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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 107 (Suppl.), August 2008

 

 

Pèlerinage et sanctuaire,

espaces de miséricorde

 

 

M. l’Abbé José da Silva Lima

Président C.I.

de l’Université Catholique du Portugal

Centre Régional de Braga

1. Zacharie entrait dans le “sanctuaire”

Il foulait l’espace le plus sacré, où personne ne pouvait sentir le sol, “le saint des saints”. On ne retirait pas le “voile”; cette sphère que les humains considéraient avec adoration appartenait à Dieu. Le silence régnait. L’odeur de l’encens planait et là, rien de rien, sinon «l’arche de l’histoire», de «l’alliance», de la «séparation», qui faisait cesser les voix et adorer dans le cœur. Les sens s’envolaient ou restaient dehors. C’est de l’intérieur du sacré que le “grand prêtre” sortit muet. Un espace autre, celui de l’autre côté, ne pouvait que transformer celui qui y pénétrait.

Tout sans altération. La «Gloire de Dieu» qui irradiait de toutes parts était là, mais personne ne la confisquait; là était la «présence» itinérante qui donnait une terre de lait et de miel; là était la réalité, venue d’en haut, sans nom imaginé, mas seulement «révélé». Elle avait fait des merveilles et elle était là. Ce qui est séparé est merveilleux. Non sans alternatives de mélange. Quand arriva son tour, «il entra dans le sanctuaire», selon la coutume sacerdotale en vigueur, le matin ou le soir. Il ranima les braises et les vapeurs de l’ «autel de l’encens, l’autel en or, dans le Saint des Saints»[1].

À l’heure de l’encens, le peuple restait dehors en prière. La Gloire de Dieu n’a pas de limites, mais elle n’a pas non plus d’habitudes. Elle est entourée par la multitude des anges qui l’adorent sans cesse. Mais la Gloire de Dieu a des surprises, des ruptures dans les habitudes et dans les rituels, et les vapeurs d’encens ne cessèrent même pas de se faire sentir. La surprise de ce jour-là fut le retard, car l’ange parla de la demeure de Dieu. Il lui apparut à droite de l’autel de l’encens[2]. Il apparut parce qu’il était là et le grand prêtre fut saisi de crainte et de perturbation.

Il entendit alors la voix de la promesse. Tout arrivera comme le Seigneur l’a décidé, car ni la vieillesse, ni l’âge avancé, ni l’infécondité ne seront des obstacles. De ce sanctuaire parle le Seigneur de l’Univers, le Seigneur de toutes choses, la présence de toutes les grâces, qui offrira Jean - «le Seigneur fait grâce», comme le nom l’indique - à Elisabeth et Zacharie. Ainsi, il ne sera pas comme les autres, mais il sera une exception pour la nouvelle alliance: grand devant le Seigneur, sans vin ni boisson alcoolique, mais rempli de l’Esprit Saint dès le ventre de sa mère[3]. Il sera le conducteur de nombreux fils. Il ira devant et héritera du pouvoir d’Elie «pour ramener les cœurs des parents vers les enfants et les rebelles à la sagesse des justes». «Ne crains pas», car le Seigneur «te fais grâce»; réjouissance et jubilation, pour toi et pour beaucoup d’autres. Et, devant la grâce, tu restes muet d’admiration et de crainte; tu n’ouvriras pas la bouche pour que la «grâce» soit surprise. Et quand tu diras qui il est, ils sauront que, bien que se situant dans la lignée, il vient de Dieu. Dans la logique des générations et dans l’histoire, entrera la nouvelle lignée de Dieu, de Son amour et de Son don.

Ton mutisme créera de l’attente dans tout le peuple et le retard sera considéré comme la cause du début d’une nouvelle création. Quand Dieu intervient, les heures s’arrêtent et le temps rituel devient le vrai temps favorable. Le peuple attendra dehors, car la «grâce donnée» est toujours surprise.

La vision s’est réalisée; le peuple déjà en attente avait compris et la routine des rites avait été transformée en signes nouveaux d’un muet qui s’était attardé si longtemps dans la demeure du sanctuaire. Il ne parlait pas parce que Dieu, Sa Gloire, avait comblé sa voix d’un chant, et il acquiesçait avec des gestes comme le nouveau Moïse, la main levée pour conduire sur un autre chemin. C’est là, dans le sanctuaire, que le Peuple avait reçu une nouvelle orientation et c’est de là aussi, sans voix humaine mais avec un message divin, que s’ouvrait une nouvelle orientation pour le sanctuaire: «J’ai été envoyé, moi Gabriel, pour te parler et annoncer cette Bonne Nouvelle»[4]. Quelle contradiction apparente: «rester muet» pour que parle ce qui va arriver ! Le fils d’un muet va préparer les chemins. Ce qui vient est grâce, ce qui vient est nouveau, ce que Dieu offre ne répète pas mais fait surgir du silence d’un don. Il ne faut pas parler, mais accepter; il ne faut pas faire, mais recevoir.

