Intervention du Saint-Siège lors de la IIIème Conférence de l'ONU sur les pays les moins avancés (16 mai 2001)
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INTERVENTION DU SAINT-SIÈGE
LORS DE LA IIIème CONFÉRENCE DE L'ONU
SUR LES PAYS LES MOINS AVANCÉS*

Mercredi 16 mai 2001


Augmentation du nombre des pays les moins avancés

La Communauté des nations a réaffirmé à plusieurs reprises au cours de ces dernières années une série d'objectifs et d'engagements visant à réduire dans notre monde le nombre des hommes, des femmes et des enfants se trouvant dans un état de pauvreté insupportable, vivant dans des conditions indignes de la dignité qui leur a été accordée par Dieu et qui les empêchent de mettre en oeuvre pleinement les dons que Dieu leur a donnés et que chacun d'entre eux possède.

Comme le rappelle le thème de la Conférence, la situation ne concerne pas seulement des individus, mais des nations et des régions entières de la planète. Malgré les grandes possiblités que le progrès scientifique de ces dernières années a mis à la disposition de notre génération, nombreux sont ceux qui en demeurent privés.

Le fait que le nombre des pays les moins avancés ait réellement augmenté à une époque où existe un tel potentiel de progrès révèle que la mondialisation n'a pas été porteuse de bénéfices pour tous. Nous ne pouvons pas demeurer indifférents face à une telle situation. Une société mondiale qui laisse tant de ses citoyens en marge de son progrès ne possède pas les qualités requises pour s'attribuer ce titre. Quand un système économique mondial s'accompagne de telles marginalisations et d'une telle croissance des inégalités, alors l'ensemble de ce système demeure vulnérable. Aucun secteur de ce système n'est indemne.

La Communauté internationale demeure une communauté imparfaite

Notre époque possède la connaissance, les moyens et les orientations politiques requises pour s'occuper de la pauvreté, de l'exclusion et des inégalités criantes. Il reconnaît que l'investissement en termes de personnes et de capacités humaines est le plus important investissement à long terme au niveau mondial. Il reconnaît également que seule une stratégie de développement globale, de type holistique, centrée sur la personne humaine pourra assurer le développement à long terme. Il accorde aussi à l'éducation, à la santé et à un travail décent l'importance de bases fondamentales permettant d'assurer la croissance économique et le progrès social des personnes et de leurs familles. Il reconnaît enfin l'importance de structures de gouvernement transparentes et  efficaces  au  service des citoyens.

Malgré ce consensus, nos réponses ont été partielles et parfois contradictoires. La Communauté internationale demeure une communauté marquée par des défauts. Il existe encore une différence entre les engagements pris en paroles et les stratégies et les ressources mises en oeuvre pour les faire devenir réalité. Les objectifs sont indiqués mais, ensuite, le financement correspondant et les ressources humaines nécessaires n'y sont pas affectées, tant de la part des pays donateurs que des pays en voie de développement. Les pays les moins avancés sont encouragés à ouvrir leurs marchés, mais ils se trouvent encore confrontés à des barrières protectionnistes qui affectent leurs produits. Ils sont appelés à assumer le contrôle de leur propre développement et des stratégies de réduction de la pauvreté. Ils ont dû parfois faire face à des conditions complexes et insoutenables qui leur ont été imposées de l'extérieur. De nombreux changements de politiques sont suggérés, mais l'assistance technique et la formation humaine, proposées pour mettre en oeuvre de telles politiques, sont souvent symboliques. Le savoir nécessaire pour faire rapidement progresser le Bien commun est injustement protégé afin d'accroître le profit privé.

Préciser et contrôler ce qui fonctionne

Cette troisième Conférence sur les Pays les moins avancés ne peut constituer uniquement une nouvelle occasion de répéter les objectifs et de mettre à jour les stratégies, qui bénéficient déjà d'un large consensus tant de la part de la communauté politique que de la communauté scientifique. La Conférence doit se demander pourquoi, alors que nous bénéficions de cet appui, nous n'avons pas remporté de succès. Nous devons d'abord et avant tout considérer plus attentivement ce qui s'est passé et voir ce qu'il est possible de faire en plus ou de renouveler.

Nous devons définir des objectifs "réalisables" et en multiplier le nombre. Mais nous devons également contrôler avec attention et de manière objective nos politiques et nos activités individuelles pour voir avec précision ce qui a bien fonctionné, ce qui a représenté un échec et comment nos ressources peuvent être utilisées de manière efficace. Nos programmes d'assistance bilatéraux et multilatéraux n'ont pas constitué des modèles d'efficacité et beaucoup reste à faire afin qu'ils atteignent au mieux leurs objectifs. Nous devons être particulièrement attentifs dans l'examen des bénéfices réels de nos initiatives pour les plus pauvres. Là où cela est nécessaire, nous devons sans cesse redéfinir nos objectifs en faveur des plus pauvres.

