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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move - N° 86, September 2001

 

Réflexions spirituelles sur l'aumônerie de l'Aviation Civile et des Aéroports en Europe*

 

Philippe SCHILLINGS
Directeur National du Bureau de la Migration 
de la Conférence Episcopale Belge 

Depuis une dizaine d'années, Votre serviteur exerce le ministère de Directeur National de la Pastorale des Migrants de la Conférence des Evêques de Belgique. Il est aussi membre du Comité Directeur de la Commission Internationale Catholique pour les Migrations. Cette année, la Commission fête ses cinquante ans d'existence au service des migrants et des réfugiés de notre planète.
Dans la pratique quotidienne, tout en exerçant quelques activités pastorales, il accompagne aussi les services d'accueil de migrants et réfugié de l’Eglise catholique en Belgique. Ce qui empêche toute évasion dans un idéalisme délétère et lui permet de se salir les pieds (au figuré) ‑ avec ou sans sandales ‑ dans la fange des problèmes nés de la misère et du concret de la souffrance humaine.
Depuis 1999, le Ministre général et son Définitoire (Conseil général) lui ont confié le mandat de Délégué de l’Ordre des Frères Mineurs (Franciscains) auprès des instances européennes présentes à Bruxelles.
L'esprit de ma famille spirituelle marque profondément ma vie et mon engagement au service de l’Eglise universelle. Et en bon Franciscain 'pèlerin', je fréquente assidûment vos aéroports et ce n'est pas toujours pour me rendre à Rome ou à Assise.
Néanmoins, n'étant pas aumônier de l'Aviation civile, conscient de mes limites et de ma pauvreté en la matière, j'ai essayé de rechercher ‑ entre deux vols ‑ des éléments susceptibles de vous aider dans votre réflexion sur la spiritualité d'un aumônier d'aéroport. La tâche fut ardue et je m'excuse dès le début pour les erreurs que j'ai pu commettre.

Introduction

Je vous prie de m'excuser si l'approche (Weltanschauung) franciscaine colore un peu trop ma présentation. Vous pourrez la corriger dans les débats qui suivront.
En relisant vos documents, j'ai pu constater plusieurs dialectiques qui se superposent dans le scénario de la vie de l'aéroport.

1.Et d'abord, la dialectique apparente entre une dimension sédentaire ou sédentarisée : des bâtiments oppressants, souvent grandioses, même luxueux, fonctionnels, stables et témoins du développement économique et culturel de l'Europe et du pays d'accueil et, dans ces palais de fer, de béton et de verre, la dimension migrante, itinérante, du passage incessant, du provisoire, de notre pèlerinage en ce monde. Sédentarisation, stabilité, richesse et dynamique du provisoire. Voilà bien un premier élément qui nous questionne dans notre pastorale. Comment échapper aux conditionnements imposés par la vie dans l’enceinte de I'aéroport quand ils mettent en péril notre vocation de service et d'aumônerie de l'ensemble du tissu humain que nous côtoyons?

2. Il semble y avoir une deuxième dialectique ou conflit fondamental en liaison avec la première, la dialectique interne à la structure de l'aéroport, celle d'un personnel stable, sédentaire de l'aviation civile et de ses structures d'appui: logistiques, commerciaux, sécuritaires et celle du personnel itinérant des compagnies aériennes, hommes et femmes du ciel, hommes et femmes de la terre, sans négliger les catégories intermédiaires. Dans ce domaine, je suis informé que certains d'entre vous réalisent des prouesses dans la conciliation vu la complexité des problèmes internes et externes liés à l'existence d'un aéroport. Dans mon pays, suite au drame Swissair/Sabena, la figure de l'aumônier a acquis une nouvelle dimension sociale. Sa modération est devenue indispensable dans les discussions entre les patrons et les syndicats.

3.Une autre dialectique affleure parfois : une perception chrétienne et religieuse nourrie de Foi et, pour nous, d'Evangile, se voit quelques fois contestée par une analyse sécularisante, laïque, "pluraliste" de l'aéroport. Elle pourra déboucher sur une radicalisation des positions dans les heures de crise aiguë et de concurrence effrénée. L'aumônier essaiera alors de rétablir un climat de tolérance et de compréhension, en évitant des prises de positions purement apologétiques. Il défendra malgré tout l'identité et la justification de sa fonction de représentant de l'Eglise catholique au cœur de l'aéroport.

