The Holy See
back up
Search
riga

 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 110 (Suppl.), August 2009

 

 

LA REALITE RELIGIEUSE DE LA JEUNESSE TSIGANE ET LES DEFIS QU'ELLE COMPORTE POUR L'EGLISE

 

 

P. Denis MEMBREY

ancien Directeur National

France

 

Nous sommes là devant un sujet, une question, une réalité d'un grand intérêt pour la présence de l'Église d'aujourd’hui et de demain au milieu de ce peuple tsigane. Ce thème a déjà été abordé dans plusieurs documents que le Conseil Pontifical a fait paraître ces dernières années. Je n'ai pas la prétention d'apporter des recettes nouvelles ou miraculeuses, mais je voudrais simplement vous partager les préoccupations et les lignes de force que nous avons essayé de mettre en œuvre durant ma responsabilité d'aumônier national en France.

Je commence par me présenter pour que vous sachiez de quel « lieu » je parle. Je suis un « Gadjo » comme disent les tsiganes, de ceux qui ne sont pas de leur ethnie, et en tant que Gadjo, il y a une distance qui ne me permet pas de parler de ce thème avec précision, comme quelqu'un de ce monde, qui a vécu dans la culture, qui vit les différentes traditions. « Tu es un Gadjo, tu ne peux pas nous comprendre ». Réflexion que j’ai souvent entendue de la part des tsiganes.

Je suis aussi un Gadjo français, marqué par la réalité tsigane française, ayant accompagné le monde du voyage depuis plus de vingt ans avec des responsabilités d'aumônerie diocésaine et nationale. En France, la réalité tsigane est marquée par la présence des quatre ethnies : manouche, rom, gitan, yénisch. Je suis surtout en contact avec l'ethnie manouche dans l'est de la France.

Bien des questions me sont venues à l'esprit en lisant le sujet : comment appréhender cette jeunesse tsigane ? Comment définir la réalité religieuse de ce monde ? Oui, quels défis pour l'Eglise ? Voici quelques propositions de réponse à ces questions. 

La jeunesse tsigane.

Quelle jeunesse tsigane prendre en compte, dans quelle limite d'âge faut-il la situer ? A 12-13 ans des garçons et des filles sont déjà au travail avec leurs parents... A 15-16 ans, et même parfois avant, des garçons et des filles sont mariés et ont des enfants... La jeunesse tsigane est une réalité aux multiples visages.

Pour ma part, et un peu rapidement, je dirais que cette jeunesse est « assise entre deux chaises », je veux dire par là qu'elle doit se construire avec sa culture traditionnelle et la culture sédentaire très influente dans laquelle elle vit ou plus exactement en marge de laquelle elle vit. En général la jeunesse tsigane reste fière de son identité tsigane, elle conserve les traditions fortes de sa culture comme le baptême, les rites du mariage, différents suivant les ethnies, les rites des funérailles. Et en même temps, cette jeunesse est très imprégnée de la culture moderne et sédentaire, de cette culture de consommation avec tous ses produits modernes : T.V, téléphonie, ordinateurs, jeux vidéos...Un certain nombre d'enfants et de jeunes, et de plus en plus, fréquente l’école qui les met en relation avec la culture sédentaire. Peu suivent un cursus scolaire jusqu'au baccalauréat ou la faculté, mais cette fréquentation scolaire les marque. Aussi, il serait intéressant de regarder d'un peu plus près comment cette culture moderne les imprègne.

Dans les différentes matières enseignées dans les écoles, en France, la culture tsigane n'est pas prise en compte. Cela est dommage, car il me semble que si il y avait une reconnaissance de son histoire et de sa culture, cela pourrait aider les enfants tsiganes à conserver plus facilement leur identité et contribuerait à leur adaptation dans le monde dans lequel ils vivent.

