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DE LA TOLÉRANCE AU RESPECT MUTUEL :
POUR UN NOUVEL HUMANISME PLÉNIER

Conférence au Centre Saint-Louis de France,
Rome, jeudi 17 décembre 1998.

Cardinal Paul POUPARD

Le titre de mon intervention, " De la tolérance au respect mutuel : pour un humanisme plénier ", introduit un déplacement significatif de la chronologie à lÂ’éthique. Je voudrais lÂ’honorer en partant de lÂ’anthropologie et, après avoir parcouru brièvement lÂ’histoire, conjoindre la foi et la raison, fides et ratio, pour un nouvel humanisme plénier au seuil du nouveau millénaire, qui soit empreint de vérité et dÂ’amour.

Pour éclairer mon propos, je partirai de la remarque pertinente du regretté philosophe, maître et ami, Étienne Borne : " le terme de tolérance, pris en son sens propre, est inadéquat à la grande idée quÂ’on prétend lui faire exprimer. En effet, tolérer une différence dÂ’être et de la pensée, cÂ’est la tenir en quelque sorte à distance avec une note de condescendance et dÂ’indulgence. Le respect dÂ’autrui et de sa liberté demande plus et autre chose " (" La tolérance est-elle une vertu ? ", La Croix 12 décembre 1980).

Pour ce qui concerne les chrétiens, dans le cadre de la préparation à célébrer authentiquement le Grand Jubilé de lÂ’an 2000, le Saint-Père nous invite à réfléchir à un chapitre douloureux sur lequel les fils de lÂ’Église ne peuvent pas ne pas revenir en esprit de repentir: le consentement donné, surtout en certains siècles, à des méthodes dÂ’intolérance - consensio data rationibus intolerantiae - et même de violence dans le service de la vérité.

Les chrétiens écoutent " la sagesse qui vient de Dieu et qui est tolérance ", nous dit saint Jacques (Jc 3 17), repris dans la Liturgie des Heures aux deuxièmes vêpres des Docteurs de lÂ’Église. QuÂ’en est-il dans la pratique quotidienne, alors que pour Voltaire " les chrétiens sont les plus intolérants des hommes " ? " Si vous voulez ressembler à Jésus-Christ, soyez martyrs, et non pas bourreaux " (Traité sur la tolérance 14) ? Et de conclure : " Si vous voulez quÂ’on tolère ici votre doctrine, commencez par nÂ’être ni intolérants, ni intolérables " (Traité sur la tolérance 19).

Quant à la doctrine, la récente encyclique Fides et ratio réaffirme à la fois la valeur de la raison et de la foi au Christ qui seul révèle lÂ’homme à lÂ’homme. Ni la foi sans la raison, ni la raison sans la foi : la foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à lÂ’esprit humain de sÂ’élever vers la contemplation de la vérité. LÂ’Église a conscience dÂ’être dépositaire dÂ’un message qui a son origine en Dieu même (cf. 2Co 4,1-2). Dans le Mystère pascal, elle a reçu le don de la vérité ultime sur lÂ’homme. Elle ne se lasse pas dÂ’annoncer que Jésus Christ est " le Chemin, la Vérité et la Vie " (Jn 14,6). CÂ’est pour elle un service authentique rendu à lÂ’humanité : la diaconie de la vérité. DÂ’où la question du philosophe Étienne Borne : " sÂ’il y a une tolérance suspecte, pourquoi nÂ’y aurait-il pas une intolérance valable ? Une religion qui annonce la vérité et prêche le bien peut-elle composer avec lÂ’erreur et tolérer le mal ? Bossuet ne craignait pas dÂ’avancer que la tolérance est un poison qui introduit dans les sociétés la confusion de Babel et lÂ’indifférence des religions ".

Sans conteste, notre culture est marquée par un subjectivisme épistémologique. Dans le domaine philosophique, la postérité de Kant en sa modernité ne connaît plus les choses en soi mais comme elles sont pour moi. Le relativisme entraîné par le doute systématique et le soupçon généralisé sÂ’exprime dans le principe de la vérificabilité de Karl Popper . Par principe, toute hypothèse peut sÂ’avérer inexacte : dès lors le concept de tolérance ne repose plus sur le respect de la personne, mais sur la conviction que tout se vaut puisque rien nÂ’est plus vérité absolue. Dans ce contexte culturel, il était inévitable que le débat capital du Concile Vatican II sur la liberté religieuse soit entaché de passions antagonistes entre lÂ’indifférentisme et le dogmatisme. La déclaration conciliaire Dignitatis humanæ affirme à la fois le devoir de rechercher la vérité, de lÂ’embrasser et de lui être fidèles, et le droit à la liberté religieuse, à savoir : nul ne peut être contraint de croire, ni empêché de croire. A trente ans de distance, le vÂœu si clairement exprimé du Concile est encore loin dÂ’avoir été entendu et compris. Appelé à surmonter lÂ’antinomie ruineuse entre la liberté et la vérité, le chrétien entend conjoindre lÂ’une et lÂ’autre, tant il est vrai que, selon la promesse de Jésus, " la liberté vous rendra libres " (Jn 8 32). Alors la tolérance ne suffit plus, elle postule le respect des personnes. Ce respect implique la diaconie de la vérité.


