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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 106 (Suppl.-I), April 2008

 

 

La liturgie nourrit la foi et lÂ’espÉrance des communautÉs de marins et de pÊcheurs

 

Msgr. René M. EHOUHZOU

(in absentia)

 

Les marins et les pêcheurs font partie de ceux qui ont besoin dÂ’une pastorale appropriée en vertu de leur situation particulière. Cela appelle de la part de lÂ’Eglise une sollicitude pastorale comme le recommandait Vatican II dans son décret Christus Dominus. Les conférences épiscopales et les évêques y ont reçu le devoir de pourvoir au mieux à leur soin spirituel. Les règles établies par le Siège apostolique demeurent les normes de base en même temps quÂ’une marge est laissée pour une adaptation convenable aux conditions de temps, de lieux et de personnes[1]. Comme le rappelait Jean-Paul II, de vénérée mémoire, cette attention aux gens de mer sÂ’enracine dans une véritable spiritualité.

Stella Maris [Étoile de la mer] est depuis longtemps lÂ’appellation préférée par laquelle les gens de mer sÂ’adressent à Celle en qui ils ont toujours placé leur confiance pour quÂ’elle les protège: la Vierge Marie. Jésus-Christ, son Fils, accompagnait ses disciples dans leurs voyages en barque ; il les aidait dans leurs difficultés et calmait les tempêtes.

On ne peut mieux situer lÂ’engagement de lÂ’Eglise dans sa vie et sa vocation comme Corps du Christ dont elle prolonge la vie et la mission. La situation en mer traduit encore dans le concret lÂ’urgence de la présence de lÂ’Eglise. Sans abandonner son engagement au niveau de la vie professionnelle des gens de mer, lÂ’Eglise doit leur faire prendre conscience des tempêtes spirituelles qui menacent la barque et les bateaux de leur existence. Elle doit faire germer sur les lieux de leur labeur lÂ’espérance chrétienne qui la soutient.

Je suis particulièrement heureux dÂ’avoir été associé à ce colloque quant aux intuitions pertinentes que jÂ’en tirerai moi-même. Le Saint Père mÂ’a transféré récemment sur le Siège dÂ’un Diocèse qui comprend une large frange qui vit sur lÂ’eau et ne survit que grâce à la pêche. Ce sont les peuples aguégué et les tofins. Sans oser dire que ces peuples vont souvent au large, on peut souligner avec justesse leur vie souvent partagée entre la chaleur familiale et la fraîcheur ainsi que les aléas des eaux.

SÂ’il faut lÂ’inscrire dans ce vaste champ de la spiritualité et lÂ’Apostolat de la Mer, le sujet que jÂ’aborde ici cible plus précisément les marins et les pêcheurs. Il ne me revient également que dÂ’aborder lÂ’aspect liturgique de leurs divers besoins spirituels. Mais à vrai dire, nous pouvons soupçonner dès lors que lÂ’exposé part comme du centre de leur vie spirituelle, comme dÂ’un point dÂ’irradiation qui prend les artères essentielles de la vie chrétienne. La liturgie nourrit la foi et lÂ’espérance des communautés de marins et de pêcheurs.

Vous comprendrez aisément pourquoi je me permettrai dÂ’aborder le thème en embrassant spontanément toutes les vertus théologales en ayant à lÂ’arrière plan de mon propos la vertu de charité qui est la plus capitale et celle qui ne passera jamais. Je voudrais évoquer en premier lieu la situation pour en arriver à ce que la liturgie apporte à leur foi et comment elle cultive leur espérance chrétienne pour les engager dans la charité répandue par lÂ’Esprit de Dieu.  

