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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move - N° 87, December 2001

 

Le rôle du Directeur National de la Pastorale des Migrants[1]

Rev. P. Abraham-Roch OKOKO-ESSEAU, S.J.
Directeur National, Commission Episcopale
pour les Migrants et les Réfugiés,
Congo - Brazzaville 

Introduction

Il mÂÂ’a été demandé dÂÂ’intervenir sur le rôle du directeur national de la pastorale des migrants. Tout en remerciant le Conseil Pontifical pour lÂÂ’honneur quÂÂ’il me fait en me retenant parmi les intervenants, je me réjouis de pouvoir partager ici ma petite expérience. La lettre dÂÂ’invitation que jÂÂ’ai reçue faisait clairement ressortir le désir des organisateurs de voir ce thème traité en rapport avec lÂÂ’expérience vécue. CÂÂ’est ce que je mÂÂ’efforcerai de faire au cours du temps qui mÂÂ’est imparti.

Mais jÂÂ’aimerais signaler ici que ce nÂÂ’est pas sans embarras que je vais me livrer à cet exercice. Cet embarras vient du fait que mon expérience est limitée aux deux ans et demi passés à exercer les fonctions de coordonnateur national de la Commission Episcopale pour les Migrants et les Réfugiés au sein de la Conférence Episcopale du Congo.

Ma démarche dans cet exposé sera simple. Après avoir présenté les caractéristiques du phénomène migratoire au Congo et les problèmes qui en découlent et qui constituent à mes yeux des défis pour lÂÂ’Eglise, jÂÂ’essaierai, à la lumière des normes édictées par lÂÂ’Instruction sur la pastorale des migrants de 1969, des besoins émergeant du terrain et de mon expérience, de définir la manière dont je perçois le rôle dÂÂ’un directeur national.

I. Le phenomene migratoire au Congo-Brazzaville

Il est difficile de parler du rôle du directeur national tel quÂÂ’il est vécu au Congo sans décrire préalablement le phénomène migratoire et ce quÂÂ’avait été jusque-là la réponse de lÂÂ’Eglise dans ce pays. CÂÂ’est en effet au regard des caractéristiques propres de la migration dans ce pays que lÂÂ’Eglise particulière qui sÂÂ’y trouve élabore progressivement sa réponse pastorale et que le directeur national construit son action. Comment le phénomène migratoire se présente-t-il au Congo aujourdÂÂ’hui ?

En lÂÂ’absence dÂÂ’analyses sur les migrations au Congo faisant autorité, notre Commission Episcopale est réduite à faire de lÂÂ’observation empirique. Cette observation permet dÂÂ’appréhender à la fois la forme et la nature de la mobilité humaine dans notre pays. SÂÂ’agissant de la forme, on remarque un double mouvement. Un mouvement transfrontalier et un mouvement à lÂÂ’intérieur des frontières nationales. SÂÂ’agissant de la nature de ces mouvements, on peut distinguer une mobilité forcée et une mobilité volontaire. Ceci nous permet dÂÂ’appliquer au phénomène migratoire tel quÂÂ’il se donne à voir au Congo les catégories classiques de « migration interne », « migration internationale », « migration volontaire » et « migration forcée ». CÂÂ’est sur ces catégories que nous allons nous appuyer pour décrire le phénomène migratoire au Congo-Brazzaville aujourdÂÂ’hui. La description proposée ici mettra avant tout en lumière les grandes tendances du phénomène migratoire et les problèmes quÂÂ’il pose.

A. La migration interne

Commençons par le plus simple à observer, à savoir la « migration interne ». CÂÂ’est celle des populations principalement congolaises à lÂÂ’intérieur des frontières nationales. De nombreux congolais se déplacent chaque année dÂÂ’une région à une autre du pays. Ces déplacements se font principalement entre les villes et des zones rurales vers les zones urbaines, faisant ainsi du Congo un des pays les plus urbanisés dÂÂ’Afrique. En effet, il est aujourdÂÂ’hui communément admis que plus de 70% de la population congolaise habite dans les villes.

