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INTERVENTION DU SAINT SIÈGE 
À LA Xème SESSION DE LA CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES 
POUR LE COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT (CNUCED/UNCTAD)

Jeudi, 17 février 2000

 


Monsieur le Président,

Dans le Rapport soumis à cette dixième session de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, le Secrétaire général, M. Rubens Ricupero, avec la compétence de l'économiste et la sensibilité de l'humaniste, a présenté les principaux événements survenus depuis la Conférence de Midrand qui montrent l'émergence d'une économie où l'interdépendance des acteurs est devenue si forte qu'à la globalisation des échanges correspond désormais la globalisation des problèmes et que les difficultés laissées sans solution ont des répercussions globales.

En particulier, M. Ricupero a mis l'accent sur la crise des pays de l'Asie de l'Est, dont les conséquences se sont répandues rapidement sur les pays en développement ou en transition, prenant les dimensions d'une crise sociale et humaine, qui a détruit en l'espace de quelques semaines les fruits de plusieurs années d'efforts en vue d'une croissance économique et d'une réduction de la pauvreté, mettant ainsi en question une fois de plus un modèle de développement basé principalement sur la possibilité d'une croissance rapide, capable de réduire le fossé entre riches et pauvres, entre Nord et Sud.

Ces éléments aident à mieux comprendre l'invitation que le Secrétaire général fait aux membres de la CNUCED à "repenser d'urgence les processus, les mécanismes et les politiques qui sous-tendent le fonctionnement de l'économie mondiale, et en particulier ceux qui rattachent les pays en développement aux forces de la mondialisation" (TD/380, N.12).

La délégation du Saint-Siège, consciente du caractère particulier, essentiellement spirituel, de l'Autorité qu'elle représente, voudrait offrir sa contribution au débat entamé, en soulignant quelques aspects des problèmes économiques, commerciaux et financiers dans la perspective d'un développement de tout l'homme et de tous les peuples solidairement.

"Il est urgent - disait le Pape Jean-Paul II dans son récent Message pour la Journée de la Paix - que la pratique économique et les politiques correspondantes visent au bien de tout homme et de tout l'homme. C'est une exigence non seulement de l'éthique mais aussi d'une saine économie" (n. 16).
Les différents rapports des organismes onusiens chargés des problèmes du développement nous disent que jamais comme au cours des dernières décennies, la richesse mondiale produite par l'ensemble des acteurs de la vie économique mondiale n'a connu une progression aussi forte.

Néanmoins, l'accroissement considérable des richesses s'est fait au prix d'une polarisation de la société entre riches et pauvres et d'un creusement des inégalités soit entre pays soit entre les membres d'une même société (y compris des sociétés développées). De plus, beaucoup de Pays les moins avancés (PMA) connaissent, en dépit des programmes spéciaux adoptés en leur faveur, une paupérisation croissante, accompagnée par une montée constante des difficultés sociales, qui dégénèrent souvent en déstabilisation politique et en violences plus ou moins contrôlées.

Un autre problème préoccupe les spécialistes:  l'accroissement disproportionné du secteur financier, comparé à l'ensemble de l'économie, qui, par le jeu d'une spéculation échappant à tout contrôle, rend plus difficile la recherche de prix équitables et rémunérateurs pour les biens produits et fait baisser les bénéfices provenant de l'activité industrielle.

Devant cette situation, ce qui est requis, c'est un effort extraordinaire pour mobiliser les ressources nécessaires vers des objectifs de croissance économique et de développement commun et redéfinir les priorités et les échelles des valeurs pour des choix économiques et politiques capables de construire, par un travail solidaire, un développement dans un sens intégralement humain (Centesimus annus, nn. 28-29).

Pour ce qui est du problème de la spéculation, les responsables politiques sont appelés à fixer des normes de sorte que les finances ne soient pas laissées en proie à un dynamisme sauvage. Une activité financière dérèglementée ne permet ni la fixation de prix équitables et rémunérateurs ni l'établissement d'investissements stables et durables avec la formation de relations synergiques entre capitaux locaux et étrangers.

Le Saint-Siège est conscient que les innovations technologiques ont permis l'apparition d'un nouveau type d'économie - extrêmement compétitive et à haute intensité en matière de connaissance - et que le processus de globalisation, par l'unification des marchés, de l'espace et de la communication, a renouvelé et donné une impulsion sans précédent au monde de la production et des finances ainsi qu'au commerce des biens et des services. Le développement, la lutte contre la pauvreté et le commerce sont désormais étroitement liés entre eux.

