Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the MoveN° 107 (Suppl.), August 2008
Pèlerinages et Sanctuaires,chemins de paix, espaces de miséricorde
Cardinal Renato Raffaele MARTINO Président du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement
1. Salutations et évocation des précédents Congrès Je suis très heureux de saluer toutes les personnes ici présentes, à commencer par le très cher Evêque de Lourdes et le Maire de la ville, les Evêques promoteurs de la pastorale, les Directeurs des pèlerinages et les Recteurs des Sanctuaires dÂÂEurope. Le continent Europe a des racines chrétiennes communes, dÂÂoù nous continuons à puiser lÂÂinspiration nécessaire pour témoigner de lÂÂEvangile et éclairer les chemins de pèlerinage et leurs destinations. LÂÂEurope est notre maison commune où circulent toujours plus librement les personnes et les idées Cette mobilité, en croissance constante, est un signe des temps que lÂÂEglise doit interpréter pour se maintenir au pas, en encourageant la fraternité et la solidarité. Comme lÂÂont fait, au cours des siècles, les six constructeurs et co-patrons de ce continent (Saint Benoît de Nurcie, les saints Cyrille et Méthode, sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix  Edith Stein), des hommes et des femmes particulièrement représentatifs de lÂÂhistoire de lÂÂEurope, nous aussi nous devons être éducateurs et levain dans la pâte en semant la vérité, la liberté et la paix, et dispensateurs de spiritualité, de joie et dÂÂamour agissant. Nous sommes réunis pour ce Vème Congrès européen qui marque le début de la deuxième décennie de ces rencontres, qui se renouvellent à échéances périodiques, entre les responsables de la pastorale des pèlerinages et des sanctuaires dÂÂEurope. De fait, déjà onze ans se sont écoulés depuis le premier Congrès à Máriapócs, en Hongrie (1996), où les bienfaits et la joie de se retrouver entre membres de la famille des catholiques européens conduisit à la décision de se donner un nouveau rendez-vous, surmontant les difficultés dÂÂorganisation et financières. CÂÂest ainsi que se déroula le deuxième Congrès en 1998, au Sanctuaire de Pompéi (Italie), suivi de ceux de Montserrat (Espagne) en 2002 et de Kevelaer (Allemagne) en 2004. AujourdÂÂhui, le cinquième rendez-vous nous a conduits à Lourdes, notamment pour affronter un thème extrêmement délicat et actuel, à savoir Pèlerinages et Sanctuaires: chemins de paix, espaces de miséricorde. 2. Le Pèlerinage rend gloire à Dieu, Un et Trine Nous avons la joie de nous retrouver à Lourdes en une période de ferment particulier pour la préparation active, par la prière et dÂÂinnombrables initiatives, des célébrations du 150ème anniversaire des apparitions de la Vierge à Bernadette. La Vierge révéla alors son nom: «Je suis lÂÂImmaculée Conception», lors de sa 17ème apparition, le 25 mars 1858, Fête de lÂÂAnnonciation, à cette fillette qui ne connaissait pas la signification théologique de ce nom. Un événement particulier qui, par association dÂÂidée, nous renvoie à Jésus qui tressaillit de joie sous lÂÂaction de lÂÂEsprit Saint et déclara: «Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, dÂÂavoir caché cela aux sages et aux intelligents et de lÂÂavoir révélé aux tout-petits» (Lc 10, 21). Par conséquent, la première grâce de tout pèlerinage est la conversion. DÂÂoù lÂÂimportance de demander au Père du ciel et de la terre de nous donner un cÂÂur dÂÂenfant pour accueillir la Bonne Nouvelle du Royaume qui nous est offerte. A Lourdes, par ailleurs, nous ne pouvons pas ne pas nous souvenir de lÂÂimage émouvante du Pape Jean-Paul II, lors de son avant-dernier voyage sur la terre, le 15 août 2004, seul devant la Grotte, en colloque silencieux à lÂÂendroit même où se trouvait Bernadette. «JÂÂai vivement désiré accomplir ce pèlerinage à Lourdes  dit-il  pour rappeler un événement qui continue à rendre gloire à la Trinité une et indivise. La conception immaculée de Marie est le signe de lÂÂamour