La politique dÂÂ’aménagement du territoire suivie depuis lÂÂ’indépendance ayant surtout privilégié les villes, les campagnes sont devenues au fur et à mesure de la dégradation des rares structures laissées par lÂÂ’administration coloniale des milieux répulsifs. Pour se soigner et étudier convenablement, pour espérer trouver du travail et tenter de tirer profit des bienfaits du développement, il faut aller en ville. Les raisons majeures des migrations internes sont donc généralement les études, la formation, le travail et la recherche dÂÂ’une vie meilleure. Ces migrations peuvent souvent être temporaires, mais elles tendent de plus en plus à devenir définitives. Si autrefois, on allait se faire soigner ou travailler en ville et on regagnait la campagne, aujourdÂÂ’hui on sÂÂ’y installe. LÂÂ’une des conséquences de ces déplacements est le développement de la pauvreté et de la misère dans les villes congolaises. Beaucoup de ceux qui viennent chercher des meilleures conditions de vie dans les villes vivent dans les zones périphériques de celles-ci dans des conditions souvent infra-humaines. CÂÂ’est notamment dans ces zones que se développent les grands problèmes qui blessent la dignité humaine : prostitution, drogue, désoeuvrement, violence, éclatement de la structure familiale, alcoolisme, sida, etc. CÂÂ’est aussi dans ces zones que des hommes et des femmes gagnés par le désespoir deviennent la proie facile des sectes qui y prolifèrent et développent souvent des formes dangereuses de religiosité, voire une conception fataliste de la foi. Ce sont là autant de problèmes qui interpellent lÂÂ’Eglise.

Les migrations internes que je viens de décrire soulèvent une question. Sont-elles forcées ou volontaires ? Certains considèrent les déplacements dus à la pauvreté ou à la misère comme relevant de la migration forcée. Ce nÂÂ’est en tout cas pas mon cas, du moins en ce qui concerne le Congo. Par respect pour ceux qui sont obligés de fuir leur domicile pour se protéger de la violence comme ce fut le cas au Congo pour 800.000 personnes entre décembre 1998 et janvier 2000, je préfère quÂÂ’on ne parle pas de migration forcée pour ceux qui recherchent simplement de meilleures conditions de vie socio-économiques. La migration forcée interne est un phénomène spécifique. Elle renvoie à la situation de ce que le droit international appelle communément les personnes déplacées. Le Congo des années 90 a bien connu ce phénomène avec les conflits socio-politiques qui ont accompagné le processus de transition démocratique. Nul nÂÂ’ignore les causes et les conséquences dramatiques de ces déplacements. La presse a abondamment parlé des violations des droits fondamentaux et des destructions qui sÂÂ’en sont suivies. Ces questions ne peuvent pas non plus laisser lÂÂ’Eglise indifférente.

B. La migration internationale

Par opposition à la « migration interne », la « migration internationale » est faite de déplacements des étrangers vers le Congo et de ceux des congolais vers les pays étrangers. Elle sera décrite ici sous les thèmes de lÂÂ’immigration et de lÂÂ’émigration. Et comme pour la migration interne, des problèmes susceptibles de constituer des défis pastoraux pour lÂÂ’Eglise seront mis en lumière.

1. LÂÂ’immigration au Congo

Le Congo est un pays dÂÂ’immigration. Même sÂÂ’il est difficile dÂÂ’avoir accès aux statistiques précises, le phénomène est néanmoins visible. De nombreux étrangers vivent au Congo depuis des décennies. Commencée sous la colonisation lorsque Brazzaville était la capitale de lÂÂ’Afrique Equatoriale Française (AEF), cette tradition sÂÂ’est poursuivie jusqu'à nos jours. Parmi les étrangers qui vivent actuellement au Congo, on rencontre aussi bien des immigrants volontaires que des immigrants forcés.

Les immigrants forcés sont principalement les réfugiés et les exilés politiques. Avec la guerre qui se poursuit actuellement en RDC, le nombre des réfugiés ayant trouvé asile au Congo a dépassé le seuil de 150.000 personnes. Ils sont dans leur grande majorité originaires des pays voisins ou de la sous-région en guerre comme la RDC, le Rwanda et lÂÂ’Angola (Cabinda). Il apparaît clairement ici que la question de la régionalisation des conflits doit interpeller lÂÂ’Eglise dans sa recherche de solutions au problème de la migration forcée.

Quant aux migrants volontaires, ce sont généralement des étudiants, des fonctionnaires internationaux, des cadres dÂÂ’ambassades et dÂÂ’entreprises étrangères, des commerçants et des personnes venues tenter leur chance dans un pays relativement riche mais sous peuplé, sans oublier ceux que le hasard du mariage a conduit à vivre au Congo. Dans ce groupe de migrants volontaires, on dénombre aussi bien des saisonniers, des temporaires que des personnes qui ont choisi de sÂÂ’installer définitivement au Congo. Il y a beaucoup de catholiques chez les immigrants vivant au Congo, mais on dénombre aussi des musulmans et des adeptes de nouveaux mouvements religieux parmi eux. Les adeptes de ces mouvements sont souvent des anciens fidèles catholiques. Un problème qui ne peut manquer de nous interpeller.

