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Conseil Pontifical pour la Pastoral des Migrans et des Itinérants

XV Réunion Plénière

Migrations par la voie des mers 

P. Beniamino Rossi, c.s.
Supérieur des Pères Scalabriniens en Europe
Suisse

Prémisse

Les migrations ont assumé au cours de ces dernières décennies un véritable caractère planétaire : d'une part, le processus de globalisation de l'économie, du marché et des communications a accéléré, gonflé et rendu les flux migratoires plus complexes et, concerne maintenant d'autre part tous les pays du globe.

Non ne discuterons pas ici des causes qui produisent les migrations modernes et nous ne voulons pas non plus tracer une cadre historique des migrations par la voie des mers.

Je voudrais seulement rappeler que, tout de suite après la conquête de la part des puissances européennes des vastes territoires des Amériques, de l'Afrique et de nombre de territoires asiatiques, une émigration forcée s'est développée, justement par la mer : à partir du XVIIème siècle et jusqu'aux premières décennies du XIXème siècle, on entre dans l'époque de la "traite des esclaves", justifiée par le concept de commerce de la personne humaine, considérée comme un facteur de production et de développement.

1. La grande épopée migratoire européenne

La fin de la "traite des esclaves" (après les années '30 du XIXème siècle) coïncide en Europe avec l'explosion de la révolution industrielle : tandis que l'Angleterre approuve la loi qui abolissait l'esclavage, les mines du Pays de Galles, les industries textiles et mécaniques de Liverpool, Manchester, Glasgow, Londres voient la naissance d'un prolétariat qui, sous de nombreux aspects, présente des situations de véritable esclavage.

On constate une accentuation des processus d'urbanisation et de concentration de la population dans les zones industrielles, avec de forts courants de migrations internes dans toutes les principales nations européennes (Angleterre, France et Allemagne), ainsi qu'entre les états européens eux-mêmes, suivant les développements régionaux et nationaux.

Mais c'est également l'époque d'un exode sans pareil dans l'histoire précédente qui, de l'Europe, se dirige vers les Nouveau Monde : l'histoire n'avait jamais vu, comme en ce début du XIXème siècle, des mouvements migratoires de dimensions aussi imposantes et avec un tel caractère de continuité.

Il fallait d'un côté combler le vide laissé par l'abolition de la traite de esclaves et par l'esclavage, comme dans le cas des Etats-Unis et du Brésil ; mais il s'agissait également d'exploiter les ressources minières, d'organiser une exploitation systématique de l'agriculture et de l'élevage de territoires immenses et dépeuplés (comme dans le cas de l'Argentine, du Brésil, des Etats-Unis et du Canada eux-mêmes). Enfin, en particulier aux Etats-Unis, la révolution industrielle exigeait une concentration de main d'œuvre qu'il n'était pas possible de trouver dans les territoires respectifs et qui devait être forcément importée.

Ces migrations de travail, en opposition à celles "forcées" de l'époque précédente, résultent, du moins apparemment, libres et spontanées, même s'il ne faut pas oublier les mécanismes, destinés à attirer et même à recruter les travailleurs, mis en oeuvre par les Pays d'immigration, tout comme les mécanismes d'expulsion de Pays ou de régions en crise endémique et les pressions politiques que les flux migratoires subissent dans les mêmes pays d'émigration.

Je ne veux pas m'attarder à exposer le phénomène de masse qui a marqué l'histoire européenne de la fin du XIXème et du début du XXème siècles, dans lequel la mer et les océans sont les grands protagonistes, les grandes routes parcourues par plus de cinquante millions de migrants qui se rendent surtout dans les Amériques et qui déterminent la naissance et le développement des nouvelles sociétés américaines.

Permettez-moi toutefois de parcourir à nouveau cette histoire au moins en citant quelques passages du Bienheureux Giovanni Battista Scalabrini, l'Apôtre des migrants, sur les causes de l'émigration italienne, qui semblent revêtir encore aujourd'hui une actualité dramatique :

"Dans la presque totalité des cas, l'émigration n'est pas un plaisir, mais une nécessité inéluctable […] L'immense majorité, pour ne pas dire la totalité, de ceux qui expatrient pour se rendre dans la lointaine Amérique […] ne fuient pas l'Italie parce qu'ils détestent le travail, mais parce que celui-ci leur fait défaut et qu'ils ne savent pas comment vivre et faire vivre leurs familles.

