Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the MoveN° 97 (Suppl.), April 2005
Les pèlerinages comme un facteurdÂÂÂintegration de lÂÂÂEurope
Prof. Antoni JACKOWSKI et Dr Izabela SOŁJAN Institut de Géographie et dÂÂÂAménagement Territorial de lÂÂÂUniversité Jagellonne de Cracovie, Département de Géographie de la Religion, Pologne
1. Introduction Dans de nombreux pays, dans les processus de migrations un rôle important jouaient et jouent encore les migrations qui ont à lÂÂÂorigine des motifs religieux. Les pèlerinages peuvent ainsi être considérés comme une forme de pratiques religieuses durables, se caractérisant par un aspect dépassant les différentes religions et se situant en quelque sorte hors du temps. Avant de parler des fonctions diverses que jouent les pèlerinages dans le monde contemporain, il convient de rappeler lÂÂÂampleur et le cadre géographique de ce phénomène. Malgré les tendances récentes à une perte de la spiritualité, on observe dans les vingt dernières années une croissance très significative des migrations dues aux pèlerinages. Parmi les chrétiens notamment, cette croissance est sûrement influencée par les nombreux voyages apostoliques de Jean-Paul II. On estime que le nombre des pèlerins voyageant en dehors de la région où ils habitent atteint 300 millions des personnes par an, dont 200 (cÂÂÂest-à-dire plus de 65%) sont des chrétiens, surtout des catholiques. Les statistiques révèlent que dans la seule Europe, quelques 35 millions de chrétiens, essentiellement des catholiques, consacrent leurs vacances (ou bien une partie de leurs vacances) à effectuer un pèlerinage. Rappelons que la plupart des pèlerinages chrétiens (80% environ) ont lieu dans les centres du culte marial qui fut approuvé officiellement au concile dÂÂÂEphèse en 431. Sans entrer dans les détails de lÂÂÂhistoire assez complexe de ce culte, signalons toutefois quÂÂÂà partir du XIème siècle au moins, ce culte se développa aussi bien au sein de lÂÂÂEglise occidentale que de lÂÂÂEglise orientale. Déjà au Moyen Age, il existait en Europe des pèlerinages de culte marial dÂÂÂune portée suprarégionale. Citons, à titre dÂÂÂexemple, Walshingham en Angleterre (appelé au Moyen Age le Nazareth du Nord), Le-Puy-en-Velay et Rocamadour en France, Montserrat et Saragosse en Espagne, Altötting en Allemagne, Mariazell en Autriche, Einsiedeln en Suisse, Přibram en Bohème et Levoča en Slovaquie. Parmi les pèlerinages polonais, dès la deuxième moitié du XIVème siècle Jasna Góra occupait une place de choix. A côté de ces pèlerinages nationaux existaient des centaines de centres moins importants dont la portée était régionale ou locale. En Pologne, aux pèlerinages participent chaque année de 5 à 7 millions de personnes (plus de 15% de la population). Outre les catholiques de rite latin et oriental, aux pèlerinages prennent part les représentants de lÂÂÂEglise orthodoxe, du Judaïsme et de lÂÂÂIslam. Ainsi, la Pologne peut être considérée comme un pays à très forte activité de pèlerinage. De même que dans lÂÂÂensemble du monde catholique, en Pologne aussi les pèlerinages étaient liés, et le sont toujours, au culte voué à la Sainte Vierge. Une très forte majorité de pèlerins se rend dans les centaines de lieux de culte (environ 450) ÂÂÂ dÂÂÂun rayonnement divers ÂÂÂ où ils rendent hommage aux images de la Vierge, à la Reine, à la Mère ... Le culte marial se développa également dans lÂÂÂEglise orthodoxe, tout particulièrement en Russie. Dans lÂÂÂiconostase mariale, un grand culte était voué à lÂÂÂicône