Le titre de mon intervention, " De la tolérance au respect mutuel : pour un humanisme plénier ", introduit un déplacement significatif de la chronologie à lÂÂéthique. Je voudrais lÂÂhonorer en partant de lÂÂanthropologie et, après avoir parcouru brièvement lÂÂhistoire, conjoindre la foi et la raison, fides et ratio, pour un nouvel humanisme plénier au seuil du nouveau millénaire, qui soit empreint de vérité et dÂÂamour.
Pour éclairer mon propos, je partirai de la remarque pertinente du regretté philosophe, maître et ami, Étienne Borne : " le terme de tolérance, pris en son sens propre, est inadéquat à la grande idée quÂÂon prétend lui faire exprimer. En effet, tolérer une différence dÂÂêtre et de la pensée, cÂÂest la tenir en quelque sorte à distance avec une note de condescendance et dÂÂindulgence. Le respect dÂÂautrui et de sa liberté demande plus et autre chose " (" La tolérance est-elle une vertu ? ", La Croix 12 décembre 1980).
Pour ce qui concerne les chrétiens, dans le cadre de la préparation à célébrer authentiquement le Grand Jubilé de lÂÂan 2000, le Saint-Père nous invite à réfléchir à un chapitre douloureux sur lequel les fils de lÂÂÉglise ne peuvent pas ne pas revenir en esprit de repentir: le consentement donné, surtout en certains siècles, à des méthodes dÂÂintolérance - consensio data rationibus intolerantiae - et même de violence dans le service de la vérité.
Les chrétiens écoutent " la sagesse qui vient de Dieu et qui est tolérance ", nous dit saint Jacques (Jc 3 17), repris dans la Liturgie des Heures aux deuxièmes vêpres des Docteurs de lÂÂÉglise. QuÂÂen est-il dans la pratique quotidienne, alors que pour Voltaire " les chrétiens sont les plus intolérants des hommes " ? " Si vous voulez ressembler à Jésus-Christ, soyez martyrs, et non pas bourreaux " (Traité sur la tolérance 14) ? Et de conclure : " Si vous voulez quÂÂon tolère ici votre doctrine, commencez par nÂÂêtre ni intolérants, ni intolérables " (Traité sur la tolérance 19).
Quant à la doctrine, la récente encyclique Fides et ratio réaffirme à la fois la valeur de la raison et de la foi au Christ qui seul révèle lÂÂhomme à lÂÂhomme. Ni la foi sans la raison, ni la raison sans la foi : la foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à lÂÂesprit humain de sÂÂélever vers la contemplation de la vérité. LÂÂÉglise a conscience dÂÂêtre dépositaire dÂÂun message qui a son origine en Dieu même (cf. 2Co 4,1-2). Dans le Mystère pascal, elle a reçu le don de la vérité ultime sur lÂÂhomme. Elle ne se lasse pas dÂÂannoncer que Jésus Christ est " le Chemin, la Vérité et la Vie " (Jn 14,6). CÂÂest pour elle un service authentique rendu à lÂÂhumanité : la diaconie de la vérité. DÂÂoù la question du philosophe Étienne Borne : " sÂÂil y a une tolérance suspecte, pourquoi nÂÂy aurait-il pas une intolérance valable ? Une religion qui annonce la vérité et prêche le bien peut-elle composer avec lÂÂerreur et tolérer le mal ? Bossuet ne craignait pas dÂÂavancer que la tolérance est un poison qui introduit dans les sociétés la confusion de Babel et lÂÂindifférence des religions ".
Sans conteste, notre culture est marquée par un subjectivisme épistémologique. Dans le domaine philosophique, la postérité de Kant en sa modernité ne connaît plus les choses en soi mais comme elles sont pour moi. Le relativisme entraîné par le doute systématique et le soupçon généralisé sÂÂexprime dans le principe de la vérificabilité de Karl Popper . Par principe, toute hypothèse peut sÂÂavérer inexacte : dès lors le concept de tolérance ne repose plus sur le respect de la personne, mais sur la conviction que tout se vaut puisque rien nÂÂest plus vérité absolue. Dans ce contexte culturel, il était inévitable que le débat capital du Concile Vatican II sur la liberté religieuse soit entaché de passions antagonistes entre lÂÂindifférentisme et le dogmatisme. La déclaration conciliaire Dignitatis humanæ affirme à la fois le devoir de rechercher la vérité, de lÂÂembrasser et de lui être fidèles, et le droit à la liberté religieuse, à savoir : nul ne peut être contraint de croire, ni empêché de croire. A trente ans de distance, le vÂÂu si clairement exprimé du Concile est encore loin dÂÂavoir été entendu et compris. Appelé à surmonter lÂÂantinomie ruineuse entre la liberté et la vérité, le chrétien entend conjoindre lÂÂune et lÂÂautre, tant il est vrai que, selon la promesse de Jésus, " la liberté vous rendra libres " (Jn 8 32). Alors la tolérance ne suffit plus, elle postule le respect des personnes. Ce respect implique la diaconie de la vérité.
