The Holy See
back up
Search
riga

PAROLES DU CARDINAL TARCISIO BERTONE, SDB,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT,
RECEVANT LE PRIX INTERNATIONAL CONDE DE BARCELONA

[EXTRAITS]

Nombreuses sont les questions concernant ce qu’on appelle « la diplomatie vaticane », qui au cours de l’histoire a reçu diverses appellations, plusieurs d’entre elles forgées avec une certaine précipitation.

Pour certaines personnes elle est comme une relique du passé destinée à disparaître. D’autres voient en elle le reflet d’une Église caractérisée par des choix qui ne répondraient pas à la réalité ou aux exigences de notre époque. Parfois, on la contemple davantage avec l’imagination qu’avec une authentique connaissance de l’Église et du rôle fondamental qu’exerce le Saint-Père en son centre, ainsi que ses collaborateurs à la secrétairerie d’État et dans les nonciatures apostoliques, pour se faire les interprètes et les porte-paroles des causes qui protègent la dignité humaine, la concorde entre les peuples et le juste progrès d’un ordre mondial qui a ses bases les plus solides dans la paix, dans la justice et dans la solidarité internationale.

En réalité, la diplomatie du Saint-Siège est une recherche incessante de voies justes et humaines, en tenant compte dans le même temps des droits et des responsabilités des personnes et des États, du bien de chaque homme que l’on n’obtient qu’en sauvegardant le bien commun. L’action diplomatique exercée par le Pape et par ses collaborateurs devrait être considérée comme une forme privilégiée de communication, dont le but est de favoriser de la meilleure façon possible ce bien commun et l’entente de la communauté internationale.

Il arrive généralement que, en parlant des représentants pontificaux, on ne tienne pas suffisamment compte du caractère multiple de leur action. Les opinions se limitent souvent à ce qui concerne leur activité auprès des gouvernements, sans penser qu’ils ont d’autres responsabilités. Par exemple, l’une de leurs missions les plus importantes est d’être des hérauts de la parole et de la proximité du Souverain Pontife, en rendant présent dans le monde entier sa sollicitude paternelle et en renforçant les liens entre l’Évêque de Rome, Successeur de saint Pierre, et les Églises particulières qui sont en pèlerinage dans le monde, sans oublier la tâche, toujours plus urgente et décisive, du dialogue œcuménique et interreligieux.

À cet égard, je voudrais citer un journaliste. Je veux parler de Joseph Vandrisse, religieux des Pères blancs, présents surtout en Afrique, qui pendant de nombreuses années a été correspondant à Rome du journal « Le Figaro ». Dans l’une de ses chroniques, il disait que la diplomatie du Pape est tout simplement une nécessité, si bien que — je le cite textuellement — « si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer ».

En effet, le service diplomatique du Saint-Siège, fruit d’une pratique antique et consolidée, s’est graduellement structuré au cours des siècles pour être un instrument qui agit en faveur de la libertas Ecclesiae, ainsi que pour la défense de la dignité de la personne humaine et d’une société qui en reflète les valeurs les plus nobles. En ce sens, je rappelle ici avec plaisir que l’Espagne est la nation dont l’ambassade près le Saint-Siège constitue la mission diplomatique permanente la plus ancienne du monde et que son Palais sur la Place d’Espagne à Rome, situé face à la statue de l’Immaculée (une vérité que cette nation contribua beaucoup à définir) est, dans la Ville éternelle, un emblème permanent de cette réalité historique.

Pour comprendre de manière authentique la fonction des nonces apostoliques, bien définie ces dernières années par les Papes Paul VI et Jean-Paul II, il est nécessaire de souligner que ce ne sont ni des technocrates ni des hommes politiques. Les nonces ou les délégués apostoliques — dans des pays qui n’entretiennent pas de pleines relations diplomatiques avec le Saint-Siège — sont des pasteurs, des hommes d’Église, formés du point de vue humain, académique et sacerdotal, pour pouvoir réaliser sur tous les fronts, avec des objectifs élevés, la tâche que leur mission comporte.

Le nombre des pays représentés a doublé au cours du pontificat de Jean-Paul II, étant donné qu’en 1978 — au début du ministère pétrinien de ce Pape bien-aimé — seuls quatre-vingt-quatre pays entretenaient des relations avec le Saint-Siège, alors qu’ils sont à présent cent soixante-dix-neuf. La diplomatie du Pape a donc atteint, dans les relations internationales, une position d’universalité authentique.

