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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 96, December 2004

 

      MON EXPÉRIENCE À L’ICMA: ŒCUMÉNISME ET

DIALOGUE INTER-RELIGIEUX

 

                                                                                                    Père Jacques HAREL

Responsable du Secteur maritime du CPPMPD

 

Au mois de janvier 1996 je suis venu ici au Palazzo San Calisto pour la réunion des Coordonnateurs Régionaux de l’Apostolat de la Mer (AM) et le responsable du Secteur au Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement (CPPMPD) m‘a approché et demandé si je serais intéressé à postuler pour le poste de Secrétaire Général de l’International Christian Maritime Association (ICMA) et que dans cette éventualité le Conseil Pontifical me parrainerait. J’ai donc soumis ma candidature et c’est ainsi que je suis devenu le premier prêtre catholique à être choisi pour occuper cette fonction.

L’ICMA et son contexte

L’ICMA a été fondée en 1969 à une époque où l’enthousiasme et le désir de coopération œcuménique étaient à leur summum. L’histoire de la Pastorale Maritime fut souvent entachée par des rivalités et des accusations réciproques, et par un esprit communautariste et beaucoup d’individualisme. Dans la mouvance de Vatican II et du mouvement oecuménique, la création de l’ICMA visait à changer cette ambiance pas toujours évangélique et à promouvoir la solidarité et la coopération à tous les niveaux. Les membres de droit du Conseil d’administration de l’ICMA sont les Associations nationales ou internationales de pastorale maritime qui représentent les Eglises Chrétiennes ou les Communautés ecclésiales les plus importantes et les plus engagées dans le ministère maritime. La «Mission to Seafarers» (anglicans), la «British and International Sailors Society» (protestants), les Luthériens (Scandinaves, Allemands, Nord Américains), les Calvinistes, les Baptistes et les Catholiques à travers l’Apostolat de la Mer. Je souligne que l’AM est un des membres fondateurs de l’ICMA et reste un de ses importants soutiens.

Ce mouvement de «synergie» a été porté par le contexte de l’époque où on commençait à parler de Mondialisation. Dans le même temps les ressources financières des Eglises étaient en diminution et l’industrie maritime en pleine mutation. Le choc pétrolier en exacerbant la compétition entre les compagnies de transport maritimes et en poussant les armateurs à aller chercher ailleurs que dans leur pays d’origine une main-d’œuvre bon marché et soumise, fut une des causes de l’avènement des pavillons de complaisance. D’autres facteurs bouleversèrent l’environnement du transport maritime: l’arrivée des containeurs, l’informatisation, l’automation qui rendaient les séjours dans les ports beaucoup plus rapides, la compétition féroce entre les ports, le déplacement des facilités portuaires et la construction de nouveaux ports loin du centre-ville et des traditionnels Centres d’accueil de marins, la disparition d’équipages nationaux et leur remplacement par des équipages venus du tiers monde.

Les Associations chrétiennes et les ONG se sont retrouvées quelquefois démunis et vulnérables devant des situations nouvelles et des problèmes pastoraux nouveaux. Pour ne citer que les plus importants:

les situations d’exploitation des marins et le déni de leurs droits humains fondamentaux;

des Centres d’accueil excentrés, trop grands, trop coûteux à entretenir et  «commercialement» pas rentables;

la nécessité d’inventer de nouveaux modèles de ministère et la professionnalisation du rôle de l’aumônier, de l’agent pastoral et du volontaire, et l’urgence d’une formation spécialisée;

l’arrivée en très grand nombre sur les navires battant pavillon de complaisance des philippins en majorité catholique;

la rencontre des autrement croyants, et l’ouverture au dialogue interreligieux.

L’ICMA fut donc, à cette époque, une des instances qui aida les «missions maritimes»  à prendre conscience de ces situations pastorales nouvelles et urgentes, à se concerter et à proposer ensemble des réponses appropriées.

Les Partenaires de L’ICMA

L’ICMA répondait en même temps à l’attente des Agences des Nations Unies ( IMO/OMI et ILO/OIT), des syndicats (ITF) et des armateurs (ISF) qui souhaitaient la contribution et le partenariat des «missions» à condition qu’elles acceptent de parler «d’une seule voix». C’est ainsi qu’ICMA devint l’organe officiel et le représentant des «missions» auprès de ITF, des Organisations (ICSW, International Committee for Seafarers Welfare) et des Agences internationales(OMI/OIT).

