The Holy See
back up
Search
riga

INTERVENTION DU SAINT-SIÈGE
À LA TROISIÈME CONFÉRENCE INTERMINISTÉRIELLE
DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE (OMC)*

Seattle (États-Unis)
Jeudi 2 décembre 1999

 

1. Le Saint-Siège est heureux de participer à la troisième Conférence interministérielle de l’OMC, car il reconnaît l’importance d’un système commercial multilatéral soumis à des règles pour l’économie mondiale et pour le développement de chaque pays. En tant qu’observateur, le Saint-Siège suit avec grand intérêt les débats actuels sur l’étendue et les objectifs des négociations du prochain « Cycle du Millénaire », et saisit l’occasion pour soumettre certaines inquiétudes et suggestions relatives aux enjeux de ces négociations.

2. L’application initiale des accords de l’Uruguay Round a mis en évidence les progrès significatifs réalisés par les pays en développement qui ont adopté des politiques de libéralisation du marché mais où la pauvreté et la marginalisation n’ont pas été vaincues. Néanmoins, les pays les plus pauvres (c’est-à-dire ceux figurant sur la liste des pays de l’ONU les moins avancés (PMA), et beaucoup d’autres dont l’économie est faible, réduite ou de transition), qui continuent d’espérer que le commerce pourrait les aider de façon décisive à se développer, luttent pour s’adapter aux règles de l’OMC et au système du commerce mondial. Le Saint-Siège considère que le système commercial multilatéral ne sera achevé que lorsque de tels pays pourront s’intégrer dans la communauté internationale, tout en gardant la capacité de promouvoir le développement humain et adapté de leurs concitoyens.

A la réponse positive des pays en développement aux propositions du Traité de Marrakech et aux Conférences de Singapour et de Genève, devrait correspondre une réponse des grandes puissances économiques, pour la promotion d’un environnement commercial favorable au développement et à la lutte contre l’extrême pauvreté. Il est très frappant de voir que la part des PMA dans le commerce international n’est toujours que d’environ 0,5 %, en baisse depuis 1990. Des efforts supplémentaires sont donc nécessaires pour s’assurer que tous les partenaires aient bien la possibilité de bénéficier de l’ouverture des marchés et de la libre circulation des marchandises et des capitaux. Comme l’a écrit le Pape Jean-Paul II dans son Encyclique Centesimus annus : « Les pauvres revendiquent le droit d’avoir leur part des biens matériels et de mettre à profit leur capacité de travail, afin de créer un monde plus juste et plus prospère pour tous. Le progrès des pauvres est une grande chance pour la croissance morale, culturelle et même économique de toute l’humanité » (CA, 28). Dans son message au Forum mondial pour l’éradication de la pauvreté, M. Mike Moore, Directeur général de l’OMC, a très clairement affirmé que « l’objectif du commerce doit être l’élévation des niveaux de vie ». Le Saint-Siège invite maintenant les négociateurs à prendre en compte les besoins des pays en développement et les difficultés qu’ils rencontrent en accédant aux marchés internationaux.

3. L’incapacité des PMA et des économies faibles de profiter pleinement des opportunités offertes par les accords actuels de l’OMC, est due, parmi d’autres problèmes, à un manque de personnel qualifié capable d’appréhender la complexité des structures et des règles de l’OMC, à l’incapacité d’améliorer les réglementations nationales, à la faiblesse de l’infrastructure institutionnelle (particulièrement dans les domaines complexes, comme la législation de la propriété intellectuelle) et au coût élevé du maintien de missions à Genève. Il serait nécessaire de répondre à ces contraintes par une mise à disposition fortement accrue de toutes sortes d’aides, telles que celle fournie par les activités de coopération technique de l’OMC, de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) et du Centre de commerce international (CCI), afin que les moyens de négociation de ces pays puissent être développés et soutenus (cf. Jean-Paul II, Encyclique Centesimus annus, 59).

Jusqu’ici, les PMA et les autres pays pauvres n’ont pu profiter du mécanisme de règlement des différends à cause de ressources financières et de connaissances juridiques insuffisantes. Les commissions pourraient être plus représentatives et intégrer des experts des pays développés, en développement et moins développés. Le Centre de consultation juridique proposé devrait être créé sans attendre, afin de répondre aux besoins des pays pauvres en termes de consolidation de leurs droits en ayant recours à l’ORD (Organisme de règlement des différends).

L’accès rapide à la qualité de membre de l’OMC des économies faibles, réduites ou de transition pourrait également mobiliser une part importante des efforts de la communauté internationale. Une procédure claire et simplifiée pourrait être établie en faveur des membres potentiels, afin qu’ils puissent être admis en une année et ne pas être pas soumis à des délais supérieurs à ceux des pays moins avancés membres de l’OMC.

4. L’amélioration des compétences des pays pauvres sur le plan juridique et sur celui du management, sera vaine si elle ne s’accompagne pas de mesures destinées à favoriser réellement leur participation commerciale dans le MTS. Ces mesures devraient commencer par le respect des règles existantes de manière à fournir une réponse efficace aux préoccupations des pays en développement. La mise en œuvre des dispositions en faveur d’un traitement spécial et différencié, tout en fournissant à ces pays une assistance technique, juridique et financière, est un pas dans cette direction. De manière globale, un traitement spécial et différencié va plus loin que des tarifs préférentiels et des périodes de transition, et s’attaque aux éléments clés de la croissance économique et du développement des connaissances, compétences technologiques et information.

