Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the MoveN° 101 (Suppl.), August 2006
« Darb Mariam », le chemin de Marie :Une expérience laïque depèlerinage partagé
Mme Thérèse FARRA Darb Maryam, Liban
« Le chemin de Marie » est une démarche de dialogue et dÂÂÂéchanges, dans un climat dÂÂÂamitié fraternelle, sur les lieux de pèlerinage partagés au Liban par les musulmans et les chrétiens. En effet, la sainteté de Marie,- mère de Jésus, reconnu comme Issa, le prophète, - attire le respect des musulmans comme des chrétiens, et la contemplation du mystère de sa vie les élève dans la voie des vertus, et suscite une convivialité joyeuse. Il fait bon se rassembler autour dÂÂÂelle comme un foyer ; lÂÂÂamour qui naît de la reconnaissance de ce partage, génère une unité dÂÂÂun genre nouveau. Cet amour transcende les barrières sociales et religieuses traditionnelles, et semble préfigurer lÂÂÂunité à laquelle nous sommes tous appelés par notre Créateur. Depuis lÂÂÂannée 2001, sous le vocable de « Darb Mariam », de petits groupes amicaux bi-religieux visitent villes et villages du Liban, en signe de paix. LÂÂÂhistoire et la géographie du Liban prennent un relief inédit, quand on les regarde avec des yeux qui choisissent les traits partagés, les caractères pluriels. La perspective mariale y révèle la valeur sublime de lÂÂÂamour des mystiques, mais également, celle, plus cachée, de la foi populaire, à lÂÂÂinstar de la pierre précieuse brute, enfouie dans sa gangue. Quatre déplacements en moyenne, par année, ont conduit ces groupes de quinze à trente personnes, dans une quinzaine de lieux de pèlerinage, plus ou moins renommés. Le recrutement sÂÂÂest fait par contacts personnels et a réuni des personnes de groupes sociaux très différents, tout à fait disjoints. Le programme des journées comprenait la visite de sites musulmans et chrétiens (mazars, maqâms, mosquées, églises et couvents, tombes), avec audition de passages choisis du Coran dans les lieux de prière musulmane et de la Bible, dans les lieux de prière chrétienne. Des commentaires succinct, étaient présentés par une personne du groupe, ou par lÂÂÂautorité religieuse de lÂÂÂendroit. Des rencontres chaleureuses avaient lieu sur place avec des personnalités émérites - responsables civils, autorités religieusesÂÂÂ - pour entendre de leur bouche un témoignage à propos du sens de ce lieu de pèlerinage et de lÂÂÂhistoire des lieux, en insistant sur le passé récent. Nous leur demandions de nous parler de la vie conviviale intercommunautaire alentour. En nous faisant part de gestes de solidarité accomplis en temps de conflit, ils nous ont fait comprendre comment, petit à petit, le dialogue à lÂÂÂappui, le consensus peut sÂÂÂinstaurer entre groupes sociaux dÂÂÂintérêts divergents. Ce consensus qui autorise à donner au Liban son second titre à la dignité de sanctuaire, celui de la convivialité, le premier étant celui de Terre Sainte.