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PLENARIA 2004Hervé Barreau, LÂÂÉglise face à la non-croyance Francis Baldacchino, A Response from Kenya
Avec ce numéro, se termine la publication des réponses au questionnaire sur la non-croyance (voir Cultures et Foi, 4/2002). In this issue we conclude the publication of the numerous responses to the questionnaire on non-belief (see Cultures and Faith, 4/2002). In questo numero terminiamo la pubblicazione delle numerose risposte al Questionario sulla non credenza (vedi Culture e Fede, 4/2002). En este número terminamos la publicación de las numerosas respuestas al cuestionario sobre la increencia (Culturas y Fe, 4/2002).
LÂÂÉglise face à la non-croyance
La position que je voudrais défendre, car je ne suis pas le seul, me semble-t-il, à en être convaincu, est que lÂÂÉglise, de par son ouverture au monde, recommandée jusquÂÂà lÂÂimprudence depuis le Concile de Vatican II, sÂÂest rendue aveugle, chez nombre de ses représentants officiels, à des lames de fond dÂÂindifférence et/ou dÂÂhostilité à lÂÂégard de lÂÂÉvangile, qui ne se trouve plus, du coup, appréhendé dans sa teneur et sa logique propres même parmi ceux qui se disent encore chrétiens. Quatre courants culturels principaux concourent à ce danger de submersion du christianisme, tel quÂÂil se trouve induit par les idéologies contemporaines : le matérialisme occidental, le scientisme dirigé contre nos traditions religieuses, le rationalisme érigé en religion de lÂÂhumanité, la séduction des religions orientales.
1. LÂÂemprise du matérialisme occidental
CÂÂest devenu une banalité de constater quÂÂen dehors de circonstances exceptionnelles telles que les déplacements du pape Jean-Paul II ou lÂÂattraction de personnalités charismatiques, un discours un peu cohérent sur la vocation spirituelle de lÂÂhomme et les exigences évangéliques qui y font face, est devenu inaudible et donc laissé de côté. Seuls des prédicateurs courageux tiennent encore ce discours dans des retraites fermées ou des pèlerinages entre amis.
La mentalité régnante dans les pays favorisés de lÂÂOccident interdit lÂÂaccès direct aux sources vives de lÂÂÉvangile du fait que les esprits sont emprisonnés par la prégnance des valeurs matérielles, quÂÂil est commode de résumer par les valeurs du confort, du sexe et du pouvoir social.
Les valeurs du confort rendent inintelligible le message chrétien sur la souffrance. Certes on accepte toujours volontiers que des âmes généreuses se dévouent au soulagement de la douleur, mais on nÂÂaccepte plus que la souffrance fasse partie de la vie humaine quand celle-ci est vécue de façon honnête et authentique. Là réside une des raisons de la violence contemporaine. Mais on préfère ne pas la voir, tant elle serait troublante, et la plupart des théologiens contemporains refusent lÂÂenseignement traditionnel sur la valeur rédemptrice de la souffrance.
Les valeurs du sexe rendent inintelligible la vie consacrée et le célibat du prêtre, perçus comme des instruments de domination et non de disponibilité au Royaume. On ne veut pas croire que lÂÂamour du Christ justifie le sacrifice dÂÂune intimité amoureuse et dÂÂune vie de famille. On ne respecte plus, comme des vocations éminentes, lÂÂengagement religieux et sacerdotal au service de Dieu et de lÂÂÉglise. Beaucoup de chrétiens attendent même une modification de la discipline catholique sur ce point, considérée comme appartenant à un autre âge de lÂÂhumanité.
Les valeurs du pouvoir social rendent inintelligibles les services cachés et désintéressés. On accepte évidemment dÂÂen profiter à lÂÂoccasion, mais on refuse dÂÂy voir le témoignage de la venue du Royaume de Dieu en ce monde. Le surnaturel apparaît comme le luxe de ceux qui sÂÂy adonnent, et dont on soupçonne la sincérité, au point de leur interdire éventuellement lÂÂexpression de leur foi, considérée comme dissonante par rapport à lÂÂexpression commune. La sainteté, en particulier, est perçue comme une valeur du passé, dont il est légitime de cueillir les fruits, mais qui est une aberration pour le temps présent, une folie dont il faut se garder, quÂÂon soit à lÂÂextérieur ou à lÂÂintérieur de lÂÂÉglise.