gratuit du Père, lÂÂexpression parfaite de la rédemption accomplie par le Fils, le point de départ dÂÂune vie totalement disponible à lÂÂaction de lÂÂEsprit»[1]. Chaque pèlerinage, quelle que soit son intention spécifique, vise donc à rendre gloire à la Trinité, une et indivise, et à lÂÂÂÂuvre du Salut dont le sanctuaire est à la fois mémoire et signe[2]. A cet égard, je voudrais rappeler que le Pape Benoît XVI accomplit chaque jour un petit pèlerinage à la Grotte de Notre-Dame de Lourdes, à lÂÂintérieur des murs antiques de la Cité du Vatican, étant lié à la petite voyante par deux dates importantes du mois dÂÂavril: en effet le 16 est à la fois lÂÂanniversaire du Pape et la «naissance au ciel» de Bernadette, et le 19, date de son élection au pontificat correspond aux funérailles de la petite sainte. 3. Le Pèlerinage défie lÂÂespace et le temps En effet, le pèlerinage est un chemin, avec un départ, un parcours à suivre pour atteindre le but, puis le retour à la vie ordinaire. Ce parcours sÂÂeffectue aujourdÂÂhui en avion, en train, en car toujours moins à pied, bien que cette dernière façon revient. LÂÂespace temporel est donc moindre par rapport au passé, de même que se sont réduits les temps de la maturation spirituelle et de la décision de partir, de quitter sa maison, comme le fit aussi Abraham, si parva licet componere magnis, en avançant «avec confiance et espérance vers lÂÂhorizon indiqué par le Seigneur»[3]. Face à cette nouvelle donnée, notre tâche consiste avant tout à continuer dÂÂinviter les chrétiens et les personnes de bonne volonté à quitter la routine quotidienne pour se mettre en chemin. Mais nous devons aussi aider les pèlerins à trouver le juste recueillement, comme permettaient de le faire les longs parcours à pied, pour accueillir Dieu dans la profondeur de leur vie. Ce travail de réflexion, dÂÂéloignement de la frénésie du monde pour tendre à lÂÂunique essentiel, se réalise peu à peu. Il faut du temps pour que le raisin mûrisse et que le grain croisse. Il faut du temps pour que lÂÂhomme découvre dans le silence Dieu qui parle à son cÂÂur. Prenons lÂÂexemple de saint François dÂÂAssise, grand artisan de paix, qui sut faire silence en lui, se mettant à lÂÂécoute de la Parole de Dieu. Pas à pas, il se laissa guider par la main vers la plénitude de la rencontre avec Jésus, jusquÂÂà en faire le trésor et la lumière de sa vie «Le fait quÂÂil soit un homme de paix, de tolérance, de dialogue, naît toujours de l'expérience de Dieu-Amour»[4]. Dans ce monde, caractérisé par une succession rapide de travail et de temps libre, le pèlerinage et le sanctuaire peuvent être des «lieux» pour cette recherche du silence et du nouvel apprentissage de la maîtrise du temps et de lÂÂespace pour chacun. 4. Le Pèlerinage est un chemin de réconciliation et de paix «La paix est à la fois un don de Dieu et une tâche », écrivait Benoît XVI dans son Message pour la Journée Mondiale de la Paix de cette année[5]. Le thème pastoral qui nous est proposé pour ce Congrès auprès du sanctuaire de Lourdes réaffirme lui aussi ce même sujet, en reprenant lÂÂappel de lÂÂApôtre Paul: «Laissez-vous réconcilier avec Dieu» (2 Co 5, 20). La paix nÂÂest pas un état stable, mais le fruit dÂÂun effort constant, une conquête permanente dÂÂune situation qui sÂÂacquiert à nouveau chaque jour en déblayant les obstacles et les tensions. Dans la construction de la paix, les chrétiens sont appelés à travailler ensemble pour offrir les éléments positifs qui leur sont propres, sans exclusivismes, comme lÂÂamitié, la solidarité, la compréhension et la charité. Par ailleurs, la paix naît aussi de la réconciliation avec soi-même, avec les autres et avec Dieu. Dans le pèlerinage, où lÂÂon apprend notamment à vivre avec les autres, chaque pèlerin devrait entrer en harmonie avec le groupe. En outre, il est important que chacun non seulement accepte la grande diversité des cultures et des expressions de foi, mais vive en communion. La vie