Il est difficile de parler de lÂÂ’immigration au Congo sans évoquer de nouvelles formes dÂÂ’immigration qui se veulent certes temporaires, mais dont la nature est manifestement criminelle. Il sÂÂ’agit de personnes qui profitent de la vulnérabilité dÂÂ’hommes et de femmes persécutés ou tout simplement de la quête de meilleures conditions de vie de certains jeunes pour leur extorquer dÂÂ’énormes sommes dÂÂ’argent en échange dÂÂ’une aide pour un départ à lÂÂ’étranger. Même si le phénomène ne se pose pas encore à grande échelle, il ne reste pas moins préoccupant. Il appelle une vigilance de lÂÂ’Eglise, car il renvoie à un véritable phénomène dÂÂ’exploitation.

Un autre problème me semble devoir appeler la vigilance de lÂÂ’Eglise. Il sÂÂ’agit du risque de xénophobie à lÂÂ’égard de certains immigrants. Je fais particulièrement référence ici aux réticences exprimées par un nombre non négligeable de citoyens congolais au sujet du processus dÂÂ’intégration des réfugiés rwandais hutu au Congo-Brazzaville. Ils justifient ces réticences par la participation active de quelques-uns de ces réfugiés aux opérations de pacification dans les régions sud du pays ou leur supposée implication dans le génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda. Tout en protégeant ces réfugiés hutu contre des accusations non prouvées, lÂÂ’Eglise doit aussi rester vigilante face à des attitudes qui, sous prétexte de rejet éthique, peuvent cacher en réalité des préjugés xénophobes.

2. LÂÂ’émigration des congolais 

LÂÂ’émigration nÂÂ’est pas un phénomène inconnu des congolais. En effet, de nombreux congolais partent et vivent aujourdÂÂ’hui à lÂÂ’étranger. Ce mouvement ira en sÂÂ’accentuant avec la mondialisation. En effet, lorsque ce phénomène sÂÂ’accompagnera dÂÂ’une ouverture poussée de frontières, davantage de congolais iront à lÂÂ’étranger non pas seulement pour tenter dÂÂ’échapper à la misère, mais aussi mus par le désir de découvrir dÂÂ’autres réalités et de vivre dÂÂ’autres expériences. La mondialisation entraînera nécessairement une culture de la migration que nous devons nous préparer à affronter pastoralement.

LÂÂ’analyse de lÂÂ’émigration congolaise dÂÂ’aujourdÂÂ’hui montre que les pays européens sont actuellement parmi les principaux pays dÂÂ’accueil. Si certains y ont été attirés par de meilleures conditions de vie, dÂÂ’autres sÂÂ’y sont installés pour des raisons dÂÂ’études, de stages de perfectionnement ou dÂÂ’affectation professionnelle (étudiants, stagiaires, diplomates et fonctionnaires internationaux). A côté de ces catégories, on rencontre des congolais installés à lÂÂ’étranger en raison de leur mariage. Ces congolais de lÂÂ’étranger sont généralement des migrants temporaires.

A lÂÂ’exception des cas de mariage, ces congolais ne vont pas dÂÂ’abord à lÂÂ’étranger avec lÂÂ’intention de sÂÂ’y installer définitivement. Ils commencent presque toujours par être des migrants temporaires avant de devenir des résidents permanents. CÂÂ’est souvent lÂÂ’attrait de meilleures conditions de vie ou lÂÂ’échec qui rend tout retour socialement difficile à porter qui provoque le passage du statut de résident temporaire à celui de résident permanent. CÂÂ’est généralement dans cette phase que se situe la fuite des cerveaux et que lÂÂ’on rencontre le plus grand nombre de migrants « sans papiers » avec tous les problèmes que cela suppose. Les congolais qui connaissent cette situation de « sans papiers » vivent souvent dans des conditions difficiles : clandestinité, absence de sécurité sociale, travail au noir, déstructuration des familles, mariages blancs, désaffection religieuse, perte de la foi, etc. Il peut se poser ici des questions de respect de la loi, dÂÂ’accompagnement pastoral, de défense des droits des travailleurs migrants et de leurs familles, de lutte contre lÂÂ’exploitation et lÂÂ’injustice sociale devant lesquelles lÂÂ’Eglise ne peut se voiler les yeux.