Telle est lÂÂattitude commune, qui exprime le climat de lÂÂépoque. Mais cette attitude ne sÂÂimposerait pas avec une telle arrogance, capable de susciter le doute chez ceux qui seraient dÂÂeux-mêmes portés à la vie spirituelle, si des canons culturels bien précis ne venaient en renforcer lÂÂascendant et en assurer le prestige. Il faut faire référence ici aux philosophies de Marx, de Freud et de Nietzsche, qui sont des apôtres du matérialisme sous une forme ou une autre. On les désigne dÂÂordinaire comme des athéismes ÂÂ ce qui est vrai ; mais on évite de les dénoncer comme des incitations au matérialisme, ce quÂÂelles sont pourtant, sous une forme grossière ou subtile, comme le montrent dÂÂailleurs les multiples combinaisons quÂÂon en a faites. Toutes ensemble elles constituent le soubassement intellectuel du refus de la vie spirituelle ; elles créent une carapace mentale allergique à toute incitation à la sainteté évangélique. CÂÂest pourquoi il est fort étrange de voir des intellectuels dénoncer, le cas échéant, un matérialisme des mÂÂurs, quand ils pratiquent eux-mêmes un matérialisme de la pensée, combien plus scandaleux. Quand on a réduit lÂÂhorizon de lÂÂexistence humaine aux bornes de ce monde-ci, comment sÂÂétonner que les malheureux prisonniers de ce monde se livrent à la violence, à la débauche, à toutes les sortes de rapt ?
Pour expliquer que des formes raffinées de matérialisme puissent servir de justification à des formes plus grossières, il faut relever dÂÂailleurs quÂÂune doctrine fort répandue est capable de servir de médiation entre les unes et les autres : il sÂÂagit du darwinisme sous sa forme contemporaine. Il est plus facile, en effet, à lÂÂhomme de la rue de se considérer comme un animal un peu perfectionné par la formation quÂÂil a reçue ou celle quÂÂil sÂÂest lui-même donnée, que comme un travailleur exploité, un désir frustré, ou une volonté de puissance contrariée. Chacun comprend très facilement quÂÂil est pris dans « la lutte pour la vie » et quÂÂil lui faut impérieusement sÂÂy adapter sÂÂil veut y gagner une place qui sera, sÂÂil a un peu de chance, lÂÂune des meilleures. On nÂÂa même pas besoin de le lui dire. Si bien que le darwinisme enseigné de la maternelle à lÂÂUniversité trouve des esprits tout préparés à lÂÂadopter et quÂÂil devient le matérialisme partagé presque inconsciemment par tous nos contemporains. Alors, lorsque quelques savants authentiques (citons : P.P.Grassé, Marco Schützenberger, Michaël Denton) sÂÂappliquent à montrer que le darwinisme sous la seule forme où il est aujourdÂÂhui biologiquement présentable (mutations génétiques aléatoires / sélection naturelle) est absolument incapable de rendre compte de lÂÂévolution des espèces vivantes, le peuple ne peut accepter une critique si contraire à tout ce quÂÂon lui a trop facilement enseigné, et les scientifiques concernés crient au scandale. Les philosophes embarrassés se taisent et les théologiens se courbent devant le conformisme des scientifiques, qui nÂÂest pourtant quÂÂun corporatisme frileux. Il est confortable, en effet, pour la science de se présenter comme la gardienne du matérialisme, alors quÂÂelle devrait être, si elle était pratiquée avec rigueur et considérée sans parti pris, sa plus redoutable objection ! Il faut donc admettre que les scientifiques qui sont les nouveaux clercs de notre civilisation matérialiste ne sont pas prêts à abandonner le pouvoir (spirituel) très conditionné quÂÂelle leur laisse. Le matérialisme devient ainsi le nouveau ciment (on nÂÂose parler ici dÂÂune « religion ») dÂÂun monde qui sÂÂenorgueillit de sÂÂêtre dressé, comme Prométhée, contre les dieux traditionnels. Au lieu de considérer Jésus comme le vrai Prométhée, venu apporter aux mortels le feu de lÂÂamour divin, selon la conception quÂÂen avaient les premiers chrétiens, on assimile Sa personne, Sa doctrine, et lÂÂinstitution quÂÂIl a fondée, aux créations mythiques dans lesquelles lÂÂhumanité place son espoir durant un certain temps. La conviction dominante, dans la civilisation matérialiste qui est la nôtre, est que ce temps est passé, même si les mythes chrétiens bercent encore lÂÂimagination de certains peuples, et quÂÂil est utile de les évoquer en certaines occasions. Quant à la croyance fondamentale, on est passé du Dieu providence au dieu hasard.
