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 INTERVENTION DU SAINT-SIÈGE
LORS DE LA SESSION MINISTÉRIELLE DU 
CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL (ECOSOC) À NEW YORK

INTERVENTION PAR Mme MARY ANN GLENDON
SUR LE THÈME:

Mobilisation des ressources et environnement propice à l'éradication
de la pauvreté dans le contexte de la mise en oeuvre du Programme d'action
en faveur des pays les moins avancés pour la décennie 2001-2010*

Jeudi 29 juin 2004

 

Madame le Président,

Face aux signes laissant entrevoir que les pays les moins avancés (PMA) courent le risque de ne pas atteindre les objectifs établis visant à l'éradication de la pauvreté, le Saint-Siège unit sa voix à tous ceux qui lancent un appel urgent à la famille des nations en vue de répondre aux besoins de ses membres les plus vulnérables.

Ma délégation observe avec préoccupation que, sur la base des progrès accomplis jusqu'à présent, il semble que la plupart des PMA ne pourront probablement pas atteindre, par exemple, les objectifs du Programme d'Action de Bruxelles. Les taux de croissance économique des PMA ont été largement en-dessous des niveaux nécessaires pour commencer à oeuvrer en vue de l'éradication de la pauvreté, les investissements n'ont pas bénéficié d'une croissance significative, l'Aide publique au Développement (APD) et les Investissements étrangers directs (IED) ont atteint des niveaux insuffisants. De plus, de nombreux PMA se trouvent dans une situation d'après-conflit, et 80% des 20 PMA les plus pauvres ont connu une guerre civile au cours des 15 dernières années.

Mais ces difficultés et ces défis qui se présentent jusqu'à présent ne doivent pas être considérés comme des excuses, mais plutôt comme des encouragements à accomplir des efforts plus intenses de la part des partenaires développés. Car, comme le Pape Jean-Paul II l'a souligné, "les pauvres ne peuvent pas attendre". Nul ne peut nier que le défi visant à inverser ce qui semble souvent un cercle vicieux de pauvreté, en particulier des PMA, est immense.

On oublie souvent, parmi les obstacles au progrès, le fait que la mondialisation a bouleversé en profondeur certains modes de vie. Tandis que des modèles séculaires de travail et de vie de famille se désagrègent, un sentiment d'impuissance est apparu. Au fur et à mesure que de nouvelles formes de pauvreté voient le jour, le visage des pauvres devient de plus en plus celui de femmes et d'enfants. En bref, le monde connaît actuellement une période de confusion, porteuse à la fois de risques et de promesses. Ceux qui sont le plus à risque au milieu de cette tourmente économique et sociale sont souvent ceux qui sont le plus ignorés.

Toutefois, la Communauté internationale a élaboré une approche coordonnée et fondée sur la coopération, pour permettre aux pays les moins avancés de développer leurs propres économies et d'entrer dans le processus de production et d'échange. Les éléments de cette approche ont fait l'objet d'un vaste consensus: réduction de la dette, pratiques commerciales équitables, respect du droit, investissements dans le domaine de l'éducation, assistance médicale de base, alimentation et équipements sanitaires.

A cet égard, le Saint-Siège prend note du Programme d'Action de Bruxelles, qui vise à l'éradication de la pauvreté et de la faim dans les 50 pays les moins avancés (PMA) du monde, dans lesquels vivent 700 millions des pauvres du monde. Les engagements spécifiques contenus dans ce Programme d'Action peuvent encourager une aide au développement croissante, promouvoir les investissements étrangers, réduire le poids de la dette, et ouvrir des marchés pour les exportations des PMA dans les pays industrialisés.

Les programmes d'action faisant l'objet d'un accord international, comme le Programme d'Action de Bruxelles, offrent la possibilité à l'humanité de trouver les clés pour sortir de la prison de la pauvreté. Pour la première fois dans l'histoire, il se peut que nous soyons même en mesure d'établir les conditions pour que chaque garçon et chaque fille puisse développer son plein potentiel humain. Mais une communauté isolée n'est pas en mesure de tourner seule les clés de la prison. Ce serait un scandale et une tragédie si les nations ne s'associaient pas pour ouvrir cette porte. La Communauté internationale devrait inviter les pays développés à être les premiers à faire preuve d'un plus haut degré de responsabilité et de solidarité, et à abandonner leurs seuls intérêts et objectifs de groupes au profit du plus noble intérêt du bien commun. Sans un sérieux engagement de la part des nations développées en vue d'assumer leur part de sacrifice dans ce processus, les PMA continueront d'être prisonniers de leur difficile situation actuelle.

D'où l'importance de ce débat de haut niveau: de quelle façon l'engagement déjà pris peut-il être revitalisé? Comment le progrès le long d'une voie bien établie peut-il être accéléré? En tant que partenaire nourrissant depuis toujours une préoccupation particulière à l'égard des plus pauvres dans les pays les plus pauvres, le Saint-Siège reconnaît qu'une ample gamme de mesures de coopération économiques et sociales sont nécessaires.