Et les jours ont passé, ceux de la traversée du désert de l’infertilité. La grâce ne vient du «sanctuaire» que pour celui qui y entre. Il suffit d’y entrer et de se laisser surprendre. Que montent les vapeurs d’encens et que descende la voix incontestable de l’ange et, alors, dans le silence, est créé un nouveau monde que seul Dieu sait donner, que seul le Saint peut offrir. C’est ainsi que, au sixième mois, la Parole était déjà féconde et la chair humaine d’Elisabeth parlait de grâce, bien que le visionnaire demeure dans le silence de la contemplation. Tout venait de l’autre côté, mais la nouvelle œuvre prenait corps, Dieu faisait grâce à travers la gestation d’Elisabeth. La nouvelle œuvre «tressaille» en présence de l’auteur et la rencontre des femmes, récit de Luc[5], est la rencontre du Saint avec la miséricorde, la rencontre de l’Auteur avec le début de l’œuvre: «Heureuse es-tu qui as cru». Ce premier jour n’est pas tant celui des mots, mais davantage celui de la lueur ; il n’est pas tant celui des poèmes, mais davantage celui de la danse d’une nouvelle réalité: danse vers le sommet des monts, danse dans le ventre d’Elisabeth, où le Créateur de la fécondité (en Marie) se joint à la voix de celui qui crie dans le désert (Jean, en Elisabeth). Là est l’événement. La semaine est passée et, en ce nouveau premier jour, le huitième (dans le plein accomplissement de ce qui est stipulé dans la Loi), la voix de la bonne nouvelle s’est libérée pour écrire «son nom est Jean» et tout de suite après la bouche s’est ouverte. Comme la pierre du sépulcre a roulé, les cordes vocales se sont accordées pour chanter un nouveau cantique et la bouche a parlé pour bénir, «remplie de l’Esprit Saint»:

« Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël

Qui a visité et racheté son peuple..

Il nous a donné un sauveur puissant…

Comme il l’a promis…

Pour montrer Sa miséricorde en faveur de nos pères,

Rappelant son alliance sacrée..

Grâce au cœur miséricordieux de notre Dieu

Qui nous visite d’en haut comme le soleil levant… »[6].

Zacharie ouvrit la bouche pour dire la «miséricorde», non dans le sens de se battre la poitrine ou de maltraiter le corps par indulgence. «Miséricorde» dans le sens de «don», de «grâce», de «Jean» parce que «le Seigneur fait grâce». «Miséricorde» dans le sens de cœur ouvert de notre Dieu, comme la mère ouvre ses entrailles pour donner un fils. «Miséricorde» dans le sens de porte ouverte de Dieu pour ce qui paraissait impossible, pour la métamorphose de l’infécondité, pour la transformation d’un ventre vide en ventre plein de vie. Le silence a pris fin car la vie chante sa victoire ; la malchance de l’infécondité a pris fin, parce que Dieu fait grâce ; le dérèglement social de n’être pas comme les autres (même dans la vieillesse) a pris fin parce que la création vient de Dieu et le jardin social lui a toujours appartenu. Il s’agit de la dernière figure de Pâques.

En ce huitième jour, il y a une parole semblable à la confession solennelle de Thomas le huitième jour de Pâques: «Mon Seigneur et mon Dieu» / «Dieu a montré sa miséricorde». Ce sont les confessions correspondantes d’un monde nouveau qui s’ouvre, grâce à l’événement du sanctuaire: au Cénacle, avec Thomas; dans le Temple de Jérusalem, avec Zacharie. Il y a aussi deux événements parallèles: le précurseur nait d’un ventre stérile, comme l’homme nouveau nait du sépulcre creusé dans le roc. Grâce de la surabondance de Dieu dans le rien de l’humain qui devient muet. Grâce qui a un autre nom: «miséricorde». Avec Zacharie, le feu de l’encens a été ranimé et la voix du désert s’est faite entendre; à Pâques, le brasier de l’Esprit s’est offert et le monde s’est incendié avec la «richesse de la miséricorde». Le cœur miséricordieux de Dieu a visité d’en haut une maison sur une pente de Ain-Karim comme le Soleil levant qui illuminerait la Palestine; de la porte ouverte du sépulcre, le Soleil est entré dans tous les villages, «faisant brûler le cœur quand, sur le chemin, il nous parle des Ecritures»[7]. La stupeur de Zacharie fait tressaillir Elisabeth et crée en elle une transformation locale; la stupéfaction des disciples fait tressaillir le monde et y crée une interrogation impérissable. Des pentes de Ain-Karim sort la prophétie, la miséricorde en développement et, du sépulcre du Calvaire, s’étend l’autel de la préférence de la miséricorde, le sacrifice ancien ayant été assujetti. 