de Notre-Dame-de- Vladimir (demeurant à tour de rôle à Kïev, Vichgorod, Vladimir-sur-Kliazma et à Moscou), célèbre pour ses miracles et auréolée par les grâces. On rendait hommage aussi à lÂÂÂeffigie de la Vierge Orante de la Cathédrale Sainte-Sophie de Kïev ainsi quÂÂÂà lÂÂÂicône de la Dormition de la Vierge à la Petcherskaïa Lavra de Kïev. Il convient de citer également les icônes de la Vierge Marie à Novgorod, Koursk, Smolensk, Kazan et Moscou. Le village de Potchaïov (actuellement en Ukraine) joua un rôle important dans le développement du culte marial dans lÂÂÂEst de lÂÂÂEtat polono-lituanien. Les historiens observent que le culte marial a contribué dÂÂÂune façon essentielle à sauver la Russie à lÂÂÂépoque du morcellement féodal. La Russie était alors appelée communément « la Maison de la Très Sainte Vierge Marie »[1]. Dans chaque recoin des terres russes se trouve au moins une icône auréolée par les grâces, profondément respectée et honorée. Les fêtes des icônes de la Vierge Marie sont célébrées de nos jours en public et sans crainte de persécutions de la part des autorités[2]. DÂÂÂaprès les estimations, lÂÂÂEglise orthodoxe russe connaît plus de 600 icônes vénérées (ou leurs copies)[3]. En dehors du territoire de lÂÂÂancienne Russie, un culte particulier est voué à lÂÂÂicône de la Vierge Marie en Grèce, sur lÂÂÂîle de Tinos, appelée le « Lourdes de lÂÂÂEst ». Grâce à ce culte, lÂÂÂîle de Tinos fut proclamée « île sainte » en 1972. Les lieux dÂÂÂapparition de la Vierge Marie ont constitué un facteur important du développement du culte marial et des pèlerinages relatifs à ce culte. Parmi les nombreux endroits qui furent les témoins de ces apparitions au cours de lÂÂÂhistoire, les places de choix reviennent pour le catholicisme contemporain en Europe à Lourdes, La Salette et Fatima, ainsi quÂÂÂà Medjugorje, bien que les apparitions dans ce village nÂÂÂaient pas été encore reconnues officiellement par les autorités ecclésiastiques. LÂÂÂEglise orthodoxe, elle aussi, connaît de nombreux endroits dÂÂÂapparition de la Vierge Marie en personne ou en effigie. Rappelons ici les apparitions de la Vierge à Potchaïov, qui ont eu lieu, selon la tradition, en 1198 et 1260, ainsi que lÂÂÂapparition miraculeuse de lÂÂÂicône de la Vierge au village de Kolomienskoje en 1917 (aujourdÂÂÂhui, un quartier de Moscou). 2. Les pèlerinages en tant que facteur dÂÂÂintégration dans le passé Dans le cadre de notre étude de la fonction dÂÂÂintégration des pèlerinages aujourdÂÂÂhui et dans lÂÂÂavenir, réfléchissons dÂÂÂabord sur leur fonction traditionelle dÂÂÂintégration. Les migrations de pèlerinages se composent de trois éléments constitutifs, auxquels appartiennent lÂÂÂhomme (« homo religiosus »), lÂÂÂespace et le sacrum. Les conditions de sanctification sont créées par « lÂÂÂespace du pèlerinage ». Cet espace est en général relativement uniforme et ses cadres sont délimités dÂÂÂhabitude par deux points: le lieu de départ et le lieu dÂÂÂarrivée. Ce dernier est en même temps le point dÂÂÂoù est entamé le retour mais il existe des cas où les pèlerins restent dans le lieu saint afin dÂÂÂy attendre la mort (en particulier dans lÂÂÂIslam et dans lÂÂÂHindouisme). En dÂÂÂautres termes, le pèlerinage exige de passer par un certain « espace sacré ». Cet espace sacré englobe ainsi lÂÂÂitinéraire du pèlerinage appelé souvent route du pèlerinage. LÂÂÂitinéraire est généralement le même et sa longueur atteint parfois plusieurs milliers de kilomètres. A lÂÂÂépoque du Moyen Age se forma toute une structure