4.Une autre problématique qui, nous dirait Heidegger, se voile tout en se dévoilant par instants dans l'organisation interne de l'ensemble : l'aéroport se présente comme un lieu de vie où s'exacerbent le conflit et l'interdépendance de l'économique, du commercial et du spirituel. L'aéroport assume alors les contours d'un microcosme de notre société et des ses fragilités dans le domaine social et économique. Le défi du spirituel vient y ajouter un élément supplémentaire, soit toléré, soit contesté.

Défi et espérance

1.Dans le monde actuel, l'aéroport serait le « site » où se cristallise mieux qu'ailleurs aujourd'hui la démarche d'itinérance de l’homo viator, du pèlerin à la recherche du Royaume. Certaines grandes gares de chemin de fer pourraient aussi revendiquer ce rôle, mais la dimension de libération aérienne ajoute un plus existentiel à cette recherche de libération et d'épanouissement personnel du voyageur/pèlerin, conscient ou inconscient des limites de son attachement à la terre mère dont il se détache et se rapproche en arrivant à l'aéroport. Sommes nous pleinement conscients, nous mêmes, de la crise spirituelle, de la situation-limite dans l'évolution de la personne humaine que produise chez certains voyageurs le passage par nos grandes maisons?

2.L'aéroport pourrait amener de nombreux voyageurs à vivre l'expérience d'une situation d'un projet de libération spirituelle. Ce passage obligé nous révèle en effet la pauvreté fondamentale et la dépendance de la personne humaine. Il nous renvoie aussi à la pauvreté originelle de la créature humaine voulue par Dieu pour que l'amour du Christ la transforme en Enfant de Dieu. "Homo capax Christi". L'aéroport peut devenir le lieu où le croyant se laisse convertir à l'impact de l’Incarnation du Christ dans sa vie quotidienne. Plus qu'ailleurs, il y ressentira la douleur de l'abandon, de la solitude, de la séparation, pour certains voyageurs l'aéroport serait même un lieu pascal dans la joie d'une résurrection personnelle, d'une victoire de l'amour sur la violence de notre monde. De nombreux exemples vécus par les aumôniers pourraient le confirmer.

3.Dans une approche plus matérialiste, l'aéroport devient peu à peu un espace de rencontre de l'ensemble de l'humanité, toutes classes sociales confondues, d'une rencontre de toutes ses richesses et de toutes ses pauvretés. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, il se propose d'être un lieu essentiel de la diaconie de l’Eglise, de sa charité. Combien de demandeurs d'asile n'ont‑ils pas vécu et traversé l’expérience de l'aéroport? Pour un grand nombre parmi eux, il a servi quelque temps de prison dorée avant l'amertume des camps, des centres fermés pour réfugiés, des vraies prisons et d'un rapatriement sans gloire. Des hommes et des femmes y perdent chaque jour l'honneur et le sens de l'existence. Ils le quittent profondément blessés dans leur dignité humaine. Votre écoute chaleureuse et patiente d'aumôniers leur offrira un baume pour leurs blessures, une lueur d'espoir dans un avenir perdu, incertain ou même détruit par la rapacité d'un passeur, d'une filière. Dans les aéroports, le Christ sera en agonie jusqu'à la fin des temps. Où serons‑nous pendant ce temps‑là ?

Eléments d’une spiritualité de l’aumônerie

1. L'Universalité
La catholicité ou l'universalité de la foi chrétienne se vit chaque jour à l'aumônerie de l'aéroport. Il s'agit d'un défi exigeant car l’ « introduction » par l'aumônier à la civilisation chrétienne, son témoignage de vie, de don de soi et de prière offrent souvent au voyageur, au migrant, à l'itinérant, le premier contact vrai avec la réalité d'un monde chrétien ou religieux différent du sien. Comment proportionner cette ouverture au monde chrétien dans nos aéroports? Lors d'un départ, d'un transfert, le rappel de cette universalité, de cette catholicité originelle de l'Eglise peut soutenir le migrant dans sa démarche d'exil ou d'éloignement de sa patrie. 
Dans les relations avec les pilotes et le personnel de bord des compagnies aériennes, ce rappel de la catholicité peut raviver l'espérance d'hommes et de femmes confrontés sans cesse à l'itinérance de leur vie et celle de ceux qu'ils transportent, d’une extrémité à l'autre du globe. Une relecture de la vie de Saint Jean Chrysostome, surtout de son exil, pourront nous aider dans cette méditation.

