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96 SESSION DE LA CONFÉRENCE INTERNATIONAL DU TRAVAIL À GENÈVE

INTERVENTION DE S. EXC. MGR SILVANO M. TOMASI*

Genève
Mercredi 13 juin 2007

 

Monsieur le Président,

1. Aujourd'hui encore, la poursuite de la justice sociale demeure une véritable gageure et un devoir d'intervention pour l'Organisation internationale du Travail (OIT), alors qu'elle continue de développer des normes actualisées et d'influencer la politique dans le monde du travail, dans le cadre d'une économie mondiale en plein développement. A cet égard, la délégation du Saint-Siège reconnaît avoir des objectifs communs avec l'OIT. Elle soutient pleinement l'action conjointe des travailleurs, des employés et des gouvernements visant à faire du travail décent pour un développement durable un objectif commun au sein de la Communauté internationale et une priorité dans les programmes nationaux. Une grande partie de l'agitation et un grand nombre des conflits qui tourmentent notre société trouvent leurs origines dans le manque d'emplois, dans les emplois ne garantissant pas des conditions dignes de travail ni des salaires permettant de vivre, et dans les relations économiques injustes. Le programme opportun de cette Conférence traite à juste titre des formes anciennes et nouvelles de discrimination, de la protection sociale, du nouveau cadre de travail et de son impact sur les travailleurs individuels et leurs familles, et d'autres thèmes qui y sont liés. En effet, le travail, l'entreprise et le marché mondial des investissements financiers, du commerce et de la production, devraient être enracinés dans un effort créatif, dans un esprit de coopération, et fondé sur le droit, au service de la personne humaine, de tout homme et femme, et de leur dignité et droits égaux. C'est la dimension humaine du travail qui a besoin d'être reconnue et protégée; de plus, un environnement propice doit être créé afin que les talents personnels soient investis pour le bien commun.

2. Au cours des dernières années, des changements sont apparus dans le domaine de l'économie, de la technologie  et  des  communications, qui ont transformé le cadre du travail et les conditions du marché du travail de façons parfois dramatiques. Il est évident que le système international est soumis au poids d'une population qui vieillit dans certaines régions, aux délocalisations, à l'écart entre les compétences nécessaires et un système éducatif encore incapable de préparer des personnes qualifiées pour répondre à ces besoins, à la recherche d'équilibre entre des possibilités de politique juste et un multilatéralisme efficace, à l'exigence d'une plus grande flexibilité et mobilité. Une nouvelle tendance apparaît, semblant favoriser les relations plus individualistes entre l'entreprise et les employés. Ces derniers devraient protéger leurs droits sur la base de leurs compétences et de leurs capacités d'entreprise. Ces développements nous appellent sans doute à repenser les formes actuelles de solidarité. Même si les travailleurs ne sont plus proches physiquement les uns des autres, la solidarité demeure  cruciale et indispensable si elle est fondée sur notre humanité commune qui rassemble toutes les formes de travail. A son tour, "par le travail, non seulement l'homme transforme la nature en l'adaptant à ses propres besoins, mais encore il se réalise lui-même comme homme et même, en un certain sens, il "devient plus homme"" (Jean-Paul II, Laborem exercens, n. 9). D'une certaine façon, le monde du travail a transformé l'ancienne pratique:  à présent, le travail tend à avoir la priorité sur le capital, et la véritable richesse se trouve dans la connaissance, dans les capacités humaines et relationnelles des travailleurs, dans leur créativité et leur capacité à faire face aux nouvelles situations. Dans le même temps, même face à ces nouvelles approches du travail, les risques d'exploitation demeurent possibles, sous la forme de la surcharge de travail, de la flexibilité excessive, et de la concurrence acharnée, qui rendent la vie familiale et la croissance personnelle impossibles.

3. Le nouveau contexte de mondialisation conduit inévitablement à ce qu'une personne travaillant avec et pour d'autres personnes atteigne progressivement toute la famille humaine. A travers son travail, une personne s'ouvre à une dimension toujours plus universelle, et, de cette façon, peut "humaniser" la mondialisation et ainsi, en gardant la personne humaine au centre de ce processus, garantir un degré éthique face à ses aspects négatifs. C'est pourquoi, l'universalisation des normes du travail ne devrait pas être considérée comme un poids sur les accords commerciaux, mais plutôt comme un soutien concret pour les droits humains des travailleurs et comme une condition pour une concurrence plus équitable au niveau mondial. Dans le même temps, cette universalisation ne laissera pas les travailleurs et leurs familles uniquement à la "merci" de forces économiques qui échappent au contrôle des politiques nationales. Les instruments nécessaires pour mettre en place une telle approche peuvent aller des fonds spéciaux internationaux pour la protection des travailleurs à l'application réglementaire progressive de certains standards et, de cette façon, peuvent promouvoir et poursuivre les résultats historiques obtenus par les travailleurs organisés en syndicats. Tandis que le monde est confronté à une mondialisation qui accroît les richesses mais qui ne les partage pas de façon équitable, les objectifs sociaux ne peuvent être laissés de côté. Une action convergente entre les politiques sociales et économique semble mieux adaptée pour stimuler la création de nouvelles opportunités d'emplois et promouvoir des conditions dignes de travail, auxquelles trop de personnes n'ont toujours pas accès.