I - La situation particulière des marins et pêcheurs

Il nÂ’est pas aisé de présenter la situation des marins et pêcheurs. Ce qui est entrepris en ce premier moment de notre exposé ne vise quÂ’à faire entrevoir la nécessité et la pertinence de lÂ’attention pastorale que nous devons leur porter et la mission qui en découle pour lÂ’Eglise universelle en même temps que pour les Eglises locales. Plus concrètement, cela permet à tous de vivre en communion avec ces peuples et personnes tout en sÂ’ouvrant à une solidarité agissante. Leur situation est pour le moins dramatique et en appelle cependant à une lecture pleine dÂ’espoir. Elle exige surtout dÂ’être intégrée à lÂ’expérience chrétienne.

Je parlerai de prime abord du drame quÂ’on appellerait plus exactement les risques du métier des marins et pêcheurs. Il nÂ’est pas nécessaire dÂ’insister sur le fait que marins et pêcheurs soient directement engagés au cÂœur dÂ’une bataille avec la nature pour la survie. Il leur faut affronter la furie des flots et la rage des tempêtes pour réussir à tirer ce qui leur donnera les ressources. Cet aspect apparaît parfois clairement dans les évangiles même si nous ne sommes pas habitués à le remarquer ni à le regarder pour lui-même.

Comme le disait Jean-Paul II en 1984 aux membres de la Conférence mondiale pour la pêche, « nous pouvons penser que ce qui a particulièrement attiré le Christ vers les pêcheurs et lÂ’a entraîné à les choisir pour un tout autre genre de travail, cÂ’est leur courage, leur esprit dÂ’initiative et leur promptitude à faire face aux risques du vent et des vagues[2]». CÂ’est dans cette vie difficile et au cÂœur de cette lutte acharnée des pêcheurs que Jésus a rejoint et appelé ses premiers disciples (cf. Mt 4,18-22 ; Mc 1,16-20 ; Lc 5,1-11).

Avant que Jésus ne participe à leur pêche qui en devint miraculeuse, Luc fait résumer par Pierre la situation aléatoire des pêcheurs que seule la providence divine peut changer en joie : « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». A travers ces mots, nous pouvons entendre, à notre tour, la situation de tous ces marins et pêcheurs qui peinent non seulement toute la nuit, mais parfois à longueur de semaines et de mois. En proposant aux pêcheurs de Galilée de faire dÂ’eux des « pêcheurs dÂ’hommes », Jésus insinuait bien sûr quÂ’ils allaient mettre alors toute leur histoire humaine et socioprofessionnelle au service du salut des hommes.

Cependant nous pouvons y voir aussi lÂ’indication que Jésus comprenait parfaitement lÂ’âpreté de leur combat professionnel pour la survie quotidienne au point dÂ’en faire la métaphore de la dramatique qui caractériserait désormais leur lutte résolue pour la vie éternelle de tous les hommes. Cette découverte de la situation des marins et pêcheurs à travers le regard et lÂ’attitude même du Seigneur apparaît encore au bord du lac de Tibériade en saint Jean dans le contexte de la résurrection. Pour bien apprécier la merveille de cette apparition et la puissance du Ressuscité il faut comprendre cette vie de pêcheurs à laquelle les disciples déçus voulurent alors revenir après les événements tragiques de la mort de leur maître. LÂ’évangéliste a comme voulu traduire leur drame en les remettant dans le décor peu reluisant de la vie de pêcheurs qui semble redevenir leur lot ; la même désolation avait alors marqué leur sortie sur les eaux du lac : « Cette nuit-là, ils ne prirent rien » (Jn 21,3). Seule la présence, les indications et la puissance du Christ Ressuscité leur redonnent la force et la joie.

La situation difficile de leur travail quotidien se complique aussi au niveau purement humain. Le départ pour le travail en mer est toujours pour la famille des marins et pour eux-mêmes un moment dÂ’angoisse devant lÂ’incertitude de revenir sain et sauf à la maison. Le séjour en mer  représente toujours une période dÂ’isolement où des vies humaines sont livrées à une incertitude pouvant aller jusquÂ’à lÂ’insécurité. Alors quÂ’ils sont à la recherche dÂ’un travail et dÂ’un revenu, des pêcheurs et des marins peuvent parfois se retrouver entre les mains de quelques patrons épris de gains faciles et sans aucune considération pour la vie humaine et la dignité de la personne. Il ne sÂ’agit pas seulement des conditions inhumaines auxquelles des équipages sont parfois soumises ; on doit rappeler aussi des crimes odieux, que les médias nous ont habitué à découvrir avec horreur mais souvent bien tardivement, des drames que les mers et océans ont pu couver pendant des mois.