2. L'Itinérance
Ne la confondons pas simplement avec le pèlerinage qui a une finalité spirituelle ou morale bien précise. Il s'agit ici de la mobilité humaine en tant que telle avec ou sans finalité spirituelle ou morale. Comment résumer cette dimension essentielle de la vie humaine qui produit en nous une libération des attaches matérielles ou économiques. Plus que tout autre, l'aumônier d'aéroport éveille ses frères humains à la richesse spirituelle de la « pauvre » itinérance. Nous n'arriverons peut-être pas à l'extase mystique de la suite du Christ pauvre et crucifié d'un François d'Assise, ni à la Sagesse d'un pauvre, mais nous pourrons aider des hommes et des femmes prisonniers du provisoire, de l’apparence, des excès matérialistes à découvrir les richesses cachées dans leur cœur. En ce domaine, le voyage leur proposera la voie d'une régénération spirituelle, d'un dépassement d'eux‑mêmes et la découverte de nouvelles valeurs de vie et d'humanité.

3. La Compassion
Certains jours, l'aumônier devra réconforter et consoler ceux et celles qui pleurent au sein de l'aéroport la rupture de liens sentimentaux ou affectifs. Séparation des couples, abandon des enfants, déchirements familiaux. Dans certains cas, le Seigneur exige de nous une immense compassion. S'y ajouteront de temps en temps la tristesse d'un départ définitif, d'une rupture non souhaitée ou d'un décès lourd à porter. Combien de rites funèbres ne célébrons‑nous pas à l'aéroport ? L'aumônier rendra témoignage de sa participation à l'amour de Dieu, de son ouverture vers le Bien infini qui ne peut se contenter en lui‑même mais qui doit se diffuser, se répandre, consoler, réconforter.
Le voyage acquiert en ces moments tragiques une nouvelle dimension, celle d'une mort acceptée ou rejetée par toutes les fibres de l'âme. Partager cette souffrance n'est ce pas partager le mystère du serviteur souffrant, de l'homme des Béatitudes? Que ces heures soient pour vous des temps de grâce, d'enrichissement spirituel, que certains collègues de la pastorale ordinaire vous envieront sans doute.

4. La Liberté
Suspendu entre ciel et terre, l’aéroport peut nous permettre de vivre la liberté fondatrice de l'être humain, liberté, signe et révélation de notre participation à la divinité pour les Pères de l'Eglise. Comment amener un homme ou une femme à découvrir et vivre sa participation à la liberté de Dieu? Dans un monde assoiffé de droits de l'homme et de liberté, l'aumônier de l'aéroport rappellera l’enracinement originel de la liberté humaine et des droits de l'homme dans la qualité d'enfants de Dieu. Liberté, droits de l'homme, sécurité, flux migratoires, que de questions ne pourrions‑nous pas soulever dans ce domaine. La liberté et les droits de l'homme ne se moulent‑ils pas dans le cadre d'une religion ou mystique de substitution de notre société démocratique? Comment répondre également à ces défis qui tourmentent aujourd'hui les milliers de jeunes qui arpentent les corridors de nos aéroports, déchirés entre la sacralisation des droits de l'homme et les dérives sectaires, souvent ignorants de la dimension religieuse chrétienne et du message de l'Evangile? Une problématique sous-jacente, quel accueil chrétien et spirituel proposons‑nous aux jeunes dans notre milieu de vie ?

