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 Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People

People on the Move - N° 83, September 2000

 

La joie du père pour le retour de son fils [*]

S.E. Mons. Antonio BUONCRISTIANI

 La volonté de l'homme de se convertir

“Il dit encore: Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père: Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla se mettre au service d'un des habitants du pays, qui l'envoya dans ses champs garder les pourceaux. Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Étant rentré en lui-même, il se dit: Combien de mercenaires chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim! Je me lèverai, j'irai vers mon père, et je lui dirai: Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils; traite-moi comme l'un de tes mercenaires. Et il se leva, et alla vers son père”.

Réflexions

La Parole de Dieu que nous venons d'écouter, est une des pages les plus connues et les plus belles de l'Évangile. C'est au moyen d'une parabole qu'elle nous aide à comprendre intuitivement comment la Miséricorde de Dieu s'insère dans notre vie quotidienne. Chacun peut se reconnaître facilement dans le fils qui s'en va, qui éprouve de la nostalgie lorsqu'il se trouve en difficulté, et qui revient à la maison où il reçoit un accueil inattendu et immérité.

Avec cette parabole, Jésus a voulu révéler que Dieu est un Père qui aime ses enfants, même quand ils pèchent. L'histoire souligne la fuite, la dégénérescence morale et matérielle du 'fils prodigue' avec force détails vivants mais non pour nous révéler les fautes et la misère du pécheur. Il n'est pas nécessaire que l'Évangile nous le révèle, nous le comprenons de nous-mêmes. Avec ces détails, cette histoire veut seulement souligner l'amour infini du Père envers son fils qui a fait grand abus de sa bonté.

Si l'on est attentif, on peut découvrir qu'à chaque événement particulier du fils correspond un acte d'amour du Père. Du moment de la division de l'héritage et de la fuite jusqu'au moment où il se souvient de sa maison et de son père, qui l'a tant aimé, ce père l'a suivi comme l'ombre suit le corps. Dégénéré et devenu brutal à cause de ses péchés, seule la faim lui fait repenser à la maison de son père où le pain se trouve en abondance.

Ce n'était pas l'amour du père à son égard, et moins encore son amour pour son père, c'était uniquement parce qu'il rêvait d'un morceau de pain pour assouvir sa faim qu'il a repensé à sa maison. Ce n'est vraiment pas grand chose. Mais pour ce père, cela suffit parce qu'il aime infiniment ses fils, même quand ils pèchent et qu'en péchant ils corrompent leur corps et leur âme.

Décider de rentrer à la maison pour un morceau de pain suffit à ce père, qui ne supporte pas que ses fils soient loin de la maison. Il les veut tous chez lui, avec lui, parce que sans eux il y aurait un grand vide.

Celui qui quitte la maison se sent sûr et fort, mais quand le chemin commence à être plus difficile la certitude s'évapore. Le premier signe qui nous rend à Dieu, la première étape de notre retour ou de notre conversion est de rentrer en nous-mêmes, de commencer à réfléchir avec notre tête, notre cÂœur et notre conscience. Voilà le premier acte de conversion qui est aussi une grâce de Dieu.

"Si nous devions voir certains malheurs de notre vie à la lumière de l'amour du Seigneur, nous les considérerions avec des yeux différents, et nous serions plus disponibles à reconnaître la main du Seigneur qui, par des chemins peu recherchés, nous reconstitue, nous remmène sur la bonne voie : il nous remmène d'abord à l'intérieur de nous-mêmes, pour nous guider ensuite à retrouver le besoin de Lui." (Mazzolari)

En regardant en arrière, nous pourrons souvent avoir l'intuition que le Seigneur a eu pitié de nous justement en nous permettant des expériences négatives et en nous confrontant avec le mystère de l'abandon et de la souffrance.

La miséricorde du Père en surabondance

“Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa. Le fils lui dit: Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs: Apportez vite la plus belle robe, et l'en revêtez; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir”.

Réflexions

Après une attente anxieuse, le Père aperçoit enfin son fils de loin ; il ne reste pas à la maison à l'attendre, mais il "fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et l'embrassa".

Il n'a dit aucun mot de reproche pour ce fils dégénéré, il ne lui demande pas de confesser ses péchés pour obtenir l'absolution, ni une promesse formelle de ne plus agir ainsi dans le futur. Il l'accepte non seulement sans tout cela, mais il veut même que ce fils déguenillé, défiguré par la faim et le vice, ce gaspilleur de tant de biens paternels, soit rétabli immédiatement dans sa condition et sa dignité de fils. Il ordonne de festoyer autour d'une table somptueusement parée, avec de la musique, des chants et des danses.