I. Disons-le dÂÂemblée : les principes anthropologiques fondamentaux sont ceux de la vérité et de la liberté indissolublement unis en un lien réciproque intrinsèque. Quelle est à cet égard la situation de la culture moderne ? Les diagnostics abondent : sécularisme, indifférence, crise de la vie et de la morale, pseudo-démocratie, éclipse du sens de Dieu et du sens de lÂÂhomme. CÂÂétait le thème du Congrès international organisé pour le 30e anniversaire de la promulgation de la Déclaration conciliaire Dignitatis humanæ, du 5 au 7 décembre 1995, par le Conseil pontifical de la Culture et lÂÂAthénée pontifical Regina apostolorum, et dont les Actes viennent dÂÂêtre publiés par The Becket Fund for Religions Liberty à la Librairie éditrice Vaticane.
Pour le dire dÂÂun mot, si le Concile Vatican II (cf. Lumen gentium 36) reconnaît les valeurs de la dimension séculière, il en relève en même temps les limites. Innombrables sont les études qui soulignent la dérive historique de la sécularisation au sécularisme et le passage de lÂÂindifférence à lÂÂindifférentisme qui, non seulement ne se décide pour aucune forme religieuse, mais attribue à toutes la même valeur. Or, comme lÂÂa bien vu Romano Guardini dès 1950 dans son livre classique La fin des temps modernes : " sans élément religieux, la vie devient comme un moteur qui nÂÂa plus dÂÂhuile: il chauffe. A tout instant, telle ou telle pièce brûleÂÂ
Le centre et les attaches se rompent. LÂÂexistence se désorganise " (Seuil, Paris 1953, p. 111). Il ne saurait y avoir dÂÂindifférence absolue : lÂÂindifférence à certaines valeurs porte à reconnaître dÂÂautres valeurs. Les valeurs religieuses et transcendantes sont remplacées par des valeurs terrestres et immanentes. Pascal déjà le soulignait: " sÂÂil se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril dÂÂune éternité de misère, cela nÂÂest point naturel. Ils sont tout autres à lÂÂégard de toutes autres choses... CÂÂest une chose monstrueuse de voir dans un même cÂÂur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes ". Propos prémonitoire ? LÂÂindifférence religieuse recèle un aspect psychologique contradictoire (C.G. Jung, Psychologische Typen, Zürich 1950, 260) : qui dit " religieux " dit " très significatif et intéressant singulièrement tout lÂÂhomme ". La justification rationnelle est remplacée par une indifférence apathique, une " crampe de la foi " comme lÂÂappelle Jung (C.G. Jung, Untersuchungen zur Symbolgeschichte, Zürich 1951, 241), nous pourrions dire une " tolérance molle ", aux antipodes de la foi chrétienne. Guardini lÂÂa bien perçu : " Depuis le début des temps modernes, une culture non chrétienne sÂÂélabore " (ibid.).
La culture moderne anthropocentrique qui pose lÂÂhomme comme mesure de toute chose transforme le défi du sécularisme en défi anthropologique. LÂÂéclipse du sens de Dieu obscurcit lÂÂhomme et son éthique. CÂÂest la question incontournable du vieux capitaine des Démons de Dostoievsky : " Si Dieu nÂÂexiste pas, que signifie mon grade de capitaine ? " (Dostoievsky, Les démons, Paris 1955, 239). Une nouvelle conception de la démocratie et de la liberté intervient au premier plan en cette crise morale. Par la mystification des mots, on ne parle plus de la vérité mais des vérités (Cf. mon ouvrage Cercare la verità nella cultura contemporanea, Roma 1994, 15-16).
La toute récente session des Semaines Sociales de France du 20 au 22 novembre lÂÂa cruellement souligné par la voix de son président, Jean Boissonnat : " Jamais la démocratie nÂÂa été aussi répandue. Nulle part elle nÂÂest contestée. Partout elle est anémiée. Lorsque la politique se veut religion, elle déconsidère à la fois la religion et la politique. Les peuples ont la gueule de bois, après une ivresse qui sÂÂest achevée dans une bacchanale tragique ". CÂÂest que la société de tolérance tolère tout, sauf lÂÂabsolu de la vérité, et quÂÂà force de relativiser lÂÂabsolu, lÂÂhomme est ainsi fait quÂÂil finit par absolutiser le relatif et sacraliser la dictature de lÂÂarbitraire. Bien loin, comme il le croit, dÂÂavoir conquis la liberté, " lÂÂhomme moderne fuit la liberté pour se comporter avec conformisme " (Jean-Paul II, " Discours au IXe symposium de la CCEE "). La vraie liberté est liberté pour la vérité, le bien et lÂÂamour.