Parmi les dispositions qui renforceront la position commerciale des PMA et des autres pays pauvres, un accord visant à permettre l’accès sans droits de douane et sans quota au marché pour tous les produits provenant des PMA semble toujours très souhaitable, malgré les difficultés inhérentes à son application. Le Saint-Siège espère également que les prochaines négociations répondront aux principales attentes des pays en développement, afin d’encourager le développement et l’allégement de la pauvreté et de permettre à tous les pays, et en particulier aux économies les plus faibles, de profiter pleinement des avantages de l’OMC.

5. La libéralisation du marché agricole, qui revêt une grande importance pour les pays en développement exportateurs de denrées et de matières premières, ne doit pas s’accompagner d’effets indésirables pour les pays en développement importateurs net de produits agro-alimentaires. Les pays les plus pauvres devraient pouvoir profiter de toute ouverture supplémentaire des marchés agricoles, tout en gardant leur capacité d’établir des politiques commerciales adaptées afin de promouvoir leur propre production. Un tel système juridique de protection en faveur des PMA et des pays en développement importateurs net de produits agro-alimentaires devrait être complété par toute l’assistance technique et financière nécessaire, bilatérale et multilatérale, afin d’augmenter la production locale de denrées et assurer la sécurité alimentaire.

6. L’article 66, 2 de l’accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) a été conçu pour compenser les contraintes imposées par le nouveau régime de propriété intellectuelle. Ses dispositions, par conséquent, doivent être appliquées de manière à encourager la mobilisation de la science en faveur du développement. Les pays les plus pauvres sont soumis à des difficultés particulières en terme de climat, de qualité des sols, d’agriculture, de santé élémentaire et de maladies tropicales, qui ne peuvent être surmontées que grâce à un apport constant de connaissances spécifiques. Les dispositions de l’ADPIC ne devraient pas faire obstacle à un accès rapide et peu coûteux aux moyens de production des produits pharmaceutiques de base et des autres médicaments nécessaires pour faire face aux principaux fléaux qui ravagent les populations des pays les plus pauvres. Au-delà des actuelles dispositions de l’ADPIC, de nouveaux instruments légaux prenant en indispensable et les intérêts raisonnables des propriétaires de brevets et copyrights, aideraient à combler le fossé technologique. Un travail scientifique et politique supplémentaire devrait également être entrepris afin d’imaginer des moyens de protection et d’intégration dans la biodiversité du système commercial multilatéral, des connaissances traditionnelles et des droits des agriculteurs [1].

7. Il reste quelques sujets sensibles concernant aussi bien les pays développés que les pays de revenu moyen ou les pays pauvres, tel celui des droits de l’homme, la question du travail, la dégradation de l’environnement, la biotechnologie et la santé auxquels, en dépit de leurs liens avec le commerce, on ne pourra apporter une solution qu’en dehors du cadre de l’OMC. Tout cela doit être réglé dans un esprit de prudence et de coopération, tout en recherchant un consensus large et à long terme sur la base d’un développement humain adapté.

8. La question des droits de l’homme et du travail mérite une attention particulière. Le Saint-Siège apprécie vivement la Déclaration de l’Organisation internationale du Travail sur les principes et les droits fondamentaux au travail, et considère qu’il s’agit là d’une réponse appropriée aux défis que représente la mondialisation de l’économie. Le travail des enfants, la prostitution organisée, l’esclavage et le travail forcé, et l’interdiction des syndicats de travailleurs ne pourront jamais faire partie des politiques nationales ni être justifiés par le droit d’un pays au développement (cf. Jean-Paul II, Laborem exercens, 17). Mais, afin de faciliter la pleine conformité avec les principes énoncés dans la Déclaration de l’OIT, les pays riches doivent éviter toute forme de protectionnisme sous l’apparence des principes énoncés.

9. Le débat international doit reconnaître les accords multilatéraux en matière d’environnement de façon équitable, non protectionniste et de manière à faire face aux problèmes les plus urgents des pays les plus pauvres, afin de créer les conditions nécessaires pour une véritable écologie humaine (cf. Centesimus annus, 38). Le coût économique de la gestion de l’environnement international devrait être principalement supporté par les pays les plus riches, afin d’éviter d’imposer aux pays moins avancés et aux économies faibles des charges et des contraintes supplémentaires [2].

10. De plus, l’insertion salutaire de PMA, d’économies faibles, restreintes et de transition dans l’économie mondiale, nécessite un engagement innovateur et cohérent pour alléger la dette internationale, et renouveler et augmenter les aides (ODA) bilatérales et multilatérales. Cette approche dépasse les compétences de l’OMC, mais elle est nécessaire pour le bien du système commercial multilatéral lui-même.

11. Enfin, la société civile devient un partenaire de plus en plus important dans la gouvernance du monde. L’OMC a pris une série d’initiatives afin de rendre le travail de l’organisation plus transparent et plus ouvert à la société civile. L’OMC a cependant rencontré quelques obstacles dans la première phase du dialogue ; entre autres, le manque de personnel adéquat, de fonds et d’information pour permettre un contact automatique avec des groupes de la société civile.

A l’avenir, il serait important pour l’OMC de construire un dialogue plus systématique et constructif avec les groupes représentant la société civile et d’imaginer des systèmes pour qu’ils soient informés en permanence et régulièrement consultés. À ce stade, il pourrait être également utile de profiter de l’expérience des autres organisations internationales, et spécialement de celle des Nations Unies. Un effort particulier doit être fait pour inclure les mouvements citoyens de pays développés et garantir un éventail représentatif d’organisations. Les ONG pourraient, de leur côté, stimuler le débat sur les enjeux de l’OMC et permettre ainsi un échange plus fructueux à tous les niveaux.

_________________________________

[1] Cf. Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992.

[2] Cf. Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, UNCED, 92. Principe n.7.


*WT/MIN(99)/ST/135.

La Documentation catholique, 2000 n.2219 pp. 114-116.

 

 

top