[1] Nos pèlerins faisaient connaissance en partageant « le pain au thym » traditionnel du matin, ou manÂÂÂouché, et se rapprochaient durant le trajet et le repas de midi. La plupart nÂÂÂavaient pas circulé sur ces routes durant les trente années dÂÂÂévènements, et les sites depuis, ont tant évolué ÂÂÂ Un Liban inconnu se révélait à eux, tant dans les rencontres que dans les paysages, ils découvraient lÂÂÂautre religion de lÂÂÂintérieur, guidés par la foi, lÂÂÂespérance et la charité des présents, entrant dÂÂÂemblée dans une relation amicale, et cela jusquÂÂÂau lieu du cÂÂÂur où sÂÂÂélabore la prière. Ceci, se faisait sans heurts, dans la joie, signe de Marie au Magnificat. Enfin, dÂÂÂun pèlerinage à lÂÂÂautre, un fil continu nous guidait, de petites lumières étaient mises sur notre chemin, qui relançaient lÂÂÂattention et soutenaient lÂÂÂespoir. Nos recherches se sont enrichies de connaissances sur les religions dÂÂÂun pèlerinage à lÂÂÂautre : non seulement à cause de lÂÂÂéchange, et de lÂÂÂétude, mais aussi de la richesse patrimoniale des lieux parcourus. Le Liban est une Terre Sainte. DÂÂÂabord foulée et visitée par Marie et Jésus, ensuite bénie par toutes les personnes vénérables qui y ont vécu, de quelque religion quÂÂÂelles soient. Depuis des temps très reculés des prophètes, le souvenir des prophètes lÂÂÂhabite, à tel point que nous avons compris en circulant méthodiquement,la généalogie spirituelle de Marie. Choisissant un jour, de voir le maqâm musulman où lÂÂÂon révère Noé, à Karak Nouh, en route pour Bechouât, où se manifeste Marie dans lÂÂÂéglise, nous avons découvert les symboles de lÂÂÂarche dÂÂÂalliance et de lÂÂÂarc en ciel comme signe de paix. Une autre fois, du maqâm de Moïse (à Komatieh), nous nous sommes dirigés vers lÂÂÂéglise de lÂÂÂAnnonciation, à Aïn Trez, où nous avons entendu lÂÂÂannonce de lÂÂÂAnge dans le texte de Saint Luc, et ainsi, avons approfondi notre perception de ce symbole de lÂÂÂArche dÂÂÂAlliance, de même que nous avons découvert le Buisson ArdentÂÂÂ La fois suivante, cÂÂÂest Jonas qui a précédé Notre Dame de FatimaÂÂÂ , et ainsi de suite, une dynamique des symboles anciens comme de la parole prophétique sÂÂÂest mise en mouvement sous nos yeux. Mis en perspective avec Marie, les figures des saints et prophètes[2] sÂÂÂaniment, dans le cadre dÂÂÂun paysage originaire. Louis Massignon parle dans « Opéra Minora », dÂÂÂune « géographie spirituelle du monde » : « Elle est dynamique, décrit-il, et cÂÂÂest en situant les sens de ses déplacements, quÂÂÂon peut en caractériser la valeur finale pour nous. Tout déplacement humain a valeur universelle et peut être défini comme pèlerinage, et tout but dÂÂÂun tel déplacement, terre sainte»[3].Cette lecture du paysage fait converger les pèlerins vers des pôles dÂÂÂattraction, dont lÂÂÂultime serait le CÂÂÂur de Jésus, à lÂÂÂHeure de son Triomphe, dans la Jérusalem Nouvelle (voir p. 820). En attendant celle-ci, dÂÂÂautres déplacements, vers des pôles secondaires attirent les pèlerins dans des voyages symboliques, « moyens de sanctifications, dÂÂÂascèse et dÂÂÂintercession à la portée des plus humbles ». Les pôles principaux sont, notamment, Jérusalem pour tous les croyants des religions abrahamiques, et La Mecque et Médine pour les croyants mahométans. DÂÂÂautres types dÂÂÂitinéraires, virtuels ou réels, peuvent être envisagés : « Sur les pas de Marie Pèlerine », par exemple, en dénombrant les déplacements et les stations de Marie durant sa vie. Cela pourrait se faire sur le terrain dans les sites accessibles à partir du Liban, ou comme un itinéraire spirituel, à lÂÂÂimage du Chemin de Croix ou du Rosaire. Les itinéraires peuvent être prolongés en dehors du Liban et englober des voyages dans tout le Moyen-Orient, dans la mesure où les évènements politiques et violents le permettent. En fait, il est hors de question, pour le moment, dÂÂÂeffectuer ces voyages en groupe : à cause de la situation