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MESSAGE DU CARDINAL JEAN VILLOT,
AU NOM DU PAPE PAUL VI, À M. A. AUMONIER,
PRÉSIDENT DU CENTRE CHRÉTIEN DES PATRONS ET DIRIGEANTS D'ENTREPRISES FRANÇAISES (CFCP)

 

Monsieur le Président,

En vous adressant ce message au nom du Saint-Père, je veux d'abord féliciter le Centre chrétien des patrons et dirigeants d'entreprise français de ne pas craindre de se prononcer "pour une pratique chrétienne de l'économie". Vivre selon l'Evangile a toujours été ressenti, selon l'avertissement du Seigneur lui-même, comme une "conversion" (cf. Mc 1, 15) qui fait prendre résolument "la voie étroite" (cf. Mt 7, 14). C'est vrai de tous les domaines de l'existence. C'est vrai à un titre particulier de l'économie, un univers où trop souvent les comportements pratiques, les mentalités et les idéologies se conjuguent pour exclure l'Evangile comme un "réactif étranger".

Le Souverain Pontife est vivement conscient de la difficulté et de la noblesse de la tâche entreprise par vos prochaines Assises de Nantes, et il a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur ce sujet précis dans son discours au XIème Congrès de l'Union chrétienne des chefs d'entreprise italiens, le 8 juin 1964 (cf. La Documentation Catholique, T. 61, 1964, col. 801-805): vous y trouverez une source d'inspiration chaleureuse et toujours actuelle.

Dans vos travaux préparatoires, vous vous êtes efforcés d'assimiler, avec fidélité et pénétration, les directives que Sa Sainteté vous donnait à vous-même et aux autres membres de la délégation du C.F.C.P., lors de votre visite de 1976, ainsi que les textes-clés du magistère pontifical et conciliaire, il ne vous échappe pas en effet que l'heureuse formulation "pour une pratique chrétienne de l'économie", si elle met en évidence la consistance propre de l'économie, ne réduit pas pour autant l'inspiration chrétienne à quelques principes généraux ou à de simples motivations subjectives. Octogesima adveniens le souligne opportunément: "Si (l'enseignement social de l'Eglise) n'intervient pas pour authentifier une structure donnée ou pour proposer un modèle préfabriqué, il ne se limite pas non plus à rappeler quelques principes généraux: il se développe par une réflexion menée au contact des situations changeantes de ce monde, sous l'impulsion de l'Evangile comme source de renouveau, dès lors que son message est accepté dans sa totalité et dans ses exigences" (n. 42).

La pratique économique a ses motivations, ses méthodes, ses disciplines et ses objectifs propres. En l'éclairant sur l'orientation morale dont, comme toute pratique humaine, elle est tributaire, l'Evangile ne la fausse pas et ne freine pas son dynamisme (cf. Constitution pastorale Gaudium et spes, nn. 36, 42). Il s'insère au contraire dans le puissant mouvement d'une activité plus large qui met en œuvre les ressorts les plus authentiques des hommes et qui vise leur développement plénier et solidaire. Vous en ferez l'expérience en explorant les relations que l'entreprise noue avec ses clients, avec ses fournisseurs, avec la cité; en cherchant à promouvoir activement une participation toujours plus grande de ses membres aux fruits de l'effort commun, à la croissance et aux responsabilités, comme il convient à des "être libres et autonomes, créés à l'image de Dieu" (cf. ibid., n. 68, par. 1). L'esprit évangélique de service et sa prédilection pour les plus pauvres vous fera porter une attention privilégiée aux travailleurs immigrés et aux pays du tiers monde. Le nouvel art de vivre auquel aspire ce temps — et qui inclut assurément l'importante tranche de vie consacrée au travail — trouvera dans l'Evangile des lumières et des énergies irremplaçables pour réapprendre à l'homme à se respecter lui-même, à gérer son environnement d'une manière responsable, à valoriser son effort, l'arrachant aux tensions inhumaines et à la tyrannie des besoins artificiellement stimulés, l'orientant vers la poursuite d'un bien commun où chacun puisse grandir dans l'exercice de ses droits et de ses devoirs, sans lui faire oublier l'essentiel: "Que servirait à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme?" (Mt 16, 26).

L'Evangile éclaire et libère la conscience morale. Il assure ainsi à l'activité humaine sa rectitude et sa pleine créativité. Il fait plus encore. Sans identifier le progrès terrestre avec la croissance du Règne du Christ, il montre le lien entre les deux. Il est légitime, assurément, de rechercher les critères qui aident à mesurer et à promouvoir la nécessaire efficacité de l'activité économique. Mais le critère ultime du caractère chrétien de la pratique économique, le voici: est-ce qu'à travers ces résultats — qui passent — nous contribuons à faire croître, dans l'Esprit du Seigneur, "ces valeurs de dignité, de communion fraternelle et de liberté" dont le Concile nous rappelle que nous les retrouverons plus tard, purifiées de toute souillure, illuminées, transfigurées, lorsque le Christ reviendra et nous prendra avec lui (cf. Const. past. Gaudium et spes, n. 39, par. 3).

Cette réflexion approfondie, appuyée à la fois sur une étude objective des données économiques et une méditation de l'Evangile, ne devra pas oublier le puissant impact des mentalités des milieux dont nous sommes tributaires. Aussi les membres du C.F.C.P. auront-ils intérêt à mesurer lucidement le poids de ces mentalités, dans un dialogue élargi avec les chrétiens de leurs milieux de vie qui cherchent à en prendre conscience.

Que l'Esprit Saint vous guide dans cette recherche! Lui seul donnera au caractère "chrétien" de votre association sa pleine raison d'être et le rendra apte à pénétrer l'univers difficile de la pratique économique. En envoyant aux participants des Assises de Nantes sa bénédiction apostolique, le Saint-Père prie pour l'heureuse issue et le rayonnement de vos travaux et vous adresse ses fervents encouragements.

Heureux de joindre mes vœux à ceux du Souverain Pontife, je vous assure, Monsieur le Président, de mon fidèle dévouement en Notre-Seigneur.

+ Jean Card. VILLOT

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