2. Le sanctuaire était maintenant à Nazareth.

C’était un lieu important, car c’était un couloir pour tous les peuples. Jérusalem était loin. A Nazareth, la vie serait plus facile. Des maisons et des maisons, très semblables, sans grande opulence, ni or, ni murailles. Peu de traces du sacré, à peine les pas humains qui serpentaient les chemins et, ici ou là, le désir de quelque chose de plus, d’une plus grande liberté, d’un contrôle austère et étranger moins rude, de quelqu’un qui vienne, qui visite cette terre, pour en faire un espace de douceur et de maternité, un espace de réconfort et de bien-être, un couloir de salutations et de santé, une terre «de lait et de miel». Il ne manquait ni l’eau ni la verdure; on vivait du lac où jouaient les poissons et avec les animaux, source d’une partie de l’alimentation, qui paissaient au bord des chemins et sur les prés verts. On ne vivait pas dans l’abondance, mais de la terre, du lac, des échanges commerciaux et d’un cœur rempli d’attente. «Le Seigneur viendra et la terre nous appartiendra». «Une tige de Jessé surgira et son sceptre nous guidera». «Une jeune est enceinte et va donner naissance à un fils (…), l’Emmanuel»[8]. L’attente était profonde, car c’était un temps de pénurie et non pas d’abondance. Elle jaillissait du mouvement du quotidien et permettait à l’inattendu de prendre la maison d’assaut.

C’est ce qui est arrivé ce matin-là et, dans cette maison modeste, a été gravée pour toujours la plaque indiquant le sanctuaire. Jérusalem était plus près; l’arche avait volé dans cette direction, sans destruction, sans guerre, sans assaut. La «gloire de Dieu» habitait le village dans la maison blanche toute simple où le cœur de Marie brûlait de désir. Personne ne le savait et personne ne l’a dit; on n’en a pas parlé, mais c’était là maintenant, pour quelques temps, qu’était installée la nouvelle arche dans «le saint des saints». Et le même ange a parlé dans le silence du désir. Et la même voix a déchiré les entrailles d’un ventre immaculé. Du puits de cette miséricorde a jailli la nouvelle création. C’était exactement le «sixième mois» de l’autre sanctuaire qui était devenu muet. On comprend maintenant: c’est dans le silence du prêtre et dans la contemplation du don de Jean de la part du Seigneur, comme c’est dans l’attente d’Elisabeth et dans l’espérance de qui devait arriver, que le Soleil faisait germer le ventre de Marie et qu’en elle allait grandir le printemps du monde. La «grâce» était là, «la pleine de grâce», d’où le don fut offert par anticipation à Elisabeth et Zacharie.

L’ange était le même, tout comme le silence de stupeur. Les paroles ne venaient pas de la terre, mais surgissaient de l’autre côté du monde d’où seul «l’ange du Seigneur» peut parler. Et il a parlé en perturbant le monde, dans le cœur de cette jeune fille qui cherchait en elle le sens d’une étrange salutation. La promesse était en train de se réaliser et les rayons de lumière étaient une espèce de «feu de l’Esprit» qui emplissait Marie du don définitif et qui en faisait la dernière «arche d’alliance». Dorénavant, il n’y en aurait plus. Le passé somptueux de pierre passait définitivement dans la légèreté d’une voix divine qui, en donnant la paix, annonçait l’incarnation du Verbe de Dieu, répondant aux attentes de toutes les générations. Il n’y aurait pas une espèce de météorite cosmique pour transformer le monde; on ne préparerait pas non plus une armée de valeureux guerriers; il ne tomberait pas du ciel une forte pluie de destruction qui, à partir du sang des uns, ferait germer une humanité nouvelle; ce ne serait pas par un coup de magie ou un coup de tonnerre effrayant que Dieu changerait le monde débauché et infidèle. C’est là, dans ce dialogue de liberté, dans cette proposition interpersonnelle, dans la pureté des interrogations d’une jeune fille vierge ouverte à l’insondable que seul le futur éclairerait, dans la Bonne Nouvelle séraphique de Gabriel qui rappelait que le moment était à la synthèse des générations et que l’événement le serait aussi… c’est là que la nouvelle alliance serait scellée pour toujours, sans négligence ni imposition, sans entêtement ni ignorance, mais dans la douceur d’un dialogue d’Amour, dans l’espérance du «Fils du Très Haut», dans le désir d’un «trône spirituel», sans simulation et pour toujours[9].

