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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 97 (Suppl.), April 2005 

 

SUR LE CHEMIN DE COMPOSTELLE

 

Frère Joël HOUQUE

Recteur de l’Abbaye Sainte Foy

Conques, France

 

L'abbatiale de Conques se situe à un double croisement: d’abord, le croisement géographique de la route qui amène un flot de touristes qui y font un aller et retour et du chemin de Saint Jacques qui polarise un nombre toujours croissant de pèlerins marcheurs randonneurs vers le champ d'étoiles de la lointaine Galice, et ensuite le croisement historique d'un site et d'un trésor tout droit sorti du Moyen Age avec la modernité maintenant mieux acceptée des vitraux de Soulages et de la musique contemporaine.

Dans ce haut lieu, se sont vécus douze siècles de présence religieuses, en faisant exception des quelques décennies qui ont suivi la Révolution française. C’est de cette longue histoire que notre Communauté de Prémontrés se sent héritière, mais davantage encore témoin, avec cette conviction que l’inspiration chrétienne qui a soutenu la recherche spirituelle en ce lieu de tant de générations d’ermites, de moines et de chanoines est encore pertinente aujourd’hui et justifie la présence de ce prieuré où vivent, prient et travaillent cinq frères tout au long de l’année.

C’est en 1873, à la demande de l’évêque de Rodez, qu’elle s’est installée à Conques; outre les activités traditionnelle au service de la petite communauté paroissiale, elle est gardienne des reliques et du trésor de Sainte Foy et elle est chargée en outre de l'accueil des pèlerins sur le chemin de Saint Jacques ainsi que de l'animation spirituelle du sanctuaire. Comme chanoines réguliers, pour les frères, la liturgie et en premier lieu, la célébration commune de l'office et de la messe, tiennent la place centrale.

Pastoralement, le choix a d'abord été fait de tenir compte en priorité de ceux qui, en marche sur le chemin de Saint Jacques, font étape à Conques pour y passer la nuit soit dans le centre d'accueil de la communauté soit dans les autres gîtes du village pour repartir en début de matinée, au détriment bien sûr des très nombreux touristes qui visitent l’abbatiale et le village dans la journée. Une des premières conséquences de ce choix est de permettre aux pèlerins l'accès à l'église: c'est pourquoi celle-ci est ouverte dès 6 h 30 du matin jusqu'à 11 heures du soir, voir parfois minuit. Eglise illuminée, de l'intérieur et par l'extérieur, ce qui permet d'apprécier d'une autre manière que de jour les vitraux de Soulages. Eglise bien entretenue, fleurie de fleurs fraîches, dont les autels sont garnis de nappes blanches régulièrement changées, voilà le cadre dans lequel les pèlerins ou les visiteurs peuvent déambuler et tout spécialement écouter chaque soir après les complies pendant plus d'une heure le frère Jean-Daniel aux grandes orgues ou à l'orgue de chœur ou un autre musicien ou chanteur de passage. Beauté et spiritualité ou intériorité se conjuguent très bien: cette déambulation dans cette abbatiale où l’espace semble appeler favorise le pèlerinage intérieur aux profondeurs de soi-même, au plus intime de l’intime, là où peut se faire entendre le Maître intérieur. Et dans ce lieu saint et qui interpelle par lui-même, ce temps de méditation, de contemplation, de recueillement fait souvent une très forte impression sur ceux qui y participent car il prolonge fort naturellement et heureusement la prière des complies et la bénédiction des pèlerins auxquelles participent généralement plusieurs dizaines de personnes.

En effet, quatre temps de prière rythment la journée en plus de la messe: les laudes à 7 h 30, l'office du milieu de jour, les vêpres à 18 h 30, et les complies à 20 h 30. Les livres "Prières du temps présent" sont à la disposition des gens, et parfois des feuilles polycopiées si le nombre des participants est important, ou si à cause de la présence d'un groupe important de non francophones les chants en différentes langues sont pris dans le répertoire de Taizé ou de Lourdes. Mais le type de prière proposé est celui de l'office, avec la courte lecture de la parole de Dieu (le capitule) en deux ou trois langues (anglais, allemand ou néerlandais) par l'un des participants. Aux vêpres ou aux laudes, la prière de louange ou d'intercession est enrichie des prières confiées par les visiteurs: une "boîte à prières" avec papier et stylo est à la disposition de chacun au fond de l'église. Comme ces intentions sont souvent très nombreuses une sélection est faite, mais le parti a été pris de les lire telles quelles, sans retranscription: là encore, ces écrits anonymes, souvent cris de détresse, parfois action de grâce émerveillée, témoignent du chemin parcouru par ceux qui font halte à Conques. Ces intentions sont complétées par la mémoire quotidienne de 6 pèlerins inscrits sur le "livre des pèlerins": livre où s’inscrivent les pèlerins qui font le chemin de saint Jacques en une seule fois.