2. Le scientisme dirigé contre la tradition judéo-chrétienne
Tous ceux qui font profession de la science ne sont pas « scientistes », sÂÂil faut entendre par cette expression quÂÂils croient en la possibilité dÂÂune explication scientifique de toutes choses. Mais peu acceptent que la connaissance scientifique quÂÂils enseignent et à laquelle ils apportent, éventuellement, quelque contribution, nÂÂest quÂÂun découpage du réel, essentiellement relatif au regard que lÂÂhomme, en tant quÂÂobservateur lui-même et doté dÂÂinstruments perfectionnés dÂÂobservation, peut porter sur la réalité. La force de la connaissance scientifique, qui naît de cette observation contrôlée, est quÂÂelle est intersubjective ; cÂÂest en cela seulement quÂÂelle peut être dite « objective » ; mais cette objectivité nÂÂest que la manifestation la plus apparente, et la mieux confirmée, dÂÂune réalité qui ne se révèle quÂÂen partie aux regards des scientifiques. CÂÂest la raison dÂÂailleurs pour laquelle la science a une histoire qui nÂÂest jamais terminée, même si des scientifiques, de bonne foi, la croient « presque » terminée, quand ils tiennent à lÂÂacquis et ne sont pas disposés à en reconsidérer la portée à lÂÂoccasion de nouvelles découvertes. En attendant, et sans doute pour toujours, les métaphysiciens devraient révéler, à lÂÂaide de leurs méthodes propres qui font appel à la réflexion et non à la détermination par des principes, dÂÂautres faces plus profondes de la réalité. Les théologiens, à leur tour, devraient, à la lumière de la foi chrétienne, pouvoir révéler dÂÂautres faces, encore plus profondes, de cette même réalité. Tel est le schéma idéal qui concorde, me semble-t-il, avec lÂÂenseignement que Jean-Paul II a donné dans Fides et ratio. Mais une chose est de saluer lÂÂenseignement de lÂÂÉglise, autre chose dÂÂen tenir compte. On va voir, dans ce qui suit, quÂÂon nÂÂen tient pas grand compte.
Quand la réalité dont il sÂÂagit est la réalité matérielle, celle qui est accessible aux sens, on a déjà vu que le conformisme obtenu résultait dÂÂune conciliation paradoxale, mais nullement innocente, entre la vision de lÂÂhomme de la rue et celle de lÂÂhomme de laboratoire. Cette conciliation entretient le matérialisme diffus qui est, pour la grande masse, le principal obstacle à la vie spirituelle.