Les conditions des temps et de la vie civile changées, les besoins augmentés non pas en rapport aux richesses, le désir naturel d'améliorer sa propre situation, la crise agricole qui pèse depuis des années sur nos agriculteurs comme une chape de plomb, la charge vraiment énorme des impôts publics, qui pèse sur l'agriculture et les petites industries et les écrase […], voici donc les causes de l'émigration…"(L'emigrazione italiana in America.Osservazioni, Piacenza 1887).

Dès le début, Mgr Scalabrini entreprend une lutte "féroce" contre les agents d'émigration qu'il définit "courtiers de chair humaine" :

"Défendre la liberté d'émigrer est un devoir, mais s'opposer à la liberté de faire émigrer constitue également un devoir : il est du devoir des classes dirigeantes de procurer aux masses des prolétaires une utilisation utile de leurs forces, de les aider à sortir de la misère en les aidant dans la recherche d'un travail fructueux, comme il est également de leur devoir d'empêcher que la bonne foi de ceux-ci soit abusée par des spéculateurs avides…"(L'Italia all'estero, Turin 1899).

"La spéculation avide les achemine habituellement dans des endroits où l'air empesté tue, ou ils sont employés dans des travaux dégradants, car l'affaire est plus intéressante pour l'agent s'il y a pénurie de bras et des difficultés dans le recrutement : et la carence de main d'œuvre pour bonifier des terrains ou pour effectuer des travaux publics se vérifie là où la mort réduit le nombre des travailleurs, et la terreur, en éloignant les survivants, fait en sorte qu'il y ait toujours besoin de nouvelles victimes ignares du danger…"(Il disegno di legge sulla emigrazione italiana. Osservazioni e proposte, Piacenza 1888).

"Les agents d'émigration ont acheminé un nombre très considérable d'émigrants au Brésil, en substitution de la main d'oeuvre déjà insuffisante aux besoins de l'agriculture, à cause aussi de l'abolition de l'esclavage. C'est ainsi qu'à New York, ce qu'on appelle le système des patrons, condamné par une loi du Sénat des Etats-Unis, a réuni un nombre immense d'émigrants, attirés en ce lieu par mille promesses, exploités de façon indigne et par la suite abandonnés, pour laisser la place aux nouveaux venus, nouvelles victimes de gains abjectes. […] Et tout comme ici, dans leur patrie, l'ignorance et la pauvreté font d'eux des victimes faciles des agents d'émigration, là-bas l'isolement et la misère les rend une proie très facile de la spéculation, toujours et partout caractérisée par une absence de pitié, et là-bas plus qu'ailleurs…"(Première Conférence sur l'Emigration , Piacenza 1891).

Scalabrini décrit brièvement également les difficultés des migrants dans les différentes étapes de leur aventure :

"Entassés pire que des bêtes, bien plus nombreux que ce qui est autorisé par les règlements et la capacité des paquebots, ils font ce voyage long et malaisé littéralement amassés, avec des dommages pour leur santé et leur morale que chacun peut bien imaginer.

Et quand ils arrivent à toucher le port de destination, la douloureuse odyssée de leurs malheurs est loin d'être à son terme. Souvent, sournoisement embobinés, éblouis par mille promesses menteuses, contraints par le besoin, ils se lient par des contrats qui sont un véritable esclavage. Les enfants sont acheminés à travers la mendicité sur la voie du délit et les femmes jetées dans l'abîme du déshonneur…"(L'emigrazione italiana in America).

2. Les "rafiots de la mer" et le trafic des clandestins 

Si entre les deux guerres les flux migratoires connaissent une forte contraction, après la deuxième guerre mondiale ils explosent de nouveau. Pendant les années '50, la mer et les océans deviennent la grand-route des migrations. Mais pour peu de temps, bientôt remplacée par d'autres moyens de transport plus rapides : le transport aérien entre les continents et les transports ferroviaires et routiers entre les nations.