Désancrée de la vérité, la liberté nÂÂaccomplit plus lÂÂhomme car elle est pure " liberté de ", sans finalité, et non plus " liberté pour ", cÂÂest-à-dire liberté de lÂÂaccomplissement de soi. Tel est lÂÂenjeu du thème de la tolérance : que devient lÂÂhomme sans lÂÂouverture à lÂÂAbsolu ? CÂÂest le drame de lÂÂhumanisme athée : " il nÂÂest pas vrai que lÂÂhomme ne puisse organiser la terre sans Dieu. Ce qui est vrai cÂÂest que, sans Dieu, il ne peut en fin de compte que lÂÂorganiser contre lÂÂhomme. LÂÂhumanisme exclusif est un humanisme inhumain " (H. de Lubac, cité dans Populorum progressio n°42).
Comment concevoir alors la liberté ? La quête de la liberté, signe des temps du monde contemporain, a sa racine première dans lÂÂhéritage du christianisme. " En réalité, le mystère de lÂÂhomme ne sÂÂéclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné " (Gaudium et spes 22). La vraie liberté ne se trouve quÂÂen Jésus-Christ. Il nous partage son Esprit de liberté des enfants de Dieu par sa Croix glorieuse : " CÂÂest pour la liberté que le Christ nous a libérés " (Ga 5 1). En Lui, nous communions à " la vérité qui nous rend libres " (Jn 8,32). LÂÂEsprit Saint nous a été donné et " là où est lÂÂEsprit, là est la liberté " (2Co 3,17). Dès maintenant, nous nous glorifions de la " liberté des enfants de Dieu " (Rm 8,21). Salut et vraie liberté nous sont communiqués par la grâce qui ne se pose nullement en concurrente de notre liberté, quand celle-ci correspond au sens de la vérité et du bien que Dieu a placé dans le cÂÂur de lÂÂhomme.
Dès lors, plus de conflit entre la liberté et la vérité. Le pouvoir de décider du bien et du mal nÂÂappartient pas à lÂÂhomme, mais à Dieu seul. LÂÂhomme est libre, du fait quÂÂil peut comprendre et recevoir les commandements de Dieu. Dans cette acceptation, la liberté humaine trouve sa réalisation plénière. LÂÂhomme possède en lui-même sa loi reçue du Créateur. LÂÂautonomie de la raison ne peut signifier la création des valeurs et des normes morales par la raison elle-même. La liberté de lÂÂhomme et la Loi de Dieu se rejoignent et sont appelées à sÂÂinterpénétrer. LÂÂobéissance à Dieu nÂÂest pas une hétéronomie, comme si la vie morale était soumise à la volonté dÂÂune toute-puissance extérieure à lÂÂhomme et contraire à lÂÂaffirmation de sa liberté, mais une théonomie participée par obéissance libre de la raison et de la volonté humaines à la sagesse de Dieu. " CÂÂest pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés " (Ga 5 1). Seule la liberté qui se soumet à la Vérité conduit la personne humaine à son vrai bien. La question de Pilate : " quÂÂest-ce que la vérité ? ", jaillit aujourdÂÂhui de la perplexité désolée dÂÂun homme qui ne sait plus qui il est, dÂÂoù il vient ni où il va.
Dès lors, le respect de lÂÂhomme demande à lÂÂÉglise une pédagogie respectueuse pour former une conscience qui conduit à des décisions selon la vérité : " Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait " (Rm 12 2). La condition de la liberté authentique est de reconnaître la vérité : " Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera " (Jn 8 32). Il en est ainsi de Jésus devant Pilate: " Je ne suis né et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité " (Jn 18 37). Jésus révèle, par sa vie même et non seulement par ses paroles, que la liberté sÂÂaccomplit dans lÂÂamour, cÂÂest-à-dire dans le don de soi. Jésus est la synthèse vivante et personnelle de la liberté parfaite dans lÂÂobéissance totale à la volonté de Dieu.
CÂÂest toujours librement que lÂÂhomme se tourne vers le bien. La vraie liberté est en lÂÂhomme un signe privilégié de lÂÂimage divine. La dignité de lÂÂhomme exige donc de lui quÂÂil agisse selon un choix conscient et libre. Ce nÂÂest toutefois que par le secours de la grâce divine que la liberté humaine, blessée par le péché, peut sÂÂordonner à Dieu dÂÂune manière intégrale. Nous voyons sÂÂouvrir devant nous la trilogie fondamentale, image trinitaire : liberté, vérité, amour. Soljénitsyne décrit en lettres de feu le caractère illusoire des libertés qui ne sont pas fondées sur la responsabilité : la liberté, qui se déploie dans la vérité, se rabougrit et sÂÂatrophie quand elle se réduit à la tolérance.