II. Responsabilités et fonctions du directeur national

En décrivant le phénomène migratoire au Congo, jÂÂ’ai chaque fois essayé de mettre en lumière les problèmes qui constituent des défis pour lÂÂ’Eglise aujourdÂÂ’hui et qui appellent des réponses pastorales de sa part. LÂÂ’intérêt de cette démarche apparaîtra plus clairement dans la description de la réponse que lÂÂ’Eglise du Congo essaie de mettre en place depuis quelque temps à travers sa Commission Episcopale pour les Migrants et les Réfugiés. CÂÂ’est à travers cette même description que je tenterai de dégager les responsabilités et les fonctions dÂÂ’un directeur national de la pastorale des migrants. Mais avant dÂÂ’y arriver - cÂÂ’est en effet lÂÂ’objet principal de cette communication -, permettez que je fasse le point sur ce quÂÂ’avait été la réponse de lÂÂ’Eglise catholique du Congo face au phénomène migration avant la création de la Commission Episcopale pour les Migrants et les Réfugiés (CEMIR).

A. La réponse pastorale de lÂÂ’Eglise catholique

Jusqu'à une date récente, lÂÂ’Eglise du Congo nÂÂ’avait pas considéré le phénomène migratoire comme une priorité pastorale ou une question dÂÂ’intérêt pastoral. CÂÂ’est ce qui explique le côté récent et la lenteur dans la mise en place dÂÂ’une réponse structurée et organisée face aux défis que pose le phénomène migratoire. La Commission Episcopale chargée de couvrir ce domaine nÂÂ’a été formellement créée que le 25 mai 1995 lors de la 23ème session plénière de la Conférence Episcopale du Congo. Un travail apostolique organisé nÂÂ’y a véritablement commencé quÂÂ’en 1998 avec la nomination dÂÂ’un deuxième directeur national appelé « coordonnateur national[2] ». Vous comprenez que dans ces conditions, lÂÂ’expérience de ce directeur ne peut-être que celle dÂÂ’un pionnier, confronté à la difficulté de travailler sans autre tradition que la voie ouverte par son prédécesseur et lÂÂ’Instruction de la Sacrée Congrégation des Evêques de 1969.

LorsquÂÂ’on analyse le magistère des évêques du Congo à travers leurs lettres pastorales et déclarations, on ne trouve aucune trace dÂÂ’un souci explicite pour les migrants. Ce ne sont pourtant pas les occasions qui ont manqué. Je me souviens par exemple de vagues dÂÂ’expulsion dÂÂ’étrangers qui avaient donné lieu à des atteintes aux droits humains et qui auraient même pu servir de prétexte aux évêques pour développer une pensée sur les migrations.

  • En 1978, sous le régime du Comité Militaire du Parti (CMP), de nombreux musulmans ouest-africains installés au Congo depuis plusieurs années, et actifs dans le commerce, furent en lÂÂ’espace de quelques jours expulsés du territoire congolais et rapatriés dans leurs pays dÂÂ’origine. Beaucoup dÂÂ’entre eux se virent dépouillés de leurs biens et du fruit de leur labeur.
  • En 1996, sous le prétexte dÂÂ’une lutte contre lÂÂ’immigration clandestine, la Police congolaise engagea une chasse à lÂÂ’homme contre les zaïrois. Beaucoup dÂÂ’entre eux furent arrêtés et renvoyés par bateaux entiers dans des conditions de sécurité inacceptables vers leur pays dÂÂ’origine. Certains périrent au Beach de Brazzaville avec lÂÂ’effondrement dÂÂ’une plate-forme qui nÂÂ’avait pu résister à la surcharge. 

Nos évêques étaient restés silencieux à chacune de ces vagues dÂÂ’expulsion. SÂÂ’ils ont jamais parlé de la migration, ce fut surtout comme une conséquence des conflits ethniques ou de la guerre civile; ce qui nÂÂ’est pas considérer le phénomène en lui-même. On peut évidemment sÂÂ’interroger sur ce silence difficile à interpréter. Etait-il le reflet dÂÂ’une conscience refusant dÂÂ’inclure les étrangers et des non catholiques dans leurs préoccupations pastorales? Considéraient-ils que ce type de question relève exclusivement du politique et non de la mission de lÂÂ’Eglise ou avaient-ils peur de se trouver en délicatesse avec les pouvoirs publics?

Même sÂÂ’il nÂÂ’y a pas eu de sollicitude particulièrement affirmée pour les migrants dans le magistère des évêques congolais, leur pratique laisse toutefois apparaître autre chose. En effet, malgré les défaillances signalées, on peut aussi y trouver quelques indications dÂÂ’un souci pour les migrants. Je voudrais évoquer ici quelques exemples qui expriment ce souci avant la déterminante étape que constitue la création de la CEMIR.