Comment oublier que le fait de voguer sur les eaux et dÂ’aller de port en port, la vie loin de la terre natal et du cadre familial livrent les marins et pêcheurs à une instabilité qui se traduit souvent par un relâchement aux niveaux spirituel, humain et moral.

Pour lire cette situation avec espoir, il faut la prendre comme faisant partie de la vie de notre humanité. Il faudrait, de ce point de vue, mentionner et saluer les bonnes initiatives ecclésiales et civiles de tout genre. On citerait par exemple les associations qui organisent lÂ’accueil de ces perpétuels migrants recherchant, dans les ports et en terre étrangère, un peu dÂ’hospitalité et de chaleur humaine.

 La liturgie est un cadre privilégié de lÂ’engagement de lÂ’Eglise en ce sens quÂ’elle recentre la vie des marins et pêcheurs dans leur foi chrétienne et lui donne la base spirituelle de son dynamisme.

II - La liturgie recentre la vie des marins et pêcheurs dans leur foi chrétienne

Avant même dÂ’engager directement les marins et pêcheurs, la liturgie donne avant tout à leur foi et à leur vie le gage et la garantie dÂ’une prise en charge ecclésiale efficace, de la présence de lÂ’Eglise dans leur vie.

La liturgie se réfère donc en premier lieu à la présence de lÂ’Eglise qui porte alors son accompagnement et son apostolat à sa fine pointe et à la source de son efficacité.

 [Â…] La liturgie est le sommet auquel tend l'action de l'Eglise, et en même temps la source d'où découle toute sa vertu. Car les labeurs apostoliques visent à ce que tous, devenus enfants de Dieu par la foi et le baptême, se rassemblent, louent Dieu au milieu de l'Eglise, participent au sacrifice et mangent la Cène du Seigneur. (SC 10).

Sans insister déjà ici sur lÂ’aspect sacramentaire, nous pouvons préciser cette référence ecclésiale et ecclésiologique de la liturgie à partir du contexte qui est celui des marins et pêcheurs. LÂ’un des besoins urgents dÂ’un tel contexte est un besoin dÂ’identité et dÂ’enracinement. On le découvrirait en pensant à deux dérives religieuses qui guettent constamment ces nomades de la mer, à part la mise entre parenthèse de leur foi et de leur vie religieuse. Je parlerai par exemple de la tentation peut-être propre à certaine culture de sÂ’adonner à une spiritualité ou à une mystique enracinée dans des traditions locales, comme lÂ’adoption et la vénération de quelque esprit des eaux ou de la mer. Cela les conduit bien souvent à un syncrétisme difficile à irradier. JÂ’évoquerai aussi le risque dÂ’une religion populaire concoctée au gré des besoins et des sentiments personnels. Or, nous savons que, tout en partant dÂ’une base chrétienne, la religion populaire ne sÂ’en éloigne pas moins par un genre dÂ’éclectisme spirituel ou par un esprit de sectarisme[3]. Ces dérives peuvent compromettre la foi et saper lÂ’identité chrétienne en créant comme une religion dépourvue de toute assise ecclésiale.

La liturgie affirme cette identité en intégrant une telle communauté à la communauté de lÂ’Eglise quÂ’elle rend ainsi présente. LÂ’initiative lui en revient donc dans toutes les célébrations liturgiques à travers sa hiérarchie.