I. Disons-le dÂ’emblée
 : les principes anthropologiques fondamentaux sont ceux de la vérité et de la liberté indissolublement unis en un lien réciproque intrinsèque. Quelle est à cet égard la situation de la culture moderne ? Les diagnostics abondent : sécularisme, indifférence, crise de la vie et de la morale, pseudo-démocratie, éclipse du sens de Dieu et du sens de lÂ’homme. CÂ’était le thème du Congrès international organisé pour le 30e anniversaire de la promulgation de la Déclaration conciliaire Dignitatis humanæ, du 5 au 7 décembre 1995, par le Conseil pontifical de la Culture et lÂ’Athénée pontifical Regina apostolorum, et dont les Actes viennent dÂ’être publiés par The Becket Fund for Religions Liberty à la Librairie éditrice Vaticane.

Pour le dire dÂ’un mot, si le Concile Vatican II (cf. Lumen gentium 36) reconnaît les valeurs de la dimension séculière, il en relève en même temps les limites. Innombrables sont les études qui soulignent la dérive historique de la sécularisation au sécularisme et le passage de lÂ’indifférence à lÂ’indifférentisme qui, non seulement ne se décide pour aucune forme religieuse, mais attribue à toutes la même valeur. Or, comme lÂ’a bien vu Romano Guardini dès 1950 dans son livre classique La fin des temps modernes : " sans élément religieux, la vie devient comme un moteur qui nÂ’a plus dÂ’huile: il chauffe. A tout instant, telle ou telle pièce brûleÂ… Le centre et les attaches se rompent. LÂ’existence se désorganise " (Seuil, Paris 1953, p. 111). Il ne saurait y avoir dÂ’indifférence absolue : lÂ’indifférence à certaines valeurs porte à reconnaître dÂ’autres valeurs. Les valeurs religieuses et transcendantes sont remplacées par des valeurs terrestres et immanentes. Pascal déjà  le soulignait: " sÂ’il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril dÂ’une éternité de misère, cela nÂ’est point naturel. Ils sont tout autres à lÂ’égard de toutes autres choses... CÂ’est une chose monstrueuse de voir dans un même cÂœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes ". Propos prémonitoire ? LÂ’indifférence religieuse recèle un aspect psychologique contradictoire (C.G. Jung, Psychologische Typen, Zürich 1950, 260) : qui dit " religieux " dit " très significatif et intéressant singulièrement tout lÂ’homme ". La justification rationnelle est remplacée par une indifférence apathique, une " crampe de la foi " comme lÂ’appelle Jung (C.G. Jung, Untersuchungen zur Symbolgeschichte, Zürich 1951, 241), nous pourrions dire une " tolérance molle ", aux antipodes de la foi chrétienne. Guardini lÂ’a bien perçu : " Depuis le début des temps modernes, une culture non chrétienne sÂ’élabore " (ibid.).

La culture moderne anthropocentrique qui pose lÂ’homme comme mesure de toute chose transforme le défi du sécularisme en défi anthropologique. LÂ’éclipse du sens de Dieu obscurcit lÂ’homme et son éthique. CÂ’est la question incontournable du vieux capitaine des Démons de Dostoievsky : " Si Dieu nÂ’existe pas, que signifie mon grade de capitaine ? " (Dostoievsky, Les démons, Paris 1955, 239). Une nouvelle conception de la démocratie et de la liberté intervient au premier plan en cette crise morale. Par la mystification des mots, on ne parle plus de la vérité mais des vérités (Cf. mon ouvrage Cercare la verità nella cultura contemporanea, Roma 1994, 15-16).

La toute récente session des Semaines Sociales de France du 20 au 22 novembre lÂ’a cruellement souligné par la voix de son président, Jean Boissonnat : " Jamais la démocratie nÂ’a été aussi répandue. Nulle part elle nÂ’est contestée. Partout elle est anémiée. Lorsque la politique se veut religion, elle déconsidère à la fois la religion et la politique. Les peuples ont la gueule de bois, après une ivresse qui sÂ’est achevée dans une bacchanale tragique ". CÂ’est que la société de tolérance tolère tout, sauf lÂ’absolu de la vérité, et quÂ’à force de relativiser lÂ’absolu, lÂ’homme est ainsi fait quÂ’il finit par absolutiser le relatif et sacraliser la dictature de lÂ’arbitraire. Bien loin, comme il le croit, dÂ’avoir conquis la liberté, " lÂ’homme moderne fuit la liberté pour se comporter avec conformisme " (Jean-Paul II, " Discours au IXe symposium de la CCEE "). La vraie liberté est liberté pour la vérité, le bien et lÂ’amour.