II. La tolérance. QuÂÂest-ce donc que la tolérance au double regard de la raison et de la foi ? Nos bibliothèques débordent de volumes sur les phases historiques de son apparition, son évolution conflictuelle et la plasticité même de son concept, dont témoignent les dictionnaires, à commencer par le classique Vocabulaire technique et critique de la philosophie de Lalande. Je le confesse : en préparant cet exposé, jÂÂai dû renoncer à en reprendre la substance, de la classique Histoire de la tolérance au siècle de la réforme de Joseph Leclerc (2 tomes, Paris, Aubier, 1955) à lÂÂEssai dÂÂanthologie publié par lÂÂUNESCO en 1975 et réédité en 1993. Je me permets de vous recommander lÂÂarticle clair et bref Tolérance religieuse que jÂÂavais demandé à Étienne Borne pour le Dictionnaire des Religions (3e édition, PUF, Paris 1993, p. 2030-2032).
Pour notre philosophe, la tolérance apparaît toujours comme une mise en question tardive, difficultueuse, parfois fugitive, des intolérances toujours recommencées. Voltaire, avec les Lumières, à la source de notre idée moderne de la tolérance, pensait que la rationalité philosophique viendrait à bout du monstre de lÂÂintolérance par une lutte assidue contre les religions établies. Mais, comme le montre lÂÂhistoire, un scepticisme moral et métaphysique crée un climat aussi favorable pour les procédures de lÂÂintolérance que le dogmatisme dÂÂune vérité exclusivement sociale et politique. Ni lÂÂesprit ni lÂÂaction ne sauraient se passer de vérité, et plus cette vérité est flexible et pragmatique, plus la liberté, elle aussi sans vérité, se trouve exposée aux vertiges suicidaires et plus seront grandes les chances de lÂÂintolérance.
Historiquement, cÂÂest lÂÂéclatement de la chrétienté médiévale qui a posé le problème alors tout nouveau du pluralisme religieux dans lÂÂÉtat et la chrétienté. De lÂÂédit de Nantes aux droits de lÂÂhomme, de la tolérance intolérante aux totalitarismes nazi et communiste, des guerres de religion aux épurations sanglantes et aux exclusions mortelles, sÂÂaffirme la prise de conscience en son temps prophétique, du prince de Transylvanie, Étienne Bathory, catholique fervent, dont le règne de 1576 à 1586 sera lÂÂun des plus glorieux de la Pologne : " Je suis roi des peuples et non des consciences ".
La tolérance ne saurait donc aller sans une séparation du politique et du religieux, et non se transformer en une usurpation et identification de lÂÂun à lÂÂautre. Amputée de sa dimension transcendante, la religion des philosophes dite naturelle ou déisme tolère tout, sauf la possibilité de la révélation.
On comprend dès lors que lÂÂÉglise se soit opposée à des conceptions incompatibles avec le message quÂÂelle a la mission de transmettre. Si longtemps elle a refusé de parler comme elle le fait aujourdÂÂhui de liberté de conscience et de tolérance, cÂÂest parce que ce droit semblait indissociable du contexte philosophique antichrétien dans lequel il était revendiqué.
De nos jours, la Déclaration des droits de lÂÂhomme de 1948 affirme la transcendance de la personne par rapport à lÂÂautorité politique. Cette conviction a entraîné lÂÂadhésion de lÂÂÉglise catholique, comme le rappelle Jean-Paul II en ce 50e anniversaire, dans son Message du 1er janvier 1999 pour la célébration de la Journée mondiale de la paix. Mais le consensus est de nouveau en crise, car les tentatives de légitimation juridique de lÂÂavortement et de lÂÂeuthanasie, ont abouti à mettre en cause la reconnaissance universelle de la transcendance absolue du sujet humain. La démocratie ne peut pas vivre sans une idée de lÂÂhomme qui lui sert de référence et de point dÂÂappui. LorsquÂÂelle fait défaut, la vie sociale tend en conséquence à reposer sur des compromis, non entre des opinions contingentes, mais entre des conceptions divergentes de la nature de lÂÂhomme : comme si les fondements mêmes de lÂÂanthropologie étaient matière à opinion. En cette crise dÂÂordre culturel, à défaut dÂÂunanimité, cÂÂest lÂÂopinion de la majorité qui lÂÂemporte et devient la mesure du bien et du vrai. Le Pape Jean-Paul II en prend acte et significativement remplace lÂÂexpression désormais gauchie des droits de lÂÂhomme par celle du respect des droits humains quÂÂil énumère : respect de la dignité humaine, patrimoine de lÂÂhumanité, universalité et indivisibilité des droits humains, le droit fondamental à la vie, à la liberté religieuse, cÂÂur des droits humains, le droit de participer, le droit dÂÂexister en tant que tels des groupes ethniques et des minorités nationales, le droit à lÂÂépanouissement dans la solidarité et la responsabilité vis à vis de lÂÂenvironnement, le droit à la paix fondé sur une culture des droits humains, qui est la responsabilité de tous. Et Jean-Paul II de conclure son Message en invitant à partager lÂÂamour de Dieu, Père pour tous les hommes. CÂÂest en lui que réside le secret du respect des droits de toute femme et de tout homme.
