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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 107 (Suppl.), August 2008

 

 

Pèlerinages et Sanctuaires, chemins de paix, espaces de miséricorde

 

 

S.E. Mgr Gérard DEFOIS

                                                          Archevêque-Évêque de Lille France

 

 

Le thème de ce Vème Congrès européen des pèlerinages et sanctuaires révèle par lui-même notre époque en quête de réconciliation et de pardon. Nul n'ignore le poids des conflits et des incertitudes de nos contemporains, mais ce dont on parle moins, c'est de la culpabilité qui mine les consciences en un temps où les repères et les valeurs sont laissés à la dérive des conflits d'opinion. J'en veux pour preuve l'importance accordée par les media en nos sociétés à la police et à la Justice pour débusquer les coupables et faire avouer les fautes, enfermer les déviants et dénoncer les infractions. A notre époque de recherche du "sans défaut", qu'il s'agisse des produits ou des enfants, des institutions ou des conduites apparentes, il semble que l'échec et la faute soient marginalisés, voire banalisés dans l'opinion publique. L'erreur et l'échec sont publiquement impardonnables. Ce qui est une manière de refuser le salut. 

1. Le pèlerinage est par lui-même une mise en route pour reprendre le chemin du salut. Et c'est bien pour cela qu'il nous sort de l'ambiance pesante d'une époque qui compte plus sur le résultat et l'acquis que sur le cœur, sur l'accueil d'un salut qui nous déplace ailleurs. Pour cela il ne saurait y avoir de barrière au pardon et de fermeture au salut. C'est le déplacement vers le sanctuaire qui creuse l'attente d'une réalité différente de celle de la vie courante. Ce sont alors les grâces du salut offert et de la rédemption gratuite qui règlent les rapports de communion entre les chrétiens. Il se crée une société différente où le malade, le handicapé, le vieillard, le démuni de culture ou d'argent retrouvent une dignité et une fraternité tant dans l'attention réciproque aux besoins de l'autre que dans la communion au mystère célébré. Se reconnaître faible ou même pécheur dans une fraternité baptismale, se savoir pardonné et accueilli ensemble, permet de traverser les frontières de préjugés de nos sociétés de la force et de la réussite sociale. Dans la marche ou la contemplation, nous nous retrouvons réunis nouant des relations de réconciliation et de charité selon l'Esprit de Dieu. Comme le dit le Pape Benoît XVI, en soulignant le caractère social du sacrement de l'Eucharistie: "La communion me tire hors de moi-même vers lui (le Christ) et, en même temps, vers l'unité avec tous les chrétiens. Nous devenons un seul corps, fondus ensemble dans une unique existence…le Dieu incarné nous attire tous à lui".[1] Là où le mal semble impardonnable, le pèlerinage ouvre la route d'une imprévisible espérance. 

2. Le sanctuaire est un espace de miséricorde. La chaîne des prières qui s'y perpétue exprime cette attente de se libérer du mal, voire de se retrouver dans l'innocence d'une foi d'enfants. Bien des saints que nous vénérons en ces hauts lieux de prière ont été fragiles et faibles, enfants ou pécheurs, ils ont été saisis par la force de Dieu. C'est la miséricorde de Dieu qui nous vaut de retrouver l'innocence et la disponibilité à l'Esprit, car elle fait surgir en nous la confiance dans le visage de bonté qui nous attend. Et la parabole montre combien le Père du fils prodigue est soucieux de lui restituer son visage et sa place de fils au-delà de ses erreurs.

Le sanctuaire est ainsi un lieu à part où les violences séculières et les vengeances habituelles des hommes sont désamorcées.  Dans une société sécularisée où ces réflexes primaires de vaincre le mal par le mal, l'erreur par la répression et l'exclusion sont courantes, il est important de manifester le message chrétien de la réconciliation pour un nouveau départ. Ainsi, le sanctuaire est un lieu de parole et de dialogue où l'évangile doit devenir "brûlant" de pardon et de démarches de réconciliation. Pour oser croire en la vie alors que l'existence semble banalisée dans la culture de l'objet et de la marchandise.

Lieu de mémoire de la sainteté d'un chrétien ou du passage de Dieu en cette terre, le sanctuaire est la manifestation d'une recréation de l'homme et de la société. Les malades y sont mis à l'honneur, les plus pauvres culturellement écoutés dans les mots qui leur sont chers, les jeunes y découvrent une fraternité qu'ils ignorent dans la vie courante, autant de signes d'une humanité réconciliée que nous "expérimentons" dans le temps et l'espace d'un pèlerinage en un sanctuaire. Les jeunes, frappés souvent par la solitude et le petit nombre de jeunes chrétiens, y retrouvent espoir dans le Christ et l'Eglise. En ce sens, le Pape Jean-Paul II avait parfaitement compris ce rôle social et spirituel des rassemblements de jeunes dans les sanctuaires et les grandes cités du monde. Nous lui sommes redevables de bien des vocations et des engagements au nom de la foi, parce que le sanctuaire et le rassemblement autour du Pape ont éveillé des générosités endormies dans le quotidien d'existences sécularisées.

Il est évident alors que le sacrement de réconciliation trouve là un espace privilégié. Alors que trop souvent les prêtres n'ont  plus assez de disponibilités pour assurer des permanences de confession régulière dans les paroisses et que de nombreux  chrétiens eux-mêmes ont perdu cette pratique régulière du sacrement, il semble indispensable que ce "signe de la miséricorde" soit offert pour des "pécheurs de passage" saisissant l'occasion d'une venue au sanctuaire. Il faut dire que le climat spirituel du sanctuaire ou du pèlerinage permet de prendre de la distance par rapport aux contraintes morales d'une culture de consommation ou de profit; il en résulte une meilleure écoute de la Parole de Dieu, une disponibilité à se remettre en face du Seigneur comme guide et Père de nos existences.  

3. Tout pèlerinage est un retour aux sources, sinon il ne serait qu'un tourisme pieux et un loisir religieux. Faire connaître l'histoire d'un sanctuaire, expliquer les étapes sacramentelles d'un pèlerinage bien préparé, c'est donner à la foi catholique son enracinement particulier. Ceci est important en un temps où la laïcité de nos sociétés tend à mettre toutes les religions et les spiritualités sur le même plan, et par là à occulter le spécifique de la tradition catholique.

S'il est vrai que les pèlerinages et les monastères ont fait l'Europe, c'est bien parce qu'après les blessures des invasions et des guerres, malgré les conflits barbares et les violences des luttes de conquête de territoire et même d'appartenance religieuse, les courants spirituels et les valeurs de l'Evangile ont eu le dessus des barrières et des frontières. En ce sens le rôle social et politique des sanctuaires et des pèlerinages pour établir des relations de paix entre les hommes, par la connaissance réciproque de leur histoire, la découverte de leurs manières de prier et la révélation intérieure d'une même confiance en Dieu, s'avère important pour tisser des liens de paix et d'unité dans la communion en Dieu. Par l'Esprit d'amour, source de paix et d'unité en ce monde trop largement dépourvu de communication en profondeur et en intériorité.

Pèlerinages et Sanctuaires, chemins de paix, espaces de miséricorde, c'est une conviction, un programme et un chantier, pour nos responsabilités de chrétiens en Europe. 


 

[1]  Benoît XVI : "Dieu est amour" n°14.

 

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