Désancrée de la vérité, la liberté nÂ’accomplit plus lÂ’homme car elle est pure " liberté de ", sans finalité, et non plus " liberté pour ", cÂ’est-à-dire liberté de lÂ’accomplissement de soi. Tel est lÂ’enjeu du thème de la tolérance : que devient lÂ’homme sans lÂ’ouverture à lÂ’Absolu ? CÂ’est le drame de lÂ’humanisme athée : " il nÂ’est pas vrai que lÂ’homme ne puisse organiser la terre sans Dieu. Ce qui est vrai cÂ’est que, sans Dieu, il ne peut en fin de compte que lÂ’organiser contre lÂ’homme. LÂ’humanisme exclusif est un humanisme inhumain " (H. de Lubac, cité dans Populorum progressio n°42).

Comment concevoir alors la liberté ? La quête de la liberté, signe des temps du monde contemporain, a sa racine première dans lÂ’héritage du christianisme. " En réalité, le mystère de lÂ’homme ne sÂ’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné " (Gaudium et spes 22). La vraie liberté ne se trouve quÂ’en Jésus-Christ. Il nous partage son Esprit de liberté des enfants de Dieu par sa Croix glorieuse : " CÂ’est pour la liberté que le Christ nous a libérés " (Ga 5 1). En Lui, nous communions à " la vérité qui nous rend libres " (Jn 8,32). LÂ’Esprit Saint nous a été donné et " là où est lÂ’Esprit, là est la liberté " (2Co 3,17). Dès maintenant, nous nous glorifions de la " liberté des enfants de Dieu " (Rm 8,21). Salut et vraie liberté nous sont communiqués par la grâce qui ne se pose nullement en concurrente de notre liberté, quand celle-ci correspond au sens de la vérité et du bien que Dieu a placé dans le cÂœur de lÂ’homme.

Dès lors, plus de conflit entre la liberté et la vérité. Le pouvoir de décider du bien et du mal nÂ’appartient pas à lÂ’homme, mais à Dieu seul. LÂ’homme est libre, du fait quÂ’il peut comprendre et recevoir les commandements de Dieu. Dans cette acceptation, la liberté humaine trouve sa réalisation plénière. LÂ’homme possède en lui-même sa loi reçue du Créateur. LÂ’autonomie de la raison ne peut signifier la création des valeurs et des normes morales par la raison elle-même. La liberté de lÂ’homme et la Loi de Dieu se rejoignent et sont appelées à sÂ’interpénétrer. LÂ’obéissance à Dieu nÂ’est pas une hétéronomie, comme si la vie morale était soumise à la volonté dÂ’une toute-puissance extérieure à lÂ’homme et contraire à lÂ’affirmation de sa liberté, mais une théonomie participée par obéissance libre de la raison et de la volonté humaines à la sagesse de Dieu. " CÂ’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés " (Ga 5 1). Seule la liberté qui se soumet à la Vérité conduit la personne humaine à son vrai bien. La question de Pilate : " quÂ’est-ce que la vérité ? ", jaillit aujourdÂ’hui de la perplexité désolée dÂ’un homme qui ne sait plus qui il est, dÂ’où il vient ni où il va.

Dès lors, le respect de lÂ’homme demande à lÂ’Église une pédagogie respectueuse pour former une conscience qui conduit à des décisions selon la vérité : " Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait " (Rm 12 2). La condition de la liberté authentique est de reconnaître la vérité : " Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera " (Jn 8 32). Il en est ainsi de Jésus devant Pilate: " Je ne suis né et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité " (Jn 18 37). Jésus révèle, par sa vie même et non seulement par ses paroles, que la liberté sÂ’accomplit dans lÂ’amour, cÂ’est-à-dire dans le don de soi. Jésus est la synthèse vivante et personnelle de la liberté parfaite dans lÂ’obéissance totale à la volonté de Dieu.

CÂ’est toujours librement que lÂ’homme se tourne vers le bien. La vraie liberté est en lÂ’homme un signe privilégié de lÂ’image divine. La dignité de lÂ’homme exige donc de lui quÂ’il agisse selon un choix conscient et libre. Ce nÂ’est toutefois que par le secours de la grâce divine que la liberté humaine, blessée par le péché, peut sÂ’ordonner à Dieu dÂ’une manière intégrale. Nous voyons sÂ’ouvrir devant nous la trilogie fondamentale, image trinitaire : liberté, vérité, amour. Soljénitsyne décrit en lettres de feu le caractère illusoire des libertés qui ne sont pas fondées sur la responsabilité : la liberté, qui se déploie dans la vérité, se rabougrit et sÂ’atrophie quand elle se réduit à la tolérance.