Mais il faut nécessairement, dans le monde humain, tenir compte de la réalité symbolique, celle que les mots suggèrent, que lÂÂart (et même la science) manifeste, que les traditions religieuses transmettent. On a vu quÂÂelle peut être interprétée par les diverses écoles de matérialisme, qui entretiennent un matérialisme savant, attentif, comme lÂÂest la sociobiologie, à tracer des ponts entre le monde de la vie biologique et le monde de la vie sociale, animale et humaine. Dans cette optique matérialiste, les scientistes, il convient de le remarquer, ont une tâche assez difficile, car le même phénomène humain se prête, cÂÂest lÂÂévidence, à plusieurs interprétations, qui ne sont pas toujours compatibles les unes avec les autres. Il convient de relever la stratégie que les scientistes matérialistes ont, en ce domaine et en général, adoptée : sÂÂil sÂÂagit de traditions extérieures à la révélation judéo-chrétienne, ou sÂÂil sÂÂagit de traditions qui sont « hérétiques » à son égard, on les étudie avec le plus grand soin, on en relève les aspects qui seraient cachés, dit-on, à des regards judéo-chrétiens insensibles à leur beauté. Par exemple on sÂÂefforce de démontrer que le calendrier maya est supérieur en exactitude au calendrier grégorien (même si le premier est resté « idéal » et nÂÂa jamais été appliqué), on fait lÂÂimpossible pour suggérer que les « arts premiers » ont beaucoup plus de force expressive que les arts qui se sont développés à lÂÂombre de ce quÂÂon a appelé « le génie du christianisme », on prétend que les sacrifices humains des amérindiens avaient une dignité que nos cérémonies religieuses ont perdue. Dans ce prétendu élargissement de la culture anthropologique, il est difficile de ne pas voir un combat contre la culture judéo-chrétienne, un combat qui a si bien réussi, que les professeurs demandent maintenant des cours d« histoire des religions » pour informer nos pauvres enfants des rudiments de leur passé religieux, faute desquels leur propre environnement leur devient étranger. Quand il sÂÂagit de la culture musulmane, les scientistes, qui montrent par là que les préoccupations de pouvoir politique et social ne leur sont nullement étrangères, se divisent en deux camps : les uns la louent pour son dépouillement, qui préfigure le désenchantement moderne (et ce nÂÂest pas sans raison) ; les autres la réprouvent pour son anti-modernisme (et ce nÂÂest pas sans raison non plus) ; mais il est frappant de constater que les travaux les plus savants, les plus documentés, les plus critiques, sur cette hérésie qui nÂÂest guère étrange quand on la considère dans son temps dÂÂéclosion, ne sont pas portés à la connaissance du public ; il faut aller les chercher dans les bibliothèques spécialisées, où les musulmans les plus soucieux dÂÂauthenticité sur leur propre tradition vont eux-mêmes les chercher, dans une indifférence presque générale. Pour un matérialiste, quÂÂest-ce quÂÂune vérité du passé, qui nÂÂa pas dÂÂimplication directe aujourdÂÂhui ?
Par contre, sÂÂil sÂÂagit des traces variées, et parfois malheureusement manquantes, quÂÂa laissées la tradition judéo-chrétienne, alors le mot dÂÂordre est de trouver une « vérité » scientifique quÂÂon puisse substituer à la « légende » et au « mythe ». Depuis quelques années, on voit des exégètes et des historiens sÂÂefforcer de prouver quÂÂAbraham est une figure imaginaire, que Moïse est une personnalité égyptienne égarée dans une révolte populaire, que lÂÂhistoire dÂÂIsraël commence avec les Rois, quand on trouve traces de leurs palais, de leurs armées, et de leur vie fastueuse. Il est évident que si ces hypothèses, qui ne reposent que sur lÂÂabsence de témoignages actuels suffisamment tangibles concernant des croyances traditionnelles (absence qui nÂÂest nullement étonnante quand on pense à la prédominance de la transmission orale chez les peuples anciens) étaient vraies, alors il faudrait admettre que le peuple juif ne peut revendiquer plus de trente siècles dÂÂexistence, et que depuis vingt siècles, il ne doit vraisemblablement son existence quÂÂà son