La tolérance est-elle une vertu ? A la question posée, Étienne Borne répond : " les effigies des vertus sont à bon droit inscrites au porche des cathédrales et aux chapiteaux des cloîtres. Car une vertu requiert une architecture et ne tient que par le religieux et métaphysique. Et il faut une haute idée de lÂÂhomme pour fonder ce respect fraternel dÂÂautrui dans sa différence qui, mieux quÂÂune médiocre et équivoque tolérance, méritera le beau nom de vertuÂÂ
La tolérance voltairienne nÂÂest cependant pas sans un concours de vertu. Qui touche à un fragment de la vérité est implicitement riche de toutes les vérités de ce monde et de lÂÂautre ".
JusquÂÂici portés par lÂÂaile de la raison, élevons-nous maintenant par lÂÂaile de la foi vers la contemplation de la vérité.
La tolérance de Dieu : Dieu a créé lÂÂhomme à son image et lÂÂa destiné à " être parfait comme son Père du ciel " (Mt 5 48). LÂÂattitude du Père présentée dans la Bible, qui est fondamentale pour notre anthropologie, nous montre un Dieu qui, en notre langage anthropomorphique, apparaît tolérant. Ainsi, le premier assassinat de lÂÂhistoire des hommes, celui dÂÂAbel par son frère Caïn, nous révèle-t-il un Dieu qui nÂÂexige pas mort du coupable, mais au contraire le protège par le fameux " signe de Caïn " (Gn 4 15). La loi de Moïse nÂÂest pas imposée à Israël, mais proposée comme un pacte dÂÂalliance à choisir en toute liberté. Nombreux sont les textes scripturaires qui expriment la patience bienveillante de Dieu qui fait paraître son soleil sur les bons et sur les méchants. Le bréviaire nous les a rendus familiers : " Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité " (Ex 34 6), " miséricordieux et compatissant, lent à la colère et plein de bonté " (Ps 144 8), " bon et vrai, lent à la colère et gouvernant lÂÂunivers avec miséricorde " (Sg 15 1), " miséricordieux et clément " (2Esdr 9 17). Les livres sapientiaux exigent de lÂÂhomme lÂÂimitation de Dieu (Pr 15 18, 16 32, 31 26), créateur de la liberté des hommes.
La tolérance de Jésus-Christ : Jésus était-il tolérant ? Les prophètes de lÂÂAncien Testament décrivent le Messie à venir comme un roi de justice qui " présentera aux nations le droit ", mais dÂÂune manière nouvelle : " Il ne crie pas, il nÂÂélève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue; il ne brise pas le roseau froissé, il nÂÂéteint pas la mèche qui faiblit ". Sa persévérance est admirable : " il ne faiblira ni ne cédera jusquÂÂà ce quÂÂil établisse le droit sur la terre " (Is 42 2ss). En réalité, Jésus-Christ a été bien plus loin que la tolérance de lÂÂivraie qui croît avec le bon grain. Il ne sÂÂest pas contenté de ne pas condamner, il a refusé de juger : " je ne suis pas venu pour juger le monde ". Il a condamné le mal et le péché, non les hommes pécheurs, lÂÂadultère, mais non la femme adultère, et il propose le pardon, le pardon total qui est la rémission du péché. Le Christ ne se présente pas comme celui qui détruit les méchants, mais au contraire comme " le Fils de lÂÂhomme qui est venu sauver ce qui était perdu " (Mt 18 11). Il nÂÂa pas simplement toléré le mal qui le frappait lui-même, il a accepté de boire la coupe jusquÂÂau bout : " Moi je nÂÂai pas résisté, je ne me suis pas dérobé. JÂÂai tendu le dos à ceux qui me frappaient et les joues à ceux qui mÂÂarrachaient la barbe; je nÂÂai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats " (Is 50 5-6). Il conseille à ses disciples et exige dÂÂeux la même attitude pendant sa Passion : " Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions dÂÂanges? Comment alors sÂÂaccompliraient les Écritures dÂÂaprès lesquelles il doit en être ainsi? " (Mt 26 53-54). Les seuls envers qui il sÂÂest montré très sévère, ce sont les orgueilleux, enfermés dans lÂÂassurance de leur propre justice et le mépris des autres. Jésus a recommandé à ses disciples une attitude de vraie tolérance envers les personnes : "Ne jugez point, et vous ne serez point jugés; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés; absolvez, et vous serez absous. On vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis " (Lc 6, 37-38). Outre la parabole de la paille et de la poutre, nÂÂoublions pas la vive apostrophe de saint Jacques : " Qui es-tu pour juger ton prochain ? " (Jc 4 2). Dans lÂÂÉvangile et tout le Nouveau Testament, notamment les lettres de saint Paul, lÂÂappel fondamental est, non seulement le respect de lÂÂautre, mais lÂÂamour du prochain.
