, aimer, ouvrir à la foi et faire connaître le Père des cieux comme l'Église-Mère, l'Église-Famille. C'est aussi promouvoir la conscience de la responsabilité personnelle et de couple dans la procréation.

3. En Église, faire l'expérience d'être fils, c'est reconnaître et vivre la vocation chrétienne. À la suite du Christ, l'homme devient fils de Dieu: le défi est ici celui de la foi en un Dieu personnel vivant; c'est le défi de la reconnaissance d'une relation qui donne à l'être sa plénitude par l'amour.

4. Dans l'Église-Famille, l'expérience de la conjugalité embrasse toutes les formes de consécration en tant qu'alliance entre Dieu et l'homme: le défi consiste à donner à ces différentes formes d'alliance toute la pleine fidélité d'amour, toute la fécondité, et toute la solidarité communautaire évangéliques.

5. Dans l'expérience de la fraternité, la filiation trouve son perfectionnement: on devient vraiment fils en devenant davantage frère, en s'ouvrant à l'altérité, à la réciprocité, en faisant l'apprentissage des devoirs fraternels. «Cette fraternité, au sein de l'Église-Famille, est régie par le principe de convergence, en ce sens que c'est la convergence de la foi et de ses engagements, qui unit les acteurs en un rapport de concorde, de collaboration et de communion». Il s'agit ici d'une fraternité de conviction et non de consanguinité. L'Église-Famille se doit de relever le défi, et de faire de la communauté de foi un vrai lieu de fraternité spirituelle.

6. De toute évidence, l'expérience de la tribalité revêt une importance considérable dans le contexte africain. Elle fonde la grande famille unie par les liens de parenté, appelée à se traduire en parenté chrétienne. Il s'agit de donner à la tribalité une dimension universelle, chrétienne et humaine. Cette tribalité interpelle aussi l'Église dans sa mission d'unité. Face à la montée du tribalisme et de son cortège de discriminations et de comportements anti-nationaux, l'Église-Famille doit donner l'exemple d'une parenté ouverte, qui rassemble, unit et s'élargit à l'universel.

«Ce vaste champ relationnel de la famille africaine révèle par ses pertinences les défis que doit affronter l'Église-Famille. Elle y trouve un modèle pertinent, quoique limité... Il s'agit donc, grâce au souffle de l'Évangile, de donner à cette expérience une ouverture spirituelle et universelle. Autrement dit, il s'agit de faire de l'Église une vraie famille, où ce tissu relationnel fonctionne pour le bien-être de tous et la pleine réalisation de tout un chacun».

L'Église-Famille est donc appelée à jouer en Afrique non seulement un rôle éminemment spirituel, mais aussi social, en faveur de la vie et de la promotion de la personne humaine créée à l'image et à la ressemblance de Dieu. Pour ce faire, elle dispose de l'importance reconnue à la tradition, de la solide structure hiérarchique de la famille et de la tribu où chacun a sa place et son rôle spécifiques. Cette société recherche sa stabilité: ici la loi sociale par excellence est l'équilibre. L'autorité hiérarchique n'est pas redoutée, car sans elle toute la chaîne des équilibres serait brisée. Sa fonction fondamentale est le service de l'équilibre, de l'harmonie, c'est-à-dire de la vie rayonnante dans la famille ou le clan. Tous les pouvoirs - exécutif, judiciaire, législatif - y prennent sens.

«Dans la nouvelle évangélisation, l'Église-famille est appelée à assumer les valeurs de la famille de Dieu dans ses différentes composantes. Elle a mission de bâtir pour l'humanité la civilisation d'amour fraternel, de justice, de paix et de promotion humaine».

Au cours d'une conférence magistrale, l'Abbé Jean Sinsin Bayo, Professeur à l'ICAO, exposait la problématique Foi et Inculturation en Afrique, pour permettre au continent noir de connaître et de vivre dans son actualité la plus directe le mystère de l'incarnation du Verbe de Dieu venu sauver les siens et les ouvrir à une vie nouvelle. Pour cela, l'inculturation est accueil de la Vérité de Dieu.