opposition au christianisme qui sÂÂest développé en son sein et y fait une continuelle référence. Quant au christianisme lui-même, il faudrait le considérer comme lÂÂexacerbation des espérances messianiques, spécifiques à lÂÂhistoire juive, qui ont trouvé dans lÂÂempire romain les conditions de leur divulgation. Il est tout à fait étonnant, pour un observateur qui nÂÂa aucune part à la publicité de ces hypothèses, que ni les autorités rabbiniques ni le Magistère de lÂÂÉglise catholique, nÂÂaient, à ma connaissance, protesté contre de telles pseudo-affirmations qui, si on les prend au sérieux, sont destructrices de toute foi dans le Dieu dÂÂIsraël et de Jésus. Ce serait pourtant, me semble-t-il, une bonne occasion de mettre en lumière la consistance propre des traditions religieuses, dont la logique ne repose évidemment pas sur les méthodes de la recherche historico-archéologique contemporaine, mais dont la crédibilité résulte des témoignages accumulés au cours des siècles, et dont lÂÂétonnante convergence ne peut être due au hasard. Comment se fait-il que les spécialistes dÂÂherméneutique, qui sont pourtant nombreux dans les Églises chrétiennes, ne se soient pas mobilisés pour dénoncer les prétentions abusives de cette pseudo‑science des religions qui reconstitue leur passé à lÂÂaide des seuls documents qui, pour elle, sont pertinents ? CÂÂest comme si les cosmologues dÂÂaujourdÂÂhui prétendaient reconstituer lÂÂhistoire de lÂÂUnivers à lÂÂaide des seules lois de la mécanique classique et des phénomènes que cette dernière peut expliquer.
3. Le rationalisme érigé en religion de lÂÂhumanité
Il est manifeste que le scientisme des historiens contemporains des religions, héritiers de la critique rationaliste du XIXe siècle, est si fragile dans ses conjectures, toujours renouvelées, et toujours susceptibles dÂÂêtre remises en cause par la découverte de nouveaux documents (quÂÂon songe, par exemple, à la mine que constitue lÂÂensemble des manuscrits de Qumram et, en général, la littérature inter-testamentaire) que les esprits les plus raisonnables se gardent de mesurer lÂÂimpact des croyances religieuses à lÂÂempan que leur concèdent des érudits, qui, outre leur petite histoire personnelle, ne connaissent bien que leurs livres, les documents archéologiques, et les crédits quÂÂils peuvent obtenir pour les mettre en valeur. Depuis deux siècles, sinon davantage, les meilleurs esprits ont compris que lÂÂaffaire se jouait à un autre niveau, et que les croyances religieuses relevaient dÂÂun besoin humain fondamental quÂÂon évalue mal quand on ne le considère quÂÂà partir des facteurs politiques, économiques, ou techno-scientifiques, qui doivent composer avec lui dans la concrétude de la vie. Mais alors le problème est dÂÂadmettre ou de bannir a priori, comme Renan lÂÂavait bien compris, la notion même de surnaturel ou de révélation. Ce nÂÂest plus alors le scientisme, impuissant à cet égard, qui est mobilisé, mais le rationalisme.
Le rationalisme est la doctrine philosophique, selon laquelle lÂÂensemble du monde humain, de même que la connaissance de lÂÂUnivers, doit être éclairé et régi par la raison humaine, à lÂÂexclusion de tout élément qui lui serait transcendant et sÂÂimposerait par sa seule autorité. Il est clair que, depuis la Renaissance, la pensée occidentale la plus reconnue sÂÂest réclamée dÂÂun tel rationalisme, quÂÂelle a voulu substituer au pouvoir spirituel de lÂÂÉglise, et a confiné, en conséquence, la religion dans la sphère privée des croyances personnelles, dont lÂÂexpression pouvait être contrôlée par lÂÂÉtat. Pour des raisons différentes, mais sensiblement concourantes, les philosophies de Descartes, de Hobbes, de Spinoza, de Hume, de Kant et de Hegel, autorisent un tel rationalisme qui ne se prive pas, chez ses représentants les plus éclairés, dÂÂintégrer dans leur doctrine et de « laïciser » des éléments de la tradition judéo-chrétienne, en les vidant de toute signification transcendante à la raison humaine qui résiderait, comme par miracle, dans lÂÂêtre particulier quÂÂest le cerveau/esprit humain.
