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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move

N° 111, December 2009

 

L'ETRANGER, MIGRANT OU REFUGIE, CET AUTRE!

  

Son Eminence STEPHANOS

Archevêque Métropolite de Tallinn et de toute l'Estonie

Représentant du Patriarche Œcuménique de Istanbul

 

Messieurs les Cardinaux,

Eminences,

Très Révérends Pères et Sœurs,

Mesdames et Messieurs, 

Avant de proposer à votre bienveillante attention cette brève intervention, je voudrais vous exprimer l'honneur que je ressens de représenter auprès de cette vénérable et hautement qualifiée assemblée Sa Sainteté le Patriarche Œcuménique de Constantinople Bartholomée.

Dans notre civilisation sécularisée où chacun a tendance à vivre isolé, dans le but sans doute de se protéger de toutes les insécurités ambiantes, il est bien évident que l’étranger ne peut devenir que l’objet d’une méfiance particulière. Et même lorsqu’il n’est pas rejeté avec hostilité, il se heurte à une froide indifférence qui risque de le marginaliser par rapport à une société qui lui reste fermée.

Pourtant l’étranger, qu'il soit un réfugié ou un migrant, est la figure par excellence de l’homme biblique, de l’enfant d’Israël mais aussi, ce que nous oublions très volontiers, du chrétien en route vers le Royaume. L’apôtre Pierre ne dit rien d’autre lorsqu’il écrit : très chers, je vous exhorte comme étrangers et voyageurs à vous abstenir des désirs charnels qui font la guerre à l’âme (1 P 2,11). Oui, nous sommes tous des étrangers dans ce monde. Nous sommes tous comme Abraham, qui avait quitté sa patrie sans trop savoir où il allait. C’est bien là, n’est-il pas vrai, l’acte fondamental de la foi : se détacher de sa famille, de sa patrie, pour se mettre en route vers le Royaume.

Nous connaissons bien l’épisode du chêne de Mambré et de la fameuse hospitalité du patriarche Abraham accueillant les trois jeunes étrangers, des anges qui venaient lui annoncer de la part de Dieu la naissance de son fils Isaac  (Gn 18,1-8). Mais est-ce que nous gardons en mémoire la suite, à savoir que deux de ces mêmes anges s’en iront ensuite chez Loth où ils risqueront de se faire lyncher par les Sodomites ? Au point que ce même Loth  proposera à ces derniers de leur livrer ses propres filles pour les en dissuader (Gn 19,9), ce qui donnera prétexte à Paul d’écrire dans sa lettre aux Hébreux : n’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges (He 13,2).

Le respect, l’hommage dû à celui qui, pour une raison ou l'autre, se voit dans l'obligation de quitter sa terre est souligné encore plus dans le Nouveau Testament. Le Christ lui-même exprime sa prédilection pour l’étranger. Souvenez-vous de la guérison des dix lépreux qui comptaient dans leur groupe un Samaritain : il ne s’est trouvé parmi eux, s’exclamera Jésus, personne pour revenir rendre gloire à Dieu, sauf cet étranger (Luc 17/18) ; tout comme du fameux « j’étais  étranger  et vous  m’avez  accueilli (Mt 25,35-45) » de la parabole du Jugement dernier. Ici, le critère par lequel nous serons jugés, le critère qui déterminera notre entrée dans le Royaume, sera notre comportement envers les déshérités, en particulier l’étranger.

Notre destinée éternelle dépend donc de notre manière d'être et d'agir envers l’étranger, lequel, dans le contexte de ce Congrès, est assimilé au réfugié et au migrant, puisque en chaque étranger se cache le Christ. Aussi, reçois-le à ta table, tu reçois le Christ ; rejette-le, tu rejettes le Christ car ton éternité se joue sur ton hospitalité ou ta xénophobie.

Notre engagement en effet ne saurait relever exclusivement d’une morale, d’une philosophie humaniste, voire d’une idéologie politique – aussi honorables puissent-elles être –, car il se situe à un niveau différent : celui de la foi, qui donne un sens à notre action. Dans la parabole du Jugement dernier déjà citée, le Christ, quand il dit que ce que nous faisons au prochain, c’est à Lui-même que nous l’avons fait, il ne propose pas un impératif catégorique, mais il s’identifie Lui-même aux pauvres, aux plus petits de ses frères. En les servant, c’est Dieu que nous servons.