dÂÂÂitinéraires qui conduisaient de toute lÂÂÂEurope à Saint-Jacques de Compostelle (magnum iter Sancti Jacobi), à Rome et à la Terre Sainte. Depuis longtemps il existe un système dÂÂÂitinéraires pour les caravanes en direction de la Mecque. Il faudrait aussi mentionner au moins les itinéraires employés par les pèlerins se rendant à Jasna Góra à Częstochowa, les routes de pèlerinage en Inde (par exemple le long du Gange ou Pancakrosi Yatra autour de Benares), au Tibet (la sainte route Lingkor) ou lÂÂÂîle Sikoku au Japon. Les voies maritimes fureur employées par les pèlerins qui se rendaient en Terre Sainte, à Compostelle ou à la Mecque. Les fleuves aussi jouent le rôle de route de pèlerinage, comme le Nil dans le passé et, actuellement, lÂÂÂIrtych en Russie et le Gange en Inde. En analysant la fonction dÂÂÂintégration des pèlerinages contemporains nous devrions toutefois faire appel à la tradition existant dans ce domaine. Chaque pèlerinage comporte toujours, outre son contenu religieux, lÂÂÂélément dÂÂÂintégration qui se différencie seulement par lÂÂÂéchelle sociale et spatiale de ce rayonnement. Les migrations de pèlerinage se caractérisaient toujours par la fonction dÂÂÂintégration dans le cadre dÂÂÂune communauté de fidèles ou dÂÂÂune collectivité locale et cette diffusion pouvait intervenir à une échelle locale, régionale, nationale ou internationale. En regardant en aval lÂÂÂhistoire de la Pologne, cette fonction des pèlerinages apparaît manifeste, bien quÂÂÂelle ne soit pas toujours aperçue ni suffisamment appréciée. Nous pensons, notamment, à lÂÂÂintégration nationale des fidèles de diverses confessions chrétiennes pendant des pèlerinages qui ont rassemblé des catholiques et des protestants polonais à Gietrzwałd ou à Święta Lipka, à lÂÂÂépoque du partage de la Pologne. Nous pensons à lÂÂÂintégration nationale et religieuse des fidèles de lÂÂÂEglise orthodoxe, romaine et uniate, qui se rendent à Potchaïov. Nous pensons aussi à lÂÂÂintégration religieuse et patriotique des pèlerins « populaires » qui visitaient les grands lieux de lÂÂÂhistoire polonaise: Gniezno, Varsovie, Cracovie, Wieliczka et Vilnius au cours du XIXème siècle (pèlerinages dits « nationaux »). Dans la période de lÂÂÂentre-deux-guerres, les pèlerinages constituèrent le facteur essentiel de lÂÂÂintégration dÂÂÂune société « partagée » par plus de 100 ans de domination. Enfin, pendant le régime communiste, les pèlerinages, surtout pédestres à Jasna Góra, contribuèrent à lÂÂÂintégration des différents milieux sociaux dans leur lutte contre le totalitarisme. Dans le même temps, ces pèlerinages pédestres au sanctuaire de Jasna Góra ont joué, surtout à partir de 1991 (Sixième Journée Mondiale de la Jeunesse à Jasna Góra), et jouent encore un rôle considérable dans lÂÂÂintégration de jeunes issus de lÂÂÂEst et de lÂÂÂOuest dont les formations, les professions et les confessions sont variées. LÂÂÂexemple de la Pologne permet de justifier la recherche de phénomènes semblables dans le cadre historique international et européen. Or, lÂÂÂhistoire européenne des pèlerinages fournit des exemples de processus à la fois religieux et sociaux et, dans un sens, aussi politique. Bien que ces phénomènes concernent principalement les catholiques romains et ne soient pas liés directement au culte marial, ils constituent un bon exemple des traditions existantes. En parlant des traditions, nous pensons notamment à deux itinéraires principaux empruntés par les pèlerins médiévaux: le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle et celui de la Terre Sainte. Le chemin de Rome constituait une sorte de résultante des deux premiers. Les pèlerinages de Saint-Jacques-de-Compostelle, au tombeau de lÂÂÂapôtre saint Jacques le Majeur, sont considérés par les historiens comme lÂÂÂun des plus importants événements du Moyen Age européen. Sans entrer dans les détails de lÂÂÂhistoire du lieu et du culte, rappelons toutefois que saint Jacques est devenu le modèle du pèlerin médiéval et son patron. Au XIIème siècle, le Saint-Siège a attribué à Compostelle le droit à « lÂÂÂAnnée Sainte ». A partir de ce moment, les fidèles sont arrivés par milliers: chaque année, ils étaient plus dÂÂÂun demi-million, ce qui représentait à lÂÂÂépoque un chiffre fort impressionnant. Plusieurs itinéraires traversaient lÂÂÂEurope; les pèlerins arrivaient de France, dÂÂÂAllemagne, dÂÂÂItalie, de Hollande, dÂÂÂAngleterre, par les chemins dits magnum iter Sancti Jacobi, les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Grâce au Guide du pèlerin de lÂÂÂépoque, Liber Sancti Jacobi (1130-1140), il nous est possible de reconstituer assez fidèlement ces itinéraires. Les routes internationales terrestres, le « chemin allemand » et le « chemin français », ainsi quÂÂÂune route maritime, le « chemin anglais », rejoignaient en Espagne les routes nationales. En France, les routes les plus importantes (camino francès - le « chemin français ») partaient de Paris (où affluaient les routes maritimes dÂÂÂAngleterre et une partie des routes dÂÂÂAllemagne), Vézelay, Clermont, Le-Puy-en-Velay (où affluaient dÂÂÂautres routes allemandes et suisses), Saint-Gilles (noeud de communication pour les fidèles dÂÂÂAllemagne et dÂÂÂItalie). Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle (surtout le chemin « français » et « espagnol ») était considéré comme « la plus belle route du monde ». Les connaissances géographiques dÂÂÂun habitant moyen de lÂÂÂEurope médiévale étant assez rudimentaires, les pèlerins situaient souvent Compostelle « au bout du monde », là où « le soleil va mourir chaque jour ». Les itinéraires étaient jalonnés de relais: hospices, lieux de change, commerces... Les églises et les monastères se multipliaient. Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est appelé par les historiens de lÂÂÂart « le chemin roman » ou « le chemin dÂÂÂart roman ». Il était bordé par des villages à la structure caractéristique. A lÂÂÂest, il atteignait la Pologne. Les « chemins polonais » commençaient habituellement à Gniezno, Cracovie et Wrocław, pour rejoindre ensuite les chemins allemand et français. Parfois, les fidèles polonais empruntaient la route maritime à partir de Gdańsk[4]. Actuellement, le Conseil de lÂÂÂEurope tente de réactiver le chemin médiéval de Saint-Jacques-de-Compostelle en tant quÂÂÂitinéraire touristique au sein dÂÂÂun réseau de routes culturelles qui quadrille le continent européen. Plusieurs pèlerins de tous les coins de lÂÂÂEurope voyageaient aussi en Terre Sainte. Heureusement, les plus anciennes descriptions de ces itinéraires ont été conservées, que ce soit lÂÂÂoeuvre dÂÂÂun habitant anonyme de Bordeaux (333) ou celle dÂÂÂune religieuse nommée Egeria (381-384). Ceux qui décidaient de voyager par itinéraire terrestre, en empruntant les grandes routes, mettaient quelquefois plus de 170 jours. Les autres choisissaient la route maritime ou une version mixte, moitié terrestre, moitié maritime. Les ports et centres de transit principaux étaient Venise et Marseille[5]. Enfin, les milliers des pèlerins