«L'inculturation n'est ni archéologie nostalgique, ni exhumation orgueilleuse et inutile d'un passé révolu, sans souffle de vie et d'inspiration pour le présent de l'Afrique. Elle n'est point non plus l'introduction anarchique et irrationnelle du folklore africain dans la pensée et la célébration chrétiennes. Par le processus de l'inculturation, les peuples africains s'ouvrent à la vérité de Dieu et à la vérité originelle de leur être et de leurs cultures. Dans cette rencontre personnelle et unique avec Dieu, ils se réalisent dans leur identité, non pas en renonçant à leur particularité ou en refusant toute conversion de leurs distorsions et raccourcis anthropologiques, mais plutôt en se livrant humblement au souffle de l'Esprit qui, remettant en cause, réajustant de fond en comble leur projet d'homme et de société, leur vision du monde, immanquablement les conduira à la vérité tout entière. L'inculturation est vraie et salutaire dans la mesure où elle se saisit et se vit comme l'acte par lequel un homme, une communauté chrétienne, un peuple accepte de se convertir, de redéfinir son identité, ses valeurs et de réorienter sa culture, d'en inventer d'autres éléments à partir de sa rencontre historique avec Dieu en Jésus-Christ, en vue de son accomplissement personnel, culturel, historique et identitaire».

Au terme de trois journées d'intense travail de la part de tous les participants, il revenait au Père Bernard Ardura de tirer quelques conclusions de ce Colloque International, en partant de la question d'un jeune participant: «Quelle est la spiritualité de l'inculturation?».

«La spiritualité, c'est la doctrine de la foi vécue par une personne ou une communauté de personnes dans un contexte donné. C'est la foi devenue principe de vie spirituelle, de communion avec Dieu et avec le prochain. Or, l'inculturation ne poursuit pas d'autre but: elle veut faire que la foi atteigne le coeur des personnes et des communautés pour que tous puissent entendre le message d'amour de Dieu et que tous puissent lui répondre du fond de leur coeur, avec leurs propres mots, leurs propres concepts, leur propre manière d'être, transformés par le levain de la Parole faite chair, Jésus-Christ, dont nous proclamons la victoire sur la Croix. Vivre la spiritualité de l'inculturation, c'est vivre le mystère de Jésus-Christ, de son Incarnation dans le sein de la Vierge Marie à son Retour glorieux. C'est accueillir un Dieu qui est certes le Tout-Autre, mais aussi celui qui s'est fait l'un de nous en toutes choses excepté le péché, c'est reconnaître que toute notre vie se doit d'être une permanente actualisation du baptême reçu une fois pour toutes. C'est reconnaître que personnellement et communautairement nous avons besoin de nous convertir. Pour cette raison, toutes nos catégories culturelles ont besoin de passer par la Pâque du Seigneur, à travers son mystère de mort et de résurrection, pour s'imprégner de son Salut.

Notre Colloque est un colloque universitaire. À ce titre, il a qualité pour suggérer des orientations à l'intention des Instituts catholiques, des Séminaires, des Instituts supérieurs, et des Instituts de formation des catéchistes. Une exigence fondamentale ressort, en effet, de nos réflexions: l'urgence et la nécessité de la formation à tous les niveaux, de tous les baptisés et partout où sont impliqués les chrétiens. D'ailleurs, l'inculturation de la foi dans nombre de domaines comme la théologie, la liturgie, la piété populaire, les coutumes ancestrales, requiert une réflexion commune et la transmission des acquis, sans laquelle l'inculturation demeurerait un exercice académique sans aucune conséquence pour l'évangélisation et pour la vie de la Famille de Dieu. Car la foi au Christ se transmet depuis 2000 ans, à partir du témoignage des Apôtres: la foi au Christ est Tradition vivante et source de vie, actualisation de la Parole faite chair. Nous sommes les héritiers de cette Tradition de la foi, de la première évangélisation, et nul ne saurait faire table rase: nous ne commençons pas à partir du néant, nous sommes des héritiers.

Pour que notre Colloque porte un fruit qui demeure, il est indispensable de promouvoir des perspectives de programmation pour les Instituts catholiques d'Afrique, afin de centrer la formation des étudiants sur la compréhension de la culture actuelle en vue de la nouvelle évangélisation. Ce Colloque doit germer en évangélisation et, pour ce faire, passer dans la vie des Églises locales d'Afrique. Il y a en effet complémentarité entre la réflexion sur l'inculturation et l'évangélisation directe vécue au sein des cultures de l'Afrique. Au fond, le défi lancé à chaque Église locale consiste à articuler harmonieusement l'étude avec la pratique pastorale, la réflexion philosophique et théologique avec l'annonce inculturée de la Parole. À cet égard, favorisez partout où cela sera possible, comme vous y invite le Saint-Père dans l'Exhortation apostolique «Ecclesia in Africa», les Centres Culturels Catholiques, qui représentent par leur diversité, leur flexibilité et leur ouverture, de véritables laboratoire de l'inculturation de la foi, du dialogue des cultures et de l'évangélisation des cultures.