Certes, il y a des limites au nombre d’hôtes que l’on peut recevoir à sa table, au nombre de réfugiés et de migrants qu’un pays peut accueillir et intégrer. Il n’est pas question ici de demander l’impossible même si l’Histoire nous apprend que, dans bien des cas, c’est par la qualité de son accueil de l’étranger et de son respect de la différence qu’un pays devient ce qu’il est. Quand  Paul dit dans sa lettre aux Galates (3,28) qu’il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, il veut dire que le Juif, le Grec, l’homme et la femme, restent ce qu’ils sont et ne se posent ni dans un état de fusion, ni dans un état de domination. Tous sont appelés à vivre dans une égalité totale. Je rappelle ici pour mémoire les 12 recommandations qui ont été proposées par les représentants des Eglises de toute l’Europe (Anglicane, Protestante, Catholique et Orthodoxe) le 8 octobre 2004 à Bruxelles avec pour titre « vers une approche équilibrée dans la politique européenne de migration et d’asile ». Nous avons là un très bon document, susceptible de faire progresser positivement notre compréhension évangélique et théologique en la matière.

La position de l'Eglise du Christ dans son ensemble et de chaque chrétien en particulier est le respect de la personne humaine, indépendamment de ses origines ethniques et linguistiques ; plus encore lorsque cette personne se trouve dans l'épreuve et la nécessité. Les réfugiés et les migrants entrent incontestablement dans cette catégorie. Telle est la conviction de l'Eglise lorsqu'elle stigmatise le racisme et prône leur intégration régulière dans la société locale. Ce qui peut et doit de toutes façons être changé, c’est la mentalité, l’attitude vis-à-vis des migrants et des réfugiés. Et cela ne se fera pas seulement à base de réglementations économiques et juridiques.

Et dans l’autre sens, il en est de même de celui qui émigre ou qui demande l'asile : il n’a pas que des droits ; il a aussi des devoirs et des comptes à rendre là où il est accueilli. Il arrive aussi que, dans certains cas, des migrants ou des réfugiés sont cause de très sérieux problèmes. Les exemples négatifs existent dans tout groupe social. Il ne s’agit pas ici de faire preuve d’angélisme, en refusant toute politique d’immigration et la lutte nécessaire contre les filières clandestines. Tout comme il ne s’agit pas de faire un délit du devoir d’hospitalité et de solidarité. Ne perdons pas de vue que dans l'ensemble ces « étrangers » ont incontestablement contribué au développement des pays qui les ont accueillis dans toutes sortes de domaines : spirituels, scientifiques, culturels, économiques...  Domaines que les habitants autochtones n'étaient plus ou ne sont plus en mesure d'assumer pour diverses raisons.

Ceci, parce que tout être est créé à l’image de Dieu, autrement dit à l’image de la Trinité. Et précisément, parce qu’il est créé à l’image de la Sainte Trinité, l’homme ne peut pas s’accomplir dans l’autonomie mais dans la relation avec l’autre. « Nous sommes, écrit l’évêque Kallistos Ware, appelés à reproduire sur terre le mouvement de l’amour partagé, du don de soi mutuel, de la solidarité, du dialogue et de la réciprocité, tel qu’il existe éternellement dans la Trinité ». Mon prochain, c’est donc mon frère ; c’est celui que je rencontre à chaque pas ; que je tente d’éviter mais il ne se laisse pas faire. De nombreux pays vivent aujourd'hui sur la corde raide : crises politiques, dictatures, guerres, sous-alimentation chronique causée par la faim qui progresse partout, drames de la pauvreté dues de plus en plus aux causes climatiques... tendent à accélérer les migrations désespérées. Aussi loin que j’essaie de m’enfuir, le réfugié et le migrant me rattrapent toujours, ils sont là, ils regardent, ils interrogent, ils demandent, ils supplient, le plus souvent sans parole.

Mon prochain ? C’est celui qui me met mal à l’aise par l’intensité de sa détresse. « J’étais étranger et tu m’as accueilli », « Le Seigneur protège l’étranger » …

Le thème de l’étranger, redisons-le encore une fois, est constant dans la Bible, dans les psaumes, dans l’Evangile. Combien de fois le « tu aimeras l’étranger » se trouve dans la Bible ? Trente-six fois et peut-être quarante-six ou cinquante-six ? Qu’importe après tout car l’essentiel est là : essayer à chaque instant d’inventer la relation vivante à notre prochain pour qu’il ne soit plus à nos yeux  « celui qui veut nous tromper, profiter de nous » mais une personne aimée de Dieu, riche de son histoire, de sa culture, de sa conscience, de sa foi, que nous voulons rencontrer, connaître, servir.