A cette condition que la liturgie donne aux marins et pêcheurs la matrice ecclésiale qui doit sous-tendre leur spiritualité et, en conséquence, toute leur vie et leur labeur. Elle concrétise la sollicitude dÂ’une Eglise qui les accompagne en les nourrissant. CÂ’est au cÂœur de sa liturgie que lÂ’Eglise ouvre au monde le salut et la grâce dont elle est la gardienne, la dispensatrice. CÂ’est en effet le dépôt de la grâce que, par la liturgie, lÂ’Eglise ouvre aux croyants par la générosité sacramentelle qui la constitue elle-même comme « sacrement universel du salut » ; et, par le dynamisme de leur foi qui sÂ’en trouve consolidé, les croyants y puisent les « mystères de la pâque ». Par la liturgie, les marins et pêcheurs entrent en « assemblée » réunie « pour célébrer le mystère pascal » (SC 6), le mystère de leur foi. En réalité, lÂ’Eglise elle-même vit des mystères qui la constituent en étant non seulement la dispensatrice mais aussi la bénéficiaire de la grâce quÂ’elle communique. De ce cadre liturgique naît aussi la conviction quÂ’à toutes les étapes de lÂ’existence et sur tous les chantiers du travail humain, lÂ’Eglise a mission de sÂ’édifier en bénéficiant elle-même des sacrements quÂ’elle y célèbre. Ces professionnels des eaux et du séjour en mer grandissent alors dans la foi dÂ’appartenir à lÂ’Eglise et de la rendre vivante sur leur lieu de travail.

Il en ressort en effet pour eux une véritable conscience ecclésiale. La liturgie rappelle et leur fait vivre quÂ’ils constituent, en leur communauté même, une communauté ecclésiale, cette Eglise qui les accompagne. Cette présence de lÂ’Eglise doit en fait son efficacité et sa fécondité salvifique à la présence du Christ lui-même. La liturgie instaure donc dans le contexte de la vie peu ordinaire en mer ou sur les eaux la présence efficace de lÂ’Eglise où se fait la rencontre indéniable avec le Christ.  Prenant ainsi conscience de vivre en Eglise et dÂ’être lÂ’Eglise appelée à célébrer les mystères du Rédempteur, les marins et les pêcheurs peuvent grandir dans la connaissance et la rencontre de Dieu en Jésus-Christ et sÂ’engager résolument envers lui. CÂ’est dÂ’abord par la Parole de Dieu présente dans toutes les célébrations liturgiques que se déploie cette présence. Elle sÂ’y fait toujours le miroir dÂ’une découverte plus intime de Dieu qui donne en retour aux fidèles de se découvrir eux-mêmes comme objet de la sollicitude de Dieu, appelés à le chercher encore davantage pour lÂ’aimer plus profondément.

La dimension christologique peut ainsi apparaître dans toute sa densité. Le Christ se rend présent dans ce cadre de lÂ’exercice de sa fonction sacerdotale (cf. SC 7.2) pour sanctifier lÂ’existence et le labeur des hommes de la mer et du séjour sur les eaux. Tout en célébrant ainsi les mystères de la Rédemption, elle ouvre aux fidèles les richesses des vertus et des mérites de son Seigneur ; de la sorte, ces mystères sont en quelque manière rendus présents tout au long du temps, les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis par la grâce du salut. (SC 102)

Il faut aussi souligner la caractéristique de lÂ’année liturgique de déployer les mystères de la vie du Christ aux dimensions du temps de notre existence. La liturgie les ouvre à cette réalité, que cÂ’est au cÂœur de nos luttes que Dieu nous rejoint à travers lÂ’engagement de son Fils à nos côtés. Elle les rassure et leur permet plus quÂ’à quiconque de rechercher la présence du Seigneur non seulement pour calmer la furie des flots et des vagues mais aussi pour que leur labeur soit fructueux.

Cette présence du Christ prend un sens particulier dans le Saint Sacrement, qui devient alors le lieu de recueillement et du silence pour le recours personnel au Seigneur lorsque les vents se font contraires. CÂ’est avec raison que les Normes concernant les Âœuvres de lÂ’apostolat de la mer demandent de donner une place spéciale à ceux qui développent une telle dévotion pour faire dÂ’eux des piliers de la communauté des marins et pêcheurs[4].