Il n’y aurait pas d’imposition divine, mais une proposition à une jeune fille élue. Dans le concret d’une vie simple, rurale et sans prétentions, la Trinité désirait habiter, faire resplendir «Sa Gloire» dans la présence du Fils. L’Esprit Saint était d’accord et comme «force du Très Haut», il étendrait «son ombre» sur la jeune fille pour qu’il y ait une tente dans le désert et pour que la présence tant promise soit visible et palpable dans la «chair humaine». Ce ne fut pas fait sur un caprice, et, dans le dialogue, il n’y a pas de raisons sans raison. Marie s’agenouille, dans l’humilité d’une «fille de Sion»; l’Esprit étend «son ombre» en entendant le «que cela se fasse» de la nouvelle création et «le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous»[10]. Le sanctuaire était à Nazareth. 

3. L’Amour définitif, la Miséricorde, ne resterait pas cloué dans un lieu donné.

«Elle se mit en chemin». L’Amour/Miséricorde n’est pas venu pour être prisonnier de Nazareth, ni de quelque autre lieu, mais il serait pèlerin dans tous les lieux du monde, il traverserait des régions ennemies et aurait une place dans toute demeure de l’humanité. La nouvelle «arche d’alliance» le sait ou le pressent. Elle se dirigea vite vers la montagne, en direction d’une ville de Judée[11]. Elle traversa le territoire ennemi des samaritains, trouva refuge où elle passait, chanta «la gloire du Seigneur» à l’ombre de l’Esprit et porta l’arche sous la tente à travers ce désert qui attendait la paix et la liberté. Elle devint «l’arche itinérante» et ne s’arrêta plus, car elle crut que «Sa miséricorde s’étend de génération en génération»[12]. «Elle s’étend» parce qu’elle est entre nous et elle s’étend parce qu’elle marche avec nous. Etrange lien nuptial, unique sur le plan de l’Amour, que celui des «entrailles d’une vierge», la miséricorde viscérale d’une mère avec Celui qui est Dieu avec nous, «Emmanuel», marchant sous le dais ou la tente de l’Esprit. Union nuptiale itinérante de l’Eglise, à Son origine, avec le Fils de la Trinité, «preuve irrécusable de l’Amour de Dieu pour le monde». Une «alliance définitive» de l’Amour et de la Miséricorde, inséparables depuis le début, et qui ne requière pas l’installation dans un lieu paradisiaque quelconque. Ils passent, montent, descendent, courent vite et s’assoient pour attendre, appellent, dialoguent et vivent ensemble, dans un pèlerinage pour «faire des merveilles» pour celui qui les attend, rencontrant toujours les humbles et transformant la pensée des puissants, faisant toujours comprendre que la vraie richesse est celle de «posséder un trésor dans les cieux», rappelant toujours à tout serviteur, de l’Israël ancien ou nouveau, la miséricorde promise, l’apportant, l’offrant, la transformant en arche présente là où habite chaque être humain[13].