durant le pèlerinage et au sanctuaire est, au fond, la réalisation concrète des recommandations de lÂÂApôtre Paul aux Colossiens: «Supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si lÂÂun à contre lÂÂautre quelque sujet de plainte; le Seigneur vous a pardonnés, faites de même à votre tour» (Col 3, 13). Jean-Paul II et Benoît XVI nÂÂont jamais cessé de réaffirmer que le chemin de la paix passe à travers le pardon réciproque. Le pèlerinage, dans sa réalité quotidienne, invite à respecter la «grammaire [des relations humaines] écrite dans le cÂÂur de lÂÂhomme par son divin Créateur»[6]. Si la paix entre les personnes, entre les groupes et entre les Nations passe par la réconciliation, à plus forte raison faut-il «puiser à la source intarissable de lÂÂamour divin, qui se manifeste totalement à nous dans le mystère de la Croix, pour trouver la paix authentique avec Dieu, avec nous-mêmes et avec notre prochain»[7]. En revanche, nous constatons que dans de nombreux pays dÂÂEurope la conscience du bien et du mal sÂÂamenuise, comme le faisait remarquer le Saint-Père, en observant qu«il semble que lÂÂon ait aujourdÂÂhui perdu le ÂÂsens du péchéÂÂ, mais en revanche que les ÂÂsentiments de culpabilité aient augmenté»[8]. Les pèlerinages et les sanctuaires sont des lieux privilégiés où la charité pastorale peut aider à contempler Jésus comme missionnaire de la conversion, première grâce du pèlerinage, comme nous le disions. «Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir» (Lc 5, 31). Chacun est appelé à faire lÂÂexpérience de lÂÂamour du Christ per Ipsum, et cum Ipso, et in Ipso, sur le chemin spirituel dans les lieux de pèlerinage. 5. Le pèlerinage, espace de miséricorde Dans les sanctuaires comme dans les pèlerinages, une attention spéciale est accordée aux pauvres et «aux petits» (Lc 10, 21), aux malades et aux handicapés. En effet, à un monde qui relègue aux marges de la société la maladie et la faiblesse, pour exalter la beauté et la perfection physique, vous, Directeurs des Pèlerinages et Recteurs des Sanctuaires, vous offrez le témoignage serein que la première place dans lÂÂEglise va aux oubliés et aux marginaux. Vous rappelez ainsi que le cÂÂur de Dieu est miséricorde, quÂÂil se reflète sur lÂÂhomme créé à lÂÂimage de Dieu. LÂÂexercice de la miséricorde ne doit cependant pas être circonscrit aux seuls pèlerinages et sanctuaires : celui-ci exprime plutôt la nature même de lÂÂEglise, comme le demandait le Saint-Père dans le message déjà cité pour la Journée mondiale de la paix: «Je désire enfin adresser un appel pressant au peuple de Dieu, pour que tout chrétien se sente engagé à être un infatigable ouvrier de paix et un vaillant défenseur de la dignité de la personne humaine et de ses droits inaliénables»[9]. De fait, la dignité de la personne humaine doit être au centre de nos préoccupations comme tous les autres grands problèmes de la société qui touchent les hommes et les femmes de notre temps. Les sanctuaires et les pèlerinages sont ainsi des «laboratoires de spiritualité» où tout cela est débattu et approfondi, à la lumière de la Parole de Dieu et dans la prière et les célébrations. Cette lecture des «signes des temps» a des conséquences sur la pastorale ordinaire des diocèses, car ce qui se vit dans les pèlerinages et dans les sanctuaires, comme «antennes permanentes de la Bonne Nouvelle»[10], est aussi le patrimoine de toute lÂÂEglise pour le monde. Nous constatons avec plaisir que les hommes et les femmes de toute condition et culture qui se rendent dans les sanctuaires, donnant un témoignage concret de pietas, confiants en la miséricorde de Dieu, sont toujours plus nombreux. Il est de notre responsabilité de les accueillir, en respectant leurs requêtes légitimes, avec cette infinie délicatesse quÂÂeut Marie envers Bernadette. Il est donc de notre devoir, comme Eglise, de nous engager à faire en sorte que soit reconnu et réalisé tout ce qui est juste. Dans le sanctuaire, qui «est le