CÂ’est à travers les sacrements célébrés par lÂ’Eglise que les fidèles sont intégrés au Christ qui est lui-même le sacrement primordial de la rencontre de Dieu. La vie divine offerte en Jésus-Christ se répand en effet comme une sève dans lÂ’Eglise pour en irriguer tous les membres en les associant à son mystère personnel. « Dans ce corps, la vie du Christ se répand dans les croyants que les sacrements, d'une manière mystérieuse et réelle, unissent au Christ souffrant et glorifié. » (LG 7.2) Cela se réalise de façon fondatrice dans le sacrement du baptême dans lequel les fidèles sont rendus semblables au Christ en mourant et ressuscitant avec lui. La fraction du pain les fait participer à son Corps pour les élever à la communion avec lui  et entre eux (cf. LG 7).

Je me permets dÂ’insister spécialement sur lÂ’Eucharistie que Vatican II a comprise à juste titre comme « source et sommet de toute la vie chrétienne » (cf. LG 11).. LÂ’expression vise, dans la liturgie, la signification et lÂ’efficacité des rites pour la participation à la grâce et à la vie de Dieu. Cela se concrétise dans lÂ’eucharistie où, prenant une part active et personnelle dans lÂ’action liturgique, les fidèles sont restaurés par le Corps du Christ pour manifester lÂ’unité de lÂ’Eglise quÂ’ils ont conscience de former (cf. LG 11,1). Ils sont insérés dans la dimension communautaire du salut chrétien et vivent au jour le jour de la communion des saints que déploie lÂ’eucharistie dans sa double dimension horizontale et verticale[5].

C'est donc de la liturgie, et principalement de l'Eucharistie, comme d'une source, que la grâce découle en nous et qu'on obtient avec le maximum d'efficacité cette sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu, que recherchent, comme leur fin, toutes les autres oeuvres de l'Eglise. (SC 10).

Le sacrement de la réconciliation ainsi que lÂ’engagement éthique et socioprofessionnel qui en découle nous permettent de comprendre davantage cette action en profondeur de la liturgie La liturgie de la réconciliation refait constamment cette union au Christ et la vie avec lui dans son Eglise en faisant puiser les professionnels des eaux aux sources de la miséricorde divine. En les ouvrant à la réconciliation avec lÂ’Eglise et avec leur communauté à bord et spécialement avec leurs confrères de travail, ce sacrement promet dÂ’être un véritable vent favorable pour les équipages. Les célébrations communautaires de la pénitence et les actes personnels de réconciliation qui devraient en découler sont en effet capable de renouveler lÂ’atmosphère à bord, de faire ramer tout le monde dans le bon sens en visant que le bien de tous. LÂ’Eglise y serait alors dans son rôle de ferment dÂ’unité dans ces communautés particulièrement que la promiscuité pourrait blesser par des déchirures de tout genre.

Ma présentation attire ainsi lÂ’attention sur le sérieux de la liturgie dans ces contextes où lÂ’on évitera constamment la tentation de nÂ’offrir que des occasions furtives pour des sacrements isolés ou pour marquer les fêtes chrétiennes. La liturgie est appelée dans un tel contexte à exercer réellement un rôle dÂ’édification capable de créer une véritable spiritualité de lÂ’existence en mer et sur les eaux. En scrutant les profondeurs de la mer et des eaux pour en extraire ses richesses pour leur survie, les marins et pêcheurs pourraient par exemple, avec les ressources de leur foi chrétienne et à la lumière de lÂ’évangile, réaliser que ce qui fait vivre lÂ’homme et soutient lÂ’humanité nÂ’est ni superficiel ni facile mais exige plutôt une profondeur spirituelle aux dimensions aussi illimitées que celles de la mer. En réalité, cÂ’est lÂ’espérance chrétienne qui se développerait et se fortifierait ainsi au gré des flots et des vagues. 

