Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the Move N° 98 (Suppl.), August 2005 R. P. Guy GILBERT Fondateur Association «Père Guy Gilbert-Bergerie de Faucon» France Je suis heureux dÂÂêtre avec le Cardinal Hamao, S.E. Msgr Marchetto et vous tous. Je nÂÂai rien écrit, parce que je voulais vous connaître avant et préparer 20 questions, une par minute. Enfin, la première rencontre internationale pour la pastorale des enfants de la rue. Enfin. Je me disais souvent: quant cÂÂest que les Cardinaux vont faire un truc qui tire un peu. CÂÂest capital dÂÂunir nos forces dans nos formes différentes, ce que nous vivons avec les gens de la rue, que ce soit avec des femmes, des hommes, des bonnes sÂÂurs, des curés, des évêques. Chacun a son job. Le Cardinal Hamao tout à lÂÂheure aurait pu me demander: pourquoi ton «look»? JÂÂétait en clergyman dÂÂabord, avec les cheveux courts. Et puis jÂÂai vu les policiers français insulter les noirs de sales Negros, de délinquants, et je me suis dit: je ne suis pas un diamant moi! Un mec mÂÂa dit: prends ce blouson. Et il y a 34 ans quÂÂil me lÂÂa donné. Quand un policier mÂÂinsulte, vu mon «look», je vais à lÂÂAncien Testament: ÂÂil pour æil. Uniquement pour la forme, je respecte profondément le bulot de policier, mais sÂÂil est raciste, je ne peut pas le supporter. Je suis dans la ligne de Jean Paul II parce quÂÂil a parlé dÂÂinculturation. On nÂÂest pas tous obligés de se mettre en blouson noir. Ma vie a été projetée dans une inculturation totale, la plus grande possible, dès le début. Don Bosco sÂÂest battu dans la rue. Ma tactique parfois cÂÂest de dire: je frappe dÂÂabord, je bénis après. Dans la rue la violence des jeunes est telle quÂÂil faut aussi rentrer dans une certaine culture de violence et non pas pour se faire respecter, mais simplement pour rentrer dans leur culture. Et jÂÂai horreur de la violence. Mais cÂÂest une technique que jÂÂai pris de temps en temps. Dans la rue ils ont 200 mots de vocabulaire. Donc, apprendre leurs mots. Quarante ans de vie. Je pensais être curé de campagne, et jÂÂai été en Algérie où jÂÂai rencontré un jeune qui mangeait après le chien et cÂÂest ça qui mÂÂa doucement amené à faire ce job. Souvent des prêtres me disent de vouloir sÂÂoccuper des enfants de la rue. On connaît un drogué, on connaît des délinquants et petit à petit on avance. NÂÂimporte qui ne peut pas vivre avec des délinquants, il faut des dons très précis. Vivre avec. JÂÂai vécu pendant 15 ans avec les bandes de rue. JÂÂai vu des choses terribles. JÂÂai vu des morts, jÂÂai voulu vivre avec eux parce que je pense que le don de Dieu cÂÂétait de me faire vivre lÂÂamour au cÂÂur dÂÂune extra violence. Et je ne remercierai jamais assez lÂÂEglise pour mÂÂavoir permis de vivre cet apostolat en plein cÂÂur de lÂÂEglise même. JÂÂai lÂÂapparence de la marginalité mais je ne suis pas un marginal dans lÂÂéglise. JÂÂai pris le col romain pendant ces jours parce que je me suis dit que Msgr Marchetto va me chasser de ce Congrès. Mais ce clergyman je lÂÂavais acheté quand jÂÂai marié le fils du Roi des Belges. Ma pratique: je suis resté fixé sur les 13/16 ans. Un jeune de 13 ans a sodomisé très violemment un jeune de 11 ans. Pénalement ils vont en prison à 13 ans. En France ils peuvent rester 2 ans. Je lÂÂarrache au juge en disant que ce nÂÂest pas en prison quÂÂil sÂÂen sortira et le juge accepte. De plus en plus en France les juges refusent de mettre en prison, ils ont honte, et ça cÂÂest nouveau depuis 5 ans et sÂÂest très beau. Aller jusquÂÂau bout. Les jeunes que je prends à 13 ans je mÂÂen occuperai 10-15 ans sÂÂil le faut. Notre problème de niveau éducatif est mondial. On sÂÂoccupe dÂÂune tranche dÂÂage, ensuite on les passe aux autres et aux autres, ce qui fait quÂÂun