économique désastreuse, et de contraintes aux frontières, ils ne peuvent être réalisés quÂÂÂau niveau individuel. Mais on peut toujours en effectuer de façon fictive, avec des documents écrits et photographiques qui pourront étayer la méditation, par la suite. Certaines stations au Liban, se font dans des agglomérations tragiquement touchées par la guerre, comme Damour ou Deir el Kamar. La première a été rayée de la carte, et la deuxième a subi plusieurs sièges. On peut sÂÂÂy recueillir en mémoire des morts, faire une prière de demande de pardon, et écouter, en signe de compassion, les témoignages de vie. Une de nos compagnes, sunnite, fait un doctorat sur « Mariam dans les trois religions monothéistes », dans une université du Canada. Elle nous a entretenu à plusieurs reprises sur « LÂÂÂesprit prophétique en Marie, dans les religions musulmane et chrétienne ». Ces pèlerinages ont appuyé sa thèse. Elle tente de mettre sa recherche au service de la libération des femmes musulmanes. Les échanges avec elle complètent nos recherches individuelles. Des amitiés durables se sont nouées, entre musulmanes et chrétiennes ; musulmanes sunnites et chiites, certaines de ces relations se sont étendues hors du cadre de Darb Mariam, par exemple vers lÂÂÂapprentissage de la musique soufie, la randonnée en montagne, la lecture dÂÂÂÂÂÂuvres littéraires en groupe, etc. Un réseau de relations sÂÂÂétablit, dans tout le pays, qui peut être réactivé à lÂÂÂoccasion. Un groupe assez important parmi les participants, est au service des pauvres de toutes provenances au « Restos du CÂÂÂur ». Darb Mariam est leur fenêtre spirituelle, pour le moment, mais, en retour, pourrait envisager une ou des actions à lÂÂÂappui de leur ÂÂÂuvre sociale. De plus, à partir de la table accueillante de cette association, nous distribuons souvent les invitations à nos pèlerinages aux donateurs, pour intéresser de nouvelles recrues. Nous avons établi un premier contact, très positif, avec des personnes de la communauté druze. En marchant et en priant ensemble côte à côte pour la Paix, nous essayons de la construire en nous, pour quÂÂÂelle se diffuse autour de nous. Chacun fait connaître une partie choisie de sa tradition aux autres, et en retour, il se met à leur écoute. Ce faisant, nous témoignons ainsi de notre foi en Dieu lÂÂÂUnique, le Seul, le Révélé, ainsi que de notre espérance quÂÂÂil nous unisse par lÂÂÂamour. CÂÂÂest une grâce collective à laquelle nous aspirons. Humbles et petits, nous nous tenons ensemble devant Dieu. Notre vérité subit lÂÂÂépreuve de la fraternité. Peut-elle se commuer en amour universel ? Origine et croissance de Darb Mariam LÂÂÂélan premier de Darb Mariam est issu de circonstances multiples : un appel personnel, reçu par Thérèse à Ephèse (Turquie), au cours dÂÂÂun pèlerinage à Meryem Ana : la maison de Marie Mère, une réflexion sur lÂÂÂExhortation Apostolique du Pape Jean-Paul II, à lÂÂÂissue du Synode sur le Liban ; un désir de se porter au secours des chrétiens de Terre Sainte, en forçant par la prière, la frontière israélienne, au moment du début des incidents de la mosquée de Nazareth. Puis, grâce à lÂÂÂouverture sur des études dÂÂÂanthropologie religieuse au sujet des pèlerinages et des rituels partagés, et de mystique comparée musulmane et chrétienne à lÂÂÂUniversité St Joseph de Beyrouth, le projet sÂÂÂest formé petit à petit, de mettre en pratique les richesses apparues dans