Le fait aussi que les participants à la prière se retrouvent avec la communauté dans le chœur, dans les stalles séculaires ou sur des chaises qui prolongent ces stalles, renforce aussi une expérience ecclésiale, au sens où les participants ainsi regroupés dans un cadre pour eux impressionnant, dans la proximité de l’autel et de la communauté, se sentent non seulement davantage liés les uns aux autres, mais aussi reliés à tous ceux qui depuis des siècles, pèlerins ou non, prient dans cette église.

La bénédiction des pèlerins se fait généralement le soir (et souvent aussi après la messe): la prière s'inspire de la bénédiction des pèlerins (telle qu’elle se trouve dans le rituel: Livre des bénédictions) car elle est légèrement remaniée pour faire mention de saint Jacques et de sainte Foy. Généralement elle est dite en français, mais parfois en anglais ou en allemand. Auparavant les pèlerins réunis en demi cercle autour de l'autel ont dit à haute voix leur prénom et l'endroit où ils habitent: cette proclamation met en évidence la dimension européenne du chemin, et même d’outre atlantique avec le présence habituelle de Québécois. Au cours de la bénédiction, ils reçoivent un exemplaire d'un des évangiles (une édition à bon marché en français, en anglais ou en allemand) pour "nourrir leur cœur" et un petit pain pour "nourrir leur corps". Cette liturgie se termine par le chant spécifique du chemin: "Ultréïa" et le soir, après une courte procession pour se rendre devant la scène si belle de l'Annonciation par le chant du Salve, plus connu qu'on ne le pense. Un petit moment de silence dans l'immobilité achève cette célébration. Ce petit rituel impressionne beaucoup les pèlerins et particulièrement les non - catholiques qui rentrent très facilement dans la compréhension de ces symboles, et dans cette célébration où la Parole de Dieu est bien mise en valeur, mais aussi où la tradition catholique avec le Salve se vit comme parfaitement légitime; il n'est pas rare de voir des gens extrêmement émus, voire même en pleurs.

Lors de l'eucharistie à 8 heures en semaine et à 11 heures le dimanche, on tient aussi compte de la présence des étrangers pour le chant et les lectures: cependant, on évite de systématiquement doubler les lectures en français soit en distribuant les traductions sur des feuilles polycopiées, soit en distribuant le texte en français si la lecture est faite dans une langue étrangère. Par ailleurs, les musiciens et les chanteurs sont systématiquement mis à contribution pour la messe ou l'office, ainsi que pour l‘animation musicale des temps de méditation.

Comme nous sommes particulièrement sensibles aux relations œcuméniques, la présence d'un pasteur ou d'un prêtre anglican (homme ou femme) est toujours signalée ou mise en valeur au cours des célébrations. En particulier, au cours de la semaine Saint Jacques (du 18 au 25 juillet), depuis plusieurs années, la prédication du dimanche est assurée par un ministre d'une église séparée. Par ailleurs, la présence des reliques de sainte Foy à Conques a permis de nouer des liens très fraternels non seulement avec de nombreuses paroisses catholiques placées sous son patronage, mais aussi avec deux paroisses anglicanes sous ce même patronage: nous avons accueilli des pèlerinages de ces paroisses et nous avons renforcé cette fraternité en nous rendant nous-même communautairement en Angleterre.

Le centre d’accueil de notre communauté est animé par une équipe de 4 ou 5 hospitaliers: ce sont des bénévoles, anciens pèlerins qui consacrent de deux à trois semaines de leur temps à se mettre au service des pèlerins. C’est une tradition très ancienne sur le chemin, mais ce qui fait l’originalité de Conques, c’est l’interaction de ce groupe d’hospitaliers avec une petite communauté religieuse qu’ils découvrent et qu’ils apprennent à connaître au cours de leur séjour, notamment parce que la communauté partage le repas de midi avec ces hospitaliers. Ces derniers participent aussi souvent à la prière commune. Bien des hospitaliers déclarent vivre ainsi une manière d’appartenir à l’Eglise, dont ils se sont souvent éloignés, par exemple à partir d’échecs matrimoniaux. Pour d’autres encore, ce temps passé au service des pèlerins est vécu comme une retraite spirituelle active.

A une époque, où se délite, surtout en ce milieu rural traversé par le chemin, le tissu ecclésial paroissial traditionnel, les hauts lieux que sont les sanctuaires, comme par exemple Conques, peuvent en donnant des signaux forts de visibilité ecclésiale contribuer d’une manière positive à la nouvelle évangélisation d’hommes et de femmes qui se trouvent au sens propre comme au sens figuré en situation pèlerine. C’est ce que modestement les Prémontrés à Conques s’efforcent de faire. 

 

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