lieu de lÂÂactualisation permanente de lÂÂamour de Dieu»[11], il nous revient de transmettre lÂÂespérance, en étant des témoins de cet amour. Celui-ci nÂÂest pas impossible, mais il nÂÂest ni facile, ni spontané. LÂÂamour de Dieu est nécessaire, précisément, ainsi que le soutien de la prière pour parvenir à aimer vraiment le prochain et à sÂÂengager pour les autres, en leur étant solidaire pour réaliser « un véritable humanisme »[12]. Je désire ici me faire le porte-parole de lÂÂappel pressant qui nous parvient de tant de nos frères non européens, qui vivent dans des pays où ils ne peuvent accomplir comme ils le voudraient leur service pastoral ou qui se trouvent dans une situation dÂÂextrême difficulté à cause de lÂÂintolérance religieuse. Ils nous demandent implicitement de leur rendre visite pour soutenir leurs communautés de foi et voudraient voir plus fréquemment nos pèlerinages sur leurs lieux de culte, dont certains conservent les mémoires de la naissance et de la diffusion du christianisme. Ne restons pas indifférents à leur situation, mais, comme expression de notre solidarité et de notre communion, cherchons dÂÂaugmenter nos pèlerinages, pour réduire les distances entre les membres de la famille du Christ et apporter une contribution à la cause de la paix. A notre tour, nous tirerons profit, malgré les circonstances difficiles, de leur expérience de vivre lÂÂamour du prochain comme expression de foi, unie à lÂÂannonce et au dialogue. Conclusion Je vous invite, enfin, à tourner, comme Marie, un regard plein dÂÂespérance vers ce monde que Dieu aime et où vous avez été invités à construire des chemins de paix et des espaces de miséricorde grâce à un engagement fidèle et dévoué. Saisissez les bienfaits que vous offrent ces trois jours, ici à Lourdes, pour pouvoir vous consacrer totalement à votre intériorité et à votre formation permanente. Je suis certain quÂÂils vous enrichiront de nouvelles motivations et de nouvelles ressources pour votre service pastoral. Confions-nous maintenant et les prochains jours, à lÂÂintercession de Notre-Dame de Lourdes, afin que ce Congrès soit un temps de partage véritable, dÂÂaggiornamento, de réflexion et de prière. Cela suppose naturellement une capacité dÂÂécoute mutuelle, de dialogue et dÂÂadaptation afin de pouvoir répondre aux besoins de ces foules de pèlerins qui entrent dans nos Sanctuaires. [1] Jean-Paul II, Homélie à lÂÂoccasion du pèlerinage à Lourdes, Prairie de la Ribère, 15 août 2004, n° 1, LÂÂOsservatore Romano, éd. en langue française, N° 33 (2842) du 17.08.2004, p. 6. [2] Cfr. Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, Le Sanctuaire. Mémoire, présence et prophétie du Dieu vivant, 18.05.1999. LÂÂOsservatore Romano, éd. en langue française, supplément au N° 21 (2573) du 25.05.1999. [3] Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, Le Pèlerinage dans le Grand Jubilé de lÂÂAn 2000, n° 5, LÂÂOsservatore Romano, éd. en langue française, supplément au N° 19 (2519) du 12.05.1998. [4] Benoît XVI, Discours aux jeunes, Assise, 17 juin 2007, LÂÂOsservatore Romano, éd. en langue française, N° 26 (2988) du 26.06.2007, p. 8. [5] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n° 7, LÂÂOsservatore Romano, éd. en langue française, N° 51/52 (2962) du 19-26.12.2006, pp. 2-3. [6] Idem. [7] Benoît XVI, Discours aux participants du Cours sur le For interne organisé par la Pénitencerie Apostolique, 16 mars 2007, LÂÂOsservatore Romano, éd. en langue française, N° 13 (2975) du 27.03.2007, p. 5. [8] Idem. [9] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n° 16. [10] Jean-Paul II, Angelus, 12 juillet 1992, LÂÂOsservatore Romano, éd. en langue française, N° 28 (2220) du 14.07.1992, p. 1. [11] Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, Le Sanctuaire. Mémoire, présence et prophétie du Dieu vivant, n° 5. [12] Benoît XVI, Lettre encyclique sur lÂÂamour chrétien Deus caritas est, n° 30.
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