II. La tolérance.
QuÂ’est-ce donc que la tolérance au double regard de la raison et de la foi ? Nos bibliothèques débordent de volumes sur les phases historiques de son apparition, son évolution conflictuelle et la plasticité même de son concept, dont témoignent les dictionnaires, à commencer par le classique Vocabulaire technique et critique de la philosophie de Lalande. Je le confesse : en préparant cet exposé, jÂ’ai dû renoncer à en reprendre la substance, de la classique Histoire de la tolérance au siècle de la réforme de Joseph Leclerc (2 tomes, Paris, Aubier, 1955) à lÂ’Essai dÂ’anthologie publié par lÂ’UNESCO en 1975 et réédité en 1993. Je me permets de vous recommander lÂ’article clair et bref Tolérance religieuse que jÂ’avais demandé à Étienne Borne pour le Dictionnaire des Religions (3e édition, PUF, Paris 1993, p. 2030-2032).

Pour notre philosophe, la tolérance apparaît toujours comme une mise en question tardive, difficultueuse, parfois fugitive, des intolérances toujours recommencées. Voltaire, avec les Lumières, à la source de notre idée moderne de la tolérance, pensait que la rationalité philosophique viendrait à bout du monstre de lÂ’intolérance par une lutte assidue contre les religions établies. Mais, comme le montre lÂ’histoire, un scepticisme moral et métaphysique crée un climat aussi favorable pour les procédures de lÂ’intolérance que le dogmatisme dÂ’une vérité exclusivement sociale et politique. Ni lÂ’esprit ni lÂ’action ne sauraient se passer de vérité, et plus cette vérité est flexible et pragmatique, plus la liberté, elle aussi sans vérité, se trouve exposée aux vertiges suicidaires et plus seront grandes les chances de lÂ’intolérance.

Historiquement, cÂ’est lÂ’éclatement de la chrétienté médiévale qui a posé le problème alors tout nouveau du pluralisme religieux dans lÂ’État et la chrétienté. De lÂ’édit de Nantes aux droits de lÂ’homme, de la tolérance intolérante aux totalitarismes nazi et communiste, des guerres de religion aux épurations sanglantes et aux exclusions mortelles, sÂ’affirme la prise de conscience en son temps prophétique, du prince de Transylvanie, Étienne Bathory, catholique fervent, dont le règne de 1576 à 1586 sera lÂ’un des plus glorieux de la Pologne : " Je suis roi des peuples et non des consciences ".

La tolérance ne saurait donc aller sans une séparation du politique et du religieux, et non se transformer en une usurpation et identification de lÂ’un à lÂ’autre. Amputée de sa dimension transcendante, la religion des philosophes dite naturelle ou déisme tolère tout, sauf la possibilité de la révélation.

On comprend dès lors que lÂ’Église se soit opposée à des conceptions incompatibles avec le message quÂ’elle a la mission de transmettre. Si longtemps elle a refusé de parler comme elle le fait aujourdÂ’hui de liberté de conscience et de tolérance, cÂ’est parce que ce droit semblait indissociable du contexte philosophique antichrétien dans lequel il était revendiqué.

De nos jours, la Déclaration des droits de lÂ’homme de 1948 affirme la transcendance de la personne par rapport à lÂ’autorité politique. Cette conviction a entraîné lÂ’adhésion de lÂ’Église catholique, comme le rappelle Jean-Paul II en ce 50e anniversaire, dans son Message du 1er janvier 1999 pour la célébration de la Journée mondiale de la paix. Mais le consensus est de nouveau en crise, car les tentatives de légitimation juridique de lÂ’avortement et de lÂ’euthanasie, ont abouti à mettre en cause la reconnaissance universelle de la transcendance absolue du sujet humain. La démocratie ne peut pas vivre sans une idée de lÂ’homme qui lui sert de référence et de point dÂ’appui. LorsquÂ’elle fait défaut, la vie sociale tend en conséquence à reposer sur des compromis, non entre des opinions contingentes, mais entre des conceptions divergentes de la nature de lÂ’homme : comme si les fondements mêmes de lÂ’anthropologie étaient matière à opinion. En cette crise dÂ’ordre culturel, à défaut dÂ’unanimité, cÂ’est lÂ’opinion de la majorité qui lÂ’emporte et devient la mesure du bien et du vrai. Le Pape Jean-Paul II en prend acte et significativement remplace lÂ’expression désormais gauchie des droits de lÂ’homme par celle du respect des droits humains quÂ’il énumère : respect de la dignité humaine, patrimoine de lÂ’humanité, universalité et indivisibilité des droits humains, le droit fondamental à la vie, à la liberté religieuse, cÂœur des droits humains, le droit de participer, le droit dÂ’exister en tant que tels des groupes ethniques et des minorités nationales, le droit à lÂ’épanouissement dans la solidarité et la responsabilité vis à vis de lÂ’environnement, le droit à la paix fondé sur une culture des droits humains, qui est la responsabilité de tous. Et Jean-Paul II de conclure son Message en invitant à partager lÂ’amour de Dieu, Père pour tous les hommes. CÂ’est en lui que réside le secret du respect des droits de toute femme et de tout homme.