Au point de vue économique, la jeunesse tsigane est marquée aussi par la perte de beaucoup de leurs petits métiers concurrencés par les produits modernes (souvent en plastique) venant de l'Extrême Orient ou d'ailleurs, un certain savoir faire se perd et n'est plus transmis (par exemple la fabrique des paniers, l'aiguisage des couteaux ou ciseaux, le rétamage ... ). Et cette jeunesse a du mal à trouver des métiers adaptés au mode de vie qu'est le voyage, malgré la grande faculté d'adaptation qui les habite. Certaines lois françaises votées récemment ne les favorisent pas non plus dans l'exercice de leurs métiers et de leur voyage.

Ces différentes fractures se répercutent sur leur identité profonde, de sorte que la transmission parentale de la culture et des traditions a de plus en plus de mal à se faire. 

La réalité religieuse.

Au regard de ces quelques observations rapides et sommaires, on peut pressentir que la réalité religieuse de cette jeunesse tsigane ne sera pas simple à saisir, et cela pour plusieurs raisons. Cette jeunesse est à l'âge où elle essaie de prendre, de marquer une distance vis-à-vis de leurs parents comme souvent ce qui se passe aussi chez les sédentaires.

Il faut aussi noter le fait culturel que la plupart des jeunes hésiteront à prendre la parole en public devant leurs parents ou devant les anciens par respect et par tradition.

Beaucoup de jeunes ont pour « bagages religieux » quelques enseignements catéchétiques qu'ils ont reçus quand ils étaient enfants dans les pèlerinages ou sur les terrains où ils stationnaient, ou pour accéder à leur première communion. Souvent ils suivent leurs parents dans les pèlerinages, participants plus ou moins, suivant leur âge, aux manifestations religieuses du pèlerinage. Durant ces pèlerinages, certains accomplissent parfois des démarches très personnelles, loin des yeux de tout le monde : temps de prière dans une église, à la grotte à Lourdes, devant une statue, achat d'un cierge qu'ils vont faire brûler à leur intention secrète. Il n'est pas rare qu'ils viennent, comme cela, à l'improviste, et avec beaucoup de spontanéité poser une ou plusieurs questions concernant la foi, la religion, l'Eglise à un rachail ou à une religieuse. Entre eux, en petits groupes, je ne doute pas qu'ils partagent souvent sur des questions religieuses ou de foi, souvent avec moins de respect humain que les jeunes sédentaires.

Ces différents signes, et il y en a sûrement bien d'autres (à nous de les repérer, de les écouter, de savoir les lire) montrent bien qu'une expression et une soif de foi existent bien et se vivent à travers cette jeunesse tsigane.

Cette jeunesse est marquée aussi par la mentalité du « tout, tout de suite » qui est un trait de caractère de leur culture. Quand une idée, un projet religieux jaillit, il faut le réaliser tout de suite, ce qui peut parfois nous poser un problème à nous sédentaires dont la disponibilité est plus calculée, mais cette spontanéité peut faire vivre des événements qui marqueront la vie de ces jeunes et le cheminement de leur foi. Un exemple : des jeunes se rencontrent et décident d'aller dans un lieu de pèlerinage à plus de 200 kilomètres, la distance n'est pas un problème puisque beaucoup, garçons ou filles, ont leur permis et leur voiture. Ils envisagent cela pour le dimanche suivant. De temps en temps, ils organisent une rencontre aves les jeunes d'une autre région.

Pour les jeunes couples, même s'ils ne peuvent recevoir le sacrement du mariage du fait de leurs traditions ou de la législation du pays dans lequel ils vivent, un certain nombre souhaite un temps de prière au moment de la fête. Il est dommage que l’Eglise officielle ne reconnaisse pas « un quelque chose » de sacramentel dans leur union.

Toujours pour les jeunes couples, l'arrivée d'un enfant est un moment très important et le souci du baptême arrive très vite. Il y a vraiment le désir d'en faire un enfant de Dieu, de le mettre sous la protection de Dieu et de Marie. La préparation de cette fête est un moment important de rencontre où beaucoup de choses de la foi sont échangées, partagées.

On peut noter en France, un souci chez les jeunes d'être initiés à la lecture de la Parole de Dieu et de participer à certains sacrements (eucharistie, pardon, confirmation, sacrement des malades). Certains participent régulièrement à la messe du dimanche aves les chrétiens des paroisses.

