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CONFÉRENCE DES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES À LA
CONVENTION SUR CERTAINES ARMES CLASSIQUES (CCAC)
[GENÈVE, 22 NOVEMBRE 2018]

INTERVENTION DE Mgr IVAN JURKOVIČ,
OBSERVATEUR PERMANENT DU SAINT-SIÈGE AUPRÈS DES NATIONS UNIES
ET DES INSTITUTIONS SPÉCIALISÉES DES NATIONS UNIES

Jeudi 22 novembre 2018

 

Merci Monsieur le président.

Grâce à la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) et à ses protocoles, les Etats parties ont accompli des progrès considérables dans le renforcement et l’élargissement du droit humanitaire international en interdisant ou en réglementant certains types d’armements. Malheureusement, les conflits violents et prolongés persistent, augmentent et s’aggravent. Des atrocités et des atteintes graves à la dignité de la personne humaine sont perpétrées au nom de revendications militaires et politiques.

Le Saint-Siège a l’intention de renouveler ses encouragements et d’appeler la communauté internationale à poursuivre sur la voie qu’elle a entreprise pour réduire les souffrances humaines et pour atténuer les conséquences négatives des hostilités. Chaque pas dans cette direction contribue à accroître la conscience qu’il faut mettre un terme à la cruauté des conflits afin de résoudre les tensions à travers le dialogue et la négociation, et en garantissant le respect du droit international[1].

A cet égard, le Saint-Siège désire réitérer ses préoccupations graves et répétées pour encourager les Etats parties à agir sur trois points particuliers relatifs à l’objectif de la CCAC:

1. Armes explosives. L’expérience tragique des conflits dans le monde entier montre que l’utilisation d’armes explosives ayant des effets dévastateurs dans des zones peuplées a un impact humanitaire dramatique à long terme. Elle provoque des blessures mortelles et des dommages permanents, laissant souvent des restes explosifs de guerre qui peuvent tuer ou mutiler des civils bien après la fin des hostilités. En outre, des millions de réfugiés et de personnes déplacées fuient souvent la violence et la désolation causées par l’utilisation d’armes classiques de plus en plus puissantes en milieu urbain. A cet égard, les armes classiques deviennent véritablement de moins en moins «classiques» et de plus en plus «des armes de déplacement de masse», leur puissance destructrice et leur sophistication pouvant dévaster des villes entières, des écoles, des hôpitaux, des infrastructures et des services essentiels à la population.

2. Armes incendiaires. Les rapports sur l’utilisation persistante d’armes incendiaires, qui provoquent des brûlures extrêmement douloureuses entraînant des blessures physiques et psychologiques à long terme ou la mort, remettent en question le bien-fondé du protocole III pour la réduction des souffrances humaines. Notre délégation désire réaffirmer la nécessité d’un examen technique et juridique honnête des dispositions contenues dans le protocole III pour renforcer cet instrument afin qu’il demeure pertinent dans les conflits actuels et de renforcer la protection garantie aux civils et aux combattants.

3. Systèmes d’armes létales autonomes (SALA). La participation et l’interaction toujours plus actives entre les Etats, la société civile et la communauté scientifique indique clairement l’urgence et les conséquences considérables des systèmes d’armes létales autonome. La délégation du Saint-Siège estime que les deux sessions du groupe d’experts gouvernementaux (GEG) tenues en 2018 ont été particulièrement utiles pour créer une convergence encore plus grande, en particulier autour de considérations éthiques et juridiques. Nous sommes particulièrement heureux que cela ait été dûment mentionné dans le rapport du GEG sous la section des principes directeurs[2].

La question des SALA est à l’ordre du jour de la CCAC depuis désormais cinq ans. Le Saint-Siège a exprimé ses préoccupations à plusieurs reprises: le développement des SALA permettra de modifier de façon irréversible la nature de la guerre, devenant détachée de l’action humaine, remettant en question l’humanité de nos sociétés et, quoi qu’il en soit, contraignant tous les Etats à revoir leurs capacités militaires.

Diverses propositions de possibles résultats concrets ont été soumises. Ces propositions ont en commun la nécessité sous-jacente d’une approche multilatérale et la nécessité de maintenir la personne humaine au cœur des décisions employant une force délétère ou meurtrière.

A cet égard, le Saint-Siège réitère sa position précédente et répétée selon laquelle s’appuyer sur le principe de précaution et adopter une attitude responsable en matière de prévention sont les seules options qui garantiront un résultat solide et durable. Afin d’empêcher une course aux armements et l’augmentation des inégalités et de l’instabilité, il est impératif d’agir sans tarder: le moment est venu d’empêcher que les SALA deviennent la réalité des conflits de demain. La CCAC devrait prendre la décision courageuse et éclairée d’interdire les SALA comme elle l’a fait par le passé en ce qui concerne les autres types d’armes.

En conclusion, le Saint-Siège espère que la flexibilité de la CCAC pourra conduire à une amélioration effective de la protection des civils et des combattants à travers des développements supplémentaires dans le domaine du droit humanitaire international, en tenant pleinement compte de la nature des «conflits armés modernes et des souffrances physiques, morales et spirituelles qui en découlent»[3].

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[1] Cf. Saint-Siège, Déclaration relative à l’adhésion à la Convention sur certaines armes classiques, 22 juillet 1997.

[2] Cf. Document CCW/GGE.1/ 2018/3, disponible à l’adresse suivante: https://www.unog.ch.

[3] Discours du Pape François aux participants à la Conférence sur le droit humanitaire international, 28 octobre 2017.


L'Osservatore Romano éd. hebdomadaire en langue française n° 51-52 du 18-25 décembre 2018