Dans ce domaine, la fonction de la secrétairerie d’État, première institution qui collabore avec le Pape pour l’assister dans sa mission suprême, possède un double aspect. D’une part, son travail tend à s’occuper de ce qui touche au service quotidien du Saint-Père, à examiner également les questions qui transcendent la compétence ordinaire des dicastères de la Curie romaine, en promouvant les relations avec ceux-ci et en les coordonnant, et à guider l’activité des légats du Saint-Siège, en particulier en ce qui concerne les Églises particulières.

D’autre part, elle est aux côtés du Pontife romain dans sa tâche de poursuivre, de développer et d’intensifier les relations du Siège de Pierre avec les États et les organisations internationales « pour le bien de l’Église et de la société civile », comme le précise la Constitution apostolique Pastor bonus, de Jean-Paul II, dans son article 46. C’est pourquoi le Saint-Siège s’efforce chaque jour d’offrir son soutien à la vie internationale, selon sa spécificité propre, afin que, partout, soit respectée la dignité de l’homme et que s’intensifient le dialogue, la solidarité, la liberté, la justice et la fraternité, aussi bien au sein des nations que dans leur projection extérieure.

Je peux vous assurer que la diplomatie du Pape travaille, de manière discrète mais constante, au service de nombreuses situations, et pour sauver des vies et rendre plus humaine et supportable la situation de nombreuses personnes. Cela se fait sans aucune discrimination, comme un service pour le bien de tous ceux qui sollicitent l’intervention — ou parfois même la médiation — du Pape et de ses diplomates. Je vous confesse, en outre, que le contact assidu avec les représentants pontificaux et leurs collaborateurs, un grand nombre d’entre eux étant de jeunes prêtres, m’a conduit à admirer le don de soi généreux, l’abnégation et le dévouement envers ce qui leur est confié, ainsi que la ferme volonté de construire des ponts et de faciliter la résolution de problématiques parfois difficiles et dans des situations terriblement complexes.

Je réaffirme ici ce que j’ai dit aux diplomates au début de mon service à la secrétairerie d’État : « Nous avons besoin d’un engagement universel en faveur des plus déshérités de la planète, des plus pauvres, des personnes qui cherchent, souvent en vain, ce dont elles ont besoin pour vivre avec leur famille. La dignité, la liberté et le respect inconditionnel de tout être humain dans ses droits fondamentaux, en particulier la liberté de conscience et de religion, doivent être parmi ces préoccupations fondamentales, car nous ne pouvons en aucune manière nous désintéresser du sort et de l’avenir de nos frères de toute l’humanité, ni rester impassibles face aux souffrances qui défigurent la personne humaine et que, chaque jour, nous avons devant les yeux ».

Il s’agit d’édifier un monde chaque jour plus humain et fraternel, comme cela est propre à l’esprit évangélique. Il faut construire un monde dans lequel se reflète mieux la compassion envers les personnes faibles et sans défense, selon la tradition chrétienne et les meilleures traditions religieuses et humanistes des différentes cultures. C’est pourquoi le Pape Benoît XVI n’hésite pas à souligner que « la vie, qui est l’œuvre de Dieu, ne doit être niée à personne, pas même au plus petit enfant à naître, sans défense, et encore moins lorsqu’il présente de graves handicaps ». C’est pourquoi nous ne pouvons pas « tomber dans l’erreur de penser pouvoir disposer de la vie, en allant jusqu’à “en légitimer l’interruption par l’euthanasie, quitte à la maquiller parfois d’un voile de pitié humaine”. Il faut donc la défendre, la soutenir, la protéger, et la valoriser dans son caractère unique et irremplaçable » (Angelus lors de la Journée pour la vie, 4 février 2007).

Dans ce contexte, l’autre côté de la médaille est plus douloureux. Il s’agit de mettre en évidence tout ce qui est contraire à la vie, de faire en sorte que disparaissent les fléaux qui frappent l’humanité, comme la pauvreté, le trafic de drogue, le terrorisme, l’extorsion, l’insécurité civile ou tout autre type de violence. Dans ces domaines, les interventions du Saint-Siège ont été et sont nombreuses et claires. La lumière doit être faite sur les plaies qui blessent la partie la plus profonde de la condition humaine, face auxquelles on ne peut pas se taire. La liste est variée. A celles que je viens de mentionner, nous pourrions ajouter les mauvais traitements que les femmes subissent sous de nombreuses formes; et je n’ignore pas non plus les souffrances de tant d’enfants ou l’abandon dont souffrent tant de personnes âgées. Nombreuses sont les régions dans le monde qui souffrent d’immenses carences médicales, où la misère, le chômage, la faim et l’analphabétisme provoquent à leur tour des tragédies. On ne fera jamais assez pour que la vie des êtres humains se développe de façon sereine et intégrale, dans des foyers domestiques où des familles fondées sur le mariage entre un homme et une femme la protègent, l’éduquent correctement et l’ouvrent à des perspectives d’avenir lumineuses. Si toutes ces racines sont négligées, si on les considère comme démodées ou qu’on ne les soutient pas avec vigueur, l’homme et sa coexistence harmonieuse perdront leur consistance réelle.

