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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 103, April 2007

 

 

LE FORUM EUROPEEN DES ROMS

ET GENS DU VOYAGE

                                                                                             

 

M. Léon Tambour

Observateur de l’Eglise Catholique

 auprès du Forum

 

Il est bien entendu que le Forum se situe au niveau des institutions européennes, plus précisément du Conseil de l’Europe. Il serait vain d’attendre des résultats immédiatement perceptibles dans la vie quotidienne des communautés tsiganes.

Pour bien comprendre le Forum et évaluer ses chances d’avenir, il est nécessaire de le replacer dans son contexte historique. 

I. Le contexte européen

Depuis les débuts balbutiants de l’Europe, après la deuxième guerre mondiale, bien des choses ont changé : les institutions se sont multipliées, les pays adhérents sont devenus plus nombreux, les objectifs se sont précisés … En dépit des nombreux obstacles, des inerties et des craintes nationalistes encore très présentes, il faut constater objectivement que cette évolution est irréversible. Personne ne sait ce que sera l’Europe, tant les questions et les défis sont encore nombreux, mais personne ne peut nier qu’elle continuera à se développer, d’autant plus qu’un phénomène d’Européanisation est entré dans les mœurs de la population et sous-tend l’évolution politique. Il y a donc un phénomène institutionnel, mais aussi une évolution des mentalités que même les Eurosceptiques ne peuvent nier.

L’ Union  Européenne rassemble vingt-cinq Etats et elle a son propre parlement ; le Conseil de l’Europe, créé en 1949 déjà, rassemble, lui, 46 pays. Son rôle est de promouvoir la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme. Depuis de nombreuses années, le Conseil a émis des « recommandations », d’ailleurs non contraignantes, concernant les Tsiganes, mais la question des minorités a pris une acuité particulière depuis la chute du communisme avec l’adhésion des nouveaux Etats membres où précisément les minorités sont nombreuses, et avec les mouvements migratoires qui ont inquiété l’Ouest. L’Europe exerce une pression sur les nouveaux Etats pour qu’ils maîtrisent la question des minorités, pour des raisons éthiques mais aussi parce que les tensions nationalistes risquent d’hypothéquer l’avenir de l’Europe. Les événements récents du Kosovo sont une illustration évidente de ce risque. 

II. La minorité tsigane

La minorité tsigane est très différente des autres minorités. Tout d’abord son rejet est ancestral, il a été violent et il a généré un repli identitaire. De plus, cette minorité est très dispersée ; en 1993 déjà, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe constatait que « les Tsiganes constituent une véritable minorité européenne qui ne correspond toutefois pas aux définitions applicables aux minorités nationales et linguistiques … elle est une minorité non territoriale » ; constat important qui montre que le Conseil de l’Europe se trouve désarmé face à cette « autre minorité » à intégrer. La dispersion « non territoriale » a comme conséquence que le monde tsigane est multiple, divers et surtout qu’il n’a pas de structures politiques qui permettent une représentativité classique. Or, le Conseil de l’Europe, en vertu de sa mission, veut faire entendre la voix des Tsiganes. Mais qui va exprimer cette voix ?  L’émergence d’une prise de conscience politique des Tsiganes et la création de nombreuses associations ont rendu difficile le choix d’un interlocuteur d’autant plus que ces associations sont loin de parler la même voix. Néanmoins, au-delà de cette diversité, il faut constater qu’il y a une constante : la discrimination alimentée par un racisme récurrent et agressif qui ne manque pas d’interpeller le Conseil. Des instances ont bien été créées en son sein pour tenter une approche du problème, comme par exemple, le « Comité d’experts sur les Roms, Tsiganes et Gens du Voyage » en 1996, mais ses membres sont nommés par les Etats et il n’y a pas de représentants tsiganes en tant que tels. 

III. Le Forum Européen des Roms et Gens du Voyage

Sensibilisés à l’absence de voix des Roms au Conseil de l’Europe, le délégué permanent de la France et surtout celui de la Finlande ont recherché une solution spécifique. Des contacts, pendant plusieurs années, ont été pris avec des leaders Roms également motivés, et ils ont abouti à la création du Forum Européen des Roms et Gens du Voyage qui a tenu sa première assemblée plénière du 13 au 15 décembre 2005 à Strasbourg. Il s’agissait de l’assemblée constitutive qui avait mission principale d’approuver les statuts.