Les flux migratoires ne partent plus principalement de l'Europe et les lieux d'origine des migrations se multiplient toujours plus. A partir de années '60, le scénario politique, économique et financier mondial apparaît toujours plus comme une sorte de "village économique mondial", même s'il est encore divisé en deux par les blocs économiques et politiques qui se disputent le pouvoir universel (la fameuse "guerre froide"). Les problèmes locaux de tous types résultent toujours plus liés aux problèmes globaux, dans un processus toujours plus vaste et plus profond d'universalisation : les droits humains, les problématiques liées au travail, à la santé, au développement agricole et à la faim, la sécurité internationale, les commerce, les plans de développement…

Dans les domaines économique et financier, un pays n'est plus en mesure de réaliser des programmations indépendantes de celles d'autres pays de la même zone ou du cours de l'économie et des finances mondiales : les économies nationales sont conditionnées et dépendent de facteurs internationaux et transnationaux.

Au cours de ces trente dernières années, une accélération des flux migratoires s'est produite, ainsi que leur mondialisation, comme nous l'avons indiqué dans la prémisse de cette intervention. 

L'accroissement de l'émigration est confirmé par des estimations de l'ONU : tandis qu'en 1965 on évaluait que les immigrés internationaux étaient environ 75 millions, au début des années '90 ils étaient environ 120 millions (y compris les réfugiés) et au début de l'an 2000 leur nombre atteignait 150 millions environ (dont 50 millions de réfugiés environ). Ceci signifie que des années '60 à aujourd'hui le nombre d'immigrés dans le monde a plus que doublé, avec un taux annuel de croissance de 1,9% (supérieur au taux de croissance démographique du monde qui est de 1,8%). L'émigration des femmes, qui au début des années '90 constituait 48% du total, est aujourd'hui en forte augmentation, surtout à cause des flux irréguliers : il s'agit d'un phénomène qui est destiné à se poursuivre (Nations Unies, 19998, p. 39).

Dans la phase actuelle, le phénomène le plus préoccupant est celui des migrations clandestines et, parmi celles-ci, le "trafic des clandestins".

Et c'est dans ce cadre que la voie des mers commence à nouveau à être utilisée : en effet, une partie du trafic des clandestins s'effectue justement par la voie des mers. Si l'on exclut le problème des "professionnels de la mer", c'est-à-dire des marins (un thème qui a déjà été traité ce matin), de tout l'énorme passage de migrants à travers les voies maritimes des époques passées, il reste aujourd'hui presque exclusivement le transport maritime des clandestins.

Il s'agit d'un "micro-phénomène" qui, toutefois, doit être inséré dans un discours articulé, lié aussi bien aux "nouveaux esclavages" qu'aux "nouvelles mafias" qui, à travers ce trafic, sont en train de réaliser des gains fabuleux.

Pendant la crise cubaine d'abord, et à la fin de la guerre du Viêt-nam ensuite, nous avons été habitués à voir des bateaux surchargés de personnes désespérées qui cherchaient de fuir à la recherche de liberté et d'espérance : il s'agissait de Cubains qui avaient peur du régime castriste instauré à Cuba ; ou de Vietnamiens, dont beaucoup étaient particulièrement compromis avec les Américains ou, de toute façon, conscients qu'un monde finissait avec l'arrivée du nouveau régime communiste.

C'était le début de l'histoire dramatique et douloureuse des "boat people".

Nombre de ces bateaux sombrèrent avec leur charge de personnes et de désespoir ; d'autres furent refoulés sur les plages d'abordage et durent poursuivre vers une nouvelle aventure.

Maintenant, la chronique nous parle de nouveaux bateaux, qui vont des "rafiots de la mer" aux canots pneumatiques et aux embarcations qui sillonnent la Méditerranée (surtout vers l'Espagne, la Grèce et l'Italie) ou qui transportent les clandestins et tant de personnes désespérées qui cherchent la fortune ou l'asile politique dans les différents pays asiatiques ou en Australie. En 2000, suivant les données de la police espagnole, il y a eu plus de mille morts dans la tentative d'atteindre la péninsule ibérique ; des centaines de morts ont été le résultat des débarquements organisés par les pilotes albanais ; les rafiots de la mers qui abordent les côtes de la Calabre sont remplis de personnes à bout de forces, malades, en fin de vie et même mortes ; personne n'arrive à calculer le nombre de bateaux qui ont coulé avec leur charge de marins (surtout des Philippins) ou avec leur charge de migrants.