Trouver les méthodes et les moyens adaptés à chaque tranche d'âge supposera une bonne connaissance de cette jeunesse. La musique, les chants pourront être un chemin privilégié de cette catéchèse. Les moyens audiovisuels (C.D. D.V.D) seront aussi d'un grand secours, surtout pour ceux qui ne savent pas encore lire.

Il est à souligner aussi que les loisirs et les possibilités de loisirs prennent de plus en plus de place pour cette jeunesse. 

Les défis à l'Eglise.

Les défis par rapport à l'Eglise sont multiples aussi.

Il y a tout d'abord une connaissance du milieu tsigane dans son ensemble, de son histoire, des différentes caractéristiques de sa culture, de sa mentalité. Les personnes qui sont en contact aves ce peuple peuvent dire combien cela est important de bien connaître ce monde avant d'entreprendre une action, un projet pour éviter de projeter ou d'imposer nos comportements sur leurs modes de faire, de vivre, ou de penser.

Il y a une confiance à créer et à entretenir, que ce soit aves les parents ou avec les jeunes. Cela demande beaucoup de temps tellement un lourd passé de méfiance, de mépris ou d'exclusion a marqué les esprits consciemment ou inconsciemment. II y a tout un compagnonnage à vivre les uns aves les autres, ce qui veut dire que les représentants de l'Eglise (prêtres, religieux, religieuses ou laïcs) envoyés ou vivant au milieu d'eux aient beaucoup de temps à donner. Dans le contexte actuel français, avec la raréfaction des prêtres, peu de prêtres sont détachés à temps plein ou partiel au service de ce peuple tsigane. La pastorale des gens du voyage n'est pas une priorité dans la pastorale actuelle de l'Eglise de France.

Au niveau, des diocèses, il est aussi difficile de trouver des personnes (prêtre, diacre ou laïcs) qui veuillent se mettre au service de ce monde du voyage. L'Eglise publie un certain nombre de textes sur la place des exclus, des pauvres, mais elle a beaucoup de difficultés pour trouver des personnes qui se mettent à leur service. Pour que la pastorale en milieu tsigane porte des fruits, la durée est une condition nécessaire. Quelqu'un ne peut être nommé ou envoyé pour un an ou deux... C'est avec le temps que le peuple tsigane sentira s’il est vraiment pris au sérieux par l'Eglise. Cet élément, on peut le vérifier quand les voyageurs parlent de ceux ou celles qui les ont accompagnés durant des années dans les pèlerinages, dans leurs pérégrinations, sur les terrains, au moment des événements importants de leur vie (baptême, funérailles... ). Souvent ils en parlent avec beaucoup de respect, comme des personnes qui sont de leur famille et qui leur ont beaucoup apporté au niveau humain ou spirituel. Il y a toute une formation à transmettre pour ceux et celles qui sont envoyés ou qui s'engagent au service de ce monde.

Aujourd'hui, le monde tsigane est très sollicité par la Mission Evangélique Tsigane, cette Eglise fondée autour des années l950 et qui connait un essor assez grand dans le monde tsigane pour diverses raisons qui peuvent interpeller l'Eglise. Cette église fait jouer, s'appuie sur des éléments qui ont une résonance forte chez les tsiganes : la sensibilité, l'émotionnel, le merveilleux, le miraculeux. Cette église est un signe fort d'identité pour les sociétés dans lesquelles ils vivent. Elle leur permet de prendre ou d'avoir des responsabilités sans une formation très approfondie. II y a peu de familles où un ou plusieurs membres ne sont pas passés à cette église. Beaucoup ont participé à leurs rassemblements et ont pris certaines habitudes de leurs prières ou ont été impressionnés par leur musique et leurs chants. Le fait que dans cette église, les tsiganes aient la responsabilité de la Parole, de la célébration les impressionne. Nous avons constaté que la parole des voyageurs était souvent mieux écoutée, mieux accueillie que la parole des « gadge ». La jeunesse tsigane n'est pas insensible à ce mouvement.