Le processus de contrôle doit vraiment associer les communautés locales qui sont appelées à en bénéficier. Nous devons apprendre à les écouter, à être sensibles à leur culture, aux connaissances des populations autochtones et à l'expérience qu'elles ont de l'environnement local et qu'elles sont les seuls à pouvoir nous offrir. Il est important que les bénéfices réalisés grâce au succès d'entreprises locales soient réinvestis sur le plan local de façon à permettre à ces entreprises de s'enraciner durablement et à créer de nouvelles opportunités pour l'emploi et le commerce. Trop souvent, par exemple, les échelles de remboursement de la dette sont encore fixées à un niveau trop élevé, ce qui a pour conséquence que les bénéfices des entreprises réellement productives ne peuvent être réinvestis sur le plan local mais doivent être con-sacrés au service de la dette.

L'importance des communautés humaines

Notre réflexion sur la politique du développement au cours de ces dernières années nous a conduits à une plus profonde compréhension du caractère central de la personne humaine, mais aussi de l'importance des communautés humaines, comme sujets de développement. Nos stratégies doivent tendre à mettre en valeur ces communautés, en commençant par la famille, afin d'assurer que le développement soit pleinement enraciné dans les cultures locales et qu'il puisse se développer au sein de la nation tout entière.

Nombreux sont ceux qui désirent que la participation des communautés locales et de la société civile dans l'élaboration et le contrôle des stratégies de réduction de la pauvreté devienne une réalité. La rapidité nécessaire avec laquelle les stratégies intérimaires de réduction de la pauvreté, liées à la mise en place de l'initiative HIPC, ont dû être élaborées a eu pour conséquence que, dans de nombreux cas, la participation de la société civile n'a pas été possible, sinon de manière marginale. Des modèles plus audacieux et plus innovateurs doivent être rapidement élaborés en concertation avec toutes les parties en cause.

Des communautés vivantes constituent une nécessité en vue d'un marché efficace. La construction d'une communauté est, de la même manière, une dimension essentielle permettant la réalisation d'une bonne gestion. Cette dernière ne peut être atteinte simplement par la promulgation de décrets ou la proclamation de droits. Elle doit s'accompagner d'un investissement en matière de construction de capacités humaines et communautaires dans les différents contextes culturels existant dans le monde.

Le développement requiert que les droits fondamentaux de la personne soient respectés et renforcés, en particulier son droit à participer activement à tous les processus de prise de décision qui affectent sa vie. Le Pape Jean-Paul II a récemment rappelé qu'à l'heure de la mondialisation, à une époque où la technologie et les relations de travail évoluent trop rapidement pour trouver une réponse culturelle, "les garanties sociales, légales et culturelles - qui sont le résultat des efforts des personnes pour défendre le Bien commun - sont une nécessité vitale si l'on veut que les personnes et les groupes intermédiaires maintiennent leur centralité" (Audience aux membres de l'Académie pontificale des Sciences sociales à l'occasion de la VII session plénière du 27 avril 2001 n. 3, ORLF n. 19 du 8 mai 2001). Mais les structures et les normes ne seront un succès qu'à partir du moment où elles seront décidées par les communautés et les personnes qui possèdent la capacité, l'enthousiasme et le courage de les mettre en oeuvre.

Une structure de solidarité

La croissance du consensus en matière de développement international doit être étayée et accompagnée par un certain nombre de principes qui sont également de nature éthique. Le développement concerne avant tout certaines valeurs et aspirations de base de l'être humain, qui font partie d'une vision holistique des relations entre le genre humain et le reste de la création. Dans un système économique fondé sur le savoir, le consensus en matière de développement doit être centré sur la personne. Il doit viser à l'intégration par le biais de politiques qui renforcent la capacité humaine et la participation au sein des communautés humaines. Le développement doit être intégré dans une structure de solidarité et de respon-sabilité partagée.

Notre but est de faire en sorte que la solidarité devienne une réalité. Nous devons créer un mouvement mondial qui considère la solidarité comme un devoir naturel de chaque personne, de chaque communauté, de chaque nation. La solidarité doit être un pilier naturel et essentiel de toute communauté politique, et non pas l'apanage de la droite ou de la gauche, du Nord ou du Sud; un impératif d'une humanité qui cherche à réaffirmer sa vocation à être une famille mondiale. Dieu en effet "a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne" (Lettre Encyclique Centesimus annus, n. 31).

S.Exc. Mgr Diarmuid Martin, 
Observateur permanent du Saint-Siège auprès du Bureau des Nations unies et des Institutions spécialisées à Genève


*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.36 p.9.

La Documentation catholique, n.2256 pp. 874-876.

 

 

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