Je pense que l Â‘Apostolat de la Mer, avec ses autres partenaires au sein de l’ICMA, a eu le mérite à une époque de grands progrès technologiques dans le monde maritime de contribuer à ramener la «personne humaine» au cœur des débats et à faire passer un message essentiel, à savoir que l’homme/la femme («l’élément humain») est l’aspect prioritaire à prendre en ligne de compte dans toute décision technique ou autre affectant les conditions de travail et de vie des marins et des pêcheurs. Aujourd’hui la présence de l’ICMA n’est jamais remise en question mais est au contraire souhaitée et respectée comme étant la voix des Eglises Chrétiennes, «expertes en humanité», dans le monde maritime.

Si je m’attarde sur cet aspect de la présence de l’ICMA dans le monde maritime, il me semble important de souligner que le Témoignage de milliers de chrétiens au niveau local, à bord ou à terre, ne suffirait pas si au plus haut niveau et à celui des décideurs il n’y avait une parole forte et sans ambiguïté pour prendre la part de ceux qui souffrent et qui sont sans-voix devant les excès de la mondialisation et des applications aveugles des progrès technologiques. A ce niveau l’évangélisation se fait en abordant les questions de société d’un point de vue chrétien.

L’Œcuménisme

Concernant l’œcuménisme au quotidien, ses bienfaits et son efficacité au niveau de l’Evangélisation, je pense que les paroles du Saint-Père dans Ecclesia in Europa au N° 54 rejoignent totalement notre vécu dans le monde de la mer:

Dans le même temps, apparaît comme un impératif imprescriptible le devoir d'une collaboration œcuménique fraternelle et convaincue. Le sort de l'évangélisation est étroitement lié au témoignage d'unité que sauront donner tous les disciples du Christ: «Tous les chrétiens sont appelés à accomplir cette mission selon leur vocation. La tâche de l'évangélisation implique d'avancer l'un vers l'autre et d'avancer ensemble, en partant de l'intérieur; évangélisation et unité, évangélisation et œcuménisme sont étroitement liés entre eux».

Il est rare, mais cela arrive hélas encore, que nous donnions le témoignage du scandale de la division, et là où cela existe il s’agit davantage de problèmes de personnalité que de désaccords théologiques ou de rivalités pastorales. Les conférences, les rencontres et le travail en collaboration entretiennent cette ardeur œcuménique.

Dans le monde maritime on attend d’un aumônier ou d’un agent pastoral qu’il soit capable de travailler «Âœcuméniquement», et toute session de formation met l’œcuménisme au cœur de la vie pastorale et spirituelle. Ceci implique que l’aumônier ou l’agent pastoral puisse dialoguer avec son collègue et pour cela être capable d’écouter, de respecter et de discerner sincèrement les aspects positifs qui se trouvent chez l’autre.

L’ICMA, du fait de sa crédibilité et de son accréditation auprès des autorités, agit comme un organisme régulateur et modérateur auprès des sectes qui sont nombreuses à vouloir faire du prosélytisme dans les ports, ce qui peut causer beaucoup de confusion et de soupçon par rapport à la crédibilité des Eglises.

Là où l’expérience œcuménique a fait ses preuves, la branche locale de l’AM est encouragé à planifier les projets avec les autres Eglises/communautés ecclésiales, à mettre en commun les ressources pour les réaliser et à faire ensemble l’évaluation. Certaines branches locales sont même allées plus loin et ont conclu des «alliances» ( en anglais Covenant), signé des protocoles et adopté un code de conduite élaboré ensemble.

Dans sa conférence au Congrès Mondial des Migrants en novembre 2003, le Cardinal Kasper en parlant du dialogue œcuménique disait: «le dialogue théologique est la tête; le dialogue spirituel est le cœur, et la collaboration dans le contexte social, politique et caritatif représente les mains de l’œcuménisme». Dans le monde maritime nous n’avons pas souvent l’occasion de faire du dialogue théologique, nous pratiquons surtout un œcuménisme du cœur et des mains.