les études théoriques, au service dÂÂÂune action pour la paix. Un noyau dÂÂÂamis, recrutés dans des circonstances providentielles, sÂÂÂest formé. Des évêques et des religieux consultés nous ont donné le feu vert pour débuter ; lÂÂÂInstitut dÂÂÂEtudes Islamo-Chrétiennes de lÂÂÂUniversité Saint Joseph de Beyrouth nous a accordé son appui moral et un local à la demande, pour certaines réunions, ainsi que des conférences ou projections de films. CÂÂÂest lÂÂÂunique établissement au Liban, qui propose un diplôme universitaire pour le dialogue islamo-chrétien. En 2003, Darb Mariam a pu être présenté au Conseil Pontifical de la Pastorale pour les Migrants et les personnes en Déplacement, ainsi quÂÂÂà lÂÂÂEglise catholique du Liban, à lÂÂÂoccasion du Congrès pour le Tourisme Religieux au MO. LÂÂÂintérêt sÂÂÂéveille à notre action et cela dépasse à présent les frontières nationales. Mais, jusquÂÂÂà présent, nous nÂÂÂavons pas recherché de reconnaissance publique médiatisée. Conserver un aspect privé au mouvement, semble être pour le moment, une exigence de prudence. Que ce soit pour protéger lÂÂÂintimité qui se crée entre les participants, ou pour éviter une main mise politique ou intégriste. Grandirons nous ? Cela nous est encore caché et exige certaines conditions, non encore réunies. Toutefois, pourrions-nous dégager certains acquis de notre expérience de pèlerinage et de tourisme religieux, au service dÂÂÂun cercle plus vaste de pèlerins et de voyageurs? Ou de lÂÂÂenseignement des voies du dialogue ? Notre mouvement sera-t-il semé comme une graine qui peut engendrer dÂÂÂautres plantes et être à la source de leur multiplication ? Le Liban tout entier, sanctuaire marial Marie sanctuaire vivant Partout dans ce pays, on vénère Marie, dans dÂÂÂinnombrables sanctuaires. Depuis le pèlerinage le plus ancien, la grotte de Maghdouché[4], là où, selon la tradition, elle attendait Jésus qui prêchait dans les villes païennes de Sidon et Tyr ; jusquÂÂÂau lieu le plus caché, au fond de la Vallée Sainte de la Qadischa, où lÂÂÂon honore Notre Dame de Qannoubine, c'est-à-dire, Notre Dame de la vie en Communauté, et Notre Dame de La Vigne. La nature magnifique du Liban fait de lui tout entier, un symbole marial. Elle est chantée dans la Bible comme la Beauté de lÂÂÂEpouse attendue. Notre terre est bénie, par le passage de Jésus et Marie et celui de nombreux saints, - non seulement des saints chrétiens, mais aussi des musulmans, ermites, ascètes ou autres - et par le sang des martyrs de toutes époques. De tous les sanctuaires quÂÂÂun pèlerin chrétien peut désirer visiter, le sanctuaire marial, du plus humble au plus renommé, est préféré. Marie est elle-même « sanctuaire vivant »[5], car elle porte le Verbe de Dieu. Celui qui se dirige vers elle, comme lÂÂÂétoile de la bonne nouvelle est orienté vers son fils. Les musulmans aussi, ont les yeux fixés sur Marie, comme celle qui a su dans le dénuement du Temple, attendre tout don du Ciel[6], à tel point quÂÂÂelle a été jugée digne de former en elle la parole annoncée de la part de Dieu[7]. « (RappelleÂÂÂtoi,) quand les Anges te dirent : « Ô Marie, voici quÂÂÂAllah tÂÂÂannonce une parole de Sa part : son nom sera « al Massih » « ÂÂÂIssa », fils de Marie, illustre ici-bas, comme dans lÂÂÂau-delà, et lÂÂÂun des rapprochés dÂÂÂAllah ». Dans certaines mosquées[8], un Mihrab[9] secondaire sÂÂÂorne même, au dessus de lÂÂÂarcade, dÂÂÂune céramique