européens se rendaient par des voies diverses à Rome. Les itinéraires principaux traversaient la France, lÂÂÂAllemagne, lÂÂÂAngleterre et les pays scandinaves. Le nombre des pèlerins augmenta après lÂÂÂan 1300 qui avait été déclaré « Année Sainte » par Boniface VIII. Pendant le premier jubilé, Rome fut visitée par presque 2 millions de pèlerins issus de tout le continent[6]. Ce rappel, très bref par nécessité, des grands moments de lÂÂÂhistoire des pèlerinages, témoigne du rôle considérable joué par ceux-ci dans la formation des liens interpersonnels ainsi que dans le développement économique et culturel des pays et des régions traversés par les itinéraires qui menaient aux lieux saints. Une question se pose alors: nous est-il possible de renouer avec ces traditions au seuil du nouveau millénaire? 3. Les pèlerinages et lÂÂÂintégration européenne au tournant des deux millénaires A présent, la fonction intégrative des pèlerinages se dessine clairement, męme si elle nÂÂÂest pas encore évidente pour tous et quÂÂÂil arrive quÂÂÂelle soit consciemment négligée ou même niée. Il a été déjà question dÂÂÂune reprise des pèlerinages dans la dernière décennie. Ce phénomène concerne aussi bien les pays occidentaux que ceux situés à lÂÂÂest de lÂÂÂEurope, où les pratiques religieuses avaient été restreintes ou même simplement interdites par les régimes communistes, comme dans les pays membres de lÂÂÂancienne Union Soviétique ou dans les pays socialistes de la péninsule des Balkans. Les recherches entreprises récemment ont pour but de créer une carte des itinéraires de pèlerinages (existants, historiques et potentiels) en Europe, pour le catholicisme et les autres confession chrétiennes (uniates et orthodoxes). Nous avons réussi à recenser quelques 800 centres qui se différencient selon leur portée géographique et leur importance au sein de leur propre Eglise. Six cents environ sont des pèlerinages catholiques et deux cents des pèlerinages uniates et orthodoxes. Dans la partie occidentale de la Russie, en Ukraine et en Biélorussie jusquÂÂÂà lÂÂÂest de la Pologne, ainsi que dans la péninsule des Balkans, les itinéraires orthodoxes et catholiques se confondent et se croisent. La frontière occidentale des itinéraires orthodoxes se trouve à lÂÂÂest de la Pologne et dans les Carpates. Les pèlerinages consacrés à la Vierge Marie et ceux où le culte marial redouble celui de la Passion du Christ et de ses saints sont dispersés dans toute lÂÂÂEurope (et dans la partie asiatique de la Russie), de Khabarovsk en Extrême-Orient russe et des Iles de Solovetsk dans la Mer Blanche, en passant par Moscou, Sergïev, Smolensk, Kïev, Potchaïov, Grabarka et Częstochowa en Pologne, Lewoča, Přibram, Mariazell, Altötting, jusquÂÂÂà Lourdes en France et Fatima au Portugal, ou bien, sur lÂÂÂaxe Nord-Sud, de Walshingham et Canterbury jusquÂÂÂà Syracuse en Italie ou à la Montagne dÂÂÂAthos et lÂÂÂîle de Tinos en Grèce. Dans la partie asiatique de la Russie, les routes terrestres se transforment en routes fluviales (sur lÂÂÂIrtych) ou aériennes (pour lÂÂÂExtrême-Orient). Au Nord de lÂÂÂEurope prédominent les routes maritimes, par exemple celles dÂÂÂIrlande, de Grande-Bretagne, de Norvège ou de Suède qui mènent aux sanctuaires continentaux. Au cours de ces recherches, nous avons rencontré des difficultés majeures lors de la vérification des listes des pèlerinages sur le territoire de lÂÂÂancienne Union Soviétique et des anciens pays communistes balkaniques. A lÂÂÂépoque communiste, plusieurs pèlerinages, situés