  • LÂÂ’organisation des célébrations dominicales et lÂÂ’organisation de la catéchèse à la chapelle du siège régional de lÂÂ’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à Brazzaville. 
  • LÂÂ’invitation des années durant dÂÂ’un prêtre brésilien ou lusophone par lÂÂ’évêque de Ouesso pour accompagner les travailleurs brésiliens venus construire une route dans la Région de la Likouala à Noël et Pâques.

De lÂÂ’expression dÂÂ’un souci à lÂÂ’organisation dÂÂ’une pastorale, il y avait certes encore un chemin à parcourir. CÂÂ’est sans doute pour cela que les évêques décidèrent en 1995 de créer une Commission Episcopale chargée de traiter des problèmes de la migration. Avec le travail initié par cette Commission, on est donc passé au Congo dÂÂ’une réponse pastorale pas du tout pensée ni structurée à un début dÂÂ’organisation. Des éléments relatifs à cet effort dÂÂ’organisation seront donnés dans la section qui suit et permettront de mieux cerner ce qui nous semble être le rôle dÂÂ’un directeur national de la pastorale des migrants.

B. Le triple rôle du directeur national

Comme directeur national, jÂÂ’ai toujours considéré que jÂÂ’avais des responsabilités aussi bien par rapport à lÂÂ’Eglise, qui mÂÂ’a confié une mission, que par rapport aux immigrés et aux émigrés que je suis appelé à servir. Ceci mÂÂ’a amené à mÂÂ’interroger sur ce que je devais faire pour permettre à lÂÂ’Eglise du Congo dÂÂ’accomplir sa mission et quel type de service pastoral je devais proposer aux migrants dans le contexte actuel de notre pays. CÂÂ’est une certaine manière de comprendre ma mission qui mÂÂ’a conduit à prendre un certain nombre dÂÂ’initiatives pastorales. Et analysant mon cheminement personnel, et en le confrontant aux orientations données dans lÂÂ’Instruction de 1969 plusieurs fois évoquée ici, je peux aujourdÂÂ’hui définir le rôle dÂÂ’un directeur national comme celui dÂÂ’un promoteur, dÂÂ’un organisateur et dÂÂ’un coordonnateur.

1. Le directeur national comme promoteur

Il sÂÂ’agit de promouvoir un type de pastorale qui avait jusque-là reçu peu dÂÂ’attention de la part des ordinaires. Malgré la création dÂÂ’une Commission Episcopale pour les Migrants et les Réfugiés, je nÂÂ’ai pas lÂÂ’impression que tous les évêques de mon pays aient totalement perçu la spécificité de la pastorale des migrants. Il me semble quÂÂ’ils nÂÂ’ont pas encore tous intégré lÂÂ’idée selon laquelle « ceux qui laissent leur famille et leur patrie pour sÂÂ’établir ailleurs » « ont besoin dÂÂ’égards particuliers correspondant à leurs besoins ». Leur souci semble être dÂÂ’abord le maintien des oeuvres traditionnelles héritées des missionnaires (les paroisses, les séminaires et certaines oeuvres sociales). Ils ont jusque-là considéré que les étrangers devaient purement et simplement sÂÂ’intégrer dans les paroisses existantes. Je pense quÂÂ’ils nÂÂ’ont pas encore pris toute la mesure ni saisi lÂÂ’enjeu du phénomène migratoire dans la construction du monde actuel.

Dans ce contexte particulier, la première tâche du directeur national est de promouvoir la pensée de lÂÂ’Eglise sur les migrations et la pastorale des migrants au sein même de lÂÂ’Eglise particulière. Promouvoir ici, cÂÂ’est essentiellement mettre en valeur, faire connaître et défendre auprès des évêques, de leurs collaborateurs et des chargés de la formation des futurs prêtres et religieux. JÂÂ’avoue que ce nÂÂ’est pas chose facile. Notre commission épiscopale essaie de faire ce travail de promotion à la fois à travers des contacts directs et la publication dÂÂ’un bulletin trimestriel de liaison, dÂÂ’information et de formation appelé « Echos de la CEMIR ». Dans les numéros déjà publiés, nous avons par exemple essayé de faire connaître les messages du Saint Père pour la Journée des Migrants ainsi que les orientations du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et Personnes en Déplacement, et les initiatives de la Commission Internationale Catholique pour les Migrations (CICM). Nous réfléchissons aussi actuellement à la possibilité de créer un cadre de recherche et de réflexion sur les migrations. Ceci non seulement pour les comprendre, mais pour influencer à terme les politiques qui sÂÂ’élaborent dans ce domaine.