Toutefois, Jésus-Christ ne supporte pas certains actes. Il ne tolère pas les erreurs morales et réprouve la dispute des disciples : " qui est le plus grand ? " (Mc 9 33), lÂÂastuce homicide dÂÂHérode (Lc 13 32) ou le comportement de Simon le Pharisien (Lc 7 44ss). Mais Jésus préfère dénoncer en privé un acte mauvais : " Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. SÂÂil tÂÂécoute, tu auras gagné ton frère " (Mt 18 15). En une seule occasion, Jésus semble faire preuve dÂÂintolérance violente : lorsquÂÂil chasse les vendeurs du temple. Ce geste fit une grande impression sur les disciples qui lÂÂinterprètent à la lumière de lÂÂÉcriture : " Le zèle pour ta maison me dévorera " (Jn 2 17, Ps 69 10). La zèle est un zèle jaloux, à lÂÂimage de Dieu Lui-même, " Dieu jaloux " (Dt 4 24, 5 9, 6 15 ; Ex 20 5, 34 14 ; Jos 24 19 ; Na 1 2). Ainsi, à lÂÂimitation de Dieu, lÂÂintolérance et la violence ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Enfin, si Jésus est bon pour le pécheur repenti, il précise toujours : " va et ne pèche plus " (Jn 8 11). En définitive, il est nécessaire de cultiver en nous lÂÂesprit même de Jésus : " Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant " (Lc 6 36), et en même temps son attitude de zèle pour le Père. La loi de la correction fraternelle explicite que la tolérance ne saurait être passivité ni indifférence.
A la lumière de lÂÂévangile et de son radicalisme : " que votre oui soit oui, que votre non soit non ", quÂÂen est-il de la tolérance de lÂÂÉglise de Jésus-Christ ? LÂÂÉglise primitive nous fournit lÂÂexemple de saint Pierre et saint Paul. Leur prédication est caractérisée par la volonté dÂÂéviter la polémique. Si les paroles de saint Paul la suscitent, ce ne fut pas de son initiative. La Parole quÂÂil annonçait pouvait être exaspérante pour certaines oreilles, mais avec toutes les ressources de sa culture judaïque et hellénique, il tente de montrer combien lÂÂÉvangile du Christ nÂÂest pas contraire à la raison, sans éviter pour autant le mépris des grecs.
Périodiquement, lÂÂÉglise, de lÂÂencyclopédie à la presse quotidienne, est accusée dÂÂintolérance. Courageusement, le Saint-Père a rouvert le dossier de lÂÂinquisition. Comme historien et sans mÂÂaventurer à prévenir les jugements jubilaires, je voudrais rappeler la boutade récente de lÂÂhistorien protestant Pierre Chaunu, dont le témoignage ne saurait être suspecté : " jÂÂaurais bien préféré comparaître devant les tribunaux de lÂÂinquisition que devant ceux du roi ". Dans ce domaine, combien sage me paraît lÂÂattitude pluridisciplinaire du Saint-Père ! Le Magistère ecclésial ne peut sÂÂappuyer sur les images du passé véhiculées par la culture médiatique dominante, souvent chargées dÂÂune émotivité passionnelle dénuée d'épaisseur historique. LÂÂintégration des différentes connaissances dans une unité harmonieuse qui respecte lÂÂidentité et lÂÂautonomie de chaque discipline constitue lÂÂune des acquisitions les plus précieuses de la pensée contemporaine (Jean-Paul II, Discours aux participants du Symposium international sur lÂÂInquisition, 31 octobre 1998).
Il me paraît important de ne pas perdre de vue un principe herméneutique que le Saint-Père rappelle opportunément en son exhortation apostolique Tertio millenio adveniente : " la considération des circonstances atténuantes ne dispense pas lÂÂÉglise du devoir de regretter profondément les faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage et lÂÂont empêchée de refléter pleinement lÂÂimage de son Seigneur crucifié, témoin insurpassable dÂÂamour patient et dÂÂhumble douceur " (Tertio millenio adveniente 35).