Toutefois, les choses qui en principe apparaissent comme des facteurs de progrès peuvent engendrer, et de fait produisent déjà des conséquences ambivalentes ou franchement négatives en particulier au détriment des plus pauvres (Jean-Paul II, Osservatore Romano, 21.9.1999, p. 9). La mondialisation doit être au service de la personne humaine et si elle ne vise pas le développement de tout homme et de tout l'homme, elle deviendra une nouvelle technique d'asservissement.

Le commerce, qui, depuis des temps immémoriaux à ouvert la voie à l'intégration économique et culturelle des différentes régions géographiques, illustre bien cette ambivalence. La concurrence, toujours plus exacerbée et tech-nologique, qui a suivi la libéralisation des échanges, loin d'être seulement un des moteurs de l'activité économique, est devenue un risque sérieux de marginalisation pour des pays et des régions entières:  au Nord, par la décomposition des économies et des sociétés nationales; au Sud, par l'intégration progressive d'une élite dans le marché mondial, qui accapare les ressources et la main d'oeuvre locale.

Il serait utopique de penser que la solution viendra du seul jeu des forces responsables de la mondialisation. Pour reprendre une image chère au Secrétaire général, la concurrence est un jeu et, comme tous les jeux, a besoin de règles et d'un arbitre prenant soin qu'elle ne détruise pas d'autres valeurs qui la transcendent.

Le Pape Jean-Paul II l'a rappelé lors de son voyage à Cuba, dénonçant le libéralisme capitaliste qui "asservit la personne humaine et conditionne le développement des peuples aux forces aveugles du marché, en aggravant, depuis leurs centres de pouvoir, la situation des pays les moins favorisés, avec des changements insupportables" (25.1.1998).

Le Conseil pontifical Justice et Paix a récemment présenté des propositions qui soulignent combien les PMA et les pays en transition ont encore besoin de temps et d'assistance pour pouvoir participer à part entière au système global du commerce ("Trade, development and the fight against poverty").

On devrait prévoir une plus grande flexibilité dans la négociation de normes internationales qui tiennent compte des différentes étapes de développement et de la capacité d'entrer en concurrence afin de donner aux PVD les moyens d'accéder, en plein dignité, aux réseaux d'échanges et de les aider à s'intégrer dans le système commercial.

Dans un monde toujours plus interdépendant, si l'on veut arriver à la paix et à la stabilité politique, à une plus grande protection des droits de l'homme et de l'environnement, l'accès des pays pauvres aux marchés du Nord reste un élément crucial.

Toutefois, comme le deuxième chapitre du Rapport du Secrétaire général le montre bien, le marché n'est pas une force autonome, qui agit dans le vide. L'accès des PMA aux marchés des pays développés par la suppression des obstacles à leurs exportations, ne peut à lui seul résoudre tous leurs problèmes.

Il faut réduire le poids de la dette, cette plaie ouverte au flanc des relations internationales, dont le service absorbe une grande partie des ressources des PMA et, chez certains d'entre eux, a atteint des proportions écrasantes. Une telle situation ne profite à personne et mine la paix du monde.

L'opinion publique internationale est de plus en plus sensible à ce problème. Le Saint-Siège, pour sa part, a soulevé depuis plusieurs années et à plusieurs reprises cette question dans les différentes enceintes internationales. Il reconnaît les efforts faits par les pays créditeurs, en particulier le G-8 et souhaite que l'on continue sur cette voie de manière à ce que l'application avec souplesse des critères et leur élargissement puissent permettre à d'autres pays en but à de graves problèmes économiques et sociaux d'y participer. Le défi est de transformer la dette en projets réalistes de développement durable et de réduction de la pauvreté, comme certains pays sont en train de la faire.

Mais les PMA, afin de réaliser leur intégration dans l'économie globale, ont aussi besoin de capitaux nouveaux pour se préparer et se qualifier, pour édifier leur infrastructure économique et diversifier leur production et pour mettre en place les conditions nécessaires au fonctionnement d'une économie de marché.

Comme la CNUCED l'a suggéré récemment dans une étude préparée pour l'ASEAN, une des réponses possibles est l'injection de liquidité dans les pays en voie de développement. Or, la diminution constante et progressive de l'aide au développement a laissé les PVD et surtout les pays les plus pauvres dans une situation précaire.

La prise de conscience de la part de la société de son existence en tant que communauté mondiale et non plus comme un ensemble d'entités multiples, devrait fonder l'ODA sur la reconnaissance du droit qu'ont chaque homme et chaque femme à un travail, à un toit, à l'éducation, à la santé.