La tolérance est-elle une vertu ? A la question posée, Étienne Borne répond : " les effigies des vertus sont à bon droit inscrites au porche des cathédrales et aux chapiteaux des cloîtres. Car une vertu requiert une architecture et ne tient que par le religieux et métaphysique. Et il faut une haute idée de lÂ’homme pour fonder ce respect fraternel dÂ’autrui dans sa différence qui, mieux quÂ’une médiocre et équivoque tolérance, méritera le beau nom de vertuÂ… La tolérance voltairienne nÂ’est cependant pas sans un concours de vertu. Qui touche à un fragment de la vérité est implicitement riche de toutes les vérités de ce monde et de lÂ’autre ".

JusquÂ’ici portés par lÂ’aile de la raison, élevons-nous maintenant par lÂ’aile de la foi vers la contemplation de la vérité.

La tolérance de Dieu : Dieu a créé lÂ’homme à son image et lÂ’a destiné à " être parfait comme son Père du ciel " (Mt 5 48). LÂ’attitude du Père présentée dans la Bible, qui est fondamentale pour notre anthropologie, nous montre un Dieu qui, en notre langage anthropomorphique, apparaît tolérant. Ainsi, le premier assassinat de lÂ’histoire des hommes, celui dÂ’Abel par son frère Caïn, nous révèle-t-il un Dieu qui nÂ’exige pas mort du coupable, mais au contraire le protège par le fameux " signe de Caïn " (Gn 4 15). La loi de Moïse nÂ’est pas imposée à Israël, mais proposée comme un pacte dÂ’alliance à choisir en toute liberté. Nombreux sont les textes scripturaires qui expriment la patience bienveillante de Dieu qui fait paraître son soleil sur les bons et sur les méchants. Le bréviaire nous les a rendus familiers : " Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité " (Ex 34 6), " miséricordieux et compatissant, lent à la colère et plein de bonté " (Ps 144 8), " bon et vrai, lent à la colère et gouvernant lÂ’univers avec miséricorde " (Sg 15 1), " miséricordieux et clément " (2Esdr 9 17). Les livres sapientiaux exigent de lÂ’homme lÂ’imitation de Dieu (Pr 15 18, 16 32, 31 26), créateur de la liberté des hommes.

La tolérance de Jésus-Christ : Jésus était-il tolérant ? Les prophètes de lÂ’Ancien Testament décrivent le Messie à venir comme un roi de justice qui " présentera aux nations le droit ", mais dÂ’une manière nouvelle : " Il ne crie pas, il nÂ’élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue; il ne brise pas le roseau froissé, il nÂ’éteint pas la mèche qui faiblit ". Sa persévérance est admirable : " il ne faiblira ni ne cédera jusquÂ’à ce quÂ’il établisse le droit sur la terre " (Is 42 2ss). En réalité, Jésus-Christ a été bien plus loin que la tolérance de lÂ’ivraie qui croît avec le bon grain. Il ne sÂ’est pas contenté de ne pas condamner, il a refusé de juger : " je ne suis pas venu pour juger le monde ". Il a condamné le mal et le péché, non les hommes pécheurs, lÂ’adultère, mais non la femme adultère, et il propose le pardon, le pardon total qui est la rémission du péché. Le Christ ne se présente pas comme celui qui détruit les méchants, mais au contraire comme " le Fils de lÂ’homme qui est venu sauver ce qui était perdu " (Mt 18 11). Il nÂ’a pas simplement toléré le mal qui le frappait lui-même, il a accepté de boire la coupe jusquÂ’au bout : " Moi je nÂ’ai pas résisté, je ne me suis pas dérobé. JÂ’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient et les joues à ceux qui mÂ’arrachaient la barbe; je nÂ’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats " (Is 50 5-6). Il conseille à ses disciples et exige dÂ’eux la même attitude pendant sa Passion : " Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions dÂ’anges? Comment alors sÂ’accompliraient les Écritures dÂ’après lesquelles il doit en être ainsi? " (Mt 26 53-54). Les seuls envers qui il sÂ’est montré très sévère, ce sont les orgueilleux, enfermés dans lÂ’assurance de leur propre justice et le mépris des autres. Jésus a recommandé à ses disciples une attitude de vraie tolérance envers les personnes : "Ne jugez point, et vous ne serez point jugés; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés; absolvez, et vous serez absous. On vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis " (Lc 6, 37-38). Outre la parabole de la paille et de la poutre, nÂ’oublions pas la vive apostrophe de saint Jacques : " Qui es-tu pour juger ton prochain ? " (Jc 4 2). Dans lÂ’Évangile et tout le Nouveau Testament, notamment les lettres de saint Paul, lÂ’appel fondamental est, non seulement le respect de lÂ’autre, mais lÂ’amour du prochain.