5. Unité et Altérité
Notre foi chrétienne nous conduit à croire en l’unité fondamentale de l’humanité. L’Incarnation du Christ nous fournit la clef de compréhension de l’existence de l’homme créé par Dieu. N’en déplaise à certains anthropologues, nous croyons qu’en tout homme, toute femme se révèlent des éléments communs à l’ensemble de l'humanité: des éléments christiques, "christophores" anticipent et justifient toute diversité postérieure. Tout homme est mon frère en Christ. Dans l'Eglise, il n'y a pas d'étranger. L'Eglise l'a proclamé haut et fort pendant l'année jubilaire. Notre jeunesse vit intensément cette vérité tout en reconnaissant la diversité des cultures dans lesquelles elle s'incarne. Dans la tradition spirituelle franciscaine, l'homme vient à ce monde pour recevoir en lui l'Incarnation du Christ, et cela dans la diversité des cultures.

6. Altérité et Communion
L'évangélisation aurait‑elle comme une de ses finalités non pas unique mais primordiale l'éveil de cette conscience christique en tout homme, toute femme qui vient en ce monde ? La Babel aéroportuaire explose comme un défi cinglant pour cette vision d'unité radicale de l'humanité, car elle est devenue le lieu de l'altérité visible et permanente des races, des sexes, des cultures, des religions, des philosophies. Bien sûr, mais l'aumônier d'aéroport doit incarner dans un milieu parfois hostile la conviction qu'au delà de la diversité apparente, au sein de l'altérité, du différent, jaillit l'unité originelle de l'humanité enracinée dans le Christ, rencontre de l'homme et de Dieu. Il devra vaincre en lui‑même la peur de l'autre, du différent qui le provoque parfois jusqu'à l'insupportable en se rappelant que sa différence européenne "civilisée" crée autant de peur que celle qu'il ressent en lui‑même chez l'étranger qui s'approche de lui dans les passages de l'aéroport. Que le Seigneur nous aide à assumer notre différence enracinée dans le tout Autre, Jésus‑Christ, pierre d'angle de notre unité et de notre communion.

7. Paix et Réconciliation
L'aéroport comme lieu de paix et de réconciliation, et même de prévention des conflits, pourquoi ne pas rêver en cette année 2001 d'un rôle nouveau et prophétique pour l’aumônerie? Dans son itinéraire de l'esprit en Dieu, Saint Bonaventure, après avoir longuement médité sur l'exemple de François d'Assise, arrive à la conclusion que la paix, c'est le repos de l'âme en Dieu. Pour Bonaventure, il n’y a pas de paix qui ne soit d'abord fruit d'une pacification intérieure, d'une réconciliation entre l'homme que je suis, Dieu et ses créatures. Quand j'aurai atteint cette paix que Dieu me donne, je pourrai être un instrument de paix dans le monde qu’il m'a confié.

Conclusions

1. L'aéroport est devenu un lieu essentiel de foi et d'évangélisation dans le monde d'aujourd'hui. Lieu par excellence d'un brassage de l'humanité, lieu de toutes les rencontres, creuset des contradictions de notre époque, mais aussi lieu d’ouverture et de nouvelles possibilités missionnaires.

2. Il devient peu à peu un lieu propice à l'expérience spirituelle ou à l'ouverture vers l'expérience spirituelle, qui résultent d'un voyage, du détachement des contraintes terrestres, de l'envol vers d'autres cieux. Comment développer la recherche de libération, d'envol spirituels dans une aumônerie d'aéroport ?

3. Un lieu de dialogue des civilisations, un aspect que nous recommandait le Saint Père dans son Message du 1er janvier; de dialogue interculturel et interreligieux, nourri par les départs, les arrivées, des croisements, des rencontres fortuites ou programmées.

4. Une dimension qui me tient particulièrement à cœur dans nos pays européens : l’accueil des petits et des pauvres du monde, l'aéroport de l'authentique charité, de l'amour chrétien, refuge du rebut de la misère humaine, des exilés, des demandeurs d'asile.

5. Et finalement un lieu d'adoration et de prière, et je vous en remercie car vous avez pu transformer peu à peu, grâce à votre présence, certains aéroports en lieux privilégiés de la présence de Dieu.

Amen et Bon Vol !


* Intervention à la Troisième Rencontre Européenne pour Aumôniers et Membres Catholiques d’Aumônerie de l’Aviation Civile, Bruxelles (Belgique), 28-31 mai 2001.

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