La miséricorde s’est mise en chemin, dans le premier pèlerinage concret de «Dieu entre les hommes», parmi le peuple de Galilée, de Samarie et de Judée. Elle a transmis la leçon de l’errance, pour que l’on comprenne que le sanctuaire n’est pas fermé à double tour mais qu’il s’ouvre pour chaque fils qui lui ouvre grand son cœur et lui offre l’hospitalité qui transformera sa façon de vivre. La miséricorde, itinérante dans le sanctuaire de Marie, est souvenir des temps anciens, comme cela s’est passé pour «nos pères», mais elle est aussi offrande étendue à toutes les générations. Elle ne se garde pas, ne se privatise pas dans un sanctuaire par sa somptuosité ou par sa richesse; elle n’a pas d’horaire de repos, ni se ferme pour le déjeuner ou pour les vacances. Elle va. Elle marche vers le haut des monts ou sur le chemin qui descend. Elle va. En voyage en direction de Jérusalem pour que le Temple de pierre, construit avec beaucoup de sueur au long de plus de quarante ans, sache qu’il pourra être détruit par n’importe quelle offensive plus hardie, mais que personne ne pourra démolir le Nouveau Temple, édifié durant les trois jours de Pâques et dont la miséricorde demeure éternellement. Et, tout comme son ombre a édifié Dieu-Fils en Marie, tout homme qui s’aperçoit qu’il est édifié sur la Pâques saura, qu’avec elle, il reçoit l’Amour / Miséricorde et qu’il naît ainsi de nouveau comme arche de Dieu sur les chemins du monde. «Ne t’étonne pas qu’il t’ait dit: vous devez naître d’en-haut (…). Il en est ainsi de celui qui est né de l’Esprit»[14]

4. Il se dépensera à partir de ce jour inédit

La miséricorde s’étendra sur toute la terre et les pierres du chemin sauteront de joie à son passage. Bien qu’à distance, la première tente, Marie, surprise, comprend que la Miséricorde s’étend maintenant sur les pas autonomes du Fils qu’elle a mis au monde. Une tente est toujours provisoire et ce qui demeure est divin; une arche, aussi précieuse soit-elle, est transitoire, et ce qui ne se détruit pas, c’est le trésor du Ciel qu’elle renferme. 

Les pas de l’amour et de la miséricorde vont à travers le monde, comme ceux de l’arche de l’alliance. Dieu fait pèlerinage dans le monde et entre dans les territoires les moins favorisés, les plus inhospitaliers, les plus dangereux, les moins habituels, les plus impurs et même ceux qui sont considérés comme exclus. Il entre, il suit, il passe. Le «sanctuaire» est ambulant, il est itinérant, il passe par le domicile de ceux qui restent dehors et élargit la miséricorde parce qu’il la préfère toujours aux limites rigoureuses et aux rites secs du sacrifice. Il va de chemin en chemin et de village en village. Il ressent la soif et la rigidité d’un désert dit ennemi et se sent épuisé au bord d’un puits de tradition séculaire, quand il va de terre en terre.

La Miséricorde est assise, dans un sanctuaire itinérant, outrepassant les interdits qui obligent à éviter un territoire ennemi et qui empêchent d’approcher une femme étrangère. Mais la Miséricorde sort des entrailles de Dieu qui aime les plus pauvres, qui remercie pour le verre d’eau fraîche donné en son nom au plus petit et qui lit dans le cœur, au-delà de ce que les légalistes peuvent deviner dans la législation. Il s’assoit et écoute un dialogue qui, sans elle, ne serait jamais arrivé. Et l’eau désaltère, le puits est profond, le don de Dieu est encore plus grand et, quand la recherche atteint de la profondeur, elle atteint les entrailles de la Miséricorde «C’est moi qui te parle»[15]. Non pas Dieu sur la montagne, où l’adoraient les anciens, ni Dieu à Jérusalem, où vous demandez d’adorer, mais Dieu ici, près du puits, qui te parle et qui met ton récit sincère et ton histoire de femme dans un puits de miséricorde et toi, tu me donnes de l’eau parce que le don de Dieu est aussi le tien. Maintenant, tu L’adoreras en Esprit et en Vérité[16]. La miséricorde n’a pas besoin d’être sculptée sur le frontispice du monument, mais elle a besoin «d’entrailles» d’humanité pour parcourir aujourd’hui les lieux de fatigue des êtres humains et les bords secs et austères de tant de marcheurs chargés de questions et fatigués par le poids injuste imposé par le pouvoir sans sainteté et sans sagesse.

Le sanctuaire va avec la miséricorde. Il ne peut porter l’amour sans ce visage affectueux qui l’identifie. La multitude qui le mendie et le recherche vient de partout. Il y a des rencontres imprévues et des événements inespérés. La miséricorde fait des merveilles et les étend à toute la terre.