 Le Dialogue inter-religieux

Chaque jour nous rencontrons des milliers de personnes d’autres religions à bord des navires. Le code de conduite de l’ICMA spécifie que toute personne est créée à l’image de Dieu et que sa Providence s’étend à ses enfants de toute religion, de toute race quelle que soit leur opinion/option politique, et que nous avons le devoir de leur manifester notre charité et notre plus profond respect. Ce qui exclue le prosélytisme, car il ne s’agit pas d’imposer notre foi et nos convictions, mais de témoigner que toute personne d’où qu’elle vienne a du prix aux yeux de Dieu.

Un journaliste demandait récemment à l’aumônier d’Augusta en Sicile, Don Giuseppe Mazzotta s’il aidait les marins non-chrétiens dans le but de les convertir, sous-entendu s’il faisait du prosélytisme? Don Giuseppe répondit «Mon évangélisation c’est l’accueil et la charité» Je pense que dans cette petite phrase est résumée toute notre spiritualité. Le cœur de notre spiritualité, c’est l’accueil et l’hospitalité. Jésus est notre modèle par excellence; par toute sa vie, alors que lui n’avait pas été accueilli, il nous montre que l’accueil est fait de respect, d’écoute et de partage. Il va même plus loin et nous enseigne qu’au jugement dernier nous serons jugés sur la manière dont nous avons «nourri ceux qui avaient faim», «habillé ceux qui étaient nus» et «reçus chez nous l’étranger».

Cette question les marins nous la posent aussi, mais autrement. Souvent les autrement croyants nous demandent: «pourquoi faites-vous cela pour moi»? Ce qui nous donne l’occasion d’un dialogue en profondeur. En abordant les questions de société d’un point de vue chrétien, nous évangélisons, aussi.

Dans ces dialogues nous abordons rarement des thèmes théologiques, mais plutôt nos valeurs et aspirations communes, et la manière dont nous chrétiens nous pratiquons notre foi. Nous partageons, dans un langage simple, notre vision d’un monde meilleur inspirée des valeurs du «Royaume». Tout ceci sans sous-entendu polémique et dans le plus grand respect de l’autre.

Il y a aussi beaucoup d’occasions (deuils, problèmes familiaux ou sociaux, accidents, etc..) qui nous sont données de parler de Jésus-Christ, surtout à travers la prière, les partages de la Parole et de la vie.

La coopération officielle des autres religions est aussi souhaitée et encouragée, mais sans beaucoup de succès. D’autre part la montée du fondamentalisme ( et du fanatisme) n’est pas pour faciliter les choses.

Conclusion

Ce qui précède est basé sur mes 10 années de collaboration ( dont 4 comme Secrétaire Général) avec l’ICMA. Pendant ces années j’ai pu constater que le phénomène des migrations, qui va toujours s’amplifiant, est une occasion providentielle de rencontres et d’enrichissements mutuels et une chance pour l’œcuménisme. Pour ma part je me réjouis des rapports fraternels et loyaux que j’ai eu grâce au réseau de l’ICMA à travers le monde maritime.

Nos Centres de Marins «Stella Maris» dans les ports veulent être pour l’étranger, le pauvre, le marginal qui habitent un autre monde que le nôtre, des lieux où des ponts sont jetés entre des mondes différents et c’est notre conviction qu'en créant ces ponts nous ouvrons la porte à la Réconciliation et à l’Unité, aidant ainsi au rapprochement des cultures et des religions.

Aujourd’hui à travers le monde il y a une grande aspiration à la paix et à la sécurité. Un des plus grands services que la société civile attend de l’Eglise, c’est qu’elle l’aide et lui montre le chemin de l’unité qui passe d’abord par la réconciliation. Pour que notre témoignage soit crédible il nous faut d’abord être cohérent avec nous-mêmes, nous réconcilier et vivre dans l’unité. Ceci est admirablement exprimé par Paul VI, cité par Jean-Paul II dans Ecclesia in Europa( N 54).

C'est pourquoi je fais miennes de nouveau les paroles écrites par Paul VI au Patriarche œcuménique Athenagoras Ier: «Puisse l'Esprit Saint nous guider dans la voie de la réconciliation, afin que l'union de nos Églises devienne un signe toujours plus lumineux d'espérance et de réconfort au sein de l'humanité entière».

 

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