En vue de l'objectif adopté au niveau international visant à réduire de moitié la pauvreté dans les PMA d'ici 2015, le Saint-Siège reconnaît qu'un engagement mondial plus efficace est à présent urgent afin de mobiliser de plus grandes ressources financières pour le développement et de résoudre la situation de pauvreté généralisée dans les PMA. Toutefois, pour que ce soutien financier apporte un bénéfice aux PMA, il faut qu'il soit orienté de façon plus efficace vers des investissements productifs et bien étudiés, qui puissent apporter des bénéfices évidents aux communautés auxquelles ils s'adressent. Dans le même temps, un effort accru est nécessaire afin d'accroître la capacité au niveau local de contribuer à l'élaboration et à la mise en oeuvre de ces investissements, et il est parallèlement nécessaire de mettre en place des mesures de plus grande transparence et responsabilité afin de contrôler la façon dont ces ressources sont utilisées. Tandis que des efforts sont accomplis pour développer des conditions financières et commerciales plus adéquates, la Communauté internationale devrait continuer de rechercher des moyens de permettre une plus juste distribution des profits et d'établir les conditions pouvant garantir le véritable développement humain.

Toutefois, le Saint-Siège désire souligner que toute mesure visant à promouvoir le développement authentique et durable doit protéger la dignité et la culture de l'homme.

La nécessité de respecter la dignité et la culture de l'homme soulève la question de l'origine des principes éthiques nécessaires pour soutenir le développement authentique. Si l'on s'accorde généralement à reconnaître que les environnements naturels sont en danger à notre époque tourmentée, on accorde moins d'attention à la crise croissante des environnements sociaux et économiques fragiles de l'humanité. Les rapides changements économiques et sociaux et, dans certaines régions, les conflits armés, ont fait beaucoup de victimes parmi les familles et leurs structures sociales environnantes. Dans de nombreux pays pauvres, les familles ont été dévastées par la pandémie du SIDA/VIH et désagrégées par les migrations. Etant donné que la famille est le premier milieu dans lequel les êtres humains acquièrent les qualités de caractère et de compétence qui sont à la base d'économies et de politiques saines, les politiques de développement doivent être attentives à leur impact sur les environnements sociaux menacés.

Les investissements en capital humain doivent occuper une place privilégiée dans le programme de développement. Bien que les pays les moins avancés soient matériellement pauvres, ils sont riches en ce qui concerne le potentiel humain. La personne humaine réunit toutes les dimensions du développement - le développement entendu non seulement comme l'élimination de la pauvreté, mais comme la libération des dons et des talents de chaque homme et femme, à travers une meilleure santé, une meilleure éducation et de meilleures opportunités. La libération de ce potentiel doit inclure une attention particulière aux situations des femmes et des jeunes filles, en garantissant leur accès libre et équitable à l'éducation et à la santé, ainsi qu'aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. A cet égard, l'expérience et les ressources offertes par les initiatives religieuses en tant que partenaires dans le domaine de l'éducation, de la santé et de l'assistance, devraient être pleinement utilisées.

A présent que nous disposons des moyens de vaincre les antiques ennemis de l'humanité, la faim et la pauvreté, nous n'avons aucune excuse pour ne pas accélérer le pas. L'obstacle principal a été souligné par le Secrétaire général, qui a affirmé: "Si les ressources pour combattre la faim sont probablement suffisantes, il manque encore la volonté politique de le faire". Qu'est-ce qui empêche la mobilisation de la volonté nécessaire? Ce n'est pas seulement le cercle vicieux de la pauvreté matérielle dans les pays les moins avancés, mais une certaine pauvreté d'imagination parmi les populations les plus fortunées du monde: un manque d'empathie, une incapacité reconnaître l'interdépendance de tous les membres de la famille humaine, l'oubli de notre dépendance radicale à l'égard de la terre, de la récolte et des enfants qui représentent l'avenir de l'homme. A cet égard, le Saint-Siège profite de cette occasion pour réaffirmer ses engagements historiques dans deux domaines: son engagement en vue de fournir des services d'éducation, de santé et d'autres services de base aux membres les plus pauvres de la famille humaine, et sa mission parallèle d'ouvrir les cœurs des privilégiés.

Madame le Président, ce dont nous avons besoin est un changement d'attitude, et que la Communauté internationale soit toujours plus audacieuse, plus généreuse, plus créative, plus énergique dans la lutte pour mettre un terme final à la division du monde entre deux parties: les riches et les pauvres.

Merci, Madame le Président.


*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue françaisen.30 p.10.

La Documentation catholique, n.2324 pp.962-964.

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