4. La nécessité urgente de créer de nouveaux emplois est reconnue, à juste titre, comme la première façon d'empêcher la discrimination et la pauvreté. Avec environ 195 millions d'hommes et de femmes n'ayant pas trouvé d'emploi l'an dernier et 1,4 milliards de personnes ayant des emplois insuffisamment payés ne leur permettant pas de dépasser le seuil de pauvreté de 2 dollars par jour, la responsabilité de la Communauté internationale et des gouvernements est appelée à assurer à la fois un environnement économique adapté et des conditions décentes de travail. Le deuxième compte-rendu général sur la Discrimination qui a suivi la Déclaration de l'OIT sur les principes et les droits fondamentaux du travail indiquent à juste titre certaines catégories de travailleurs qui méritent une attention particulière dans les nouvelles conditions du marché: les femmes qui n'ont toujours pas accès à un salaire égal pour un travail égal, et qui ont besoin d'égalité dans la promotion professionnelle; les personnes handicapées; les dizaines de millions de migrants qui représentent un élément majeur de productivité dans l'économie mondiale; les travailleurs jeunes et âgés; les personnes atteintes du VIH/SIDA; les parents qui travaillent, qui sont à la recherche de meilleures conditions leur permettant de concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales; les innombrables pauvres des régions rurales vivant pratiquement sans aucune sécurité; les enfants contraints à entrer trop tôt sur le marché du travail.

5. Dans ce cadre quelque peu sombre, la proposition d'une Convention et de recommandations concernant le travail dans le secteur de la pêche représente un signe de progrès considérable. On estime qu'environ 40 millions de personnes dans le monde travaillent dans l'industrie de la pêche; parmi eux, 1,5 millions sont des pêcheurs industriels ou de haute mer, tandis que le reste sont des pêcheurs côtiers traditionnels. La dure réalité de l'environnement de travail pour les pêcheurs, leur espace restreint sur les bateaux de pêche et leur vulnérabilité; les longues heures de travail produisant une fatigue excessive pouvant provoquer des accidents professionnels graves; l'exploitation des enfants dans la plongée en haute mer les exposant aux risques d'accident et de mort; et les périodes excessivement longues loin de leur famille; toutes ces considérations, ainsi que d'autres, ont suscité des débats attentifs qui, nous l'espérons, parviendront bientôt à une conclusion à travers un instrument supplémentaire de protection. En effet, la Convention et les Recommandations proposées peuvent également fournir les bases pour l'élimination des abus et de la discrimination infligée aux professionnels de la pêche par la pêche illégale, non déclarée et non réglementée sur des bateaux navigant loin des côtes, dans le cadre du système du certificat d'immatriculation libre. Les questions interdépendantes de la justice, la sécurité et la santé demandent une réponse concertée aux exigences légitimes des pêcheurs sur la protection de leur droits et l'amélioration de leur qualité de vie. La solidarité ne peut bien sûr pas aller jusqu'à permettre la pêche excessive ou provoquer des dommages à l'environnement marin. Une telle solidarité devrait au contraire aider les pêcheurs et les pays qui, à cause du manque de ressources, vendent leurs droits de pêche à des pays plus riches, ce qui représente une menace évidente pour la survie des petits pêcheurs et des pêcheurs côtiers, et par conséquent la destruction de l'habitat marin.

Monsieur le Président,

6. Les instruments de protection deviennent l'expression de la solidarité au niveau mondial en particulier pour le grand nombre de personnes dépourvues de travail ou de travail digne. Un style de vie plus simple et un partage plus équitable des ressources de la planète sont nécessaires. Le Saint-Père Benoît XVI a récemment souligné: "Il n'est pas possible d'utiliser impunément les richesses des pays les plus pauvres, sans que ces derniers puissent avoir leur part de la croissance mondiale" (Discours aux nouveaux Ambassadeurs, 1 juin 2007). Le nouvel horizon de la question sociale est à présent le monde car la personne humaine est au centre de celui-ci en tant que protagoniste d'un développement intégral qui est le nouveau nom de la paix. A travers l'adoption du Travail Décent en tant que modèle de développement pour le système multilatéral, adapté et appliqué localement dans les Programmes nationaux de Travail décent, les travailleurs, les employeurs et les gouvernements, en travaillant ensemble, pourront donner une forme concrète à cette vision en vue d'un avenir meilleur.

Merci, Monsieur le Président.


*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.30 p.10.

 

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