Cela nous amène nécessairement à cette question d’actualité : comment recevoir l’étranger ?

Il s’agit de voir en lui quelqu’un qui est en situation de demande, de besoin. Quelqu'un qui est en situation de vulnérabilité. Quelqu’un qui n’a pas pris  à la légère sa décision de quitter son pays, sa famille, et qui se trouve parmi nous porteur d’un double message.

Le premier message, c’est que l’étranger migrant ou réfugié se trouve en situation de pauvreté (matérielle, morale, psychologique...). Il est de notre vocation de prendre au sérieux cet appel, puisque c’est l’appel que le Christ nous adresse très explicitement dans l’Evangile : ce que vous avez fait aux plus pauvres, c’est à moi que vous l’avez fait. Le deuxième message, c’est qu’il nous invite à nous enrichir. Il nous invite à nous enrichir de sa présence et de sa différence. Le christianisme est la religion de la relation : relation à Dieu et relation au frère. L’autre est toujours différent. Cette différence parfois dérange, insupporte mais à la fois elle peut enrichir. Saint-Exupéry écrit dans Le petit prince : « Ta différence m’enrichit ». La différence du réfugié ou du migrant qui arrive dans un de nos pays peut nous enrichir par la diversité culturelle qu’elle nous apporte. Il est donc important de ne pas passer à côté de cette occasion.

Aujourd’hui, la mondialisation permet le déplacement non seulement des capitaux mais aussi des personnes. Il serait particulièrement injuste d’accepter le déplacement des capitaux sans le déplacement libre des personnes, lesquelles en nous interpellant par leurs différences peuvent aider l’Occident à apporter des vraies réponses aux questions de sens qu’Il se pose.

Lors de la rencontre du Phanar en octobre 2008, les Primats de l'Eglise Orthodoxe ont très clairement et unanimement affirmé que  le fossé qui existe actuellement entre les riches et les pauvres relève de la façon la plus crue de la culpabilité de ceux qui ont joué avec l'économie mondiale, provoquant tant de victimes, tellement éloignées du système et des colossaux bénéfices financiers qui ont fait l'objet d'autant de spéculations.

Aucune économie ne peut être durablement viable si elle ne conjugue pas l'efficacité avec la justice et la solidarité sociales. La mobilisation contre les drames de la migration ou de l'exil n'est pas un simple codicile dans notre cahier des charges. Elle est une “exigence”. Ces drames – quand bien même les solutions données restent tributaires des décisions des Etats directement concernés – nous pouvons les faire reculer. Oui, tous ensemble, nous le pouvons pourvu que nos Eglises respectives décident de s'engager, sans hypocrisie ni compromissions, dans des combats pour plus de justice sociale, plus de solidarité, plus de démocratie, plus de paix entre les peuples et les hommes. Non pas uniquement en théorie mais par des attitudes et des comportements responsables qui mettent en pratique sur le terrain les vérités  qu'Elles proclament. Il y va de leur crédibilité.

Laissons donc parler notre cœur, notre conscience, comme l’a fait le bon Samaritain de l’Evangile. Ne nous séparons pas de ceux de nos frères qui sont dans les plus grandes détresses – physiques et morales – car nous ne savons pas dans quels chemins de justice, de vérité, de joie et d’amour ils peuvent nous entraîner. Par une sorte d'osmose, qui soit authentiquement évangélique, à l'intérieur de nos sociétés plurielles !

Paix, justice, partage dans l’amour : tout cela se retrouve dans les épreuves que nous vivons comme les valeurs les plus constructives de cette humanité qui cherche à s’humaniser toujours plus. Il y a certes bien d’autres valeurs dans la vie intérieure de la personne. Mais la personne est essentiellement communion comme Dieu est communion. C’est en elle que l’homme se réalise comme image et ressemblance de Dieu, autrement dit comme déiforme. Et si, de par sa constitution à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme est divin, il le sera toujours davantage s’il se reconnaît comme aimé et aimant. 

 

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