Tout cela est raconté de manière précipitée, avec des actes et des commandes hâtifs. La raison en est claire: ce cÂœur de père a trop souffert l'absence de son fils, et comme un ressort comprimé trop longtemps, il se déclenche maintenant irrésistiblement. On peut se demander s'il existe un moyen plus clair et efficace de révéler que Dieu le Père nous aime et jusqu'à quel point il nous aime.

Après la création et le péché de l'humanité, Dieu ne peut aimer qu'en pardonnant. C'est sa seule manière de rester fidèle à sa promesse. L'homme peut décider de ne plus se considérer comme son fils, mais Dieu ne peut jamais cesser d'être un Père.

Dans ce sens, reconnaître ses propres péchés n'est pas seulement regarder au fond de soi avec tristesse et regret, mais c'est aussi se tourner avec une confiance vers la Miséricorde de Dieu, qui ne nous a pas oublié et qui ne nous oubliera jamais.

Cela se manifeste d'abord dans l'Incarnation du Fils Jésus Christ qui a donné sa propre vie pour nous obtenir le pardon et le salut. C'est en lui que se manifeste concrètement le visage miséricordieux du Père. Le pardon des péchés que Jésus donne gratuitement avant même les guérisons est le signe de la venue du Règne de Dieu.

Avant de monter au ciel après sa résurrection, Jésus a confié à l'Église ce pouvoir d'absoudre les péchés. Comme on lit dans l'Évangile de Jean (20, 19-23), Jésus apparaît aux apôtres et leur dit: "Paix à vous! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie Â… Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus". 

Paix à vous! Je vous redis ce salut, comme le fruit de cette célébration pénitentielle qui nous garantit le pardon de Dieu, qui nous réconcilie avec Lui, avec nous-mêmes et avec nos frères. C'est une graine mise ultérieurement dans nos cÂœurs pour donner des fruits pour la communion de toute l'Église.

Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. La charité qui, par l'Esprit Saint, est déversée dans nos cÂœurs, remet les péchés de tout ceux qui appartiennent à la communauté ecclésiale; elle retient par contre les péchés de tout ceux qui n'y appartiennent pas.

Cette dimension ecclésiale de la pénitence a été souligné dès les premiers siècles. Tertullien affirmait déjà que le corps tout entier doit éprouver de la douleur pour chacun des membres malades et participer à sa guérison. Saint Ambroise décrit ainsi le rite de la réconciliation des pénitents: "Que l'Église prie pour toi, et que le peuple pleure pour toi".

Pour les chrétiens, le péché et le pardon ne sont pas des 'faits personnels', ils appauvrissent ou enrichissent la communauté tout entière.

La joie pour la conversion des frères

“Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu'il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c'était. Ce serviteur lui dit: Ton frère est de retour, et, parce qu'il l'a retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras. Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d'entrer. Mais il répondit à son père: Voici, il y a tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c'est pour lui que tu as tué le veau gras! Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi; mais il fallait bien s'égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé”.

Réflexions 

Pour mieux comprendre cette parabole on doit tenir compte du fait que l'évangéliste Luc l'insère dans une sorte de triptyque, avec la parabole du Bon Pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue et celle de la femme qui fouille toute sa maison pour retrouver la monnaie perdue. La finale est l'épisode du fils prodigue, attendu anxieusement et accueilli et fêté par le père miséricordieux. Ce qui unifie ces trois paraboles, ce n'est pas tellement le pardon, mais plutôt la joie.

Au fils mineur qui revient à la maison, le père de la parabole ne demande ni confessions à propos de son passé, ni promesses pour le futur, et il ne fait aucune allusion à des mesures préventives pour l'avenir. Il est seulement pressé de le fêter. Et c'est une fête, avec des danses et des chants, comme on en n'avait jamais vu auparavant dans cette maison, au point que le fils aîné en est offensé. Lui qui de sa côté, a été toujours bon et obéissant, il n'avait jamais eu une telle fête. Et maintenant Â… Eh bien, maintenant il y a une très bonne raison pour faire la fête : il y aura plus de joie au ciel pour un pécheur converti, que pour quatre-vingt dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion.

Voilà l'essentiel des trois paraboles. Au paradis il existe aussi un applaudimètre: quand sur la terre un grand pécheur se convertit, là-haut, c'est une explosion de joie qui atteint son maximum. Certes, c'est là une manière naïve d'exprimer l'amour infini de Dieu, notre Père, comme Jésus nous l'a révélé, et qui ne peut être utilisé que dans une parabole. En effet, l'Évangile n'est pas un traité de théologie ni un traité de mystique. L'Évangile parle avec des images qui en disent bien plus long qu'un discours théorique. Mais il n'est pas toujours facile d'en trouver ensuite le sens exact ou d'en indiquer une application équilibrée.