Ceci mÂÂ’amène à faire une remarque dÂÂ’ordre général. Contrairement à dÂÂ’autres Commissions Episcopales chargées de la pastorale des migrations, la nôtre essaie de promouvoir une vision globale et intégrée du soin pastoral des migrants. Cette vision refuse la séparation entre le spirituel et le social et cherche à dépasser le clivage entre assistance spirituelle et assistance sociale. Tout en les distinguant, elle prend en compte tout lÂÂ’homme avec la soif de Dieu qui lÂÂ’habite, son besoin de cheminer dans une communauté de foi et de voir sa dignité promue et protégée. Il me semble que cette approche peut trouver une justification dans une lecture conjuguée des points 4 et 5 de lÂÂ’Instruction de la Sacrée Congrégation pour les Evêques sur la Pastorale des Migrants.

a. Le directeur national comme organisateur

Le travail de promotion appelle nécessairement celui dÂÂ’organisation. CÂÂ’est pourquoi, comme pionnier, je vois le rôle du directeur national aussi comme celui dÂÂ’un organisateur. CÂÂ’est dÂÂ’ailleurs lÂÂ’un des aspects auxquels lÂÂ’Instruction de 1969 donne le plus dÂÂ’importance. Je me permets de retenir trois points qui se dégagent des n°s 23 et 24 de lÂÂ’Instruction et qui correspondent à notre expérience actuelle. Il sÂÂ’agit des initiatives pastorales appropriés, des aumôniers des émigrés et de la Journée des Migrants. Dans la mesure où nous touchons aux questions de structures, nous sommes en plein dans lÂÂ’organisation. CÂÂ’est ici que le directeur national doit pouvoir jouer un rôle dÂÂ’organisateur. Ce rôle dÂÂ’organisateur impliquera par exemple la planification, la recherche des fonds, la mise en place des structures et pourquoi pas des réseaux de négociation ou de facilitation.

Outre le suivi des problèmes principaux des migrations que nous essayons de faire en partie dans le cadre de nos relations avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) et le Comité National dÂÂ’Assistance aux Réfugiés (CNAR), il est demandé au directeur national « de prendre les initiatives pastorales appropriées, grâce auxquelles les migrants seront préparés spirituellement à sÂÂ’adapter aux nouvelles conditions de vie et seront accueillis convenablement...dans les pays dÂÂ’immigration » ( Cf. 23.1). En conformité avec cette recommandation, notre Commission a dÂÂ’abord obtenu des évêques la nomination des directeurs diocésains de la pastorale des migrations. Sans eux, les orientations et les politiques de la Commission Episcopale resteront lettres mortes. Ces directeurs diocésains, même sÂÂ’ils ne jouent pas encore pleinement leur rôle, sont nommés depuis juin 1999.

Contrainte par le contexte qui est le nôtre, notre commission épiscopale avait dÂÂ’abord mis lÂÂ’accent sur la migration forcée. Fonctionnant à la fois comme structure dÂÂ’inspiration pastorale pour les diocèses et comme organe opérationnel dÂÂ’assistance aux migrants et aux réfugiés, notre Commission Episcopale a mis en place un programme socio-pastoral en faveur des réfugiés. En plus de lÂÂ’assistance pastorale (baptême et obsèques), la protection physique et juridique, nous assistons les réfugiés et les demandeurs dÂÂ’asile, en partenariat avec le HCR, dans les domaines de lÂÂ’éducation, de la santé, de la distribution des biens dÂÂ’assistance sociale et des projets générateurs de revenus.

Après avoir donné trop longtemps la place à la migration forcée, nous avons fait adopter par nos évêques le 28 janvier 2000 un programme de travail pour faire face aux problèmes des migrants volontaires. Ce programme fut ensuite complété au regard des besoins se faisant sentir. Nos évêques ont donné leur accord de principe à la mise en ÂÂœuvre des initiatives pastorales suivantes:

  • La célébration de la Journée du Migrant et du Réfugié le 20 juin et lÂÂ’organisation dÂÂ’une quête nationale au profit de la pastorale des migrations à cette occasion.
  • La préparation et lÂÂ’organisation dÂÂ’une campagne de ratification par notre pays de la Convention sur les droits des travailleurs migrants et leurs familles.
  • La formation des agents pastoraux à la prise en charge des problèmes de la pastorale des migrations. Signalons quÂÂ’un premier séminaire de formation avait été organisé en mai 1999 avec lÂÂ’aide de quelques organismes allemands.
  • LÂÂ’institution rotative dÂÂ’une « messe des nations » suivie de réjouissances une fois par mois dans une paroisse de la ville avec les immigrants. Ceci pour favoriser leur intégration dans la communauté ecclésiale et dÂÂ’ouvrir nos paroisses à la réalité de la migration.
  • LÂÂ’établissement de contacts formels avec les Eglises des pays dÂÂ’origine de certaines communautés étrangères comme le Rwanda ou la RDC. Il sÂÂ’agit de leur faire comprendre la nécessité dÂÂ’envoyer des prêtres parlant la langue des migrants pour un meilleur accompagnement pastoral. 
  • La préparation dÂÂ’un livre de prières trilingue (français, lingala, kinyarwanda) pour les réfugiés rwandais en processus dÂÂ’intégration au Congo. Le choix des trois langues traduit notre souci de préserver leur langue, de favoriser leur intégration dans les communautés francophone et nationale. Le manuscrit réalisé avec lÂÂ’aide dÂÂ’un prêtre et de deux séminaristes rwandais réfugiés est en voie de finalisation. Nous recherchons un financement pour son édition.
  • La préparation de quelques brochures sur les droits des étrangers dans la législation congolaise pour favoriser leur intégration dans le pays dÂÂ’accueil. 
  • Une campagne sous forme de plaidoyer pour amener le gouvernement congolais à créer un Haut Commissariat des Congolais de lÂÂ’étranger, de manière à leur permettre de participer aussi à la vie politique et socio-économique du pays. Cette initiative nous tient à cÂÂœur surtout au moment où se prépare une nouvelle constitution.
  • Poursuivre la discussion avec les formateurs du Grand Séminaire pour préparer certaines personnes au ministère auprès des migrants. Sans encore mettre un cours sur les migrations, une série de conférences a été prévue pour cette année académique. Cette préparation signifierait que lÂÂ’Eglise du Congo soit prête à envoyer des prêtres congolais auprès de ses émigrés. Dans cette perspective, nous recherchons actuellement des informations sur le nombre des émigrés congolais auprès de nos ambassades à lÂÂ’étranger. Ceci devrait nous permettre de déterminer les priorités. Le nombre de ces émigrés peut-il justifier lÂÂ’envoi de prêtres congolais ? Ne faut-il pas se contenter des paroisses dites francophones ou des aumôneries dÂÂ’Africains à lÂÂ’étranger?
  • En vue dÂÂ’organiser une messe dominicale pour les catholiques et des célébrations ÂÂœcuméniques pour les chrétiens anglophones, nous procédons actuellement à un sondage dÂÂ’opinion auprès des ambassades et des organisations internationales qui regagnent progressivement le Congo avec la cessation des hostilités entre lÂÂ’armée et les rebelles.
  • LÂÂ’organisation dÂÂ’une réunion avec les directeurs diocésains en vue dÂÂ’un partage dÂÂ’expérience et de préparer un document sur la pastorale des migrations à soumettre aux évêques. Cette initiative se heurte malheureusement à lÂÂ’absence de moyens financiers.
  • Nous pensons en lien avec les organisations des pays dÂÂ’émigration aider soit au regroupement familial des membres séparés, soit à la réinsertion socio-économique des refoulés ou des personnes que seule la difficulté de gérer lÂÂ’échec empêche de rentrer au Congo.

LÂÂ’état de réalisation ou de mise en ÂÂœuvre de ces initiatives varie. Dans certains domaines les choses avancent plus rapidement que dÂÂ’autres. Ces initiatives peuvent surprendre certains qui auront du mal à y voir de la pastorale. Je rappelle simplement quÂÂ’elle reflète bien notre vision globale et intégrée de la pastorale des migrants.

B. Le directeur comme coordonnateur

Comme on vient de le constater, la réponse de lÂÂ’Eglise aux défis de la migration donne actuellement lieu au Congo à une pluralité dÂÂ’initiatives. Leur mise en ÂÂœuvre pourra donner lieu, le cas échéant, à des formes de collaboration avec dÂÂ’autres structures ecclésiales (congrégations religieuses, commissions épiscopales, associations, etc.) pour le plus grand bien des migrants. Les relations avec ces structures soeurs appellent un travail de coordination de la part du directeur national. Ce dernier doit assumer la responsabilité de coordonner les initiatives extérieures ayant des implications dans le champ des migrations. Ce rôle nÂÂ’est pas toujours bien perçu par dÂÂ’autres qui ont tendance à lÂÂ’interpréter comme une volonté de domination ou à considérer leur propre champ dÂÂ’action comme une chasse gardée.