habituellement dans la proximité immédiate des monastères orthodoxes, ont été détruits ou transformés en musées de lÂÂÂathéisme ou du léninisme, en granges, dépôts, cinémas... A présent, ces centres religieux sont revendiqués aussi bien par lÂÂÂEglise orthodoxe que romaine. Ce nÂÂÂest toutefois que le début dÂÂÂun long parcours que devront accomplir les deux Eglises dans leur tâche de reconstruction du réseau des centres du culte religieux. Egalement difficile ÂÂÂ ou peut-être plus difficile encore ÂÂÂ sera la résurrection de la tradition de certaines pratiques religieuses, notamment des pèlerinages. NÂÂÂoublions pas que pendant près de cent ans, à la suite dÂÂÂune politique de répression menée par les bolcheviques, le territoire de lÂÂÂancienne Union Soviétique constituait une sorte de « désert religieux ». Les églises et monastères orthodoxes peu nombreux, maintenus en lÂÂÂétat comme instruments de propagande, nÂÂÂont pas amélioré la situation. On pourrait sÂÂÂattendre à ce quÂÂÂune société élevée dans lÂÂÂesprit de lÂÂÂathéisme devienne une communauté areligieuse. Or, malgré une interdiction officielle des pratiques religieuses publiques, celles-ci ont survécu dans la conscience collective de deux ou trois générations. Les informations sur les centres de culte ÂÂÂ aussi bien les centres principaux, nationaux, que ceux de portée régionale ou locale, où se rendaient les arrière-grands-pères ou les grands-pères ÂÂÂ ont été transmises de génération en génération. Comme cela a déjà été mentionné, une partie de ces centres a été détruite. La perfidie des communistes allait jusquÂÂÂà transformer les centres les plus sacrés de lÂÂÂEglise orthodoxe en camps de travail forcé au régime aggravé pour le clergé. Tel fut notamment le cas du sanctuaire des îles Solovetsk qui devint lÂÂÂune des premières prisons pour le clergé orthodoxe. Plus tard, en cet endroit, fut créé lÂÂÂun des plus terrible camps de « lÂÂÂarchipel du Goulag ». Presque toute lÂÂÂélite de lÂÂÂEglise orthodoxe a été exterminée. En mars 1919, les autorités communistes ont nationalisé les laures ÂÂÂ ensembles monastiques qui jouaient un grand rôle dans la vie religieuse et culturelle. Dans la laure de Sergïev près de Moscou (après Zagorsk, actuellement de nouveau Sergïev), on a sorti de leurs tombes les dépouilles de 50 moines, opération qui fut bientôt répétée à Potchaïov et à la Petcherskaïa Lavra de Kïev. En 1920, le Commissariat à la Justice décréta la destruction des reliques, des icônes et des autres objets ayant pour but le « maintien du peuple dans lÂÂÂobscurantisme ». Dans la période du redoublement des répressions dans les années 30, les autorités ont procédé à une destruction massive des églises. A Moscou, des milles églises orthodoxes il nÂÂÂen restait à peine que 20[7]. Malgré ces outrages, la chrétienté en Russie a survécu pour célébrer son millénaire en 1988. A présent, on assiste à une activité grandissante des pèlerins de lÂÂÂEglise orthodoxe des pays de lÂÂÂancienne Union Soviétique. Les fidèles se rendent dans les centres qui nÂÂÂont pas disparu pendant la période du communisme. Il sÂÂÂagit là surtout des centres principaux, mais à leur côté il y a également des pèlerinages de portée locale ou tout au plus régionale. Le plus grand nombre de fêtes des icônes de la Vierge Marie a lieu à Moscou (vingt-trois), Saint-Pétersbourg (cinq dont la fête de lÂÂÂicône de Jasna Góra le 6 mars) et Kiev (cinq). Les autres centres du culte marial importants sont Kursk, Smolensk, Wiazniki, Tobolsk, Vitebsk, Vologda, Novgorod