De cette présence de l'Eglise évangélique au milieu des tsiganes, l'Eglise de France et plus exactement, l'aumônerie des gitans de France a pris conscience de multiples questions qu'elle travaille régulièrement : les responsabilités à reconnaître ou à susciter, la formation, l'inculturation pour une évangélisation de ce peuple.

Un autre défi important pour l'Eglise, c'est de discerner et d'appeler des personnes du monde tsigane pour évangéliser leur propre peuple. L'Eglise ne doit pas se contenter de vivre avec les tsiganes, mais d'avoir aussi le souci d'appeler des hommes et des femmes pour assumer des responsabilités d'Eglise dans leur peuple. Parmi ce peuple, il y a, déjà, des vocations sacerdotales, diaconales, religieuses, mais n'y a-t-il pas d'autres responsabilités ecclésiales à promouvoir qui pourraient être assumées par des voyageurs eux-mêmes que ce soit dans et pour leur peuple, que ce soit aussi pour la communauté chrétienne du lieu où ils vivent ? Toute une réflexion sur les ministères qui peuvent leur être conférés est à entreprendre, et dans certains pays à continuer. L'Eglise s'est sédentarisée et ses structures se sont adaptées à cette sédentarisation. Pour la culture tsigane où le voyage est inscrit profondément, beaucoup de voyageurs ont du mal à « supporter » les structures sédentaires qui conditionnent beaucoup de ministères. Dans leurs voyages, ils ont parfois du mal à faire reconnaître leur mission ou leur responsabilité dans les autres diocèses où ils n'ont pas été « reconnus ».

Dans certains lieux, régulièrement, il y a des prières animées par les voyageurs eux-mêmes où des sédentaires viennent participer. Nous avons à avoir le souci de ne pas faire une église ghetto simplement pour les tsiganes, mais de faire Eglise ensemble (même si de temps en temps le monde tsigane peut avoir ses célébrations particulières). Pour cela nous avons à travailler la mentalité de nos communautés chrétiennes pour qu'elles soient capables d'accueillir les tsiganes et de s'enrichir de leurs différences.

Au niveau de la formation, l'Eglise aura aussi à veiller sur une formation adaptée à la jeunesse tsigane, ce n'est pas parce que la plupart des tsiganes ne savent ni lire ni écrire qu'ils ne peuvent prendre des responsabilités. Mais il y a toute une formation adaptée à trouver, à créer avec eux et pour eux, et cela demande aussi du temps et de la présence parmi eux. Quelques centres d'intérêt pourront être pris en compte : la musique, les chants pour lesquels les jeunes tsiganes ont beaucoup d'intérêt.

L'Eglise se doit aussi de profiter des rassemblements tels que les pèlerinages, les écoles de la foi pour mettre en place une structure d'Evangélisation aussi pour les jeunes. Plusieurs tentatives en France ont été menées. Durant plusieurs années, il a été proposé à plusieurs séminaristes en formation théologique de participer aux pèlerinages nationaux (Les Saintes Maries, Locardes) et de participer à l'animation des jeunes. Nous avons remarqué que quand ces groupes étaient animés par des jeunes ou par quelqu'un issu de leur culture ou de leur milieu (prêtre ou religieuse) il y avait une réponse différente et plus nombreuse.  

Conclusion

Voilà quelques observations que nous avons pu faire pendant la responsabilité nationale et que nous avons partagées en équipe, et quelques propositions que nous avons essayé de mettre en route. Je sais bien que chaque pays a son histoire, ses caractéristiques, ses approches avec le monde tsigane et que ce qui est possible pour un pays ne l'est peut-être pas pour un autre. Je crois que le plus pressant défi que la jeunesse tsigane lance à notre Eglise : c'est de lui demander si elle lui fait vraiment confiance et si elle est capable de reconnaître la présence du Christ ressuscité et de l'Esprit Saint dans leurs différences et d'accueillir ces présences pour s'en enrichir et se renouveler.

 

 

top