Le rôle de coordination du directeur national ne se limite pas aux initiatives extérieures à la Commission Episcopale pour les Migrants. Il doit sÂÂ’appliquer aussi et surtout dans le champ de compétence de cette dernière. En effet, si le directeur national est responsable de ce qui sÂÂ’y fait devant la conférence épiscopale à qui il fait régulièrement des rapports, les directeurs diocésains sont chargés de la mise en ÂÂœuvre des orientations et initiatives concrètes à lÂÂ’échelon de leurs diocèses. Mais ils le font dans le contexte propre des Eglises locales qui peut imposer des aménagements. Le problème dÂÂ’une certaine cohérence et unité peut alors se poser. Le souci de maintenir une cohérence et une unité entre les initiatives dÂÂ’une part et les efforts de mise en ÂÂœuvre dÂÂ’autre part doit être une préoccupation constante du directeur national. Il ne pourra le faire quÂÂ’en jouant un véritable rôle de coordination entre les directeurs diocésains aujourdÂÂ’hui et les aumôniers des migrants demain. CÂÂ’est à travers ce rôle quÂÂ’il pourra aider les évêques à manifester la réalité de la communion ecclésiale y compris dans la pastorale des migrations.

Conclusion

Le rôle du directeur national peut donc se résumer en trois choses : promouvoir, organiser et coordonner. Promoteur, organisateur et coordonnateur, le directeur national apparaît clairement comme la cheville ouvrière de la pastorale des migrants au niveau national. Sa responsabilité est énorme au regard de lÂÂ’Instruction de 1969 et des problèmes concrets qui surgissent autour du phénomène migratoire. Même si les évêques, en leur qualité de pasteurs, sont les principaux responsables de la pastorale des migrations dans leurs diocèses, le directeur national est celui qui au sein de la Conférence Episcopale nationale doit veiller à ce que la sollicitude pastorale pour les migrants acquière toutes ses lettres de noblesse. La forme que prendra cette sollicitude pastorale dépendra en grande partie de ses propres convictions et de son engagement personnel. Mais que pourra-t-il faire de sérieux et de durable sÂÂ’il ne rencontre aucun écho dans les diocèses et la Conférence Episcopale ? De quelle force disposera-t-il pour faire avancer les choses si les évêques ne soutiennent pas son action ? Malgré son importance dans la pastorale des migrants, un directeur national ne pourra rien sans lÂÂ’appui des évêques. CÂÂ’est donc leur appui et leur engagement aux côtés du directeur national que le Conseil Pontifical doit désormais rechercher. Je suggère quÂÂ’il pense à organiser au plus tôt une réunion conjointe des évêques présidents ou promoteurs et des directeurs nationaux pour obtenir cet appui.

Le document fondateur pour le directeur national reste encore lÂÂ’Instruction de 1969. Sans nier le profit que les directeurs nationaux ont tiré de ce document au cours de ces trente dernières années, je ne peux mÂÂ’empêcher de reconnaître quÂÂ’il est aujourdÂÂ’hui un peu dépassé. Le phénomène migratoire ayant connu de profondes modifications et évolutions depuis 1969, la pastorale qui sÂÂ’y intéresse doit les assumer aujourdÂÂ’hui. Une charte de cette pastorale dans laquelle le rôle du directeur national pourra être réexaminé devient une urgence. Je suggère donc que le Conseil Pontifical remplace lÂÂ’Instruction de 1969 par une nouvelle. Celle-ci pourrait par exemple inclure la nécessité dÂÂ’une approche régionale et sous-régionale du traitement pastoral des questions liées à la migration volontaire et forcée. Elle pourrait aussi proposer une vision plus globale et intégrée de la pastorale des migrations. Ce dernier point permettrait de dépasser le clivage entre assistance sociale et assistance spirituelle, et donc de faire disparaître le malaise quÂÂ’éprouvent certaines personnes dans les nombreuses structures catholiques qui manifestent aujourdÂÂ’hui la sollicitude de notre Eglise à lÂÂ’égard des migrants.

Notes:
[1]Cette communication a été préparée pour la Rencontre Mondiale des Directeurs Nationaux de la Pastorale des Migrants ( Rome, 10-12 octobre 2000, Salesianum).
[2]JÂÂ’ai été nommé comme « Coordonnateur national » en fin mars de lÂÂ’année 1998. Mais avant la création dÂÂ’un poste de « Coordonnateur national », la personne qui jouait ce rôle était appelée « Vice-Président ». Ce poste fut occupé pendant près de deux années par un prêtre carmes espagnol. Il sÂÂ’agit du Père Gabriel SERRANO dont lÂÂ’action est exclusivement limitée à lÂÂ’assistance sociale des réfugiés.
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