L'histoire des "boat people" continue et semble destinée à continuer.

a. Les migrations modernes et lesnouveaux esclavages

Dans son livre "Schiavi. Il nuovo traffico di esseri umani" (Rizzoli, Milan 1999, p. 13-14), Pino Arlacchi commence ainsi :"Sur la vague de la globalisation des communications et des marchés, mais aussi de la croissance économique et du développement des droits civils dans les Pays les plus riches, au cours des trois dernières décennies les chaînes du servage se sont multipliées et sont devenues plus lourdes. Il ne s'agit pas de survivances ou d'horrible bizarreries, mais de fleuves de souffrance humaine grossis par l'avidité de ceux qui cherchent le profit sans se soucier des limites et des instruments utilisés pour l'obtenir.

Suivant l'"Anti-Slavery International" de Londres, plus de 200 millions d'êtres humains sont aujourd'hui accablés par des chaînes. Les dimensions de l'esclavage actuel font pâlir les chiffres du passé […]. En moins de trente ans, du début des années '70 à nos jours, on évalue que le commerce de femmes et d'enfants destinés à l'esclavage sexuel en Asie concerne 30 millions d'individus. Si on ajoute à cela les 100 millions d'enfants qui, selon le Bureau International du Travail, subissent aujourd'hui les formes d'exploitation les plus sauvages et infamantes, nous obtenons le chiffre d'un des fléaux les plus dévastants et méconnus de l'époque présente".

En effet, l'esclavage moderne se manifeste sous deux aspects : l'esclavage sexuel et l'esclavage économique.

Même s'il ne faut pas identifier les nouvelles formes d'esclavage avec les flux migratoires, il apparaît clairement que surtout une partie de l'immigration clandestine est étroitement liée à ces nouvelles formes d'esclavage.