Toutefois, Jésus-Christ ne supporte pas certains actes. Il ne tolère pas les erreurs morales et réprouve la dispute des disciples : " qui est le plus grand ? " (Mc 9 33), lÂ’astuce homicide dÂ’Hérode (Lc 13 32) ou le comportement de Simon le Pharisien (Lc 7 44ss). Mais Jésus préfère dénoncer en privé un acte mauvais : " Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. SÂ’il tÂ’écoute, tu auras gagné ton frère " (Mt 18 15). En une seule occasion, Jésus semble faire preuve dÂ’intolérance violente : lorsquÂ’il chasse les vendeurs du temple. Ce geste fit une grande impression sur les disciples qui lÂ’interprètent à la lumière de lÂ’Écriture : " Le zèle pour ta maison me dévorera " (Jn 2 17, Ps 69 10). La zèle est un zèle jaloux, à lÂ’image de Dieu Lui-même, " Dieu jaloux " (Dt 4 24, 5 9, 6 15 ; Ex 20 5, 34 14 ; Jos 24 19 ; Na 1 2). Ainsi, à lÂ’imitation de Dieu, lÂ’intolérance et la violence ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Enfin, si Jésus est bon pour le pécheur repenti, il précise toujours : " va et ne pèche plus " (Jn 8 11). En définitive, il est nécessaire de cultiver en nous lÂ’esprit même de Jésus : " Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant " (Lc 6 36), et en même temps son attitude de zèle pour le Père. La loi de la correction fraternelle explicite que la tolérance ne saurait être passivité ni indifférence.

A la lumière de lÂ’évangile et de son radicalisme : " que votre oui soit oui, que votre non soit non ", quÂ’en est-il de la tolérance de lÂ’Église de Jésus-Christ ? LÂ’Église primitive nous fournit lÂ’exemple de saint Pierre et saint Paul. Leur prédication est caractérisée par la volonté dÂ’éviter la polémique. Si les paroles de saint Paul la suscitent, ce ne fut pas de son initiative. La Parole quÂ’il annonçait pouvait être exaspérante pour certaines oreilles, mais avec toutes les ressources de sa culture judaïque et hellénique, il tente de montrer combien lÂ’Évangile du Christ nÂ’est pas contraire à la raison, sans éviter pour autant le mépris des grecs.

Périodiquement, lÂ’Église, de lÂ’encyclopédie à la presse quotidienne, est accusée dÂ’intolérance. Courageusement, le Saint-Père a rouvert le dossier de lÂ’inquisition. Comme historien et sans mÂ’aventurer à prévenir les jugements jubilaires, je voudrais rappeler la boutade récente de lÂ’historien protestant Pierre Chaunu, dont le témoignage ne saurait être suspecté : " jÂ’aurais bien préféré comparaître devant les tribunaux de lÂ’inquisition que devant ceux du roi ". Dans ce domaine, combien sage me paraît lÂ’attitude pluridisciplinaire du Saint-Père ! Le Magistère ecclésial ne peut sÂ’appuyer sur les images du passé véhiculées par la culture médiatique dominante, souvent chargées dÂ’une émotivité passionnelle dénuée d'épaisseur historique. LÂ’intégration des différentes connaissances dans une unité harmonieuse qui respecte lÂ’identité et lÂ’autonomie de chaque discipline constitue lÂ’une des acquisitions les plus précieuses de la pensée contemporaine (Jean-Paul II, Discours aux participants du Symposium international sur lÂ’Inquisition, 31 octobre 1998).

Il me paraît important de ne pas perdre de vue un principe herméneutique que le Saint-Père rappelle opportunément en son exhortation apostolique Tertio millenio adveniente : " la considération des circonstances atténuantes ne dispense pas lÂ’Église du devoir de regretter profondément les faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage et lÂ’ont empêchée de refléter pleinement lÂ’image de son Seigneur crucifié, témoin insurpassable dÂ’amour patient et dÂ’humble douceur " (Tertio millenio adveniente 35).

En définitive, les rapports sont-ils toujours conflictuels ? La foi serait-elle intolérante par nature ? Certains pensent quÂ’il y aurait une " prétention de supériorité " à considérer Jésus-Christ comme Sauveur et unique médiateur pour tous les hommes. Il sÂ’agit là dÂ’un problème de vérité. Le Concile, à cet égard, montre une tension entre " un genre humain de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples augmentent " (Nostra ætate 1) et lÂ’Église qui " ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les religions ", mais nÂ’en affirme pas moins sa conviction de foi : " le Christ est la voie, la vérité et la vie, dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu sÂ’est réconcilié toutes choses " (Nostra ætate 2). Tout dialogue du reste se nourrit du respect réciproque pour les convictions de ceux qui y participent et serait dénué dÂ’intérêt sans la persuasion dÂ’être dans la vérité. " Je crois quÂ’une doctrine puissante et jeune est par nature intolérante : une conviction qui commence par admettre la légitimité dÂ’une conviction adverse se condamne à nÂ’être pas agissante : elle est sans force, sans efficacité ", écrit Martin Du Gard (Jean Barois 2, Le semeur 3). Une véritable théologie des religions est indispensable à tout dialogue interreligieux, qui, pour le chrétien, précède et accompagne, mais ne saurait se substituer au témoignage de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ.

