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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 101, August 2006

 

 

Immigration et intégration*

(Conseil d'Églises Chrétiennes en France)

 

     Un projet de loi qui restreint encore les possibilités de régularisation des étrangers.

     Lettre du Conseil dÂÂ’Églises Chrétiennes en France à M. Dominique de Villepin. 

Le 25 avril, le Conseil dÂÂ’Églises Chrétiennes en France (CECEF) a rendu publique la lettre quÂÂ’il a adressée à M. Dominique de Villepin, Premier Ministre, pour lui faire part de ses inquiétudes quant au projet de loi sur lÂÂ’immigration de M. Nicolas Sarkozy. Nous publions cette lettre :

Monsieur le Premier Ministre,

Les questions que soulèvent les migrations ne cessent dÂÂ’interroger nos sociétés européennes depuis de nombreuses années. Elles constituent un véritable défi pour notre avenir et mériteraient dÂÂ’être situées dans le cadre dÂÂ’une politique globale de développement des pays du sud. Une nouvelle fois, la législation est soumise à un projet de modification. Un projet de loi, adopté au Conseil des ministres le 29 mars, sera débattu au Parlement dans les premiers jours de mai.

Le Gouvernement a bien entendu lÂÂ’entière légitimité pour proposer de nouvelles dispositions tendant à mieux définir les conditions dÂÂ’entrée et dÂÂ’installation des personnes étrangères sur le territoire français. Mais ces mesures ayant de sérieuses conséquences sur le sort qui sera réservé à tant dÂÂ’hommes et de femmes à la situation fragile, vous comprendrez que le Conseil dÂÂ’Églises Chrétiennes en France, alerté par nos Églises et par les associations (Secours catholique, CIMADEÂÂ…) qui oeuvrent pour lÂÂ’accueil des migrants, tient à vous faire part des réelles inquiétudes que soulève ce projet.

Du côté catholique, nous nous en sommes déjà ouverts au Ministre dÂÂ’État, Ministre de lÂÂ’Intérieur et de lÂÂ’Aménagement du territoire, lors dÂÂ’une rencontre le 10 avril dernier. Une rencontre technique a eu lieu le 13 avril entre des collaborateurs du ministre et un groupe de travail oecuménique qui a permis une écoute mutuelle. Nous avons pris note des points dÂÂ’attention à propos desquels des précisions pourraient être apportées au projet de loi (maintien de la carte de séjour en cas de rupture du contrat de travail, délais de recours juridictionnels et protection des femmes victimes de violences conjugales).

Le droit à la vie privée et familiale fragilisé

LÂÂ’existence des « sans-papiers » est une réalité incontournable, estimée aujourdÂÂ’hui à plusieurs centaines de milliers de personnes. Peut-on uniquement leur proposer de repartir dans leur pays dÂÂ’origine, de gré ou de force ? Cela nous paraît tout à la fois irréaliste dÂÂ’un point de vue pratique que problématique sur le plan humain. Nous regrettons donc que le projet de loi ne contienne que des mesures qui auront pour effet de restreindre encore les possibilités de régularisation de ces étrangers. Ce signal restrictif nous inquiète dans la mesure où il ne pourra que maintenir dans la précarité administrative et sociale de trop nombreuses personnes. Il serait regrettable que tous ceux qui aspirent à poursuivre légalement et paisiblement leur vie en France en soient empêchés du fait dÂÂ’une trop grande rigueur des textes et des conditions posées.

Nous attachons une attention toute particulière au respect du droit à la vie privée et familiale. Guidées principalement par le souci dÂÂ’éviter les fraudes, les mesures contenues dans le projet de loi auraient pour conséquences, si elles sont adoptées, de fragiliser ou de retarder le regroupement de familles étrangères ou de couples mixtes, et de laisser des familles entières dans une longue incertitude quant à leur possibilité de sÂÂ’établir durablement en France. Cette fragilité accrue déstabiliserait nombre de familles et irait à lÂÂ’encontre de lÂÂ’intérêt des plus faibles, parmi lesquels les enfants.

La réalisation dÂÂ’une bonne insertion dans notre société requiert, pour les personnes concernées, une stabilité et une sécurité quant à leur situation administrative.

En ce qui concerne les demandeurs dÂÂ’asile, la protection que nous leur devons risque dÂÂ’être affaiblie par lÂÂ’extension de la liste des pays dits « dÂÂ’origine sûrs ». Par ailleurs, le statut particulier qui sera désormais celui des CADA (centre dÂÂ’accueil pour demandeurs dÂÂ’asile) pourrait conduire à une diminution des actions dÂÂ’accompagnement social et dÂÂ’aide à lÂÂ’insertion de ces personnes, et maintiendrait dans lÂÂ’extrême précarité toutes celles faisant lÂÂ’objet dÂÂ’une procédure de réadmission dans le cadre des accords européens. Parallèlement au projet de loi, nous avons été alertés sur les dangers importants que comporte le projet de décret tendant à réduire le délai de recours contre une décision négative de lÂÂ’OFPRA. 

Des délais de recours trop courts

Le projet de loi tend à généraliser lÂÂ’exigence du visa de long séjour pour quÂÂ’une personne puisse obtenir une carte de séjour en France, notamment au titre des liens familiaux. Or les conditions actuelles dÂÂ’examen et de délivrance des visas, dans les consulats de France à lÂÂ’étranger, souffrent dÂÂ’une trop grande opacité et ne permettent pas aux personnes qui les sollicitent de sÂÂ’appuyer sur des procédures encadrées dans le temps. Le renforcement du rôle des consulats supposerait la mise en oeuvre de moyens humains et financiers considérables ainsi que de procédures précises et fiables : il y va de lÂÂ’image même de notre pays à lÂÂ’étranger. En matière dÂÂ’éloignement du territoire des étrangers en situation irrégulière, le projet de loi fusionne l'invitation à quitter le territoire et la reconduite à la frontière afin de simplifier la procédure actuelle et de désengorger les tribunaux. Pour ce sujet également très sensible, le délai prévu pour un recours contentieux nous semble beaucoup trop court pour quÂÂ’un étranger puisse élaborer un recours efficace.

Enfin, la création de la carte « compétences et talents » risque dÂÂ’entraîner une inégalité forte suivant les catégories de personnes : que penser de cet encouragement à la venue de migrants diplômés ou de haut niveau alors que la situation des autres est rendue encore plus difficile ?

Telles sont, Monsieur le Premier Ministre, les principales remarques que le projet prochainement débattu soulèvent dans nos Églises.

Nous savons bien la complexité de légiférer en cette matière. Nous vous serons dÂÂ’autant plus reconnaissants de lÂÂ’attention que vous pourrez porter aux différents sujets évoqués par ce courrier.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, à lÂÂ’assurance de notre considération dévouée. 

 

Cardinal Jean-Pierre RICARD 

Archevêque de Bordeaux

Président de la Conférence des évêques de France

 

Pasteur Jean-Arnold de CLERMONT 

Président de la Fédération protestante de France

 

Monseigneur EMMANUEL

Président de lÂÂ’Assemblée des évêques orthodoxes de France

 


* La Documentation catholique, 21 mai 2006, N. 2358.

 

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