Il s'agit de droits et non pas de gestes de charité ou de philanthropie, souvent guidés, au moins dans le passé, par des intérêts militaires, politiques et économiques, plus que par la volonté d'éradiquer la pauvreté. "Les pauvres - dit encore le Pape - revendiquent leur droit d'avoir leur part des biens matériels et de mettre à profit leur capacité de travail afin de créer un monde plus juste et plus prospère pour tous" (Centesimus annus, n. 28).

La Déclaration des Nations unies sur le Développement rappelle que les Etats ont le devoir de coopérer les uns avec les autres pour assurer le développement et en éliminer les obstacles (art. 3).

La coopération internationale ne peut pas se réduire à l'aide et à l'assistance humanitaire, mais elle doit être un élément stratégique de toute politique visant un engagement concret et tangible de solidarité.

Dans une époque où le facteur décisif de l'économie est l'homme, avec sa capacité de connaissance et d'organisation - et non plus la terre ou le capital - l'expérience montre qu'on a obtenu les plus grands succès dans le développement et dans la réduction de la pauvreté là où on a investi dans le capital humain. Les expériences de micro-crédit sont un exemple de la possibilité de mobiliser les ressources et les capacités d'entreprise même parmi les couches de population aujourd'hui marginalisée par manque d'accès au crédit.

Les rapports technologiques entre les nations revêtent alors une grande importance. Les découvertes scientifiques et les innovations technologiques devraient être au service de toute l'humanité et tous les peuples.

La conduite des Etats joue un rôle incontournable dans le contexte du développement surtout aujourd'hui où il y a une coordination plus étroite et une convergence plus marquée entre les positions des différentes Organisations internationales, chargées de l'assistance humanitaire et de l'aide au développement à long terme.

S'il est vrai que, sous la poussée des privatisations, on a assisté ces dernières années à un retrait de certaines activités économiques traditionnellement contrôlées par le secteur public et, de surcroît, à un retrait au niveau normatif, l'Etat continue à être le point de rencontre et de synthèse entre les différentes possibilités offertes par la Communauté internationale et la réalisation d'un programme de développement qui doit être conforme à la nature de chaque peuple, avec ses traditions, ses enracinements culturels et ses aspirations spirituelles.

L'activité de l'Etat dans le domaine de la transparence et de la lutte contre la corruption, sa capacité de créer un consensus dans la vie politique et sociale et de mettre sur pied des institutions authentiquement démocratiques sont des éléments indispensables non seulement pour instaurer la confiance des donateurs d'aide publique et du secteur privé, mais pour mettre en marche la croissance économique et une distribution plus équitable des bénéfices.

Les organisations non gouvernementales et la société civile, loin d'être seulement un palliatif social face aux carences et aux difficultés de l'Etat, sont appelées à être de véritables instruments de participation populaire dans la mesure où elles seront capables de capter les exigences de la population, d'expliciter le sens et les enjeux des débats en cours et d'exiger la prise en compte de la réalisation des décisions approuvées. "Le développement ne peut être ni spontané ni décrété ni octroyé - disait le Pape dans son message à la septième session de la CNUCED - il exige une vaste et libre adhésion des peuples eux-mêmes, patiemment éduqués à devenir maîtres de leur propre destin" (TD/L.285)

Monsieur le Président,

Cette Xème session de la CNUCED est appelée à préciser son mandat et son programme de travail à l'ère des changements imposés par la globalisation ainsi qu'à faire une réflexion approfondie sur les expériences menées depuis Midrand pour identifier les carences de l'approche actuelle des problèmes du développement. La délégation du Saint-Siège soutien la vision du Secrétaire général de faire de la CNUCED un lieu privilégié - "qui se concentre sur la forêt plutôt que sur les arbres" - pour une analyse focalisée sur les grandes questions de l'investissement et du commerce et pour une assistance tech-nique orientée à soutenir les pays en développement dans la création des structures nécessaires et surtout dans la formation d'hommes et de femmes pour la gestion du processus de globalisation et des politiques qui doivent en découler.

Le Saint-Siège a toujours manifesté un vif intérêt et un constant soutien à l'activité que la CNUCED a déployée tout au long de ces années en y voyant un moyen important, dans le système des Nations Unies, pour renforcer la collaboration internationale et contribuer ainsi à l'amélioration des conditions de vie et au bien-être des pays en voie de développement et en particulier de ceux qui requièrent davantage un aide concrète.

Ma délégation formule le voeu que la présente Conférence mobilise les consciences et suscite une action d'ensemble capable de rechercher des solutions plus humaines aux problèmes des peuples laissés en marge du processus de la mondialisation et décide ce qu'il faut faire pour promouvoir une économie solidaire.

 

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