Faut-il enfin accuser les religions dÂ’intolérance ? Répondre à cette question avec objectivité dépasserait - et de loin ! - le cadre dÂ’un symposium ou dÂ’une encyclopédie. Aussi voudrais-je me limiter à une simple remarque. Sans oublier le lourd passif de violences et de guerres qui dénaturent aussi bien lÂ’esprit de lÂ’Évangile que celui du Coran,  je relève que dans la plupart des conflits qualifiés de religieux, ce sont les facteurs politiques, économiques, culturels et idéologiques qui sont les causes prédominantes de la tension et de la violence, plutôt que des antagonismes religieux. Le fondamentalisme lui-même nÂ’est pas un phénomène religieux, mais un mouvement de protestation séculier qui emprunte une forme religieuse. Protestation contre la pauvreté, la répression et la corruption, il ne se reconnaît pas dans le modèle dÂ’intégration proposé et valorise à lÂ’excès ses différences, se repliant sur une communauté soudée par son adhésion à une religion conçue comme rigoriste.

Le Saint-Père le rappelle avec force dans sa dernière encyclique : croire en la possibilité de connaître une vérité universellement valable nÂ’est pas du tout une source dÂ’intolérance, mais la condition nécessaire pour un dialogue sincère et authentique entre les personnes, pour surmonter les divisions et parcourir ensemble le chemin qui mène à la vérité tout entière.


III. De la tolérance au respect mutuel pour un humanisme plénier
. Chacun sait la boutade de Courteline : " SÂ’il fallait tolérer aux autres tout ce quÂ’on se permet à soi-même, la vie ne serait plus tenable ". Disons plus sérieusement aussi que, chacun le sait : il y a des actes et des situations intolérables. Le fameux principe négatif du moindre mal ne saurait se transformer en permission positive de faire le mal : sÂ’il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin dÂ’éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il nÂ’est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin quÂ’il en résulte un bien (Rom 3 8). Le mal est toujours un mal.

CÂ’est bien clair : la tolérance a des limites en dehors desquelles elle devient intolérable au regard des honnêtes gens, comme en témoigne le droit / devoir dÂ’ingérence. Le Concile Vatican II déclare intolérables un certains nombre dÂ’actes infâmes intrinsèquement mauvais : " tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré; tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable: toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur " (Gaudium et spes 27).

Enraciner le spécifique et inestimable apport de lÂ’Évangile dans les cÂœurs et la société, vers un humanisme chrétien authentique et plénier, est lÂ’horizon des travaux du Conseil pontifical de la Culture pour préparer utilement le Jubilé désormais tout proche. CÂ’est aussi le titre de cette conférence : " De la tolérance au respect mutuel : pour un nouvel humanisme plénier ". " LÂ’esprit du bien est mystérieusement à lÂ’Âœuvre en tant de nos contemporains, même en certains de ceux qui ne se réclament dÂ’aucune religion, mais qui cherchent à accomplir honnêtement et avec courage leur vocation humaine " (Jean-Paul II, Discours au Conseil pontifical de la Culture, 18 janvier 1983, 11). Le programme est celui dÂ’une " nouvelle culture de la vie ", " fruit de la culture de la vérité et de lÂ’amour ", pour édifier une " authentique civilisation de la vérité et de lÂ’amour ". Les deux expressions civilisation et culture se font référence : lÂ’une manifeste lÂ’aspect rationnel et moral, lÂ’autre lÂ’aspect social et politique du même développement humain. La vérité et lÂ’amour sont à la fois la cause et la conséquence dÂ’une authentique civilisation - culture.

Ce tournant culturel crée un nouveau style de vie fondé sur la primauté de lÂ’être sur lÂ’avoir et de la personne sur les choses. La fin poursuivie est avant tout lÂ’amour. LÂ’expression civilisation de lÂ’amour, qui se trouve pour la première fois dans la bouche de Paul VI pour la Pentecôte 1970, devint un mot dÂ’ordre mobilisateur couronnant lÂ’Année Sainte 1975. " Une seule idée au fond est vraie et bonne, cÂ’est celle de lÂ’amour universel " (Paul VI, Message pour la Journée de la Paix 1970). Encore faut-il bien comprendre le sens du mot, car, comme le souligne Jean-Paul II qui reprend souvent lÂ’expression (326 documents de Jean-Paul II emploient lÂ’expression à la date du 31 décembre 1995) : " si cÂ’est la charité qui sauve, il faut aussi sauver la charité, cÂ’est-à-dire la réhabiliter, voir ce quÂ’elle implique au plan spirituel, la relier au grand Dessein dÂ’Amour de Dieu, à la Vie Trinitaire " (Discours à lÂ’Assemblée Plénière du Conseil pontifical Cor unum, 22 novembre 1982, 4). Vérité et amour vont de pair : lÂ’homme ne peut vivre avec une vérité " froide ". Vérité et amour ne peuvent être séparés et cÂ’est en ce sens que le titre de mon intervention porte le respect mutuel pour un nouvel humanisme. Le Concile Vatican II nous en avertit : " lÂ’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et dÂ’espérer " (Gaudium et spes 31). LÂ’espérance est la foi en lÂ’amour.