III - LÂ’espérance chrétienne au gré des flots et des vagues

La liturgie ne nourrit pas seulement la foi des marins et des pêcheurs, elle gonfle également lÂ’espérance chrétienne que la foi suscite et fait lever[6] en eux. Regardons ici concrètement comme à travers la foi entretenue au creuset de la liturgie, la vie des marins et pêcheurs se trouve portée par le sens que lui donne le Dieu de Jésus-Christ, assignant à tous les résultats de leurs activités terrestres une destination en Dieu à la fois comme une fin ultime et une première cause efficiente[7]. Dans ce contexte dÂ’isolement et de travail en dehors du contexte familial, seule la vie liturgie peut créer le désir de vivre plus intensément la foi comme vecteur de ce qui nous porte vers lÂ’avenir, jouant un véritable rôle de ferment de leur espoir pour en faire une espérance chrétienne.

Concrètement, je voudrais me porter une fois encore au cÂœur du concile Vatican II, avec Gaudium Spes pour nous faire écouter le défi de lÂ’insertion de lÂ’espérance chrétienne au cÂœur des activités terrestres.

L'Eglise enseigne, en outre, que l'espérance eschatologique ne diminue pas l'importance des tâches terrestres, mais en soutient bien plutôt l'accomplissement par de nouveaux motifs. A l'opposé, lorsque manquent le support divin et l'espérance de la vie éternelle, la dignité de l'homme subit une très grave blessure, comme on le voit souvent aujourd'hui, et l'énigme de la vie et de la mort, de la faute et de la souffrance reste sans solution: ainsi, trop souvent, les hommes s'abîment dans le désespoir. (GS 21)

Ce texte est bien connu et représente bien le défi dont jÂ’ai parlé tantôt. Il impose aux chrétiens de trouver ces nouveaux motifs qui propulsent les tâches humaines parfois ardues dans le sens de notre marche, de la marche globale de lÂ’humanité vers Dieu. Pour faire lever cette espérance au sein des communautés que nous envisageons, je vous propose de lÂ’enraciner dans la foi en Jésus-Christ par laquelle Dieu nous donne accès à tous ces dons..  

Conclusion : Nourris par la liturgie pour porter la charité aux cÂœurs des rencontres humaines

La liturgie elle-même pousse les fidèles rassasiés des "mystères de la Pâque" à n'avoir plus "qu'un seul coeur dans la piété" ; elle prie pour "qu'ils gardent dans leur vie ce qu'ils ont saisi par la foi" ; et le renouvellement dans l'Eucharistie de l'alliance du Seigneur avec les hommes attire et enflamme les fidèles à la charité pressante du Christ (SC 10). Avec une liturgie appropriée qui les fait participer aux sacrements pour consolider leur foi et nourrir leur espérance, les gens de mer font de leur vie individuelle et collective le cadre dÂ’une véritable expérience chrétienne que la charité féconde.

En vivant leur vie chrétienne à travers la vie liturgiques, ceux qui traversent mers et océans vers ces rendez-vous aux nombreuses promesses se font ainsi les artisans de cette charité à communiquer comme ferment des échanges de tout genre. Leur aventure à travers ports et contrées devient un apostolat discret mais efficace en tant quÂ’il est ancré dans les aléas de leur vie professionnelle. Animés par une telle charité, les équipages, les marins et pêcheurs font des distances océaniques qui apparemment éloignent et séparent, des traits dÂ’union entre les peuples; ils reviendront toujours au bercail, sur leur terre natale, non plus seulement avec des ressources financières mais aussi riches de ce quÂ’ils auront engrangé en humanité au gré de leurs escales et de leurs rencontres. La charité est à même dÂ’inscrire tous leurs voyages et leur labeur quotidien dans la dynamique de cette nécessité dÂ’aller vers les autres, poussés par leur communion constante avec le Seigneur qui les aura enflammés de sa charité.