On identifie parfois le rationalisme ainsi défini avec la « philosophie des Lumières » qui brilla au XVIIIème siècle. Cette identification ne peut être totale parce que, dÂÂun côté, la « philosophie des Lumières » nÂÂa pas eu en Allemagne la signification anti-chrétienne et notamment anti-catholique quÂÂelle a revêtue en France, et, parce que, dÂÂautre part, le champ rationnel sÂÂest diversifié depuis les premiers pas du rationalisme et que, si ce dernier invoque toujours la seule autorité de la raison, il revêt, en fait, des formes assez différentes : néokantisme, néo-hégélianisme, positivisme, pragmatisme, néo-positivisme, post-modernisme, etc... Quoi quÂÂil en soit, le domaine où la référence de ce rationalisme sous toutes ces formes à la « philosophie des Lumières » est le plus net est le domaine politique et moral, et lÂÂemprunt le plus développé qui a été fait à cet héritage est la doctrine des « droits de lÂÂhomme ». Sur ce point, le rationalisme rencontre nécessairement les traditions religieuses, munie chacune de leur anthropologie plus ou moins dépendante dÂÂun patron commun.
LÂÂÉglise catholique avait dÂÂexcellentes raisons de se rallier à la philosophie des « droits de lÂÂhomme », dans la mesure où elle y voyait, fort légitimement dÂÂailleurs, une extension de sa doctrine du droit naturel, que le renouveau du thomisme, à partir de lÂÂEncyclique Aeterni Patris (1879), a ravivée et développée. Néanmoins lÂÂÉglise ne peut consentir à une interprétation des « droits de lÂÂhomme », qui serait contraire à sa propre interprétation, fondée sur lÂÂÉcriture et la Tradition, et autorisée, en particulier, par des auteurs comme S. Paul, S. Augustin, Thomas dÂÂAquin et son école. LÂÂÉglise ne sépare pas les droits de lÂÂhomme des droits de Dieu, et elle rappelle les uns et les autres à ses fidèles dÂÂEurope et dÂÂAmérique qui, après avoir imposé leur propre civilisation au monde entier, sont tentés par lÂÂapostasie. Cette apostasie, dont on a déjà relevé certains signes, se traduit par lÂÂattitude suivante : assumons lÂÂhéritage chrétien dans la mesure seulement où il est accepté par les autres composantes de la société civile et politique, et, par conséquent, dépouillé de son origine transcendante et de son intransigeance (en particulier, par exemple, pour lÂÂavortement et lÂÂeuthanasie).
Là est sans doute le plus grand péril auquel le christianisme, comme autorité spirituelle, est exposé aujourdÂÂhui : il est pressé de céder son magistère moral à un autre magistère, qui nÂÂest pas celui dÂÂune doctrine toute faite (il y a longtemps quÂÂon a proclamé la mort des idéologies), mais celui que les États, troublés par les vagues du matérialisme et du terrorisme quÂÂils nÂÂont pas su prévenir, voudraient promouvoir, afin de contenir les tendances anarchistes qui se font jour dans un no manÂÂs land spirituel, tout en faisant appel, au titre de lÂÂurgence historique, à des représentants du peuple, de la science et des religions (considérées comme simples associations de croyants et non comme dépositaires dÂÂun Message universel).
Il nÂÂy a aucune chance pour que le pape actuellement régnant soit conduit à soumettre le Magistère de lÂÂÉglise, dont il a assumé si courageusement la tâche au milieu dÂÂun scepticisme général, à un magistère laïc constitué, à lÂÂappel des autorités politiques, selon lÂÂopportunité et les circonstances historiques. Mais il nÂÂest pas exclu que beaucoup de chrétiens soient prêts à accepter cet autre magistère, au nom de la paix et de la fraternité universelle. Alors le rationalisme aurait gagné la bataille quÂÂil mène contre lÂÂÉglise depuis deux ou trois siècles : les chrétiens demeurés fidèles au Magistère authentique seraient persécutés, et bien des signes montrent que cette persécution a commencé, sous des formes sournoises.