1. Quelques considérations techniques.

- Le Forum est constitué en association sans but lucratif, dont le siège est à Strasbourg. Il est autonome et indépendant, mais il a signé un accord de partenariat privilégié avec le Conseil qui concerne les ressources humaines et financières et les facilités techniques.

- Les organes dirigeants sont :

. un comité exécutif composé de dix personnes (dont   un président et deux vice-présidents) élues par les délégués pour un mandat de 4 ans. 

. l’assemblé plénière qui se réunit une fois par an et est composée des membres délégués par les associations roms nationales ; le nombre de délégués par pays va de 1 à 4, selon le nombre de Roms du pays (1 délégué pour les pays de moins de 100.000 Roms, 4 délégués pour les pays de plus d’1 million de Roms).

- Le nombre de pays présents est d’un peu plus de trente – il n’y a pas encore de rapport précis – et le nombre de délégués ayant droit de vote est d’un peu plus de cinquante.

- Le Saint-Siège a demandé et obtenu qu’un délégué de l’Eglise Catholique puisse assister à l’assemblée plénière avec statut d’observateur, donc sans droit de vote.

- Le Forum représente « les Roms, Sinti, Kalé, Gens du Voyage et autres groupes apparentés ».

- Son but est de « promouvoir pour les populations mentionnées, le respect effectif de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales tels qu’ils sont garantis par le Conseil de l’Europe … Il encourage la lutte contre le racisme et la discrimination ; il facilite l’intégration de ces populations dans les sociétés européennes et leur participation à la vie publique et à la prise de décision ».

- Sa stratégie est de faire entendre la voix des Roms et ses propres objectifs, à titre consultatif, auprès des différentes instances européennes, des autorités nationales et  de diverses organisations qui promeuvent la protection et la promotion des minorités tsiganes, ainsi que de prendre lui-même toute initiative dans ce but.

2.  Quelques particularités

- Le Forum affirme, en son sein,  la Tsiganité  ce qui est bien normal. Les délégués sont « Roms » et le Romani, qu’il désire faire reconnaître comme langue minoritaire, est la langue officielle du Forum, avec, il est vrai, l’anglais et le français car différents groupes ont des dialectes très différents ou ont perdu leur langue.

- Un problème est de toute évidence la « représentativité » du Forum ;  les responsables ainsi que le Conseil de l’Europe en sont bien conscients. Les Roms n’ont pas de structures démocratiques internes qui permettent une représentation classique. Il a donc fallu imaginer un système, assez compliqué, selon lequel les associations nationales Roms doivent se regrouper en un Forum national chargé de déléguer un ou plusieurs représentants (selon le nombre de Roms du pays) au Forum Européen. Certes, la procédure n’est pas parfaite, elle n’est pas toujours pratiquée strictement, de sorte que la représentation n’est pas à l’abri de critiques ni de tensions ; mais les choses étant ce qu’elles sont, ce système est peut-être le moins mauvais et il faut considérer qu’il est en phase évolutive et qu’il devra s’améliorer.

- Cette absence de représentativité stricte devra être compensée par une « légitimité » qui devrait naître d’un travail efficace du Forum et donc de sa visibilité. La plupart des responsables élus sont, me semble-t-il, des gens de valeur, conscients des difficultés qui les attendent. Il faudra que le Forum puisse créer une « interaction » avec les « forums nationaux » – ce qui n’est pas encore le cas – pour qu’il reste en phase directe avec les réalités concrètes et qu’il ne se confine pas dans un verbalisme stérile.

- De la deuxième assemblée plénière qui a eu lieu du 6 au 8 novembre dernier, je retiens deux choses qui me paraissent essentielles :

= Les responsables ont présenté les activités de l’année écoulée, comme par exemple de nombreux contacts pour que les Roms du Kosovo soient considérés comme partie prenante dans les pourparlers sur l’avenir de cette région. Ils ont eu aussi la franchise de reconnaître que des problèmes d’organisation interne ont retardé la mise en œuvre de certaines activités. Ils estiment qu’après cette crise de croissance le Forum est désormais opérationnel.