jeune de 16 ans a 40 éducateurs pendant son enfance. Est ce que cÂÂest normale de vivre avec 40 adultes quand on a 16 ans? Je dénonce ce système haché, terrible. On démolit toute lÂÂaffectivité et la vie dÂÂun jeune. Les jeunes que jÂÂai connu il y a 40 ans, quand ils sont en prison je vais les voir. Ils auront un mandat tous les mois et je les attends à la sortie. CÂÂest pour ça que nous en prenons pas plus de 10 par an. Créer des petites structures. Je vois des structures énormes. Ce sont des machines à sÂÂoccuper de la «viande» délinquante. On ne sÂÂoccupe plus des humains, on sÂÂoccupe des délits. Ma pratique est la zoothérapie. Ces jeunes sont des cas très lourds de justice. Plus personne les veut. Je les prends en priorité. Premièrement, parce que je pense que se sont des êtres de lumière et quÂÂil y a toujours une part de cristal dans lÂÂêtre le plus déchu. Deuxièmement, le regard du Christ sur la croix vis-à-vis du bon Larron mÂÂa toujours fasciné. CÂÂétait une pourriture, une ordure, mais le Christ lÂÂa regardé et il a demandé pardon et il est monté au Paradis. Jean Paul II a déclaré de nombreux saints mais cÂÂest le seul à qui Jésus Christ a dit: Viens. Au début lÂÂalphabétisation est impossible. Ils ont 14 ans et ont quitté lÂÂécole depuis les 5/6 ans. Leur faire doucement des cours quand ils le désirent. Mais une fois quÂÂils lÂÂont désiré ils ne reviennent plus en arrière. Ensuite un apprentissage, et après des familles dÂÂaccueil. Leur payer leur permis de conduire. CÂÂest ça mon évangélisation dÂÂabord. Leur apprendre que quelquÂÂun restera avec eux jusquÂÂau bout. La véritable évangélisation ce nÂÂest pas de sÂÂoccuper de tranches, de les jeter, dÂÂen prendre dÂÂautres, mais cÂÂest de regarder quelquÂÂun avec amour comme Christ regardait et allait jusquÂÂau bout de son humanité. Pour ça il ne faut pas avoir 150 «délinquants» évidemment. SÂÂil y a des rechutes, nous sommes là. Je signale que nous parlons toujours dans nos instances de jeunes pauvres dÂÂAsie, Philippines, etc. et je vous signale, frères et sÂÂurs bien aimés, que vous avez une jeunesse dont on parle très peu, cÂÂest la jeunesse des nantis, les jeunes dont les parents sont séparés et quÂÂont de lÂÂargent à pas savoir quÂÂen faire, cÂÂest de la drogue et le suicide souvent. Et si je pouvais passer des pauvres jeunes émigrés, dont je mÂÂoccupe, aux jeunes du XVIème arrondissement à Paris je mÂÂen occuperais. La pauvreté cÂÂest de ne pas d'être aimé par quelquÂÂun. Ce nÂÂest pas au Brésil dans des favelas, cÂÂest dÂÂabord de nÂÂêtre aimé par personne, voilà la pire des pauvretés. Je mÂÂoccupe beaucoup des jeunes émigrés parce que, ayant passé 13 ans en Algérie, je connais lÂÂarabe, je connais le Coran et je peux, moi, chef chrétien, «émir» chrétien, leur dire: dans ton Coran il y a écrit ça. CÂÂest très important dÂÂaller chez lÂÂautre pour son éducation. DÂÂoù non pas une évangélisation explicite, mais dÂÂéducateur. JÂÂai 20 équipiers, musulmans, bouddhistes, orthodoxes, protestants, catholiques. Je prie à lÂÂécart de la communauté. Ils viennent avec moi sÂÂils le veulent. Discrètement. Tous les jours je prie et ils viennent avec moi. Je suis curé de la campagne à coté. La dernière fois le Cardinal Barbarin est venu pour une fête folklorique qui avait été abandonnée depuis longtemps, mais que je refais. Le Cardinal me dit: Guy, jÂÂai cru voir 5 arabes parmi les enfants de chÂÂur. JÂÂai répondu: Monseigneur cÂÂest nouveau, ça vient de sortir. Et jÂÂai lui expliqué que les jeunes me suivent souvent parce que je les ai pris en prison sans leur rien dire. Nous prions. Quand Jean Paul II à Assise a réuni toutes les religions, il nÂÂa jamais dit «prions ensemble», mais «ensemble pour prier». Je le fais depuis des années et cÂÂest