4. LÂÂattrait des religions orientales
Dans la mesure où les chrétiens se compromettent avec le rationalisme des puissants et adhèrent, en fait, à la vague « religion des droits de lÂÂhomme », redéfinie selon les circonstances, dans la même mesure, ils tendent à donner à lÂÂÉglise le visage dÂÂun nouveau constantinisme, beaucoup moins légitime que celui dÂÂautrefois, et qui ne peut que décevoir, sinon révolter les âmes éprises dÂÂauthenticité spirituelle. On en revient toujours au point cardinal du christianisme : Jésus est venu pour sauver les âmes, et, sÂÂil a donné des pouvoirs à ses disciples, cÂÂest pour quÂÂils continuent sa mission. Or quand les âmes sont déçues ou désorientées par leurs pasteurs, elles se tournent vers dÂÂautres guides, qui leur semblent correspondre, à tort ou à raison, à leurs aspirations. PuisquÂÂelles sont tout à fait impuissantes à changer quoi que ce soit dans les structures de lÂÂÉglise et de la société, elles prêtent naturellement lÂÂoreille aux enseignements des traditions qui ont été toujours sévères vis-à-vis du matérialisme occidental, en particulier aux religions orientales.
Cela nÂÂa rien dÂÂétonnant. Si le salut ne consiste plus à suivre Jésus, serait-ce dans lÂÂopprobre et la déréliction, mais à se conformer aux arrêtés dÂÂun Comité Mondial dÂÂÉthique, alors un certain nombre dÂÂâmes préféreront tenter lÂÂexpérience du Bouddha, même si le néo-bouddhisme, qui tend à se développer, a peu de chance de ressembler au bouddhisme authentique. Il faut prendre comme un avertissement, en tout cas, le fait que le nombre des sympathisants du bouddhisme est probablement supérieur en France au nombre des chrétiens protestants (déclarés).
DÂÂautres peuvent être attirés vers le taoïsme, dont la métaphysique sévère autorise la divination, qui est une tentation permanente de toutes les traditions religieuses. DÂÂautres peuvent trouver satisfaction dans lÂÂhindouisme panthéistique, dont lÂÂidéalisme néo-hégélien était fort proche, au début du XXème siècle.
DÂÂautres peuvent se réfugier dans une secte néo-chrétienne, néo-païenne, ou néo-orientale (ces qualificatifs ne sont pas exclusifs lÂÂun de lÂÂautre), pour trouver accueil, chaleur et guidance spirituelle (en attendant dÂÂaffreuses désillusions).
Conclusion Je ne sais si la conviction, dont jÂÂai fait état, au début de ce témoignage, a été suffisamment justifiée par les quatre développements auxquels elle a donné lieu. Ce que je voudrais souligner, en conclusion, cÂÂest que ces développements, comme on a pu sÂÂen rendre compte, sÂÂappellent lÂÂun lÂÂautre : le matérialisme a confisqué le scientisme, lequel sÂÂexerce sur lÂÂhistoire des religions, qui autorise leur déformation à un point tel que le rationalisme peut prétendre triompher, à moins quÂÂil se contente de prospérer dans les hautes sphères, tout en abandonnant la masse des hommes à la violence quotidienne et au refuge dans de petites communautés.