gravée du verset suivant, qui décrit lÂÂÂétonnement de Zacharie devant les dons reçus par Marie en prière : « Chaque fois que celuiÂÂÂci entrait auprès dÂÂÂelle dans le sanctuaire, il trouvait près dÂÂÂelle de la nourriture. Il dit : « Ô Marie, dÂÂÂoù te viens cette nourriture ? ». Elle dit : « Cela me vient dÂÂÂAllah. Il donne certes sa nourriture à qui Il veut sans compter ». Tout croyant peut se souvenir de lÂÂÂabandon total de cette jeune vierge, dans la prière, au Temple. CÂÂÂest en sÂÂÂémerveillant que lÂÂÂon découvre la joie et lÂÂÂenthousiasme des fidèles, depuis les plus humbles jusquÂÂÂaux autorités notables, quand on les interroge sur le rang de Mariam, sur sa dignité. CÂÂÂest une expérience marquante qui peut faire tomber beaucoup de réserves et de préjugés et rassembler dans une sympathie commune les fervents de Marie. Nombre de croyants musulmans, et notamment les femmes viennent dans les sanctuaires chrétiens qui lui sont consacrés se recueillir et faire des vÂÂÂux, à tel point que lÂÂÂon peut parler, dans lÂÂÂanalyse sociologique, de « pèlerinages partagés ». Ce phénomène est attribué également aux sanctuaires dévolus à dÂÂÂautres saints. Citons principalement St Georges et St Elie, connus tous deux sous le vocable de « El Khodr » en Islam. Points de rencontre de communautés et de cultures diverses, lieux dÂÂÂéchanges économiques, arènes de rapports de force politique, à tel point quÂÂÂils en deviennent lÂÂÂenjeu, ce sont des carrefours où par lÂÂÂaction du brassage qui sÂÂÂétablit, un équilibre se crée en douceur entre les présents, ou bien peut se briser violemment, en déclenchant un conflit. Là où lÂÂÂon vit lÂÂÂépreuve de la coexistence et du partage, une opportunité se présente pour le dialogue comme pour la détermination des identités, à des niveaux différends. LÂÂÂindividu et sa communauté réagissent là plus librement quÂÂÂailleurs : on est sur des frontières, quelquefois sur des lignes de faille, au sens propre ou figuré. Plusieurs sens des manifestations cultuelles peuvent se côtoyer, ou bien un sens commun peut se présenter, avec toutes les nuances intermédiaires. Les fêtes organisées durant les pèlerinages peuvent jouer un rôle unificateur important, en ralliant le public à la mémoire dÂÂÂun évènement fondateur. Les hommes témoignent de leur identité comme de leur foi par des gestes rituels, les lieux eux-mêmes « parlent », par leur géographie ou leur histoire ; les sociétés sÂÂÂexpriment par le folklore ou la politique ; le divin intervient par lÂÂÂintermédiaire des textes sacrés, lus ou interprétés, ou, quelquefois directement par des apparitions ou dÂÂÂautres manifestations extraordinaires. Le sens du pèlerinage peut évoluer au cours du temps, des transferts religieux ou culturels de lÂÂÂappartenance du site peuvent survenir (par exemple, une église peut être mutée en mosquée, puis redevenir ce quÂÂÂelle était). La mobilité sociale autorise le changement et le favorise. Une dialectique réagit constamment entre le sacré informel et le sacré institutionnalisé discipliné par les autorités religieuses ; le religieux peut se sublimer en culturel, et à lÂÂÂinverse, pour montrer le désir de vivre en frères. Et ce passage dÂÂÂun niveau de vie à lÂÂÂautre, peut adoucir le choc des différences. CÂÂÂest le travail que peuvent faire les pèlerinages, au sein du tourisme religieux pour contrer les fondamentalismes. Darb Mariam va à la rencontre de la