La charité instaure ainsi une cohérence eucharistique : lÂ’amour accueilli presse de se faire amour donné sous peine de trahir le sacrifice offert[8]. Dans leur contact avec le Seigneur dans la liturgie eucharistique et dans lÂ’adoration qui lÂ’accompagne aura germé une dynamique : la mission sociale « qui veut briser les barrières  non seulement entre le Seigneur et nous, mais aussi et surtout les barrières qui nous séparent les uns des autres[9]. »

Cette ouverture aux autres dans la charité commence à porter ses fruits déjà au sein de lÂ’équipage même et entre les pêcheurs eux-mêmes. Les chrétiens se savent alors engagés à un témoignage public de la foi qui les maintient sereins en dépit de la violence des vents contraires et de la force menaçante des flots et des vagues. Ils portent à leurs compagnons lÂ’assurance que le sommeil apparent du Seigneur à lÂ’arrière nÂ’entame aucunement sa sollicitude et sa puissance prêtes à apaiser les tempêtes, à donner sens à leur voyage et à faire porter du fruit à leur labeur.

Je rêve dÂ’une mystique de pèlerinage[10] animée par la charité pour tous ces professionnels appelés à prendre les risques du voyages en mer et sur les eaux : ce serait une véritable redécouverte de soi dans le miroir de la sollicitude de Dieu et dans la charité vécue aux dimensions des contrées et régions lointaines.

Les récits des voyages et des aventures montrent combien solidaires deviennent les différents équipages et les marins entre eux quand surviennent par exemple des moments de dangers et que dÂ’autres équipages sont menacés. DÂ’aucuns ont pu donner leur vie en en sauvant dÂ’autres. En puisant au cÂœur de leur vie chrétienne et en se nourrissant de la charité qui lÂ’irrigue, les marins et pêcheurs chrétiens peuvent en vivre toute une spiritualité qui les prépare à donner, à tout moment, leur vie pour leurs compagnons de route ou de  métiers. La liturgie qui insère leur temps concret dans le temps du salut lÂ’intègre ainsi au mystère du Christ et en réalise la rédemption, selon lÂ’heureuse expression de K. Rahner[11].      


 

[1] Cf. Vatican II, Christus Dominus § 18; se situant à la suite de ses prédécesseurs, Jean-Paul II a sorti le « Motu proprio » Stella Maris, sur les « Normes concernant lÂ’Âœuvre de lÂ’Apostolat de mer », in La documentation catholique, 2159 (4 mai 1997), p. 401-404.

[2] Jean-Paul II, « LÂ’apport de la pêche dans la lutte contre la faim », in La Documentation Catholique, 1881 (7 octobre 1984), p. 885.

[3] Cf. M. Meslin, LÂ’expérience humaine du divin. Fondement dÂ’une anthropologie religieuse, (Coll. Cogitatio fidei 130), Paris, Cerf, 1988, p. 235-286.

[4] Cf. Jean-Paul II, « Motu proprio » Stella Maris, sur les « Normes concernant lÂ’Âœuvre de lÂ’Apostolat de mer », in La documentation catholique, 2159, p. 402.

[5] Cf. Benoît  XVI, Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis. LÂ’Eucharistie, source et sommet de la vie et de la mission de lÂ’Eglise, § 20.21 (Cotonou, Imprimerie Notre Dame, 2007, p. 27.

[6] Cf. Thomas dÂ’Aquin, IIa-IIae, q. 17, a 7, resp.

[7] Thomas dÂ’Aquin, IIa-IIae, q. 17, a 5, resp.

[8] Benoît XVI, Sacramentum Caritatis, § 82 (p. 88-89).

[9] Benoît XVI, Sacramentum Caritatis, § 66 (p. 73).

[10] Pour une telle mystique on lirait comme point de départ très suggestif. M. Meslin, « lÂ’expérience religieuse du pèlerinage », in LÂ’expérience humaine du divin, p. 174-195.

[11] K. Rahner, « Rédemption du temps », in Ecrits théologiques, t/ IV, Bruges, Desclée de Brouwer, 1966, p. 181-201.

 

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