Etant entré dans la ville, encore en territoire dangereux, il traversait Jéricho quand il vit au loin un homme des plus riches, chef des collecteurs d’impôts, méfiant envers tous et mal considéré parce qu’il donnait son appui à l’envahisseur. Riche et petit, mais désireux de voir cette forme nouvelle et différente de se promener parmi les gens, de parler de nouveauté et de déchirer le cœur anesthésié par la miséricorde. En aucune façon il ne voulait être vu ou montré, mais il souhaitait voir et peut-être «monter»; non pas parce qu’il n’avait pas un bon poste, mais peut-être la poussière lui brouillait-elle le regard qu’il souhaitait plus limpide. Dans sa petitesse dormait une grandeur, d’un autre type et d’ailleurs. Il monta tout de suite, pour redescendre; il courut en avant pour revenir en arrière; il se percha pour se désinstaller. Et le sanctuaire de la miséricorde passa pour le contempler, pour mesurer l’excès de son désir et peut-être pour lui proposer d’être dorénavant pèlerin. Rencontre inespérée de haut niveau ; chemin parcouru, plein de surprises; saut en l’air, développant un mouvement intérieur imparable. L’ange qui parla furent les «yeux» que Jésus leva en traversant cette ombre préparée par l’Esprit: «Descend vite, car aujourd’hui je dois rester chez toi»[17]. Et la voix de la miséricorde a vaincu, a atteint le cœur, a développé le mouvement dans deux sens: celui de descendre aux choses pour les faire voler dans une direction différente, et celui d’entrer dans la maison pour en faire, au long des jours, un autre sanctuaire de miséricorde. La miséricorde s’est installée chez un pécheur[18], car c’est pour cela qu’Elle est venue au monde. Et l’événement soulève des murmures, parce qu’il produit de l’effet. Cette «maison riche» va être le lieu de la distribution de pain; ce magasin de choses étrangères va être le lieu de la restitution au quadruple; et ce riche, donnant la moitié de ses biens aux pauvres, ne va pas devenir plus pauvre, mais il va acquérir le trésor de Dieu, son nom inscrit au Ciel. Cette maison est alors un sanctuaire de miséricorde: «Ce que tu as reçu gratuitement, donne-le gratuitement». La voix de celui qui chemine garantit que le salut est arrivé dans cette maison… car la Miséricorde est entrée en territoire ennemi, a démoli les murs de séparation, a fait de cette maison de Jéricho, du côté du pouvoir établi, une demeure transformée, peut-être la «maison» d’un disciple et, pour cela, une nouvelle tente de réunion avec Dieu, une présence de sa miséricorde.

La miséricorde n’a pas de patrie mais elle passe dans toutes les patries; la miséricorde n’a pas de «maison», mais elle est dans toutes celles qui entendent la voix et laissent «entrer le salut».

5. Epuisée, mais non tarie, elle attend toujours.

On la reçoit ou on s’en écarte, mais la Miséricorde avance, passe au milieu de tous et vient pour tous; elle n’exclut personne et ne juge pas d’avance, en fermant les portes. Elle parle à toutes les catégories de la société et s’arrête surtout près de ceux qui ont mauvaise réputation. Elle est toujours en faveur des plus pauvres, des défavorisés selon le peuple et même des maltraités pour être considérés comme maîtres de la Loi qu’ils imposent mais ne sont pas capables d’accomplir ; ils remplissent leurs devoirs, mais s’éloignent de ce qu’ils imposent aux autres. La Miséricorde s’arrête, chaque fois qu’on l’invite à rester. L’effet peut être imprévu et, à la fin, elle a changé le but de celui qui était déjà converti et qui portait en son cœur ce désir inexprimable.

Elle alla «chez un pharisien» qui eut l’amabilité intelligente de l’inviter. «Elle entre aussi chez moi, disait-il», ou «s’il n’entre pas, il est comme nous, il parle bien, mais il ne fait pas». Et la Miséricorde est entrée. Et le pharisien a dû recevoir une «invitée» imposée, inespérée, connue de toute la ville et aussi de lui-même, pharisien, puisqu’il aurait dit «s’il était prophète, il saurait qui elle est»[19]. Et ensuite, selon le récit, tous virent la scène de l’après-sépulcre, le résultat d’une Pâques anticipée: pleurer, baigner de larmes, embrasser les pieds saints et embaumer avec le parfum de la Résurrection. La Miséricorde était là et la Pâques annoncée. Ce jour-là, la voix parla de nouveau; non pour trouver des raisons ou pour annuler des querelles, pas même pour provoquer un mal-être. La voix a parlé pour raconter un événement de miséricorde: les entrailles d’une pécheresse reconnue s’ouvrent et il en sort un parfum nouveau de résurrection…Seul fait l’expérience de la miséricorde celui qui aime beaucoup, qui écoute assis à ses pieds, qui pleure l’agonie d’un innocent, qui essuie le sang versé et qui s’empresse d’aller recevoir au tombeau le parfum nouveau de la Résurrection, en le versant sur le condamné. Et la voix poursuit: «tes péchés te sont pardonnés. La Pâques vient en toi. Ta foi t’a sauvé. Va en Paix».[20]