diversité, religieuse ou sociale, là où elle se manifeste le plus, dans les lieux de pèlerinage partagés, dans lÂÂÂesprit de discerner les valeurs que lÂÂÂon partage déjà , sans en avoir pris conscience, et dans lÂÂÂintention de panser autant que possible, les blessures de lÂÂÂamour, que sont les drames passés, ou les souffrances actuelles des présents. Au Liban 18 communautés vivent ensemble, côte à côte ou mélangées. La vie conviviale, aussi menacée soit-elle, y a été citée en exemple par le pape Jean-Paul II, lors de son Exhortation Apostolique post synodale. Il y avait qualifié ce pays de « Pays Message », et cela depuis ne cesse dÂÂÂêtre repris dans les discours comme dans les dialogues, comme un leitmotiv porteur dÂÂÂespérance. Et les plus fervents échos proviennent dÂÂÂinterlocuteurs non-chrétiens, qui demandent aux chrétiens dÂÂÂêtre les garants de lÂÂÂunité nationale[10]. Ce même pape a exhorté instamment au cours de son voyage, en 1997, à abattre les murs de la haine et de lÂÂÂhabitude, pour construire un nouveau modèle de fraternité, en bannissant toute peur. A lÂÂÂoccasion de la « Première Rencontre sur la Pastorale du Tourisme dans les pays du Moyen Orient et de lÂÂÂAfrique du Nord » il a invité à « (ÂÂÂ ) aller à la rencontre non seulement des sanctuaires mais aussi des communautés humaines ». La jeunesse du Liban, sortie des abris après 24 ans de guerre sÂÂÂétait rassemblée en foule à Harissa pour lÂÂÂentendre. Elle sÂÂÂest engagée publiquement dans les manifestations géantes de février et mars 2005, et le serment proclamé par Gébran Tuéni avant sa mort tragique, sert de cri de ralliement pour lÂÂÂunité nationale : « Au nom de Dieu le Tout-Puissant, nous faisons le serment, chrétiens et musulmans, de demeurer unis, éternellement, pour défendre notre majestueux Liban ». Depuis plus dÂÂÂun an maintenant, il est admis et apprécié pour des musulmans et des chrétiens, de prier ouvertement côte à côte devant les tombes des martyrs. La Fatiha et le signe de la Croix, le muezzin et la cloche, ne se contredisent plus quand il sÂÂÂagit dÂÂÂexprimer le respect du sacrifice de la vie, joint à lÂÂÂespoir de la vie en commun. Durant une année entière, un espace public, le centre ville de Beyrouth, a été le théâtre de la célébration solennelle du deuil du Premier Ministre Hariri et ses compagnons, assassinés le 14 février 2004. Toutes les communautés au Liban y ont participé publiquement, ses membres se sont mêlés à une foule dÂÂÂascendances multiples. Des gestes de solidarité économique fortement symboliques ont témoigné de lÂÂÂeffort communautaire officiel et privé pour dédommager les victimes des agressions terroristes de février 2006, pour reconstruire ensemble des quartiers ou des villages sinistrés à ce moment[11], et se démarquer de lÂÂÂaction terroriste. Seize représentants de communautés confessionnelles et religieuses avaient proclamé solennellement par une prière commune - fait sans précédent -, la fin de la guerre du Liban, à la Place du Musée, le 13 avril 2005, après 30 ans de conflits[12]. Mais il faudrait encore progressivement soigner et guérir la mémoire de tous les libanais, et puis de leurs voisins, en inventant des mots et des gestes nouveaux pour se dire : « Je ne suis pas complet sans toi, cÂÂÂest avec toi que je veux vivre aujourdÂÂÂhui et construire demain ». Il faudrait refaire connaissance, en allant vers les autres, après sÂÂÂêtre côtoyés