Ces conclusions ne reflèteraient pas cependant le point central de ces quatre développements, à savoir que le christianisme sÂÂadresse au désarroi spirituel pour lui proposer le salut, selon les voies qui lui sont propres. Or le désarroi spirituel , sÂÂil a des traits communs à une époque, a dÂÂabord son incidence sur la façon dont chacun sÂÂoriente dans la vie et choisit son mode dÂÂexistence. CÂÂest donc dÂÂune assistance individuelle dont les âmes ont besoin et dont apparemment elles manquent le plus. Il faudrait que les hommes dÂÂÉglise, comme les fidèles, tout en sachant respecter la diversité des vocations, créent les conditions où ces vocations, dÂÂabord à la foi et ensuite à un mode déterminé de témoignage, puissent se dévoiler et sÂÂexprimer dans la charité. Il nÂÂy a pas de recette magique ou technique pour créer ces conditions. Mais justement parce quÂÂil nÂÂy a pas de recette, un chrétien qui perçoit que le message de lÂÂÉvangile est valable pour aujourdÂÂhui comme pour hier, à condition quÂÂil ne soit pas falsifié ou édulcoré, ne peut considérer quÂÂavec tristesse la dérive spirituelle que subissent de nombreuses âmes aujourdÂÂhui, soit quÂÂelles soient entraînées par un unanimisme dÂÂessence politico-sociale plus que religieuse, soit quÂÂelles se tournent vers le marché des religions à la carte, qui font la fortune des gourous. Il ne peut quÂÂespérer que lÂÂÉglise forme des apôtres qui sauront allier à une profonde compréhension de la tradition chrétienne, qui sÂÂest attestée à tous les âges quÂÂelle a dû traverser, une ouverture aux besoins spirituels de tous et de chacun, et qui se traduise par des initiatives où lÂÂEsprit Saint aura la première place et où, en conséquence, la prière sera moins lÂÂexpression dÂÂune cohésion communautaire que la demande et lÂÂaccueil des grâces qui viennent du Christ.
Hervé Barreau, Directeur de Recherche honoraire au CNRS, Membre de lÂÂAcadémie Internationale de Philosophie des Sciences, Bruxelles.
A Response from Kenya
1.1 My Diocese has a population of about 500,000 persons who either are Christians (Catholics or other Christian denominations), Muslims, Hindu or followers of traditional religions.
1.2 No one would declare himself an atheist, even if several of them would still syncretise their faith (whether Christian, Muslim or pagan) with some witchcraft, superstition and magic, especially when modern medicine doe not cure them, or civil law does not give them their rights.
1.3 In fact, one may talk about God anywhere and in the presence of anybody. One may even stand up in a public bus and start preaching his faith.
1.4 There may be a few atheists among the foreigners (British, French and Italians) who have settled in the big towns, and may belong to Free Masons or Satanists. The latter seem to be active among young people. These last two years Russians have started coming to Malindi as tourists. This neither means that they are necessarily atheists nor that they are active among the local population!
1.5 The school curriculum provides three weekly lessons for Christian Religious Education, Islamic Religious Education and Seventh Day Adventists Religious Education. Besides, once a week, each Faith has one lesson for its particular religious heritage.
Unfortunately, because of the lack of interest on the part of the teachers, these lessons are either neglected or not done properly. Each parish priest has to keep insisting with the school heads that the pupils have the right to be taught their religion. Besides, in the Ministry of Education, there have been several attempts to replace religion lessons with civic education; only that the Episcopal Conference department in charge of Religious Education is always pressing the government to give religion its importance. Since more than 40% of the NationÂÂs education is carried out by the Churches, the government cannot ignore their complaint.
2. The New Faces of Unbelief. Young people who are sitting between two stools: lacking instruction both in the traditional faith and in the newly acquired faith (whether Christian or Islamic); Materialism, consumerism and hedonism, pornography brought in from Europe and America. The great desire to succeed in life: money, promotion, fame, friendships, that make one live as though God did not exist; even though declaring oneself as believer in God. I donÂÂt know of any significant Church efforts at dialogue with unbelievers, who hardly exist.
3. The Challenge of Alternative Religions. The para-religious phenomena could be the existing element of witchcraft both among traditional religionists and Muslims. This includes both polygamy and belief in spirits, which haunt them continually. Whenever we have the chance to speak in their presence, we mention ChristÂÂs victory over the devil and the evil spirits, in such a way that a Christian has no fear of being haunted or possessed by devils. The conversion of pagans, even of witches, are normal; but not of Muslims. ThereÂÂs very little chance of talking to adherents of sects: they are fanatics and intent rather on preaching against the Catholic Church than about their particular denomination. We strengthen our people by giving them thorough preparation before the reception of Sacraments, by delivering effective and rich homilies, by seminars for youth and leaders, and through the small christian communities.
Francis Baldacchino, Bishop of Malindi, Kenya.
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