Il y aura toujours quelqu’un pour murmurer jusqu’à la fin. La miséricorde ne faiblira jamais; elle ne cessera jamais d’être cette face inaltérable de l’amour d’une mère qui fera tout pour le bébé qui a déchiré ses entrailles. On la tourmentera tout au long d’un dallage sinueux qui monte vers le haut lieu de la ville. Le sanctuaire n’est plus sur l’esplanade où l’on marque, avec des coups sur la poitrine, les blessures des infidélités rachetées. Elle chemine vers la fin d’un parcours de don, et, sur le chemin, elle rappelle à beaucoup une identité nouvelle qui leur a été donnée: «Filles, ne pleurez pas sur moi»[21]. Et quand elle arrive au lieu du calvaire, avant qu’on ne lui déchire physiquement la poitrine, il l’ouvre volontairement en prononçant les paroles de l’alliance définitive de la miséricorde: «Pardonne-leur, Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font» [22]. Elle reste là, les entrailles ouvertes et le cœur offert. La «porte sainte» s’est définitivement ouverte et, pour que ce ne soit pas seulement un bel adage de dernière heure ou une phrase toute faite d’universalité, voici que la voix de la miséricorde concrétise immédiatement l’alliance scellée, juste à côté, avec un exclu par sa propre faute, avec un être évité parce que non sérieux, avec un des condamnés pour vol: «Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis»[23]

_____________________ 

La Pâques de la Miséricorde a commencé. Son sanctuaire marche dans le monde, sous de nombreux noms et invocations. Chaque être humain, né de la Pâques, porte cette marque de qualité: en parlant ou en faisant, en se taisant ou en priant, en aimant ou en pardonnant, en secourant ou en partageant, en intégrant ou en portant la paix, il se construit comme temple nouveau qui donne Dieu au monde. Et en faisant cette découverte de la miséricorde comme réalité pascale, le monde reviendra à Dieu. Il y aura d’autres «fils» qui dilapident ce qui ne leur appartient pas encore, mais la Miséricorde sera toujours aux aguets à la fenêtre[24]. C’est elle qui fait être ; c’est elle qui fait être saint.

Je veux rappeler le geste divin du Pape Jean Paul II, déchirant le cœur miséricordieux près de celui qui prémédita sa mort. Alors, le sanctuaire de Dieu est entré dans la prison. Je rappelle, en conclusion, le récit de miséricorde survenu ici à Lourdes, en 1958:

“C’était en 1944, dans un village français: Autour de quelques verres, on discutait ferme du départ des troupes d’occupation et de la libération intervenue la veille. Dans le feu de la conversation, quelqu’un parle d’un de ses camarades d’enfance: “Si le maquis savait ce qu’il a fait pendant la guerre, on ne le laisserait pas tranquille chez lui”. Le bruit circule. Quelques jours après, on arrête cet homme. Le tribunal convoque celui dont la parole malheureuse a provoqué l’arrestation. Celui-ci, intimidé, affolé, n’ose pas avouer qu’il a parlé en l’air. Il invente deux ou trois bobards assez énormes puisque le prévenu en prend pour vingt ans.

Le condamné sombre alors dans le désespoir. À sa femme qui vient le voir de temps en temps, il demande qu’elle ne lui parle ni de Dieu, ni de religion. Quelques années après, leur fils unique est tué en Indochine. Et voici que sa femme meurt à son tour, emportée par la maladie et le chagrin.

En 1957, il bénéficie d’une réduction de peine. Il retrouve sa maison fermée depuis des mois. Or, sa femme lui a laissé une lettre. Il l’ouvre. “Je sais, lui dit-elle, qu’il ne faut plus te parler du Bon Dieu. Mais je te demande, par amour pour moi, de revenir à Lourdes, comme nous le faisions chaque année”.

En 1958, l’année du centenaire, il se décide. Arrivé à Lourdes, il entre dans le domaine de la Grotte. Au moment où il passe devant la fontaine, une jeune fille lui tend un gobelet. Il la dévisage, s’étonne, et boit. Le voici devant la Grotte. Un prêtre prêche. Il prêche sur le Notre Père. Lorsque l’étrange pèlerin entend la phrase: “Pardonne-nous comme nous pardonnons”, son sang ne fait qu’un tour. A grands pas il quitte la Grotte. Il est midi.