Tout d'abord, il faut comprendre que Jésus ne veut pas dégrader les justes vis-à-vis des pécheurs qui se convertissent. Contre les scribes et les pharisiens d'alors (et de tous les temps), qui croyaient pouvoir acheter le paradis avec leurs pratiques religieuses en prétendant ainsi de pouvoir en exclure ceux qui ne les suivaient pas, Jésus voulait défendre ceux qu'ils excluaient du règne de Dieu. Et pour mieux le faire comprendre, il leur donne même la priorité.

De plus, l'explosion de joie dans les cieux pour chaque conversion d'un pécheur devrait induire aussi l'Église préfiguration du ciel sur la terre à fêter avec une même joie. 

Il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé.C'est ainsi qu'avec un tendre reproche, le Père répond à son fils aîné , qui s'est plaint de la grande fête préparée pour son plus jeune frère, de retour à la maison.

"Le père de l'enfant prodigue ne pense pas au plaisir goûté au loin par son fils aîné, mais à sa souffrance du fait qu'il se trouvait sans maison, sans rien. L'aîné, par contre, qui ne voit que les richesses perdues et qui imagine on ne sait quel plaisir éprouvé dans le gaspillage, estime injuste de l'accueillir de nouveau, et avec une telle fête !

Pour les gens qui pensent ainsi, il est juste et c'est un devoir de refermer la porte au visage de celui qui revient, de laisser l'enfant prodigue mourir de faim, de cultiver la vengeance envers tous ceux qui ont offensé, et de détester ceux qui ne sont pas de notre côté, qui ne sont pas des nôtres.

Demandons au Seigneur qu'il nous accorde d'avoir, comme Lui, un regard de miséricorde et de pardon, car si dire au paralytique "lève toi et marche" est quelque chose de difficile, lui dire "tes péchés te sont pardonnés" c'est quelque chose de divin. Plus que le pouvoir de faire des miracles le Seigneur nous donne celui de pardonner, qui est le plus grand miracle." (Mazzolari)

La conclusion de ces quelques brèves réflexions ne peut être que le sentiment d'une gratitude particulière pour le don de la foi que nous avons reçu et qui nous assure le pardon et la miséricorde.

Quand je pense à ceux qui ne l'ont pas (et il y en a beaucoup, même s'il s'agit dans la plupart des cas d'indifférence ou d'un "renvoi" du problème à plus tard), je ressens une grande tristesse, peut-être parce que je ne pourrais pas m'en passer; je ne réussirais plus à comprendre la vie, la mort, la souffrance, l'injustice et même la joie et l'amour.

Une gratitude qui se complète avec la joie d'être dans l'Église. C'est elle qui nous garantit le pardon de Dieu dans le sacrement de la réconciliation, et qui nous offre l'Eucharistie comme viatique sur le chemin vers la vie éternelle. Au-delà de tous les défauts et de toutes les incohérences cela suffirait pour que nous sentions qu'elle est notre Mère, même dans les moment de ténèbres.

Je pense ici à don Milani: il avait des difficultés avec son Évêque, il se sentait incompris par son entourage justement, et dans une lettre il écrivit: "je ne me rebellerai jamais contre l'église, parce que plusieurs fois par semaine j'ai besoin du pardon de mes péchés et je ne saurais pas où le chercher lorsque j'aurai quitté l'Église."

Mes très chers frères, ayons donc le sentiment d'être une Église libérée, mais qui a toujours besoin de pardon. Saint Augustin écrivait: "Si on analyse de tous les façons possible et avec clarté ce qui est bon, personne n'est bon sauf Dieu Â… Pouvons-nous nous comparer aux apôtres? Pourtant, le Seigneur lui-même leur a dit: si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient. En l'entendant dire qu'ils étaient mauvais, ils se désespéraient Â… En l'entendant dire que le Dieu du ciel était leur Père, ils respiraient. Les appeler 'mauvais' insuffle la peur des punitions, les appeler 'fils' réveille l'espoir d'être ses héritiers."

En recevant aujourd'hui généreusement le pardon de Dieu, prenons l'engagement de l'offrir en échange à nos frères, car la garantie d'avoir reçu la miséricorde réside uniquement dans notre engagement à être miséricordieux comme notre Père qui est dans les cieux.

Nota:
[*] Texte de la méditation sur la parabole du fils prodigue, prononcée par S.E. Msgr. A. Buoncristiani, Évêque de Porto Santa Ruffina, diocèse de l'aéroport de Rome, le 1er juin 2000 aux gens de l'Aviation Civile.
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