Et je voudrais mentionner ici une objection qui est généralement faite quand le magistère de l’Église affronte des questions non négociables, comme la protection de la vie humaine, la famille fondée sur le mariage ou le droit inaliénable des parents à offrir une éducation religieuse à leurs enfants. Ses propositions sont rapidement discréditées, comme si l’on prétendait imposer la perception ecclésiale à tous les citoyens de sociétés pluralistes. Loin d’avoir cet objectif, dans l’Église nous désirons respecter toutes les personnes et nous n’avons pas la prétention de juger ceux qui ne partagent pas notre point de vue. Nous sommes ouverts au dialogue, mais notre service à la société et à la vérité nous demande précisément d’exposer les raisons de nos convictions. Et dans ce sens, l’Église — comme le rappelle constamment Benoît XVI — n’hésite pas à avoir recours aux arguments « de la raison » dans le dialogue avec la société. C’est ce qu’a toujours fait la meilleure tradition de l’Église qui, outre les contenus de la foi, a toujours eu recours à des arguments qu’on appelle « de la raison », fondés sur l’ordre naturel et inscrits dans le cœur humain.

Il faut ajouter à ce qui a été dit l’engagement des représentants pontificaux pour promouvoir la paix, qui continue à être un objectif prioritaire du Saint-Siège. Ce domaine spécifique se situe entre le réalisme et la prophétie. Le réalisme nous invite à prendre conscience de la complexité croissante des situations sociales et de leurs conflits. Et la prophétie nous pousse à ne pas renoncer à ce qui, dans un premier temps, pourrait parfois être défini comme utopique, mais qui, avec un regard attentif et plein d’espérance, peut être vu comme une possibilité réelle. Malgré les nombreuses expériences frustrantes, nous devons croire dans une lente mais irréversible maturation éthique de l’humanité. Le respect pour la liberté religieuse contribue à celle-ci, étant la voie fondamentale pour l’édification de la paix, car, en reprenant les paroles du Pape : « la paix, de fait, se construit et se conserve seulement quand l’homme peut librement chercher et servir Dieu dans son cœur, dans sa vie et dans ses relations avec les autres » (Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 10 janvier 2011). À la lumière de ces considérations, on comprend bien que le Saint-Père signale que « l’hostilité à toute forme d’importance politique et culturelle accordée à la religion, et à la présence, en particulier, de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n’est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme » (Discours aux participants au 56e Congrès national organisé par l’union des juristes catholiques italiens, 9 décembre 2006).

C’est pourquoi j’encourage chaque jour mes collaborateurs de la secrétairerie d’État à ne pas se décourager en soutenant une ample vision des relations sociales, qui inclut le dialogue de l’Église avec l’État, qui renforce la collaboration avec les institutions civiles pour le développement intégral de la personne et de sa dignité, qui facilite le libre exercice de la mission évangélisatrice de l’Église, et qui indique le devoir de la société et de l’administration publique de garantir des espaces où les croyants puissent vivre et célébrer leur foi. Dans ce contexte, l’Église demande, dans l’exercice de sa mission dans le monde, manifestée sous diverses formes individuelles et communautaires, la même attitude de respect et d’autonomie dont celle-ci fait preuve à l’égard des réalités temporelles (cf. Discours à la Conférence épiscopale espagnole, 5 février 2009, n. 10).

Nous rappelons aujourd’hui les inondations catastrophiques qui ont eu lieu le 25 septembre 1962 dans plusieurs régions de la Catalogne et qui provoquèrent un grand nombre de morts et de disparus, suscitant une véritable vague de solidarité face à tant de souffrance. Pour ma part, je désire destiner le montant économique de ce prix à des fins solidaires, en remettant cinquante pour cent de celui-ci à l’initiative de grand mérite de l’archevêché de Barcelone pour les jeunes sans travail, et les cinquante pour cent restants aux projets du Groupe Guadalupe du Nicaragua, une initiative créée dans ce pays par sœur Guadalupe Caldera Ramírez, capucine de la Mère du Divin Pasteur, qui à l’âge de 93 ans, continue à être l’âme de sa fondation, et pour des bourses d’étude destinées à des étudiants issus de familles aux revenus modestes des écoles de ces religieuses fondées par le bienheureux José Tous.

 

top