En définitive, les rapports sont-ils toujours conflictuels ? La foi serait-elle intolérante par nature ? Certains pensent quÂÂil y aurait une " prétention de supériorité " à considérer Jésus-Christ comme Sauveur et unique médiateur pour tous les hommes. Il sÂÂagit là dÂÂun problème de vérité. Le Concile, à cet égard, montre une tension entre " un genre humain de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples augmentent " (Nostra ætate 1) et lÂÂÉglise qui " ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les religions ", mais nÂÂen affirme pas moins sa conviction de foi : " le Christ est la voie, la vérité et la vie, dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu sÂÂest réconcilié toutes choses " (Nostra ætate 2). Tout dialogue du reste se nourrit du respect réciproque pour les convictions de ceux qui y participent et serait dénué dÂÂintérêt sans la persuasion dÂÂêtre dans la vérité. " Je crois quÂÂune doctrine puissante et jeune est par nature intolérante : une conviction qui commence par admettre la légitimité dÂÂune conviction adverse se condamne à nÂÂêtre pas agissante : elle est sans force, sans efficacité ", écrit Martin Du Gard (Jean Barois 2, Le semeur 3). Une véritable théologie des religions est indispensable à tout dialogue interreligieux, qui, pour le chrétien, précède et accompagne, mais ne saurait se substituer au témoignage de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ.
Faut-il enfin accuser les religions dÂÂintolérance ? Répondre à cette question avec objectivité dépasserait - et de loin ! - le cadre dÂÂun symposium ou dÂÂune encyclopédie. Aussi voudrais-je me limiter à une simple remarque. Sans oublier le lourd passif de violences et de guerres qui dénaturent aussi bien lÂÂesprit de lÂÂÉvangile que celui du Coran, je relève que dans la plupart des conflits qualifiés de religieux, ce sont les facteurs politiques, économiques, culturels et idéologiques qui sont les causes prédominantes de la tension et de la violence, plutôt que des antagonismes religieux. Le fondamentalisme lui-même nÂÂest pas un phénomène religieux, mais un mouvement de protestation séculier qui emprunte une forme religieuse. Protestation contre la pauvreté, la répression et la corruption, il ne se reconnaît pas dans le modèle dÂÂintégration proposé et valorise à lÂÂexcès ses différences, se repliant sur une communauté soudée par son adhésion à une religion conçue comme rigoriste.
Le Saint-Père le rappelle avec force dans sa dernière encyclique : croire en la possibilité de connaître une vérité universellement valable nÂÂest pas du tout une source dÂÂintolérance, mais la condition nécessaire pour un dialogue sincère et authentique entre les personnes, pour surmonter les divisions et parcourir ensemble le chemin qui mène à la vérité tout entière.
III. De la tolérance au respect mutuel pour un humanisme plénier. Chacun sait la boutade de Courteline : " SÂÂil fallait tolérer aux autres tout ce quÂÂon se permet à soi-même, la vie ne serait plus tenable ". Disons plus sérieusement aussi que, chacun le sait : il y a des actes et des situations intolérables. Le fameux principe négatif du moindre mal ne saurait se transformer en permission positive de faire le mal : sÂÂil est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin dÂÂéviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il nÂÂest pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin quÂÂil en résulte un bien (Rom 3 8). Le mal est toujours un mal.
CÂÂest bien clair : la tolérance a des limites en dehors desquelles elle devient intolérable au regard des honnêtes gens, comme en témoigne le droit / devoir dÂÂingérence. Le Concile Vatican II déclare intolérables un certains nombre dÂÂactes infâmes intrinsèquement mauvais : " tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré; tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable: toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur " (Gaudium et spes 27).
Enraciner le spécifique et inestimable apport de lÂÂÉvangile dans les cÂÂurs et la société, vers un humanisme chrétien authentique et plénier, est lÂÂhorizon des travaux du Conseil pontifical de la Culture pour préparer utilement le Jubilé désormais tout proche. CÂÂest aussi le titre de cette conférence : " De la tolérance au respect mutuel : pour un nouvel humanisme plénier ". " LÂÂesprit du bien est mystérieusement à lÂÂÂÂuvre en tant de nos contemporains, même en certains de ceux qui ne se réclament dÂÂaucune religion, mais qui cherchent à accomplir honnêtement et avec courage leur vocation humaine " (Jean-Paul II, Discours au Conseil pontifical de la Culture, 18 janvier 1983, 11). Le programme est celui dÂÂune " nouvelle culture de la vie ", " fruit de la culture de la vérité et de lÂÂamour ", pour édifier une " authentique civilisation de la vérité et de lÂÂamour ". Les deux expressions civilisation et culture se font référence : lÂÂune manifeste lÂÂaspect rationnel et moral, lÂÂautre lÂÂaspect social et politique du même développement humain. La vérité et lÂÂamour sont à la fois la cause et la conséquence dÂÂune authentique civilisation - culture.