L'inculturation est tout à la fois un moyen et un but. C'est une voie de pénétration de l'Évangile et de la foi chrétienne dans les cultures, et en ce sens c'est le moyen privilégié de l'évangélisation, mais c'est aussi le but poursuivi, que nous atteindrons lorsque le Christ vivifiera les hommes jusque dans leurs cultures, et lorsque nos cultures auront été transformées et fécondées par le Christ. L'urgence de l'inculturation nous presse: toutefois, le processus d'inculturation ne saurait brûler les étapes. Jean-Paul II nous en avertit, c'est un processus long et difficile, car il s'agit de pénétrer le coeur des hommes et des femmes de notre temps, et de transformer lentement leurs systèmes de valeurs afin que le Christ soit tout en tous, que chacun puisse exprimer sa foi dans sa culture, et que toutes les cultures soient vraiment évangélisées. Les exemples ne manquent pas d'apôtres du Christ, qui ont consacré leurs efforts à l'inculturation et ont, de ce fait, enrichi l'expression de la foi chrétienne. Qu'il nous suffise d'évoquer les Pères de l'Église, un Augustin, un Tertullien, un Jean Chrysostome: ils ont forgé, par emprunt et transformation des concepts culturels de leur temps, l'ensemble de nos outils de réflexion théologique. Aujourd'hui, c'est à vous, c'est à nous, qu'il revient de relever le défi.

À la veille du Grand Jubilé de l'An 2000, nous voulons témoigner du primat de la foi en Jésus-Christ, le Fils unique du Père, qui s'est vraiment et culturellement incarné au sein du Peuple choisi, pour racheter ce qui était perdu, en scellant le pacte de sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, et porter ainsi l'ensemble de la création à son accomplissement, faisant de nous ses frères et les fils de l'unique Père des cieux.

Je voudrais, enfin, vous inviter à réfléchir sur une perspective qui n'a pas beaucoup été présente au cours des échanges de ces trois journées: je veux parler de ce que le Pape Jean-Paul II a appelé l'échange des dons, lorsqu'il a appelé, au sein de l'Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l'Europe, les représentants qualifiés des Églises-martyres du communisme athée. Chers amis, tout ce que vous faites et tout ce que vous ferez pour planter l'Évangile du Christ en terre d'Afrique, pour inculturer le message du Christ dans le coeur de vos frères et de vos soeurs, et pour évangéliser les cultures africaines, sera une contribution nécessaire et irremplaçable à la vie et à la sainteté de l'Église universelle de Jésus-Christ. L'Église du Christ est catholique, c'est dire qu'elle est toujours prise «selon le tout», communion de foi, d'espérance et de charité.

Frères et soeurs en Jésus-Christ, partageons ces dons qui nous viennent de la Croix du Christ ressuscité et, ensemble, marchons vers notre Père commun, unis par une même foi et un même amour dans l'Église-Famille de Dieu».

(English)

Following on from the Special Assembly of the Synod of Bishops for Africa, the Abidjan colloquium set out to study the relationship between faith and culture in the context of Africa, with a view to the renewal of evangelization. Cultural, social, economic and political challenges invite African Christians to reflect on the idea of the Church as the Family of God and on the concept of inculturation. The Gospel should be absorbed by all those aspects of humanity which are open to God's grace, especially in the areas of formation and education.

(Español)

El convenio de Abidjan , en la línea de la Asamblea Especial del Sínodo de los Obispos para África, ha tratado la relación fe-cultura en el contexto africano, con vistas a la nueva evangelización. Ante los desafíos socioeconómicos, culturales y políticos, se invita a los cristianos africanos a que reflexionen sobre los conceptos de «Iglesia, familia de Dios» y de inculturación. El Evangelio ha de penetrar todas las realidades humanas abiertas a la gracia, especialmente en las áreas de la formación y de la educación.

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