et Potchaïov. Certains pèlerinages durent très longtemps, plusieurs mois même[8]. Enfin, il faut mentionner les pèlerinages des fidèles orthodoxes en des lieux où les sanctuaires de jadis ont été détruits par les communistes, mais dont le souvenir est resté ancré dans la mémoire des gens au point que dès que cela a été de nouveau possible, ils se sont rendus en ces lieux vides dont seule une croix, placée récemment, rapelle la sainteté. Sur le territoire de la Russie, de lÂÂÂUkraine et de la Biélorussie réapparaît donc un réseau dÂÂÂitinéraires de pèlerinage de plus en plus dense. Dans leur cheminement vers lÂÂÂouest, ils rencontrent les routes catholiques en Ukraine, en Biélorussie et en Lituanie. Ils se rencontrent, sÂÂÂassimilent et se croisent en Pologne, le long du « mur oriental » (dont les noeuds principaux sont Grabarka et Jabłeczna) et dans les Carpates, surtout dans les montagnes des Bieszczady et des Beskid Niski. Ces dernières régions ont été objet dÂÂÂune étude du Prof. D. Ptaszycka-Jackowska qui fait apparaître la proposition dÂÂÂune « route des icônes » dans lÂÂÂEurorégion des Carpates. La variante internationale dÂÂÂune telle route traverserait les parties des Carpates appartenant à la Pologne, à la Slovaquie et à lÂÂÂUkraine. Les variantes nationale, régionale et locale ont été également tracées[9]. Rappelons que la région en question se trouve à la jonction de diverses religions chrétiennes: romaine, orthodoxe et uniate. La « route des icônes » ne constituerait pas une route de pèlerinage stricto sensu, mais elle serait lÂÂÂexemple typique de ce quÂÂÂon désigne par le nom de « tourisme religieux ». Une partie des routes des pèlerins orthodoxes rejoint dÂÂÂune façon « naturelle » la route principale de pèlerinage des Carpates qui traverse presque tous les centres du culte marial situés dans ces montagnes. DÂÂÂautres routes conflueront certainement avec les chemins pour Jasna Góra. Déjà en 1991, de nombreux adeptes de la religion orthodoxe des territoires de lÂÂÂancienne Union Soviétique parcouraient ces chemins dans leur voyage à la rencontre de Jean-Paul II à Częstochowa, à lÂÂÂoccasion de la Sixième Journée Internationale de la Jeunesse. La plupart dÂÂÂentre eux étaient partis pour Jasna Góra en compagnie des fidèles de Przemyśl, de Lublin et de Białystok. Il semble que ce sont ces jeunes-là, ainsi que leurs successeurs, qui décideront dans lÂÂÂavenir de lÂÂÂimportance des pelèrinages sur les lieux saints. Eux aussi devraient apprécier la dimension oecuménique de cette pratique religieuse. Pour revenir à nos considérations antérieures, soulignons que les routes des pèlerinages catholiques menant de Pologne jusquÂÂÂen Europe Centrale et Occidentale existent déjà. La Pologne peut ainsi jouer un rôle considérable dans lÂÂÂintégration européenne à travers les pèlerinages et le tourisme religieux[10]. 4. Conclusions Essayons alors de procéder à une sorte de typologie des éléments qui caractérisent le caractère dÂÂÂintégration du pèlerinage. En tenant compte dÂÂÂune longue et riche histoire des pèlerinages religieux nous pouvons considérer le pèlerinage comme étant un facteur: - dÂÂÂintégration religieuse (différentes églises, confessions, religions), - dÂÂÂintégration locale, - dÂÂÂintégration régionale, - dÂÂÂintégration nationale et des nationalités, - dÂÂÂintégration internationale, - dÂÂÂintégration sociale et culturelle, - dÂÂÂintégration des malades avec les sains (p.ex. Lourdes), - dÂÂÂintégration économique, - dÂÂÂintégration spatiale (p.ex. villes et régions de pèlerinage). Il faut souligner que les pèlerinages exercent un rayonnement important en tant quÂÂÂélément dÂÂÂintégration religieuse (différentes églises). Nous observons ce phénomène dans toutes les religions, aussi bien dans celles qui ont disparu que dans celles que lÂÂÂon retrouve actuellement. Les pèlerinages dans les lieux de culte intégraient toujours les différentes communautés religieuses. Souvent les pèlerinages ont un caractère oecuménique. Ainsi, il apparaît que nous pouvons parler dÂÂÂores et déjà de la fonction intégrative des pèlerinages à lÂÂÂéchelle de lÂÂÂEurope. Le tournant a été marqué certainement par la Sixième Journée Internationale de la Jeunesse à Częstochowa (1991) et une participation nombreuse des jeunes pèlerins venus de lÂÂÂétranger, provenant surtout des anciens pays socialistes, pas nécessairement catholiques. Cette rencontre entrera sans doute dans lÂÂÂhistoire des pèlerinages. Car vers la fin du XXème siècle, sont arrivés à Jasna Góra quelques 2 millions des jeunes gens du monde entier qui cherchent auprès du Saint-Père un soutien dans leurs tentatives et leurs efforts à créer dès le IIIème millénaire une grande communauté, libre de toutes divisions et frontières politiques. Certaines des routes mentionnées plus haut traversent des régions riches, dÂÂÂautres relient des pays en voie de développement (Portugal, Espagne, une partie de lÂÂÂEurope Centrale) ou des pays qui viennent juste dÂÂÂemprunter cette voie (la plupart des anciens membres du bloc communiste). Les routes de pèlerinage et de tourisme religieux peuvent devenir pour ces régions un facteur stimulant de lÂÂÂactivité économique, tout en offrant des possibilités culturelles et éducatives importantes. Elles peuvent toutes remplir à merveille la fonction dÂÂÂun facteur intégrateur des pays de lÂÂÂEurope.
[1] W. Lebiediev,
Ikona Matki Bożej Kurskiej-Korennej. [dans:]
Kult maryjny w Kościele Rzymskokatolickim w Polsce i Rosyjskim Kościele Prawosławnym, Warszawa-Moskwa 1989 p. 86.
[2] P.L. Lebiediev, W. Lebiediev,
Kult Matki Bożej w prawosławiu związany z kultem Jej świętych ikon. [dans:]
Kult maryjny w Kościele Rzymskokatolickim ..., op. cit., p. 79-80.
[3]
op. cit., p. 80.
[4] A. Jackowski.
Zarys geografii pielgrzymek. [
An outline of geography of pilgrimage], Kraków 1991 p. 42-45, 72-73.
[5]
op. cit., p. 36-37.
[6]
op. cit., p. 41-42.
[7] A. Grajewski.
Rosja i Krzyż. Z dziejów Kościoła Prawosławnego w ZSRR. Katowice 1991 p. 13, 16-17, 26-27, 41.
[8] Par exemple, en 1992, un petit groupe des pèlerins a mis presque 3 mois pour arriver à Potchaïov à partir de la Sibérie. Le pèlerinage sur les Iles Solovetsk ou à Khabarovsk dure en général quelques dizaines de jours.
[9] D. Ptaszycka-Jackowska.
ÂÂÂSzlak ikonÂÂÂ w Euroregionie Karpackim (zarys koncepcji) [« La route des icô
nes » dans lÂÂÂEurorégion des Carpates (esquisse du projet)]. ÂÂÂPeregrinus CracoviensisÂÂÂ 1995, n° 1, p. 67-84.
[10] Le tourisme religieux va se développer en profitant également de certaines des itinéraires culturels européens tracés sous lÂÂÂégide du Conseil de lÂÂÂEurope. Nous pensons notamment au « Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle » ainsi quÂÂÂà la « Route monastique » et à la « Route cistercienne » qui traversent aussi le territoire de la Pologne. La « Route des icônes » renoue avec la tradition de ces grandes routes. Leur création a pour but, entre autres, une intégration, largement comprise, de lÂÂÂEurope.
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