Ce tournant culturel crée un nouveau style de vie fondé sur la primauté de lÂÂêtre sur lÂÂavoir et de la personne sur les choses. La fin poursuivie est avant tout lÂÂamour. LÂÂexpression civilisation de lÂÂamour, qui se trouve pour la première fois dans la bouche de Paul VI pour la Pentecôte 1970, devint un mot dÂÂordre mobilisateur couronnant lÂÂAnnée Sainte 1975. " Une seule idée au fond est vraie et bonne, cÂÂest celle de lÂÂamour universel " (Paul VI, Message pour la Journée de la Paix 1970). Encore faut-il bien comprendre le sens du mot, car, comme le souligne Jean-Paul II qui reprend souvent lÂÂexpression (326 documents de Jean-Paul II emploient lÂÂexpression à la date du 31 décembre 1995) : " si cÂÂest la charité qui sauve, il faut aussi sauver la charité, cÂÂest-à-dire la réhabiliter, voir ce quÂÂelle implique au plan spirituel, la relier au grand Dessein dÂÂAmour de Dieu, à la Vie Trinitaire " (Discours à lÂÂAssemblée Plénière du Conseil pontifical Cor unum, 22 novembre 1982, 4). Vérité et amour vont de pair : lÂÂhomme ne peut vivre avec une vérité " froide ". Vérité et amour ne peuvent être séparés et cÂÂest en ce sens que le titre de mon intervention porte le respect mutuel pour un nouvel humanisme. Le Concile Vatican II nous en avertit : " lÂÂavenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et dÂÂespérer " (Gaudium et spes 31). LÂÂespérance est la foi en lÂÂamour.
Je conclus. Félicité de Lamennais (1782-1854) écrit dans son Essai sur lÂÂindifférence de 1817 : " Le siècle le plus malade nÂÂest pas celui qui se passionne pour lÂÂerreur, mais le siècle qui néglige, qui dédaigne la vérité " (F. de Lamennais, Essai sur lÂÂindifférence, Paris 18171, 3). Le problème central, crucial au sens étymologique, est bien celui de la vérité.
Le concile Vatican II (Dignitatis humanae 1) a énoncé une règle dÂÂaction dont nous nÂÂavons sans doute pas encore mesuré toute la portée : " à côté du double devoir pour tous les hommes de chercher la vérité et une fois connue de lÂÂembrasser et de lui être fidèles, le Concile déclare que la vérité ne sÂÂimpose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre lÂÂesprit avec autant de douceur que de puissance ", riposte efficace aux tentations de se servir idéologiquement de la vérité, enjeu décisif pour le destin de la culture et de la civilisation chrétienne au seuil du troisième millénaire.
Mais que serait la vérité sans lÂÂamour ? Seul lÂÂamour sauve le monde et " au soir de la vie, nous serons jugés sur lÂÂamour ", a écrit saint Jean de la Croix (Maximes 80) et Saint François de Sales, en un raccourci saisissant : " une vérité qui nÂÂest pas charitable est une charité qui nÂÂest pas véritable ". Le respect mutuel dû aux personnes sÂÂenracine dans lÂÂamour et implique la diaconie de la vérité. Cette diaconie de la vérité fait participer la communauté des croyants à l'effort commun que l'humanité accomplit pour atteindre la vérité et elle l'oblige à prendre en charge l'annonce des certitudes révélées, tout en sachant que toute vérité atteinte n'est jamais qu'une étape vers la pleine vérité qui se manifestera dans la révélation ultime de Dieu. La vérité existe. LÂÂhomme la cherche par sa raison. Il est capable avec la grâce de lÂÂatteindre par la foi au Christ, chemin, vérité et vie. Elle nÂÂest plus un concept abstrait à rechercher mais une personne à aimer. De la tolérance au respect mutuel, lÂÂhomme mû par lÂÂamour de la vérité trouve son humanisme plénier dans la vérité de " lÂÂamour qui meut le ciel, la terre et les étoiles " (Dante).
Je voudrais terminer par une prière, vieille de plus de deux siècles, mais qui nÂÂa pas vieilli :
" Ce nÂÂest plus aux hommes que je mÂÂadresse,
cÂÂest à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps.
SÂÂil est permis à de faibles créatures dÂÂoser te demander quelque chose,
à toi qui as tout donné,
daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ;
fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau dÂÂune vie pénible et passagère ;
que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes
ne soient pas des signaux de haine et de persécution.
Si les fléaux de la guerre sont inévitables,
ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres,
et employons l'instant de notre existence
à bénir également en mille langages divers ta bonté qui nous a donné cet instant. Amen."
Cette prière de Voltaire (Traité de la tolérance, 1763, cité dans La Tolérance, UNESCO 1975, n°198) est clin dÂÂÂÂil de lÂÂhistoire: elle est un appel à tous les hommes de bonne volonté à passer, avec lÂÂaide de Dieu, de la tolérance au respect mutuel pour un nouvel humanisme plénier.
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