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  INTERVENTION DU SAINT-SIÈGE
À LA 92 CONFÉRENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL

INTERVENTION PAR S. Exc. MGR SILVANO M. TOMASI*

Genève
Mardi 8 juin 2004

Monsieur le Président,

1. La tâche d'édifier une société qui respecte la personne humaine et son travail exige d'accorder la priorité à l'organisation humaine des relations sociales par rapport au progrès technique, aussi nécessaire soit-il. Cette préoccupation apparaît dans les documents préparatoires de cette 92 Conférence internationale du Travail, et, en particulier, le Compte-rendu du Directeur général, qui souligne avec attention les résultats obtenus et ceux qui doivent encore être obtenus, ainsi que les domaines stratégiques d'engagement futur exigés par l'évolution de la situation de l'économie mondiale.

2. Dans son appel à redécouvrir la signification et la valeur du travail, le Pape Jean-Paul II a lancé une invitation à "affronter les déséquilibres économiques et sociaux existant dans le monde du travail, en rétablissant la juste hiérarchie des valeurs, en mettant à la première place la dignité de l'homme et de la femme, leur liberté, leur responsabilité et leur participation [et] à assainir les situations d'injustice, en sauvegardant les cultures propres à chaque peuple et les divers modèles de développement" (1).

3. En nous tournant vers l'avenir, les projections prévoyant que d'ici 2015, il y aura 3 milliards de personnes âgées de moins de 25 ans, font du défi de la création d'emploi une question à résoudre dès aujourd'hui. La recherche du plein-emploi n'est pas seulement une préoccupation légitime, mais un engagement éthique qui concerne les propriétaires et les dirigeants d'entreprise, les institutions financières, l'organisation du commerce et les travailleurs. Le travail en commun a été la méthode et la marque distinctive de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), à travers le dialogue social entre les gouvernements, les employeurs et les représentants des travailleurs, un modèle qui a créé une méthode d'édification de la société qui s'est révélée efficace. Le système économique qui en résulte a de meilleures chances de protéger la priorité du travail sur le capital et celle du bien commun sur l'intérêt privé.

4. La création d'emplois est la voie principale vers le développement personnel et national. La personne humaine devient le meilleur capital à travers sa créativité, ses connaissances, ses relations, sa spiritualité. Les travailleurs enrichissent la société et promeuvent des voies de paix. De plus, la promotion d'emplois dans les pays les plus pauvres est également dans l'intérêt des pays les plus riches. Si nous prenons, par exemple, le cas de l'agriculture, le réajustement et l'élimination des subventions dans les pays développés permettra la création de milliers d'emplois, la croissance du commerce et l'amélioration de l'économie nationale, dans les pays où l'agriculture est encore le mode de vie prédominant. Par conséquent, la qualité de vie de chacun sera améliorée, et les déplacements forcés et la migration internationale ne seront plus une nécessité inévitable pour survivre. De plus, comme cela a été souligné dans le compte-rendu du Directeur général, les conflits font obstacle à la pleine réalisation des objectifs de développement. Or, à la racine de nombreux conflits se trouvent précisément le manque de travail et l'impossibilité de s'assurer un revenu minimum afin d'échapper à la pauvreté et de vivre dans la dignité avec sa famille.

5. L'interdépendance des facteurs économiques et des acteurs sur la scène internationale a été soulignée dans les conclusions importantes de la Commission mondiale sur la Dimension sociale de la Mondialisation. La Commission soutient les objectifs stratégiques de l'OIT et ceux-ci servent à leur tour de base pour un travail correct. De cette façon, garantir l'emploi, à travers la protection sociale, ainsi que des normes et des droits adéquats au travail, dans le cadre d'un dialogue constructif entre les trois parties, ouvert à d'autres formes nouvelles de la société civile, constitue une reconnaissance du fait que le travail est une expression de la dignité et de l'identité de la personne humaine, et qu'il dépasse largement toute valeur économique quantifiable.

6. Il semble opportun de souligner qu'en protégeant la priorité accordée à la personne, la mondialisation devient également juste, dans la mesure où elle empêche de laisser pour compte les groupes vulnérables, les femmes et les enfants en particulier, les travailleurs immigrés, certaines catégories professionnelles comme les marins, et les populations les moins développées. Une étape importante dans cette direction a été la rapide entrée en vigueur de la Convention sur les formes les plus graves de travail des enfants. Permettez-moi, Monsieur le Président, de me référer une fois de plus au magistère social de l'Eglise, tel que le présente le Pape Jean-Paul II: "Toute société se régit sur la base de la relation originelle des personnes entre elles, développée en cercles de relation toujours plus larges - de la famille aux autres groupes sociaux intermédiaires - jusqu'au cercle de la société civile tout entière et de la communauté nationale. De leur côté, les Etats ne peuvent pas faire autrement que d'entrer en rapport les uns avec les autres. La situation actuelle d'interdépendance planétaire aide à mieux percevoir la communauté de destin de la famille humaine tout entière, favorisant chez toutes les personnes raisonnables l'estime pour la vertu de la solidarité" (2).

7. Un travail qui permette aux personnes de vivre de façon décente exige aujourd'hui un engagement commun en vue de donner aux travailleurs une éducation et une formation suffisantes pour qu'ils puissent avoir les capacités nécessaires afin de répondre de façon efficace à la révolution de l'information et à une économie de plus en plus fondée sur la connaissance. Les initiatives dans ce sens les préserveront de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Accroître la capacité humaine est une tâche qui concerne également les pays en voie de développement, si l'on veut qu'ils jouent le rôle qui leur revient dans le commerce mondial à travers la production de produits de qualité. Comme le Pape Jean-Paul II l'a souligné: "Il ne s'agit pas seulement de donner de son superflu mais d'apporter son aide pour faire entrer dans le cycle du développement économique et humain des peuples entiers qui en sont exclus ou marginalisés. Ce sera possible [...] si l'on change les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd'hui les sociétés" (3).

En conclusion, Monsieur le Président, la juste participation de tous, personnes et Etats, à l'édification de l'avenir, doit conduire à leur juste participation aux bénéfices découlant d'un travail décent pour tous au sein de la famille humaine.

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Notes

1) Jean-Paul II, Homélie pour le Jubilé des travailleurs, 1 mai 2000.
2) Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1 janvier 2001.
3) Jean-Paul II, Lettre encyclique Centesimus annus, n. 58.


*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue françaisen.29 p.2.

La Documentation catholique,n.2322 p.861-862.

 

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