très beau. On se rassemble, on reste silencieux et chacun prie dans sa religion. Evangéliser par la présence. En France on me demande souvent: comment tu les évangélises? Je dis: en fermant ma bouche. Et je prends lÂÂexemple du Christ qui, pendant 30 ans, sÂÂest tu. Il faut pas que nous oublions ça. Nous voulons toujours ramener notre religion, mais le Christ sÂÂest tu, et ce silence a été un silence extraordinaire parce que ça lui a permis, ensuite, de parler 3 ans. Je leur donne jamais des règles évangéliques mais je leur dis: aime ton ennemi. Le soir les jeunes ne se couchent jamais sans se demander pardon de façon très humaine. Chacun critique lÂÂéducateur devant tout le monde avec affection, parfois violemment, mais toujours on demande pardon. CÂÂest la religion de lÂÂamour, ce nÂÂest pas dit, mais cÂÂest vécu et bellement, je peut vous assurer. Ces jeunes ont fait de moi ce que je suis; je ne suis pas grande chose, mais si je suis le prêtre quÂÂon aime et quÂÂon admire dans lÂÂEglise cÂÂest grâce à lÂÂEglise dÂÂabord, et ensuite cÂÂest grâce aux jeunes délinquants avec lesquels je vis. Témoigner est capital. JÂÂai pris 5 ans de silence sans rien dire. JÂÂai reçu des insultes, on mÂÂa volé, on a failli me tuer. Aucune importance. Disait St Paul: cÂÂest là dedans que tu dois être heureux de vivre lÂÂamour du Christ. Mais il faut témoigner quand cÂÂest le temps de le faire. Quand jÂÂai un micro de télévision je parle de deux choses, de la misère des jeunes de France et de lÂÂévangile, alors là aucun problème. JÂÂai écrit 21 livres qui ont été vendus en 1.500.000 exemplaires. Cela mÂÂa étonné parce que je ne voulais rien écrire. Mais on mÂÂa demandé dÂÂécrire et jÂÂai écrit. Nous devons témoigner par lÂÂécrit, par la parole aussi, quand on nous le demande. Interpeller lÂÂEglise catholique et romaine. Enfin les Evêques vont en prison célébrer, enfin! A Noël et à Pâques. Combien de fois jÂÂai dit aux Evêques: comment vous pouvez laisser seuls les prisonniers à Noël et à Pâques en nÂÂétant pas capables dÂÂaller les voir? Ils le font maintenant. Il faut demander aux Evêques de détacher des prêtres à plein temps. Mais il ne faut pas oublier une chose. En 1970 jÂÂétais avec 5 prêtres, 4 se sont mariés. Il y a des risques importants à cause de lÂÂimmoralité de la rue. Il faut que lÂÂEglise prenne ce risque dans ces milieux extrêmement difficiles. Parce que souvent on admire le prêtre, mais on le laisse en paix et il peut crever tout seul. Comme on a mis un Evêque aux Armées, complètement détaché, on pourrait un jour faire la même chose avec un Evêque qui soit complètement détaché à cela. Je répète, il faut multiplier les petites structures, puisque les grandes structures tuent lÂÂinspiration. Soixante-dix Associations sont nées de nôtre «Bergerie de Faucon». JÂÂen suis le père spirituel, mais détaché. Pour moi, dans nos structures nous ne prenons pas plus de 10 jeunes par an et seulement 20 équipiers, qui font partie dÂÂune équipe forte, fidèle, équilibré, jetant dans cette tâche toutes ses forces. Pour ce qui concerne lÂÂaspect économique, 35% de nos finances vient de lÂÂEtat, le reste sont des dons et mes droits dÂÂauteur. On est tous responsables et il faut unir nos forces nationales, laïques et ecclésiales. Il faut dire à lÂÂEtat sans cesse: le miroir dÂÂune société cÂÂest dans la rue que vous le voyez. Interpellez socialement. Au cÂÂur de la misère on devine, on voit, on touche les carences dÂÂun Etat. Je vous dirai simplement, en terminant maintenant, travailler seul est suicidaire et je pèse bien mes mots. Ensemble, cÂÂest ce que nous faisons aujourdÂÂhui. Si je nÂÂavais pas 48 heures tous les 10 jours pour me taire et aller dans un couvent de moines, il y a longtemps que jÂÂaurais tout abandonné. |