  • En ce qui concerne l'esclavage sexuel, il ne faut pas oublier qu'il n'existe pas aujourd'hui de formes d'esclavage sexuel légitimes et qu'aucun code n'autorise l'exploitation sexuelle. Toutefois, des formes extrêmes de servage sexuel continuent à exister, à l'intérieur de circuits commerciaux, comme partie d'une industrie du travail sexuel articulée de différentes façons. Dans les dernières décennies, un marché des prestations sexuelles s'est développé dont les gains pour les médiateurs et les prix des services vendus aux clients sont proportionnels à la violation des droits humains des victimes : le marché mondial de femmes et d'enfants, réduits en esclavage pour satisfaire les désirs et les perversions d'une clientèle payante et indifférente, a assumé des proportions alarmantes.
  • "Dans les bordels de Manille et de Nairobi, dans les rues de Rio ou de New-York, dans les barsd'Amsterdam et de Bangkok, dans les bus, dans les gares et dans les chambres d'hôtel de toutes les parties du monde, des millions d'enfants risquent l'exploitation sexuelle ou sont déjà prisonniers de l'industrie milliardaire du sexe"(Congrès mondial contre le commerce sexuel et l'exploitation des enfants, Stockholm 1966).
  • A côté des enfants-esclaves, nous trouvons toute une gamme de jeunes femmes achetées et vendues suivant des modalités archaïques ou avancées (places du marché, annonces dans les journaux ou catalogues spécialisés sur Internet) : des femmes à peine sorties de l'adolescence, presque des fillettes, dont la virginité et la liberté sont évaluées et commercialisées par des exploitants attentifs et cruels, sûrs du fait que les prestations d'êtres humains privés de leur dignité peuvent leur fournir des profits qui se renouvellent continuellement. Des jeunes filles pour passer le temps, pour des massages, pour une soirée ; des femmes payées à l'heure, à la journée, à la semaine ; des services d'accompagnement, de représentation, de soins esthétiques et spirituels…"Nous sommes dans une zone de l'économie mondiale où lacirculation de la marchandise humaine a aboli toute frontière géographique et juridique et où l'offre et la demande se rencontrent dans une Tour de Babel globale, qui ne soucie pas de la race, des valeurs et des sentiments des personnes "(P. Arlacchi, oeuvre citée, p. 87).
  • Si la population des exploités est formée par les catégories les plus vulnérables, la population des exploitants est toujours plus souvent formée par des groupes criminels d'origine différente et par certaines parmi les plus puissantes et fameuses organisations criminelles du monde (comme la Yakuza japonaise, les Triades chinoises et la mafia russe). En outre, la diffusion de l'esclavage sexuel est aussi liée à l'ambiguïté et aux carences des lois sur la prostitution et sur le trafic des clandestins dans nombre de pays.
  • L'esclavage sexuel est prospère dans tous les Pays, surtout dans ceux où se déroule le "tourisme sexuel" : certains Pays asiatiques sont fameux sous cet aspect, comme par exemple la Thaïlande (où dans passé récent le tourisme sexuel était diffusé aussi par les agences de tourisme) ou les Philippines. Mais l'esclavage sexuel est désormais devenu une "marchandise d'exportation" : comme nous le verrons plus loin, l'industrie du sexe s'alimente avec des flux migratoires de femmes et d'enfants, aussi et surtout clandestins (suivant les différents pays).
  • Concernant l'esclavage économique,"à différence des esclaves qui pliaient le dos dans les grandes propriétés foncières ou dans les plantations du nouveau monde, les esclaves modernes ne sont même pas considérés comme une partie du capital d'entreprise : et ce parce qu'il n'existe plus de moyens juridiques pour s'en approprier. Ils ne font l'objet d'aucun investissement à long terme […], mais, comme tout autre facteur de production à bas coût, ils sont considérés comme tout à fait interchangeables"(P. Arlacchi, œuvre citée, p. 123-124).
  • L'esclavage économique reprend et continue la vieille institution de la "servitude de la dette" qui a continué à exister dans nombre de pays : on accorde à une personne individuelle ou à une famille un prêt ou un salaire anticipé et le débiteur doit travailler pour le créditeur jusqu'au moment où la dette est entièrement payée. De fait, il tombe dans un piège duquel il arrive très rarement à se libérer rapidement car ces rapports de travail sont organisés (à travers des prêts successifs et des dettes conséquentes) de façon à ce que la restitution en des délais raisonnables soit pratiquement impossible. En outre, cet esclavage est pratiquement invisible car l'asservissement n'est pas officialisé : son origine réside dans un contrat entrepersonnes privées (le plus souvent non écrit), qui échappe aux contrôles, aux recensements et aux statistiques. Selon laGandhi Peace Foundation, au début des années '80 il y avait en Inde au moins 2.240.000 travailleurs asservis.
  • L'esclavage économique est pratiqué encore aujourd'hui dans nombre de Pays, surtout pour ce qui est du travail des mineurs : ce sont souvent les parents qui, accablés par la misère et les dettes, s'adressent à des entrepreneurs ou à des intermédiaires pour qu'ils embauchent un ou plusieurs de leurs enfants en échange d'une compensation ; mais il existe une véritable organisation de médiateurs, qui offrent à une famille pauvre un travail pour un garçon ou une fillette moyennant une récompense ou une remise totale ou partielle des dettes contractées précédemment. D'autres fois, ce n'est pas le besoin extrême qui pousse à cette opération de vente, mais plutôt l'illusion qu'avec une expérience professionnelle leur enfant puisse avoir un futur. Et c'est justement une espèce de légitimation ambiguë qui rend difficile l'éradication de ce fléau. Liés au patron par le prêt reçu, les "serfs de la dette" sont à la merci de ce dernier : ils deviennent des fournisseurs sans valeur et immédiatement remplaçables de main d'œuvre à bas coût pour la production de marchandises qui seront vendues sur les marchés locaux et internationaux. Environ 20% des 250 millions d'enfants obligés à travailler dans le tiers-monde sont occupés dans l'industrie manufacturière et minière, dans les constructions et dans les services, et nombre d'entre eux sont des "serfs de la dette".
  • Les restrictions croissantes des flux migratoires, imposées dans les vingt dernières années dans tous les Pays développés, ont fait revenir à la mode une institution qui avait rendu possible l'arrivée en Amérique de milliers d'européens dans les XVème et XVIème siècles et le transfert-exploitation de millions d'ouvriers asiatiques dans les colonies au cours du siècle suivant : la "servitude à contrat", réapparue sur une large échelle, et qui concerne aussi bien l'immigration régulière que celle clandestine. Quelques années de "servitude à contrat" sont souvent le prix à payer pour pouvoir s'installer de façon clandestine aux Etats-Unis, en Europe ou dans les pays asiatiques d'immigration : à travers le mécanisme de la dette (une avance d'argent pour payer le voyage), tous les ans, des milliers d'immigrés irréguliers sont obligés à travailler durement dans le but de rembourser, souvent avec des intérêts importants, le coût du voyage en Occident.