= La participation des délégués a été plus structurée et plus dynamique que lors de la première assemblée. Ils ont d’ailleurs donné des mandats plus précis au Comité exécutif dont celui, notamment, d’élaborer et de faire avaliser une « Charte Européenne des Roms ».

- Quel sera l’avenir du Forum ?  Un risque est qu’on en attende trop : d’une part, les Roms, enfermés dans des situations de discrimination et d’antitsiganisme, pourraient exiger « tout, tout-de-suite » ; d’autre part, le Conseil de l’Europe lui-même pourrait attendre du Forum ce qu’il n’est pas (encore) capable de donner.

Ce serait une erreur de le considérer comme une institution achevée et de s’isoler dans un scepticisme négatif trop facile. Sa vocation n’est pas de résoudre « tous » les problèmes tsiganes. A l’image de l’Europe, le Forum devra surmonter des crises, des échecs qui le forceront à évoluer. Il aura aussi à canaliser, à épurer et à harmoniser les mouvements de prise de conscience politique des Roms. Travail de longue haleine certes et qui ne sera jamais terminé.

Mais il faut donner une chance au Forum pour que l’évolution dont il est porteur tende vers une connaissance et une reconnaissance de la minorité tsigane, vers la dénonciation des discriminations dont elle est l’objet et vers un antiracisme davantage institutionnalisé. Forum ou pas, les Roms continueront leur vie ; mais dans le contexte de l’Européanisation, il importe que le Forum, face aux institutions européennes et autres, affirme la Tsiganité, sa dignité et son droit inaliénable à plus de justice. 

IV. Et nous ?

Une réflexion et une interrogation  …

1. Il me semble que nous ne devons pas être systématiquement négatifs. En vertu même de l’Evangile que nous nous efforçons de vivre dans la familiarité des Roms, nous ne pouvons rester insensibles aux objectifs que poursuit le Forum, à l’évolution que s’efforce de créer le Conseil de l’Europe même si les chemins politiques sont complexes et souvent rocailleux. Parce que nous reconnaissons les Tsiganes comme des hommes à part entière et des enfants privilégiés de Dieu nous avons, nous aussi, à intégrer ces objectifs. L’Eglise ne peut pas rester en marge des évolutions ni des efforts de la société civile. Plus que toute autre institution, elle doit affirmer les valeurs d’ouverture et briser les nouveaux rideaux de fer du racisme et des petits enfermements. Le Forum s’adresse aux institutions, l’Eglise a mission de changer les mentalités par l’Evangélisation ! Pourquoi ne pourrait-il y avoir complémentarité ?

2. Une chose encore, un peu marginale : la nouvelle mobilité des Roms, les mouvements migratoires créent dans chaque pays des rencontres inédites et une forme d’Européanisation qui n’est pas à son terme. Ce sont des « signes des temps » auxquels le Concile nous a demandé d’être attentifs !  N’avons-nous pas à nous inspirer de l’Europe et du Forum et être davantage présents à cette évolution ? Europe et Forum, avec leurs limites, osent le pari de rassembler des diversités pour leur donner une voix ! Par le fait des migrations, de nouveaux groupes tsiganes différents se côtoient dans nos  pays. Ne devons-nous pas, face à ces « signes des temps », réfléchir à ouvrir davantage notre souci pastoral à tous les groupes, quelles que soient leur origine et les expressions de leur Foi, sans sombrer dans le relativisme ?  Il ne peut y avoir de ghetto pastoral ! Ne s’indique-t-il pas, pour rester en lien d’Eglise avec une actualité changeante et parfois dérangeante, que les responsables se rencontrent davantage au niveau européen pour échanger les expériences et tendre vers une spiritualité pastorale  plus harmonisée et plus conforme aux réalités ? Il me semble que ce serait dans la ligne d’une présence de l’Eglise aux objectifs du Forum, mais surtout aux ouvertures que nous proposent les « Orientations ».

 

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