Après midi, pour tuer le temps, il revient visiter la nouvelle basilique Saint Pie X qui vient d’être achevée. Le cœur torturé, il s’appuie un moment, le dos contre une des balustrades qui bordent les rampes d’accès. Un prêtre le remarque: “Monsieur, vous avez l’air préoccupé. Que puis-je faire pour vous?” Quelque chose l’empêche de refuser ce dialogue. Son cœur est trop gonflé. Il raconte. Et de conclure: “Vous comprenez bien qu’il m’est impossible de pardonner. Ma venue à Lourdes n’est qu’un simulacre. Ce n’est pas cela que ma femme aurait souhaité”. Après un long silence, le prêtre lui dit simplement: “Promettez-moi, pour votre femme, de revenir à la Grotte avant de reprendre le train.” Il promit.

Dès qu’il se trouve à la Grotte, on l’aborde à nouveau. Quelle surprise, c’est la jeune fille qui, ce matin, lui tendait son gobelet. “Monsieur, vous avez l’air plus paisible. – Mademoiselle, pourquoi ce gobelet ce matin? – Je vous ai vu tellement torturé. J’ai dit à la Vierge: “oublie pourquoi je suis venue; j’offre ce pèlerinage pour cet homme!” Je vais d’ailleurs vous dire pourquoi j’étais à Lourdes. Mon père est en train de mourir. Ce n’est pas sa guérison que je demande. Mais il meurt avec un remords terrible, celui d’avoir fait injustement condamner à vingt ans de prison un de ses amis d’enfance. – Le condamné, c’est moi”.

La jeune fille prend peur, veut s’enfuir. Il la retient. “Ne m’abandonne pas. Je ne puis encore le dire moi-même, mais tu vas réciter le Notre Père, jusqu’au bout, de ma part.

Et maintenant, allons ensemble, je veux essayer de dire mon pardon à ton père”.[25] 

 

Sugestão bibliográfica

BENTO XVI – Sacramento da Caridade. Lisboa: Paulinas, 2007.

COMISSÃO TEOL-HIST. ANO 2000 – Deus Pai de Misericórdia. Lisboa: Paulinas, 1998.

CONGREGAÇÃO CLERO- Directório para o Ministério e a Vida dos Presbíteros. Lisboa: Rei dos Livros, 1994.

O Presbítero: Mestre da Palavra, Ministro dos Sacramentos e Guia da Comunidade, em vista do Terceiro Milénio. Lisboa: Paulinas, 1999.

JOÃO PAULO II – Carta Encíclica “Dives in Misericórdia”. Braga: A.O. 1986

O Sacramento da Penitência. Lisboa: Paulinas, 1997.

RAHNER, Karl – Homélies et Méditations. Paris: Salvator, 2005.

TASSIN, Claude et alt. – Les Evangiles: Textes et Commentaires. Paris: Bayard, 2001.

VIVARÈS, Patrice – “Le Pardon, chemin de l’amour redonné”. In Fraternité Saint Jean-Baptiste. 126 (2006), 6-9. 


 

[1] Cf. Note 9 de la Nouvelle Bible pour le Troisième Millénaire (Lc 1,9).

[2] Cf. Lc 1, 11

[3] Cf. Lc 1, 15.

[4] Cf. Lc 1, 19.

[5] Cf. Lc 1, 39-45.

[6] Cf. Lc 1, 67-80.

[7] Cf. Lc 24, 32.

[8] Is. 7, 14.

[9] Cf. Lc 1, 32-33.

[10] Cf. Jn 1, 14.

[11] Cf. Lc 1, 39.

[12] Lc 1, 50.

[13] Cf. Lc 1, 46-56.

[14] Cf. Jo 3, 5-8.

[15] Cf. Jo, 4-26.

[16] Cf. Ibidem, 19-24.

[17] Cf. Lc 19, 5.

[18] Cf. Lc 19, 7 et ss.

[19] Cf. Lc 7, 39.

[20] Cf. Lc 7, 48-50.

[21] Cf. Lc 23,28.

[22] Cf. Lc 23,34.

[23] Cf. Lc 23, 43.

[24] Cf. Lc 15.

[25] Recueilli à l’église Saint-Jean Baptiste de Sallespisse (Orthez, France), le 15.08.2007.

 

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