Conclusion

Dans ma relation complète, j'analysais les données statistiques de ce trafic de clandestins surtout en Asie et de l'Asie et en Europe.

Contre l'exploitation et la "traite" et contre les délits commis vis-à-vis des mineurs, nombre d'initiatives ont été entreprises de la part d'organismes nationaux et supra-nationaux. Surtout au cours des années '90, d'importants accords ont été émanés par différents pays intéressés par le phénomène : la"Declaration and Agenda for Action"dans le cadre de la Conférence de Stockholm de 1996, la"Résolution contre la traite d'êtres humains"de 1996 du Parlement européen, suivie par la Convention qui s'est déroulée à La Haye en 1997.

L'Assemblée Générale de l'ONU a créé en décembre 1998 unComité ad hocpour l'élaboration d'une"Convention des Nations Unies contre la criminalité organisée transnationale", promu à Vienne en décembre 1999. Le Comité a approuvé laConventionen juillet 2000 et lesProtocolessur le trafic des personnes et le transport illégal de migrants en octobre 2000. En novembre 2000, l'Assemblée Générale ha adopté formellement ces instruments, qui ont été signés à Palerme le 15 décembre 2000.

Ces Conventions ont donné lieu à des actions répressives et on constate un effort de coordination des interventions des Etats, de même qu'une adaptation juridique qui, toutefois, demandera beaucoup de temps et des efforts ultérieurs.

L'Union Européenne a mis en œuvre, dès la fin de années '90, deux programmes complémentaires entre eux et dont l'objectif est de combattre la "traite" : le programme"Stop"et le programme"Dafne". La traite y est divisée en cinq phases : les quatre premières phases (recrutement, voyage, arrivée dans le pays de destination et exploitation) constituent les domaines du programme"Stop"; la cinquième phase concerne la réinsertion active dans la vie civile des personnes impliquées dans la "traite" et constitue le domaine d'intervention du programme"Dafne".

Les résultats obtenus sont essentiellement deux : une importante action de sensibilisation de l'opinion publique sur le phénomène de la traite (surtout à travers une série de congrès et de réunions qui ont cherché l'éclaircissement, aussi du point de vue théorique, de la signification et des différentes réalités qui se rapportent à la "traite") et une action de convergence des systèmes normatifs des différents Pays de l'Union, qui se sont engagés à introduire des normes pénales contre les trafiquants.

Toujours au niveau législatif, les Pays de l'Union ont légiféré sur le principe d'extra territorialité dans les délits mineurs et ont institué l'Europol dont les domaines d'intervention comprennent aussi les délits liés aussi bien à l'immigration illégale qu'à la "traite".

Nous sommes conscients qu'il faut orienter d'importantes ressources humaines et économiques vers deux directions :

  • Pour s'opposer à une "affaire" qui est en train d'engendrer des collusions et des complicités entre les organisations criminelles internationales, une action commune est nécessaire, qui aille au-delà des limites nationales et locales et qui soit envisagée au niveau continental et international.
  • Aucun projet en faveur des victimes des abus ne peut faire abstraction de la récupération et de la réinsertion de celles-ci dans la vie sociale et de leur réhabilitation : le simple rapatriement élude le problème. Il faudra les protéger et assurer la sécurité de leur avenir (de la part des institutions) afin que les victimes se sentent en mesure de réagir et de se libérer.

Les situations d'exploitation du passé (esclavage, exploitation des migrations) semblent un souvenir lointain, mais les maux anciens se présentent aussi à notre époque de globalisation sous d'autres formes et apparaissent, sous beaucoup d'aspects, amplifiées si ce n'est du point de vue de la qualité du moins du point de vue de la qualité.

Mais les situations de péché dans lesquelles les migrations modernes continuent à être plongées sont ce monde que le Père a tant aimé et continue d'aimer et dans lequel il veut construire son Règne.

La vision chrétienne de l'histoire naît justement de ce projet positif du Père.

Je me souviens alors d'une affirmation de Mgr Scalabrini :"Le chemin des idées est d'une lenteur désespérante, surtout quand elles heurtent les intérêts et les passions, mais est il constant quand les idées proposées sont justes et véritablement utiles. Insistons donc car toute lenteur atteint son but, à condition que la fatigue ne gagne pas celui qui s'en est fait le héraut"(Deuxième Conférence sur l'Emigration, Turin 1898).

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