derrière des murs imposés, pour construire avec les valeurs que lÂÂÂéchange révèle, lÂÂÂavenir, encore voilé aux yeux de notre jeunesse. LÂÂÂangoisse et la lassitude traquent tous les citoyens ; fatigués par les épreuves de la guerre et des difficultés économiques conséquentes à celle-ci, ils ne cessent de subir lÂÂÂépreuve du désespoir. La pression à lÂÂÂémigration est terrible, et dénoncée par les autorités de toutes les communautés. Avec Darb Mariam, nous nous proposons de donner aux jeunes en éveillant leur intérêt pour les recherches qui y correspondent, un cadre de rencontres pour lÂÂÂexercice au dialogue de la vie. En faisant « goûter » à nos amis la douceur du partage, nous tenterons, à notre échelle, de semer des graines dÂÂÂespérance, de diffuser des raisons et des moyens de lutter pour la paix. Ces jours-ci, dans la montagne libanaise, nous fêtons Notre Dame des Semences. CÂÂÂest sous son signe que ce message vous est proposé, car la tâche est immense et les ouvriers encore peu nombreux. Bibliographie : Exhortation apostolique post-synodale pour le Liban, 1997 Discours du Pape Jean-Paul II aux jeunes du Liban, Harissa, 1997 Opera Minora, tomes I et III, par Louis Massignon Voir dans : Les pèlerinages au Maghreb et au Moyen-Orient, Espaces publics, espaces du public ; par Sylvia Chiffoleau et Anna Madoeuf, IFPO 2005. Les articles de Dionigi Albera : Pèlerinages mixtes et sanctuaires « ambigus » en Méditerranée Et Nour Farra Haddad : Pèlerinages votifs au Liban : chemins de rencontre des communautés religieuses. Sur les pas des Saints au Liban ; par Victor Somma « Le Sanctuaire, mémoire, présence et prophétie du Dieu vivant », Document du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement.
[1]Le premier étant celui de Terre Sainte, selon Fadi Noun, journaliste.
[2]Pour localiser les lieux de culte, et en savoir plus sur chacun, voir: « Sur les pas des Saints au Liban » par Victor Somma.
[3]«
Opera Minora », p. 817.
[4]Sur la colline au sud de Saïda, lÂÂÂantique Sidon.
[5]Citons un document du Dicastère du Conseil pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement daté de 1999 : « Le Sanctuaire, Mémoire, Présence et Prophétie du Dieu vivant », paragraphe 18. Mais cÂÂÂest un fait proclamé dans la théologie des Pères de lÂÂÂÉglise et chanté dans les liturgies orientales.
[6]Coran, Sourate 3, verset 37.
[7]Coran, Sourate 3, verset 45.
[8]A Istanbul, dans toutes les églises converties en mosquées, comme lÂÂÂa remarqué Louis Massignon, et à la Mosquée el Omari de Saïda. Mais surtout à la Mosquée El Aqça de Jérusalem. (voir dans
Opéra Minora* de Louis Massignon, p 596 et 594).
[9]Niche de prière dans la direction de la Mecque
[10]Voir tout récemment un témoignage de Abbas Halabi, personnalité druze, familière du dialogue, dans le quotidien « LÂÂÂOrient-Le Jour » du 7/4/2006, p. 5, dans le compte-rendu dÂÂÂune conférence à lÂÂÂUSJ sur : « Les chrétiens et le renouveau de lÂÂÂengagement politique au Liban »
[11]Je citerai lÂÂÂONG ÂÂÂOffre-JoieÂÂÂ qui emploie des jeunes volontaires à cela depuis déjà plusieurs années.
[12]Voir « LÂÂÂOrient-Le Jour » du 14/2/ 2005. Ce geste a été répété cette année, quoique moins médiatisé.
Il sÂÂÂétait accompagné dÂÂÂune déclaration à signer pour que chaque libanais demande pardon à tous les autres, de tous les gestes de rejet de lÂÂÂautre, quÂÂÂil avait pu commettre.
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