Je conclus. Félicité de Lamennais (1782-1854) écrit dans son Essai sur lÂ’indifférence de 1817 : " Le siècle le plus malade nÂ’est pas celui qui se passionne pour lÂ’erreur, mais le siècle qui néglige, qui dédaigne la vérité " (F. de Lamennais, Essai sur lÂ’indifférence, Paris 18171, 3). Le problème central, crucial au sens étymologique, est bien celui de la vérité.

Le concile Vatican II (Dignitatis humanae 1) a énoncé une règle dÂ’action dont nous nÂ’avons sans doute pas encore mesuré toute la portée : " à côté du double devoir pour tous les hommes de chercher la vérité et une fois connue de lÂ’embrasser et de lui être fidèles, le Concile déclare que la vérité ne sÂ’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre lÂ’esprit avec autant de douceur que de puissance ", riposte efficace aux tentations de se servir idéologiquement de la vérité, enjeu décisif pour le destin de la culture et de la civilisation chrétienne au seuil du troisième millénaire.

Mais que serait la vérité sans lÂ’amour ? Seul lÂ’amour sauve le monde et " au soir de la vie, nous serons jugés sur lÂ’amour ", a écrit saint Jean de la Croix (Maximes 80) et Saint François de Sales, en un raccourci saisissant : " une vérité qui nÂ’est pas charitable est une charité qui nÂ’est pas véritable ". Le respect mutuel dû aux personnes sÂ’enracine dans lÂ’amour et implique la diaconie de la vérité. Cette diaconie de la vérité fait participer la communauté des croyants à l'effort commun que l'humanité accomplit pour atteindre la vérité et elle l'oblige à prendre en charge l'annonce des certitudes révélées, tout en sachant que toute vérité atteinte n'est jamais qu'une étape vers la pleine vérité qui se manifestera dans la révélation ultime de Dieu. La vérité existe. LÂ’homme la cherche par sa raison. Il est capable avec la grâce de lÂ’atteindre par la foi au Christ, chemin, vérité et vie. Elle nÂ’est plus un concept abstrait à rechercher mais une personne à aimer. De la tolérance au respect mutuel, lÂ’homme mû par lÂ’amour de la vérité trouve son humanisme plénier dans la vérité de " lÂ’amour qui meut le ciel, la terre et les étoiles " (Dante).

Je voudrais terminer par une prière, vieille de plus de deux siècles, mais qui nÂ’a pas vieilli :
" Ce nÂ’est plus aux hommes que je mÂ’adresse,
cÂ’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps.
SÂ’il est permis à de faibles créatures dÂ’oser te demander quelque chose,
à toi qui as tout donné,
daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ;
fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau dÂ’une vie pénible et passagère ;
que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes
ne soient pas des signaux de haine et de persécution.
Si les fléaux de la guerre sont inévitables,
ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres,
et employons l'instant de notre existence
à bénir également en mille langages divers ta bonté qui nous a donné cet instant. Amen."

Cette prière de Voltaire (Traité de la tolérance, 1763, cité dans La Tolérance, UNESCO 1975, n°198) est clin dÂ’Âœil de lÂ’histoire: elle est un appel à tous les hommes de bonne volonté à passer, avec lÂ’aide de Dieu, de la tolérance au respect mutuel pour un nouvel humanisme plénier.

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[English]
"From tolerance to mutual respect: the way to complete humanism". This is the theme of Cardinal Paul PoupardÂ’s essay. Starting with anthropology and with a brief historical sketch, His Eminence says that faith and reason, fides et ratio, are both necessary for a complete humanism on the threshold of the third Millennium. Being open to the Absolute is essential for a sincere and authentic dialogue between cultures and persons; this is the only way to overcome divisions and to walk hand in hand along the road which is built on truth and love.

[Español]
"De la tolerancia al respeto mutuo, para un pleno humanismo" es el tema del artículo del Cardenal Paul Poupard. Iniciando con la Antropología y recorriendo brevemente la historia, su Eminencia conjuga la Fe y la Razón, "Fides et Ratio", para un Humanismo pleno en el umbral del nuevo milenio. Solamente estando abiertos al absoluto es posible el diálogo sincero y auténtico entre las culturas y las personas, para poder superar las divisiones y para caminar juntos la vía construida sobre la verdad y el amor.


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